• Dr. Pierre Schuind - Guérisseur (La Meuse, 3 juin 1910)(Belgicapress)

    Dr. Pierre Schuind - Guérisseur (La Meuse, 3 juin 1910)(Belgicapress)

    GUERISSEUR

    Chronique inédite (1)

        Mon précédent article « Guérisseur » m'a valu des lettres, les unes grossières, les autres correctes, des conversations intéressantes et beaucoup d'encouragements. On m'a cité des faits, les uns en apparence favorables, d'autres défavorables à la méthode exposée par M. J. dans La Meuse.
        Je crois utile de reprendre ce sujet, intéressant pour beaucoup.
        J'ai écrit quelque part que je n'admettais pas pour les médecins le monopole des sciences médicales. Mais si tout le monde s'occupe de médecine, est-ce à dire que le médecin n'est pas celui qui la connaît et la pratique le mieux ? L'ergoteur, le paysan madré ne doit-il pas baisser pavillon devant la science juridique de l'avocat ?
        Les médecins et les hommes de droit sont les gens les plus critiqués, les plus ridiculisés qu'il existe. Leurs sciences sont imparfaites. Mais, tandis que les uns ont des lois qu'ils interprètent de façons différentes, il est vrai, mais d'après des textes bien nets, les autres se trouvent en présence de faits qu'ils connaissent admirablement et d'autres auxquels les cerveaux de millions d'hommes éclairés n'ont pas communiqué la moindre lueur.
        Parmi les phénomènes pathologiques inexplicables, il en est que l'humanité observe depuis toujours. Peu à peu, ils se précisent. Ce sont les névroses, c'est à dire les maladies du système nerveux, où nous ne pouvons dans l'état actuel de nos connaissances trouver les lésions des organes, cause du mal, le cerveau, les nerfs, mais où les affections des muscles, du cœur, des organes des sens, qui en résultent sont très apparentes. Nous ne connaissons pas les troubles survenus dans la constitution intime du système nerveux dans l'épilepsie, la chorée, l'hystérie. Ce que nous savons déjà c'est qu'elles ont toutes trois des origines connues.
        Ce qu'elles sont, un jour nous l'apprendrons.
        J'entends les incrédules me lancer un défi :
         – Quand donc le saura-t-on ?
        Je n'en sais rien. On le saura comme on a su par la découverte du bacille de Nicolaïeff que le tétanos, maladie terrible et longtemps inexpliquée, ne se caractérisant par aucune lésion du système nerveux, classée d'ailleurs parmi les névroses, était tout simplement de nature infectieuse et pouvait être jugulé comme tel.
        Je vous certifie que les guérisseurs eussent été fort marris de guérir le tétanos.
        Leur grand triomphe – mais n'est-il pas aussi celui de bien des médecins ? – est l'hystérie, l'hystérie aux cent formes, cette méduse pathologique dont les serpents aux morsures mystérieuses encore peuvent, chez l'homme, déterminer des contractures, des paralysies, lentes ou subites, de l'aphonie, du gonflement de la peau et des organes internes, de l'insensibilité, de la fièvre, des accidents simulant la méningite, l'entérite, la gangrène, etc., etc.
       Ces lésions, nous pourrions, la plupart, les obtenir par le sommeil hypnotique, et pas n'est besoin, dans ce cas, de recourir aux soins d'un guérisseur pour les faire disparaitre.
        L'illustre Delbœuf n'obtint-il pas un jour de véritables brûlures sur le bras d'un hypnotisée ?
        Nos hystériques ne sont-ils pas des héréditaires, en somme, des hypnotisés de longue date ?
        Ces malades se guérissent souvent par la persuasion, les conseils, l'intimidation, la menace.
        Que fait d'autre ce guérisseur qui monte en chaire et dit au malade : « Vous guérirez ! » que le persuader ?
        Il réussira parfois là où d'autres ont échoué.
        On cite le cas d'un ouvrier agricole du Nord de France (I), atteint depuis plus de dix ans d'une paralysie avec contracture des membres supérieurs. Il avait, sans profit, consulté près de trente médecins, ce qui démontre à l'évidence qu'il n'eut confiance en aucun. Un jour quelqu'un lui conseille de consulter un guérisseur de nos environs. Il arrive, voit celui en qui il place tout son espoir, s'en va certain de guérir et guérit. Est-ce là un miracle ?
        Pour les gens simples, oui, pour le médecin, pour l'homme cultivé, non. C'est la guérison d'un hystérique par la méthode ordinaire, ni plus ni moins. Le guérisseur, avec son cerveau d'homme simple, y voit, comme ses frères peu instruits, un signe de puissance surhumaine. Il s'exagère l'importance de son rôle, de sa puissance et en arrive à se croire capable de guérir tous les maux dont souffre l'humanité.
        On ne peut nier que certains plus que d'autres possèdent le don de la persuasion, de la suggestion. Je connais un avocat, suggestionneur émouvant, auquel les médecins d'une ville voisine ne manquent pas d'avoir recours en faveur de leurs malades névrosés. C'est un homme correct et intelligent qui n'outrepasse pas son rôle de collaborateur du médecin et ne prend pas sur lui de soigner les entérites infantiles, les lésions osseuses, les pneumonies, les cancers, par persuasion directe, épistolaire, ou par intermédiaire.
        Il est trop intelligent pour avoir trouvé le truc de l'épreuve. Notre guérisseur national, lorsque la maladie ne cède pas, déclare : C'est l'épreuve ! Est-ce moins une épreuve quand le médecin ne la guérit pas ?
        Nous serons bien reçus chez nos malades, même adeptes du thaumaturge, lorsque nous viendrons chez eux, qui hurlent de douleur, sans morphine, sans seringue, et que nous leur dirons :
        – C'est l'épreuve !
        On m'a cité un malade qui, après avoir subi l'épreuve durant quelques semaines, a dû se faire amputer des morceaux de membre gangrenés. C'était un ouvrier atteint au pied par une machine. Il écrivit aussitôt après l'accident au guérisseur, que je ne veux pas nommer. Il avait foi entière dans le pouvoir de cet homme extraordinaire. Celui-ci répondit par écrit : « Vous guérirez ! » Les jours passèrent, la guérison ne venait pas. C'était l'épreuve.
        L'épreuve dura si longtemps que le blessé, tout en remerciant sans doute le Très-haut de l'éprouver avec tant de persistance, finit par se souvenir qu'il existait de par le monde de vagues personnalités, qui font métier de soigner les pieds cassés, les plaies infectées avec des médicaments et des pansements. Il s'adressa à ces gens, qui le guérirent, ce qui était d'ailleurs prédit par le guérisseur.
        Mais, au lieu de retrouver la santé après quelques jours, il lui fallut des semaines avant de pouvoir reprendre son travail.
        Et pendant ce temps, si cet homme était marié et père de famille, si son patron refusait de lui payer une indemnité, que devenaient sa femme, ses enfants ? C'était pour eux la misère ! Et si, confiant jusqu'au bout dans la promesse de celui qui lui avait écrit : « Vous guérirez ! » il était mort de septicémie ou de pyohémie, le guérisseur aurait-il réparé son acte – que je ne veux pas qualifier – en entretenant la veuve et les enfants ?
        Mais arrivons à la conclusion. Que les guérisseurs, que les personnes jouissant d'un pouvoir de suggestion incontestable l'exercent pour le plus grand bien des hystériques de toutes sortes, rien n'est plus logique. Je suis le premier à reconnaître que le médecin peut avoir besoin d'eux, au même titre qu'il lui arrive, dans sa clientèle ordinaire, de recourir à l'aide d'une personne qui « a de l'autorité » sur son malade. Mais c'est une aberration pour ces gens de prétendre à l'omniscience, et c'est une aberration de la part des gens instruits qui les connaissent, de les entretenir dans leur erreur manifeste.

                                                                              Dr Pierre SCHUIND.

    (1) Reproduction interdite sans citer la source et l'auteur.

    La Meuse, 3 juin 1910 (source : Belgicapress)

     

    (I) Peut-il s’agir là de frère Florian Deregnaucourt ?


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