•   Carnet André Thérive, Sans Ame (Le Populaire -Parti socialiste SFIO, 15 février 1928)
    du lecteur 

        André THERIVE. - Sans âme,
    roman (Paris, Grasset, « Les
    Ecrits », 1928. - 12 fr.). - M. An-
    dré Thérive a voulu nous montrer
    quelle souffrance, quelle dégrada-
    tion et quelle médiocrité attendent
    le peuple des villes quand il est de-
    venu étranger à toute vie religieuse.
    Il se contente généralement de plai-
    sirs faciles et de jouissances gros-
    sières. Parfois pourtant cela ne lui
    suffit» pas, et il se laisse alors ten-
    ter par les billevesées des fonda-
    teurs de sectes et le mysticisme de
    mauvais aloi des petites religions.
    Ce qui ne vaut pas mieux. 
       Sans âme est donc bien dans la
    même direction que les romans an-
    térieurs de M. Thérive et notam-
    ment que Le plus grand péché et
    les Souffrances perdues, qui furent
    signalés, en leur temps, à l'atten-
    tion des lecteurs du Populaire. 
       Mais Sans âme pose la question
    sur une échelle élargie. Ce n'est
    plus dans le coeur d'un homme ou
    d'une femme que se joue le drame
    de la foi, c'est dans la conscience
    collective de la masse. De là vien-
    nent la nouveauté et l'intérêt prin-
    cipal de ce dernier roman. Il nous
    révèle un aspect encore inconnu du
    talent de son auteur : l'art de pein-
    dre avec des couleurs fortes, les mi-
    lieux populaires des grandes cités. 
       On peut - on doit même, à notre
    avis, - rejeter les conclusions de
    M. André Thérive, on ne peut pas
    ne pas être touché par les faits qu'il
    a choisis. 

    Le Populaire
    Parti socialiste SFIO
    15 février 1928


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  • Vient de paraître - André Thérive (Le Journal 3 février 1928)

    Sans âme, L'amour et la passion de Lydia, petite fille de Paris.

    Le Journal, 3 février 1928


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  • Le Journal 20 février 1928 - article d'André Thérive

    300.000 ADEPTES
    demandent
    à l’Etat belge
    de reconnaître l'antoinisme

    On sait que l’« antoinisme », cette étrange religion qui a des adeptes en France comme en Belgique, naquit en 1906 d’une expérience de spiritisme, au cours de laquelle la révélation fut faite à un ouvrier mineur, le « père Antoine », de la réincarnation de son fils.

        Dans l’article qu’on va lire, M. André Thérive, le brillant écrivain, raconte la visite qu’il vient de faire à Jemeppe-sur-Meuse, berceau de l’ « antoinisme ».

       On n’a pas encore proclamé, par voie de concours, le paysage le plus triste du monde. Il paraît qu’on pourrait choisir la pointe du Raz au temps de l’équinoxe, ou bien Whitechapel un jour de brume, ou certaines landes de notre plateau de Millevaches. Moi, je voterais pour un coin de la banlieue de Liège, où se trouve Jemeppe-sur-Meuse, la petite Rome de la religion « antoiniste ».
       Les lieux où souffle l’Esprit ne sont pas, d’habitude, les lieux gais, mais celui-ci, qu’une révélation a, dit-on, favorisé, semble tout à fait en deuil. La boue y est à peine plus noire que les maisons basses, dont les briques ont le ton de la suie, et où les boutiques cachent leurs étalages dans de pauvres fenêtres borgnes. Le ciel pèse sur des amas de fumées à peine plus opaques que lui. Toutes les enseignes de la ville sont en blanc et noir, funéraires… et la première qu’on lit au sortir de la petite gare offre ces mots : Meubles et cercueils en tout genre…
       Jemeppe-sur-Meuse n’est qu’un alvéole dans la grande ruche du pays minier. Les amateurs d’artificiel peuvent s’y plaire, car ici l’homme a tout fabriqué, jusqu’aux montagnes… En d’autres pays de plaine, les cônes de détritus, issus du charbonnage, ne font guère plus d’illusion que des taupinières. Ici, ils imitent à merveille une chaîne de volcans. La pluie a raviné ces crassiers, la géologie les a tassés et modelés selon ses lois ; on y voit des failles, des strates, des couloirs d’avalanches. Une herbe jaunâtre les colore, quelques arbres ont poussé dessus, et une erreur de perspective les unit à quelques collines véritables qui se trouvent là, sur la rive droite de la Meuse, pour en former un système gigantesque.
       Sept collines, peut-être ? En tout cas, voici un faubourg dans ce faubourg, un hameau dans ce grand village, le quartier Bois-de-Mont, Tous les indigènes vous indiqueront le temple antoiniste, avec sympathie ou avec fierté. On ne le trouverait pas tout seul dans ces petites rues désertes, où quelques épiciers arborent simplement des cartes postales aux effigies sacrées. Pas de boutiques de plein vent, aucun attirail de pèlerinage : l’antoinisme est une religion austère. Mais le vagabond en casquette, aux yeux pâles, qui traîne sur le trottoir, vous dira : « La Mère ? elle habite ici dedans ! » 
        C’est une petite communauté, à un coin de rues, cernant une chapelle modeste à deux entrées. On pourrait croire à un couvent si le clocher portait une croix, mais il n’y a plus de croix, à peine une girouette. 
        Vous voici dans le vestibule. Il est d’une propreté parfaite, d’une propreté belge. On dirait d’un couloir d’école : des espèces de tableaux d’honneur, des préceptes et avis sous vitrine, la liste des temples antoinistes dispersés par le monde : il y en a plus de cent du Canada à Monaco. Justement, dans un coin, une petite maquette en carton : la réduction du second temple qu’on élève à Paris, rue du Pré-Saint-Gervais. L’adepte de service est un jeune homme discret, propret, moustache noire, soutanelle impeccable. Il parle à mi-voix, il joint les mains. Il vous introduit dans la chapelle bien cirée où deux tribunes superposées attendent, l’une, le lecteur de l’enseignement du Père Antoine, l’autre, la Mère, quand, les mains chargées de fluides, elle procède à « l’opération »…
       Deux icônes : l’emblème de l’antoinisme, un arbre en pot, peinturluré sur verre dépoli : l’Arbre de la Science de la Vue du Mal. Car l’essentiel de la doctrine enseigne que le mal ni la matière ne sont réels. Il suffit de s’en persuader pour être guéri des maux du corps et de l’esprit, et se lancer dans un cycle d’évolutions spirituelles, à la suite du Père, dont voici le portrait. Son image ne préside aux temples que depuis trois ans, bien qu’il ait été désincarné en 1912, le 25 juin, à l’âge de 65 ans, ce qui est jeune pour un guérisseur. Mistress Eddy, qui fonda en Amérique la Christian Science, devint, elle, nonagénaire. Mais quoi, le Père Antoine, ancien mineur, ancien concierge aux tôleries, survit assez : il a la barbe et le cheveu blancs comme feu le zouave Jacob, la prestance d’un moujik vénérable, l’œil flambant, le geste bénisseur. Son portrait est un agrandissement photographique au fusain, à vingt-quatre francs quatre-vingt-quinze, et dans un coin, l’artiste a signé de son paraphe superbe. A l’entrée de la chapelle, là où l’on attend le bénitier, une vasque et un robinet de cuivre avec gobelet. L’inscription spécifie que la source n’est là que pour désaltérer les fidèles. Jemeppe n’est, point Lourdes et l’eau miraculeuse a été abandonnée par l’antoinisme dès l’an 1901, époque où les médecins du lieu firent condamner M. Antoine pour usurpation de leur art, magnétisme incongru et concurrence fluidique. 
       L’antoinisme est une religion en train de s’épurer sans cesse. A l’origine, il était spirite. Un adepte m’a appris que, tel saint Jean-Baptiste annonçant Jésus, Allan Kardec avait été l’avant-coureur du Père Antoine. Aujourd’hui, il suffit de croire aux fluides. Ils sont excellents, surtout pour guérir les aphtes de la bouche La foi les attire seule, et à leur tour ils nourrissent la foi, telle la grâce suffisante des jansénistes. Il y a en Belgique 300.000 personnes accessibles aux fluides et qui ont signé une pétition pour faire reconnaître l’antoinisme par l’Etat. A Paris, on compte quatre ou cinq lieux du culte ; et vous en trouverez dans toutes les villes où le travail est dur, où la maladie abonde, à Saint-Etienne ou à Vichy. A Tours aussi et à Lyon, parbleu, qu’on s’attendait à voir en cette affaire, car Lyon est la grande ville des hérésies et Tours la capitale française du spiritisme (le saviez-vous ?). Une dure hiérarchie et centralisation pèsent sur l’antoinisme- J’en ai vu les statuts, ils sont draconiens et tout adepte, gérant d’un temple, peut être remercié après un trimestre de préavis. La forme des églises, l’heure des offices obéissent à un règlement unique, pour que le fluide opère plus aisément. Comme en T.S.F., il faut de l’exactitude à émettre et à recevoir. Les rites, mariage, baptême, sont prévus à merveille. Meurt-on, on vous enterre sous un drap vert, à la fosse commune. Enfin le costume des antoinistes initiés a été ordonné par une révélation spéciale : les femmes, sortes de novices en deuil, ont droit à un bonnet ruche de 22 centimètres et à des manches, pagode de 70. Les hommes ont un chapeau noir, une buse solennelle, fort rare dans les magasins des gentils.
        Mais pour tout cela il faut une volonté, une régence : nous y voici. La Mère, à qui son mari en mourant a transmis le don des fluides et l’autorité, vit à Jemeppe. Elle a soixante-dix-sept ans. C’est cette petite vieille vêtue de noir qui glisse dans le corridor et rejoint dans sa cuisine d’autres adeptes préposées au fricot. Sa figure maigre, ses yeux doux et puissants, on les retrouve sur toutes les cartes postales. Après elle, que deviendra l’antoinisme ? Il n’y a plus d’héritier direct. Les schismes, les querelles, les conciles, la théologie vont-ils diviser cette heureuse religion ?
        Mais ne comptez pas qu’elle s’éteigne si vite. Le ciel pèse plus bas que jamais sur Jemeppe. Le soir tombe. Des coulées de hauts fourneaux flambent par instants sous les nuages et dans le silence accablé de ce faubourg lugubre, deux petites filles en haillons sabotent sur le trottoi : ce sont deux manœuvres de la mine, la face barbouillée de charbon, une loque sur la tête et le dos courbé sous des sacs, comme porteuses de la misère humaine.

                                                            ANDRE THERIVE. 

    Le Journal, 20 février 1928


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  • Cette photo pourrait avoir été faite pour illustrer Sans âme d'André Thérive : Julien et Lydia


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  • Titre :   La Revue hebdomadaire, Volume 37
    Publié : mars 1928

    Sans âme par André Thérive (La Revue hebdomadaire mars 1928)

        Je lui ferai un grief plus sérieux de son goût extrême pour l'antoinisme. Savez-vous de quoi il s'agit? C'est une secte religieuse, une fraternité, ou, si vous préférez, une initiation dont les adeptes pratiquent surtout, autant que j'aie pu comprendre, la purgation du mal par la non-résistance. N'est-ce pas en vertu d'nn hasard étonnant, et même arbitraire, que Julien Lepers, où qu'il se tourne, se cogne à des antoinistes, comme si c'était, en notre temps, la seule forme de l'aberration religieuse? Quelle bizarre coïncidence, par exemple que la servante de l'oncle Drémoncourt soit une adepte, tout comme les vieux qui ont recueilli Lydia ? L'antoinisme a-t-il reconquis chez les simples tout le terrain perdu par le catholicisme ? En sommes-nous infectés à ce point? Que dire alors de la maçonnerie, de la magie, de l'occultisme, de la métapsychie, sans parler de la drogue, qui est bien devenue une initiation, une religion, elle aussi? J'aimerais connaître les raisons d'une telle préférence. 

        Mais qu'André Thérive n'aille pas croire qu'en finissant je lui cherche querelle. Ce qui importe, ce qui est probablement précieux et rare, je m'excuse d'y insister, c'est ceci un livre qui paraît d'abord d'hier, parce que fait de main d'ouvrier, et qui est de demain plutôt que d'aujourd'hui, parce que gonflé du pressentiment de cette grande inquiétude spirituelle qui va de nouveau bouleverser notre vieux monde, repu et déçu par l'épais ennui d'un progrès tout matériel..., inquiétude dont le bolchevisme et le fascisme, affamés de mystique, ne sont que les premiers signes, les premières crises. 

    FRANÇOIS LE GRIX. 

     

    Chroniques et documents
    Les livres et nous
    Sans âme, par André Thérive

     


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  •     Ils passaient à ce moment devant un rez-de-chaussée assez remarquable. Une moitié, peinte en blanc et masquée de carreaux dépolis, annonçait un officine de bactériologue ; le reste offrait des volets d'un noir funèbre et un écriteau : Le Temple est ouvert nuit et jour aux personnes souffrantes. Tout le monde est reçu gratuitement. Lecture de l'enseignement du Père Antoine... La porte était d'ailleurs barricadée, sans bec-de-cane, et tout ruisselait en silence.
     - Vous connaissez ça ? fit Julien.
     - Oui, dit M. Pardoux avec onction. Ce culte antoiniste est une forme dégradée et populaire du néo-gnosticisme américain qui, sous le nom de Christian Science, accomplit, vous le savez, d'innombrables miracles. Je crois qu'on n'y rencontre que de bonnes gens, des simples désireux d'adorer en esprit et en vérité ; je ne sais pas exactement quel degré d'initiation y réside. Il faudrait étudier cela de près. Tel quel, ce renouveau témoigne de la vitalité de l'ésotérisme. D'ailleurs, le gardien de la salle, qui l'a prêtée et aménagée au culte (on dirait une salle d'école) est mon propre pharmacien, un esprit d'élite, vraiment, et chez qui je prends mon carbonate de chaux, vous savez, pour les acidités stomachiques.
     - La foi chez lui ne guérit pas seule ?
     - Si, répondit M. Pardoux. Il y a du moins des matières qui, probablement découvertes par ces initiés de jadis, servent de véhicules aux bonnes influences et adent la foi à agir sur l'organisme. On les nomme aujourd'hui médicaments. Il me faut à ce sujet relire Bombast Paracelse... Mais à ce propos, mes brûlures d'estomac se ravivent depuis quelques jours. Je me prépare des mets trop épicés, bien que ma cuisine soir des plus simple, et même anachorétique.
        Là-dessus ils gagnèrent un autobus qui les emporta vers la Plaine-Monceau.

    André Thérive, Sans âme, chap.X
    Le Livre Moderne Illustré, Paris, 1933, p.120


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  • LIVRAISON DU 15 OCTOBRE 1927

    La Revue de Paris
    La Revue de Paris
    Source: Bibliothèque nationale de France

     

    LIVRAISON DU 1er NOVEMBRE 1927
    LIVRAISON DU 15 NOVEMBRE 1927
    LIVRAISON DU 1er DÉCEMBRE 1927
    LIVRAISON DU 15 DÉCEMBRE 1927

    La Revue de Paris
    La Revue de Paris
    Source: Bibliothèque nationale de France

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  •     Robert Vivier (1894-1989) naît à Chênée (Liège) d’un père ingénieur d’origine bourguignonne, et d’une mère liégeoise. Il décède à Paris, où il s'était fixé dans les années 60, en 1989 à La Celle Saint-Cloud.

        Élève de l’Athénée royal de Liège, où il se lie durablement d’amitié avec un jeune homme qui deviendra une autre personnalité des Lettres belges, Marcel Thiry, il entre ensuite à l’Université de Liège, à la Faculté de Philosophie et Lettres. De cette faculté, il devient une des grandes figures, un professeur très écouté, qui enseigne les auteurs français, l'italien et sa littérature.

        Il connaîtra la guerre, dont il en sortira meurtri. Il écrira un recueil de récits Avec les hommes. Il connaît ainsi une expérience similaire à André Thérive, autre romancier populiste qui évoquera les Antoinistes de Paris dans Sans âme, qui écrira Frères d'armes en 1930 qui consisteront un partie de Noir et or, mais aussi Voix du sang (1955) et Écrevisse de rempart (1969). Oeuvres avant tout littéraire, où l'auteur se place du côté des sans grades. Il en sera de même pour les amis de Robert Vivier : Jean Cassou (1897-1986), écrivain, résistant, critique d'art, traducteur, et poète français ; ou de Marcel Thiry, qui écrira aussi des poèmes et des romans et nouvelles, dont Le tour du monde en guerre des autos-canons belges 1915-1918. On le rapproche également à Georges Duhamel.
        Le populisme des oeuvres de Vivier et Thérive gagne son apogée dans la description de la mort qui frappe les antagonistes des romans : mort du fils de Louis et Catherine Antoine, mort de Lydia, où l'auteur se montre "poète, bien plus que dans vos vers." (selon la critique Henriette Charasson)
        Les destins de Robert Vivier et d'André Thérive se sépare lors de la Deuxième Guerre mondiale, quand le Belge prend part à l'action de la Résistance, où le Français sera proche d'une collaboration avec l'occupant.

        Jacques Cécius n'hésite pas à qualifier Robert Vivier de sympathisant de l'antoinisme. En effet, son oeuvre est pleine de complaisance pour Louis Antoine. Mais cela ne tiendrait-il pas seulement à son affection pour les "petites gens" et les "choses de la vie". La biographie de Larousse le défini comme poète et romancier « populiste » (Folle qui s'ennuie, 1933 ; Délivrez-nous du mal, 1936).
        D'après certains adeptes son épouse d'origine russe émigré en Belgique en 1920 et que Robert Vivier épouse en 1921, Zénitta Tazieff-Vivier (1887-1984, la mère d'un premier mariage du vulcanologue Haroun Tazieff) portait la robe. Jacques Cécius, qui nous rapporte cette information, semble prendre des distances en précisant : "je ne puis garantir l'authenticité de la chose." Ce que l'on sait, c'est qu'elle fut peintre et qu'elle signait Zénitta Vivier. Ensemble, les époux Vivier traduiront du russe en 1973 De l'autre côté de la nuit de Eugène Oustiev, récit d'une aventure dans la forêt vierge du nord-est sibérien, avec très peu de moyens, pour tenter d'atteindre un volcan récent ; et en 1927 le conte moderniste La Maison Bourkov : Soeurs en croix d'Alexeï Rémizov. Également auteurs d'un essai sur le poète symboliste Aleksandr Blok, en 1922, auteur dont ils traduiront le poème Les Scythes. Robert Vivier, à propos de sa femme, soulignait "son sens jaloux de la valeur psychique du mot et du vers".
        Précisons cependant que le roman-vrai Délivrez-nous du mal, Antoine le Guérisseur est dédicacé : "À ma femme, À qui je dois les pensées et les sentiments de ce livre".
        C'est un indice, mais c'est aussi ce qui a pu faire dire à des Antoinistes que sa femme faisait partie des adeptes...

        Claudine Gothot-Mersch, dans son analyse des Editions Labor - Espace Nord, dit que la rencontre de Robert Vivier, en classe de troisième (Robert Vivier commence les Humanités à l'Athénée de Liège en 1905), avec le professeur Ferdinand Delcroix (on l'évoque parmi les adeptes de la première heure) a été décisive pour l'intérêt de l'auteur pour l'antoinisme. Elle précise qu'on pense à Germinal de Zola en lisant cette biographie (description de la mine, et des divers corps de métiers, la main-d'oeuvre enfantine, l'intervention du nihiliste russe, une grève de mineurs), "mais tout cela dans un esprit si opposé [...] que la comparaison n'a guère de sens." Cependant on ne peut que conseiller la lecture de ce roman naturaliste, ainsi que Happe-Chair de Lemonnier, pour entrer dans l'univers du travail de Louis Antoine.

        Concernant la constitution de son "roman vrai qui se fait vie de saint" (Claudine Gothot-Mersch), Robert Vivier a utilisé l'ouvrage de Pierre Debouxhtay, mais la Révélation elle-même (des notes de bas de pages émaillent le texte). Il aurait visité le temple de Jemeppe. Paul BIRON & Louis CHALON, évoque comment Robert Vivier aurait eu des informations de première source :
      Dans la camionnette, en rentrant à Herstal, Célestin (qui m'a tout l'air d'un antoiniste enragé) nous a raconté qu'un haut professeur de l'Université avait écrit un livre sur le Père Antoine quelques années avant la guerre (1), ce qui prouve bien que les gens instruits prennent ces histoires-là au sérieux. Même que son professeur de français à l'école moyenne du boulevard Saucy leur avait raconté un jour qu'il s'avait demandé des années au long qui étaient les hommes en deuil et en gibus et les femmes en deuil aussi avec un voile sur leur tête qui venaient de temps en temps trouver ce professeur-là dans on bureau à l'Université. Et bien, c'était des antoinistes qui venaient lui raconter la vie du Père pour l'aider à faire son livre.
    Paul BIRON & Louis CHALON, Tout a changé, Mononke, p.66
    source : Google Books

    Pour aller plus loin : Robert Vivier, l'homme et l'œuvre: actes du colloque organisé à Liège le 6 mai 1994 à l'occasion du centenaire de sa naissance


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  • André Thérive, Sans âme (critique par René Jolivet)

    Les lettres Françaises et Etrangères

    par René JOLIVET

    André THERIVE : Sans Ame

        Parmi les diverses formules du roman naturaliste qui, entre Emile Zola, et les Goncourt, peuvent trouver une place assez large, il semble qu'André Thérive en ait choisie une particulière dans laquelle, en quelques années, il s'est développé, fortifié, nourri et où il a pris ses grades jusqu'il la maîtrise totale de son talent. Cette place, pourtant, n'était pas facilement définissable avant la publication du dernier romande l'auteur des Souffrances perdues, Sans Ame, qui est en quelque sorte l'expression totale d'une pensée remarquablement pénétrante et éminemment créatrice.
        Bien qu'à aucun moment, depuis L'Expatrié, la première en date de ses oeuvres de romancier, André Thérive ne se soit cherché, n'ait avancé à tâtons, on subit en lisant la puissante et sobre évocation de la vie sentimentale des humbles héros de Sans Ame, une impression neuve. Sa personnalité que l'on voudrait définitive tant elle satisfait parce qu'elle offre d'original, s'est dégagée des influences qui la rendaient moins précise, en particulier de celle d'Huysmans dont la sensibilité assez voisine de celle d'André Thérive, se retrouve seulement dans la manière d'éclairer d'un jour triste et inquiétant les passions assez simples, en somme qui animent les personnages. Peut être sont-ce simplement ces décors de faubourgs sous la pluie, ces bars déserts, mal éclairés, emplis seulement de la voix crachotante d'un phonographe ; peut-être sont-ce ces hôtels lépreux où l'auteur cache les amours de ses héros ou ces misérables bâtisses dans lesquelles il réunit les adeptes de la religion Antoiniste, qui rappellent les émouvantes descriptions dès sinistres paysages de banlieue où le génie d'Huysmans savait éclore, quoiqu'il en soit, malgré cette similitude d'atmosphère, André Thérive n'en est pas moins un écrivain personnel. Son effort de romancier l'a porté comme, Pierre Benoit — le plus célèbre de sa génération — vers la recherche d'affabulations particulièrement nouvelles, ou comme Roland Dorgelés vers le drame d'action. Il se plaît à mettre en conflit dans un être des sentiments normaux, naturels et à observer, pour nous les transmettre les réactions qu'il note, non en psychologue froid, insensible, mais un peu aussi en poète qui sait s'attendrir et qui veut faire passer dans l'âme de ses lecteurs toute sa compassion et sa pitié envers les victimes de la vie.
        Ainsi, lorsque Julien Lepers, dit Verhaege, préparateur du Laboratoire de Physiologie des religions, dans une curieuse annexe du Collège de France, le héros de Sans Ame qui hésité entre deux femmes dont l'une, ouvrière d'usine est sa maîtresse, et l'autre une petite danseuse, malade, chétive, vient surprendre cette dernière dans les coulisses d'un grand Music-Hall, toute la sensibilité émue de l'auteur se concentre dans révocation de l'existence misérable des petits artistes qu'il décrit avec soin et qu'il devine à travers les multiples détails, touchants et si vrais, que son cruel regard d'observateur ne laisse pas échapper. Plus tard, la mort de cette pauvre Lydia dans une chambre d'hôtel, glacée, auprès du malheureux Lepers, fournit au romancier les pages les plus douloureusement fortes du livre. Il y a mis toute l'âpreté de son talent de réaliste, mais, en plus — et c'est en cela qu'il se rattache à la grande lignée des naturalistes — un lyrisme sourd, sans fausse éloquence, dont les vibrations atteignent directement le lecteur.
        Il serait curieux, tout en analysant les romans d'André Thérive d'examiner quelle importance a pris la forme chez un écrivain par excellence, critique et grammairien, successeur vraisemblablement d'Abel Hermant et dont les « Consultations grammaticales » des Nouvelles Littéraires sont lues chaque semaine par les « défenseurs et illustrateurs de la langue française » de notre époque. On arriverait sans doute à reprocher à l'auteur de tant d'ouvrages composés avec soin, une liberté d'expression trop grande dans le dialogue. Que les personnages s'expriment mal, comme ils l'eussent fait réellement dans la vie, qu'ils emploient un argot de bonne source, cela ne peut qu'ajouter de la vraisemblance au récit. Néanmoins, il est toujours convenable de choisir — puisqu'en somme l'art est dans le choix — et de ramener les propos réels, en leur conservant leur caractère propre, à une forme qui laisse à l'ensemble Une tenue toujours égale. André Thérive semble craindre au plus haut point la préciosité et cette crainte le pousse à l'excès contraire.
        Même en tenant compte de cette légère critique, il n'en reste pas moins que Sans Ame est une oeuvre de premier plan, poignante, riche de documents humains, une oeuvre de nuance et d'exaltation sincère. Elle est, parmi les plus puissantes que le lauréat du Grand-Prix Balzac nous a données, comme le Plus grand péché, les Souffrances perdues, le Voyage de M.Renan, celle qui, dans le cadre du roman moderne semble rattacher le mieux à celles des maîtres de la fin du XIXe siècle. Puisée dans ce fonds commun, la vie, elle en a toutes les qualités et tout le charme.

    René JOLIVET.

    Annales africaines. Revue hebdomadaire de l'Afrique du Nord
    Alger, 15 décembre 1928
    source : gallica


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  •     1934, Paris. Rive gauche. Julien Lepers... ou Julien Verhaege... Elève de l'Ecole de Hautes Etudes pour un professeur occupant une chaire au Collège de France. Il s'occupe du Laboratoire de Physiologie des religions, en dilettante. Son intérêt pour l'Antoinisme et les théories de son logeur ne mène au aucune considération sociologique. Il est plus intéressé par de nouvelles connaissances féminines. En cela, Lydia, et Lucette le contenteront... Mais quand on n'assume pas son nom, saura-t-on assumer son amour ? Ses amours ? Et assumera-t-il son nom et son milieu d'origine ? Peut-être ses conquêtes l'aideront à y voir clair, peut-être pas ?...


    ------------------
    Critique de Henriette Charasson dans La semaine littéraire (p.20) de La Femme de France, 03-04-1928
    source : gallica

    Un nouveau roman d'André THÉRIVE. — Sans Ame (Grasset).

    SANS AME, oeuvre magnifique, n'est pas un roman gai ? Mais quel roman du spirituel Thérive — si taquin pourtant dans la vie privée, si caustique dans ses critiques ! — a jamais donné une impression de gaieté ? On n'y trouve même presque pas ce son, amusé par moments à force d'écoeurement, de son maître Huysmans, on y entend surtout l'écho de l'immense sanglot d'un peuple surmené, épuisé par ses plaisirs comme par ses souffrances, et dont la civilisation moderne semble avoir pris à tâche d'étouffer cette lumière — humaine pour les uns, divine pour les autres — qu'on appelait l'âme. Car pour le pauvre qui ne voit pas de but à la vie, comment supporter gaiement son oppressante laideur ? Avec quel prodigieux talent André Thérive a accumulé, dans cette sombre oeuvre inoubliable, les tableaux douloureux, les descriptions amères, les évocations sinistres.
        Au milieu de ces êtres qui ne savent même plus pourquoi ils respirent, Julien, — Julien Lepers, qui signe Verhaege ses gravures, — est un mal adapté, un désaxé qui ne connaît, quasi, pas plus son âme que ne le fait la triste plèbe au milieu de laquelle il se complaît. D'une famille bourgeoise, avec un oncle libre penseur et des parents morts tôt, il ne sait même pas s'il a été baptisé ; nul règlement dans sa vie, nul réel souci du bien et du mal, et s'il n'est pas méchant, c'est par instinct, ce n'est pas par volonté : et ces êtres-là font quelquefois plus de mal que bien des vrais méchants. Outre ce que lui rapporte son art, exercé souvent en amateur, Julien reçoit mille francs par mois d'un oncle industriel, et à peu près autant pour de vagues fonctions de « préparateur », obtenues par piston politique au Collège de France, dans un très fantaisiste « Laboratoire de Physiologie des religions », dont le maître a plus figure de faiseur que de convaincu. Comme il n'éprouve pas du tout « la vocation de l'intérieur » et se contente d'une sorte de taudis, Julien ne manque donc pas d'argent de poche pour s'amuser. Mais s'amuse-t-il ? Non, il essaie de se le faire croire, et quelles qu'en soient les conséquences, car « il aime mieux sentir en lui l'inquiétude que l'indifférence ». Il ne peut pas arriver à l'inconscience paisible, parce qu'il est trop curieux : des autres êtres, de soi aussi.
        Dans cet admirable roman où André Thérive s'est dépassé lui-même, plusieurs études s'entre-croisent, sans toutefois nuire à cette unité
    d'action que constitue la psychologie de Julien. C'est d'abord la vie populaire, non celle qu'on trouve dans ces ménages d'ouvriers ordonnés,
    réguliers où, comme dans tant de foyers de France, le travail et le sentiment de la famille, des responsabilités acceptées, règlent tout : c'est la vie populaire des milieux un peu gouapes (pas trop) des ouvrières plus ou moins en rupture d'usines, des ouvriers un peu trop amis des congés, sur le chemin des « affranchissements » dont Jean Galtier-Boissière, voici quatre ans, nous a si bien conté l'enchaînement... La vie aussi des coulisses de music-hall : et la
    peinture vive, caustique, gouailleuse qu'en donne Thérive tient le coup à côté même des tableaux de Colette et offre un aspect nouveau de son talent : dialogues argotiques des danseuses, scènes de loges, et ce Grand-Actionnaire hollandais qui craint pour ses tapis neufs :

        Il courait lui-même après les fumeurs; il menaçait les mannequins ou les petites femmes du tableau d'adieu : insensible, il essuyait des vedettes les injures en français, en anglais, en argot; il saluait jusqu'à terre le moindre journaliste; il gardait son cigare au bec devant la femme du directeur.

        Une autre étude, où l'on retrouve le curieux d'hérésies du Plus grand Péché [autre livre de Thérive], c'est celle de cette étrange secte des Antoinistes, renouvelée de la Christian Science et comme avilie encore, démocratisée : là grince un peu le sourire huysmansien, car c'est dans de tels traits que le pessimiste qui se révèle immédiatement dans Thérive romancier condescend à montrer un peu d'humour et comme une sombre gaieté.
        Mais le relief principal du récit, c'est Julien Lepers qui nous le fournit, avec ses deux amoureuses qui sont cousines — Lucette qui a vingt-quatre ans, ex-cartonneuse, maintenant entretenue par un contremaître « dans le sucre », et Lydia, dix-sept ans, danseuse, qui travaille en perles chez elle, à l'hôtel, quand ça ne va pas fort. Lydia ne veut pas faire la noce ; seule au monde, elle a horreur des hommes qui lui courent après, c'est un petit être propre et vertueux, sans savoir pourquoi, car elle ne s'analyse pas ; elle aime son travail et ses bêtes. Une de ses camarades déclare d'elle : « Elle ne céderait
    pas au pape, s'il ne lui plaisait pas. Et même s'il lui plaisait, j'en suis sûre, elle ne se le pardonnerait pas. » Là se trouve la clé de tout ce pauvre drame.
        Dans un petit cinéma de quartier, Julien a fait la connaissance de Lucette, Lucette qui a le Signe et qui par là le conquiert. Elle ne tarde pas à lâcher le contremaître pour lui ; auprès d'elle et de son frère, ancien champion sportif, du copain de celui-ci, un boulanger intellectuel et alcoolique, — un type digne de Dickens, — Julien s'encanaille. C'est qu'il ressent auprès de cette femme laide à la bouche abjecte « une ardeur triste que ne lui eût pas inspirée une femme plus belle, mais faite pour lui. » Il sait ce qu'elle est : pas sentimentale, dure et facile, violente, mal équilibrée, et peu séduisante ; chez lui, le dégoût alterne avec la passion aveugle, et de la douleur réside dans son ardeur. Il faudra que peu à peu il se rassasie d'elle, nourrissant de satiété ce dégoût obscur que certains hommes ont pour une femme trop connue, trop possédée, qui ne cache plus l'impureté, l'impudeur natives, à qui tout dire c'est trop, qui ne respecte plus en somme le secret de leur coeur, de leurs sens. Il faudra que peu à peu achève de se gâter ce bonheur a demi pourri, qui dès le premier jour recelait un vers et qui est le seul bonheur, en amour, que jusqu'ici les trente ans pervertis, ou tout au moins déséquilibrés, de Julien aient conçu et connu.
        Or, le premier jour que Lucette est venue chez Julien, elle s'est fait accompagner par sa cousine Lydia, la petite danseuse, ils l'ont reconduite à son hôtel, Julien sait donc où elle demeure. Cette enfant belle, mince, fine et presque pure ne parle pas aux sens faisandés de Julien, pourquoi se méfierait-il du sentiment qui le porte à chercher à la revoir ? et s'il n'en dit rien à Lucette, n'est-ce pas à cause de l'exécrable caractère de celle-ci ? Ce par quoi elle le touche profondément, c'est seulement par « l'expression d'une douceur naïve qui enchantait et pouvait consoler ». Julien n'avait jamais rencontré cela auprès des garces à qui son vice secret le condamnait. Comme il pensera souvent à cette enfant, comme il se plaira à l'aller revoir ! Et elle, si défiante, elle ne se défie pas trop de l'amant de sa cousine, parce qu'elle se sent très loyale et qu'il ne montre ni convoitise ni brutalité : au moindre indice, elle serait sur ses gardes. Aussi n'avoue-t-elle pas à Lucette les fréquentes visites de Julien. Il lui devient une chère habitude. Elle bavarde devant lui, lui révélant de jolies petites puérilités qui lui étaient inconnues et il admire qu'une vie artificielle ou instable laisse à un être tant de fraîcheur et de paix. Dans la complication d'un sentiment où, tour à tour, Lucette et Lydia lui apparaissent indispensables, il se sent lâche et bizarre et en jouit, sans repos.
        Quand Lydia retrouve du travail dans un music-hall, une jalousie le prend, à l'idée de ces gens qui verront « son corps et non pas la chose inconnue, l'âme peut-être, qui veillait dans cette chair fragile ».

        A cette heure il eût caressé un chien dans le ruisseau si ce chien avait su l'existence de Lydia.

        Et elle, elle sait qu'elle l'aime, mais elle sait aussi qu'elle a horreur de cette chose brutale qu'autour d'eux elle voit appeler l'amour. Et, un soir où il a été la contempler pour la première fois demi-nue sur la scène, où il la retrouve à la sortie du music-hall — parce qu'il montre sa tendresse, et qu'elle croit qu'il lui joue la
    comédie pour la séduire, — la défense amère qu'elle lui oppose éteint sa naïveté, sa douceur, lui inspire précisément les pensées qu'elle voulait chasser.
        Il la possède, mouillée de larmes, et au matin elle le quitte durement en rappelant l'irrévocable adieu.
        Il faut vivre maintenant sans Lydia ; il n'a plus envie de Lucette ; il perd son emploi au Laboratoire, il n'arrive plus à placer ses gravures ; son oncle est mort, ruiné, ne lui laissant, tout comptes faits, qu'une douzaine de mille francs ; quelques mois lamentables passent et voilà qu'un jour, n'y tenant plus, ayant retrouvé la trace de Lydia, il apprend qu'elle a eu un accident dans son music-hall, elle n'a pas voulu aller à l'hôpital, on l'a portée dans son nouvel hôtel. Il y court aussitôt, dans le milieu de la nuit, on le laisse monter parce qu'on le prend pour le médecin...
        Ici, André Thérive a atteint à une hauteur où jamais encore nous ne l'avions vu monter, à une émotion contenue mais immense, profonde, dont j'avoue humblement que je ne le croyais pas capable. En lisant ces deux derniers chapitres de la plus sobre et déchirante beauté, on croit entendre de grands accords d'orgue, Thérive a réussi ce miracle de nous faire alors aimer son Julien, ce Julien bête, égoïste, brutal comme tous les hommes, mais bon aussi... comme un homme lorsqu'il aime vraiment.
        Dans cette misérable chambre d'hôtel, Julien trouve Lydia agonisante. De leur unique nuit il y a cinq mois, elle était enceinte ; sa chute a provoque un accident et la malheureuse enfant était seule. Elle qui jamais ne lui avait dit un mot de tendresse, lui demande de rester, lui crie : « Il n'y a eu que vous, je le jure ! » Et encore : « Allez, je ne vous en veux plus. »

        — Oui, oui, je vous pardonne. Vous savez pourquoi?
        Il fil signe que non.
        — Parce que je, parce que...
        Et tout bas, comme jadis, les lèvres faillirent articuler le mot d'aveu qui jamais entre eux ne devait sonner. Et une main se leva pour esquisser une caresse à l'homme coupable.
        Pour lui, il était affolé de cette révélation qui disait son indignité et sa honte. El il se cachait le visage devant ce visage qu'il eût vot lu ardemment regarder, aimer enfin à découvert.

        Ah ! Thérive, Thérive, nous ne vous savions pas aussi sentimental, et capable de soupirs comme ceux-là ! C'est dans Sans Ame que vous êtes poète, bien plus que dans vos vers. Cette scène de la mort de Lydia, comment la lire avec les yeux secs, tandis que l'enfant gémit : « Mourir, je veux bien, mais pas finir. » Et lui, tout bas, accroché à elle et qui la croit accrochée à lui, et qui la voit de tout près, à travers ses larmes (vous aviez donc enfin trouvé le don des
    larmes, Julien Lepers ?).
     
        — On ne finit pas, vous savez. Il y a une âme.
        ... Pas finir ! disait la voix, et il comprit peu à peu que c'était une âme qui avait parlé, et qu'un sommeil plus profond l'avait saisie, l'avait enlevée dans ses bras.

        Et tout ce qui lui reste d'argent, Julien le donne pour les funérailles, pour la tombe de son unique bien-aimé. Il a pris une place dans le bureau de publicité d'un grand magasin, il sera maintenant un de ces misérables salariés assujettis qu'il dédaignait naguère, et il sent qu'il sera beau d'expier un peu, qui sait ? le crime d'avoir méconnu et perdu une âme ». Longtemps, il rêve au retour de l'enterrement, appuyé sur le parapet d'une voie de chemin de fer, versant des larmes si molles et si douces qu'une tendresse absurde y semblait vaincre le désespoir :

        Pourquoi les amours véritables ne se reconnaissent-ils pas sur terre ? Faut-il que la mort seule les libère de la honte et de l'impureté ? Il le croyait à ce moment, aidé par les pleurs. Jamais il ne s'était senti moins seul ; une présence universelle l'entourait, la conscience d'une souffrance humble et nécessaire, qui rachetait l'ignominie et l'aveuglement des gens heureux.

        Et la rêverie monte, monte jusqu'à n'être plus qu'une sorte d'admirable poème en prose baudelairien sur lequel finit le livre, dans une étonnante grandeur de forme et de pensée.

    Henriette Charasson.


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  • ILLUSTRATIONS DE GERMAINE ESTIVAL - FERENCZI, COLL. LE LIVRE MODERNE ILLUSTRE 1933, BROCHE.

        Germaine Estival 

        Il y a des êtres que la chance accompagne. Germaine Estival paraît
    être du nombre de ces élus. Il y a quatre ans, elle travaillait pour
    elle, peignant et dessinant, sans préoccupation de succès, au gré des
    rencontres et de son inspiration. Elle était, sous son véritable nom,
    professeur de dessin de la ville de Paris et, tout en caressant au fond
    de son coeur, le désir de percer qui est inhérent au rôle même de l'ar-
    tiste, elle ne s'agitait point, ne tentait rien pour devancer l'heure,
    ne cherchait surtout pas les motifs qui pouvaient plaire au public.
    Elle plantait son chevalet, ici et là, en son pays d'Auvergne, dans
    les Vosges ou les Alpes, quand elle était en vacances, près de son
    domicile, à Paris, durant le reste de l'année. 

        Or, le spectacle qu'elle avait de ses fenêtres était... Le Père La
    Chaise ! Elle peignit donc le Père La Chaise. Près de chez elle, était
    le quartier lépreux, erripouacré, croulant de Ménilmontaht ; elle
    peignit ce « Ménilmuche » qu'avait chanté Bruant. Elle fit aussi quel-
    ques incursions dans le quartier voisin de Charonne, que décore une
    très belle église entourée d'un bon vieux cimetière, où il paraît bon
    dormir. Que voilà, n'est-ce pas ? des sujets propres à passionner
    le bourgeois ! Eh bien, chose à peine croyable, c'est de ces peintures
    véridiques, sombres, parfois sinistres, que devait soudainement jaillir
    sa réputation. 

        Personne avant elle n'avait peint ces rues sordides, ces maisons 
    aux murs ravalés, ces architectures sans style, habitées par des gens
    qui n'ont pas lé loisir d'avoir de la spiritualité. EUe donnait à tout
    cela, cependant, une valeur d'art insoupçonnée. Elle créa, selon
    l'heureuse expression d'André Thérive, « la fonction de ce peintre
    de la nature inhumaine. » Quand elle exposa, pour la première fois,
    aux Indépendants, en 1926, on remarqua immédiatement ses envois,
    et elle eut des amateurs qualifiés. Non seulement, on goûtait ces
    aspects ignorés d'un Paris qui n'était même pas celui de la tournée
    des Grands Ducs, mais on aimait la fermeté de sa touche, la finesse
    de ses gris, la qualité de sa mise en pages, sa manière propre de faire
    chanter un blanc, un vermillon, un bleu crus, sur ces crépis suintants
    de maisons à bistros, à hôtels borgnes ou à usage de prisons. 

        C'était bien là sa vocation. Sur ces entrefaites, elle lut le Sans Ame,
    de Thérive. Thérive est un écrivain plein d'érudition et de talent ;
    il devait recueillir, au Temps, la difficile succession de Paul Souday,
    esprit d'une rare indépendance et d'une culture presque encyclopé-
    dique, et y réussir. Mais, en Thérive, le critique éclipsait le romancier.
    Germaine Estival sut comprendre ce^dernier et ce.Sans Ame, qui l'en-
    thousiasma, à juste titre — car c'est une oeuvre de pénétrante analyse,
    de vérité et de vie — lui inspira un projet d'illustrations, dont, à
    son tour l'auteur s'émerveilla. On aurait crû que Thérive avait écrit
    Sans Ame pour le crayon de Germaine Estival ! C'est une rencontre
    aussi peu commune que celle de Doré et du Balzac des Contes Drola-
    tiques, de Daniel Vierge et de Don Pablo de Ségovie, de G. Jeanniot
    et d'Adolphe, de Maurice Denis et du Fiqrelti. Aussi, quand l'artiste
    prépara sa première exposition particulière, en mai dernier, l'éminent
    critique réclama-t-il l'honneur d'écrire la préface du catalogue. 

       Cette présentation d'une jeune femme de talent par un maître
    du feuilleton littéraire, fit un bruit considérable. Ce fut un départ
    sensationnel, car tous les journaux firent écho à Thérive. Le nom
    de Germaine Estival était lancé ; le réel et original tempérament
    de l'artiste, portraitiste et paysagiste aussi bien que peintre des rues
    cachectiques, ne le laissera pas retomber. 

                CLÉMENT JANIN. 

    L'Auvergne littéraire et artistique
    7e année - N° 52 - Juin-Juillet 1930


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