• Antoine le Guérisseur (Le Midi Socialiste N°1236 Mercredi 14 août 1912)

    Antoine le Guérisseur (Le Midi Socialiste N°1236 Mercredi 14 août 1912)

     

    CHRONIQUE LITTERAIRE

    Antoine “le Guérisseur”

        Il y a peu de temps un enfant mourait faute de soins. La justice émue de se fait poursuivit le père qui déclara avoir perdu un autre enfant dans les mêmes circonstances, mais qu’il n’était pas même coupable de négligence puisqu’il avait traité sa progéniture suivant les rites antoinistes.
        Qu’est-ce que l’Antoinisme ? C’est la religion d’Antoine le guérisseur.
        Cette religion nouvelle ne nous vient pas d’Amérique, la terre classique de pullulantes sectes protestantes. C’est en Wallonie que vivait, il y a peu de temps encore, un type curieux, créateur d’un culte nouveau, mélange cocasse de christianisme et de théosophie. Come tous les fondateurs de religions, il guérissait par la prière et l’imposition des mains, comme le font les « christian scientists » d’Angleterre et d’Amérique – come faisait Jésus lui-même.
        Antoine, qui est mort le 25 Juin dernier possédait une réputation qui amenait des foule dans le petit coin de Belgique qu’il habitait ; de loin venaient à lui les malades et les désespérés et des miracles s’accomplissaient.
        C’était en petit le spectacle de Lourdes et de tous les lieux de pèlerinages. Ses fervents l’appelaient « le Guérisseur ».
        Les antoinistes, il y a quelques mois, avaient adressé à lu Chambre belge une pétition recouverte de cent mille signatures demandant que la religion nouvelle soit reconnue par l’Etat. On le voit, les détraqués sont nombreux !
        Le prophète possédait une imprimerie adjointe à son temple et publiait un journal populaire qui tirait à 20.000 exemplaires.
        Cette feuille religieuse n’était pas moins ridicule que les « Croix » ou les publications de l’Armée du Salut.
        Avant d’être apôtre, Antoine avait été employé à la division des forges et martelages de la Société Cockerill. Il devint ensuite encaisseur à la Société anonyme des tôleries liégeoises, puis il s’occupa d’assurances.
        Ces petits métiers ne l’enrichiront pas beaucoup. Quand il fut touché par la grâce, quand il s’adonna à la prédication, il vit affluer vers lui les fidèles et sa fortune s’arrondit ; il construisit un temple et devint propriétaire des maisons ouvrières qui l’entourent.
        Le prêtre doit vivre de l’autel, à plus forte raison un fondateur de religion doit-il exploiter les gogos.
        Ceux-ci accouraient à Jemmapes écouter la parole de l’homme de Dieu et cracher au bassin, en reconnaissance des grâces obtenues.
        Voici en quels termes l’ « Eclaireur de l’Est » racontait en son temps la mort de ce singulier personnage :
        « Il y a quelques jours santé d’Antoine était devenue précaire et lundi matin un incident inattendu a encore accru les craintes de son entourage.
        « Vers lix heures trente, comme il se trouvait dans son temple, il s’affaissa subitement frappé apoplexie.
        « On dut le transporter chez lui où il reprit peu à peu ses sens.
        « Sur ces entrefaites, un grand nombre de ses disciples vêtus de soutanelles d’une coupe spéciale et coiffés d’immenses chapeaux, étaient accourus auprès du lit de leur maître.
         « Antoine alors proféra :
        « Demain quelque chose de sérieux se produira. »
        « Puis il ajouta d’une voix sourde :
        « Je désire que ma femme me succède dans mon enseignement religieux. »
        Le vœu du bonhomme a été accompli et sa veuve éplorée continue son commerce.
        On exposa le corps du défunt dans le temple et les fidèles ont pu lire l’affiche suivante :

                    CULTE ANTOINISTE

            Frère,
        Le conseil d’administration du culte antoiniste porte à votre connaissance que le Père vient de se désincarner aujourd’hui mardi matin 25 juin. Avant de quitter sin corps, il a tenu à revoir une dernière fois ses adeptes pour leur dire que Mère le remplacera dans sa mission, qu’elle suivra toujours son exemple. Il n’y a donc rien de changé, le Père sera toujours avec nous, Mère montera à la tribune pour les opérations générales les quatre premiers jours de la semaine à dix heures.
        L’enterrement du Père aura lieu dimanche prochain, 30 juin, à trois heures.

                          Le conseil d’administration.

        Et les obsèques d’Antoine furent un évènement dans le pays par le concours immense d’assistants qu’elles y amenèrent.
        Ces choses étranges se passent au début du vingtième siècle, non point dans une province reculée, mais en Wallonie où tout le monde parle français, où le nombre des illettrés est rare.
        La médecine religieuse d’Antoine attrait les déséquilibrés, les malades abandonnés par les médecins, les chercheurs d’étrangetés et le nombre de ces gens est considérable.
        Ne voit-on pas tous les grandes villes des somnambules extra-lucides faire des affaires d’or en renseignant les crédules sur le passé et l’avenir et les guérissant de leurs maux plus ou moins imaginaires ? Un charlatan fait le même métier en joignant à ses simagrées médicales des boniments sur les évangiles, il double, il triple le chiffre de ses affaires, il bâtit une église avec une tribune, du haut de laquelle il peut divaguer à son aise.
        L’antoinisme existe et cela nous fait songer que, malgré tout, l’esprit humain n’est pas près d’être émancipé. Il y en a pour longtemps encore avant que disparaisse toute survivance religieuse.
        Les spirites ne sont-ils pas des religieux à leur façon ?

                                                 P. F.

    Le Midi Socialiste, N°1236, Mercredi 14 août 1912


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