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André Thérive, Sans âme (L'Humanité, 5 fév. 1928)
D'une couleur que l'auteur, également, a voulue grise et morne, le roman de M. André Thérive : Sans âme (1). Si ce livre présente de l'intérêt par certains passages, en tout cas le sens général qui l'anime, à en croire la notice de publicité qui – l'accompagne, n'a rien qui puisse nous le rendre sympathique.
M. André Thérive a voulu, paraît-il, décrire « les peuples des villes à qui on a enlevé toute vie religieuse et morale ». Il paraît que les misères morales et physiques dont Sans âme nous donne l'image viennent de l'abandon des principes religieux et moraux !
La lecture de ce livre ne nous a pas amené à pareilles conclusions, et nous ne voyons pas en quoi le déclassé Julien Lepers, l'ouvrière Lucette, la danseuse Lydia, qui sont les personnages du roman soient plus particulièrement privés d' « âme ».
Julien Lepers est préparateur dans un vague laboratoire de « physiologie des religions » sous la direction d'un professeur, M. Comte, sorte de « savant » hypocrite et pince-sans-rire, dont les cours n'ont pas d'auditeurs.
Julien passe son temps à errer mélancoliquement dans les rues tristes du quartier d'Italie, où il rencontre un soir, dans un cinéma, l'ouvrière Lucette ; les deux jeunes gens, désormais, vivent ensemble ; le frère de Lucette et ses amis forment le monde où vivra désormais Julien qui s'initie ainsi à ce qui, pour M. André Thérive, doit être la « vie populaire » : description littéraire de bars, bistrots, bals musettes, promenades à la campagne.
Cependant, la tristesse de ces quartiers ouvriers, aux rues d’usines et d'hôpitaux, et de taudis, la vie étrange de certaines… « sectes » comme celle des Antoinistes – est tendue d'une façon assez pénétrante.
Peu à peu, Julien pénètre dans d'autres milieux, devient l'amant de la danseuse Lydia, l'ami de Lucette, et cela nous vaut une description de « coulisses » de music-hall, où l'on voit le travail exténuant des danseuses et des figurantes, Lydia meurt tragiquement ; seule dans une chambre d'hôtel, tandis que Julien arrive pour assister à ses derniers moments.
Entre temps, l'on nous présente aussi une famille cagote et bien pensante de province, les de Gouin ; la mère gouverne les deux filles dans la religion, et le père, respectueux des croyances, regarde cette pieuse éducation avec tendresse, et va faire la noce à Paris. Il y a là évidemment une peinture assez vigoureuse de l'hypocrisie des familles bien pensantes – mais est-ce cette religion-là dont M. Thérive déplore l'abandon par le peuple ?
Bref, on ne voit pas très bien, dans toutes ces images qui se succèdent, où veut en venir M. Thérive. Du peuple, il n'a eu qu'une vision superficielle ; il a voulu représenter le déséquilibre et l'angoisse de certaines âmes jetées dans le tumulte de la vie moderne, et qui traînent leur « mal de vivre » et leur mélancolie dans une vie sans but. Et cela pour nous proposer, vraisemblablement, le refuge douillet et digestif de croyances mortes et de disciplines périmées.GEORGES ALTMAN.
(1) Grasset, éditeur.
L'Humanité, 5 février 1928
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