• Françoise d'Eaubonne - Dossier S comme sectes (1982)

    Auteur      Eaubonne, Françoise d’ (1920-2005)
    Titre         Dossier S comme sectes [Texte imprimé]  / Françoise d’Eaubonne
    Publication     Paris : A. Moreau, 1982
    Description mat.     313 p. ; 22 cm
    Collection     Collection Confrontations
    ISBN         2-85209-002-3 (Br.)  : 79 F
    Note générale     Bibliogr. p. 307-308
        La couv. porte en plus : "voyage chez les marchands d’absolu et d’alternatives, gourous et gouroufiés"
    Mat-Collectivité
        Association internationale pour la conscience de Krishna
        Association pour l’unification du christianisme mondial
        Mission de la Lumière divine
    Mat-Nom commun     Sectes -- 20e siècle
            Antoinisme
            Ecoovie (Mouvement)
            Enfants de Dieu (Mouvement)
            Longo Maï (Mouvement)
            Pentecôtistes
            Rose-croix
            Scientologie
            Sectes
            Témoins de Jéhovah
            Trois Saints Coeurs (Mouvement)

    source : opac.prov-liege.be

        L'auteure semble honnête et elle l'est dans la plupart des cas. Chose rare, elle alla même enquêter sur le terrain pour diverses sectes, comme les Témoins de Jéhovah.
        Cependant elle tombe, pour l'antoinisme, dans le même travers que beaucoup d'autres qui se contente de promesse sur la 4e de couverture. Ainsi, on ne sait pas quelles sont ses sources pour la secte belge, mais les erreurs sont légions.

        4e de couverture : Après le lointain massacre de la Guyana, la cascade de procès intentés à l'Eglise de Scientologie, les scandales Moon, la mort du fils de l'écrivain Roger Ikor, le public s'est passionné et inquiété.
        Le phénomène "secte", en passe de devenir un véritable fléau social, nécessite d'autant plus une enquête approfondie que beaucoup de celles-ci ne disent pas leur nom et se cachent derrière l'apparence de communautés et de coopératives, profitant du légitime besoin d'"alternative" des jeunes pour les mystifier et les exploiter. Quand Dieu ne fait plus recette, on recourt à la vie associative et à l'écologie.
        Que ce soit la prostitution institutionnalisée des "Enfants de Dieu", la mystique de pacotille des "Hare Krishna" au prétendu orientalisme, les captations d'énormes capitaux par Moon, le néo-nazisme de la "Nouvelle Acropole" ou les électromères science-fiction des Scientologues, que ce soit la famine et la danse à la plaine lune d'Ecoovie, l'exploitation sexuelle des femmes et du travail des fugitives du Nicaragua par telle secte "guyanesque" de Provence, chacun de ses groupes est ici étudié dans son histoire, son idéologie, ses avatars, sa finance et souvent ses morts suspectes. Religieux ou non, il range sous le joug les plus divers de la grande déception gauchiste.
        Françoise d'Eaubonne fait preuve dans ce compte rendu des qualités d'analyse et de dénonciation, d'humour et d'érudition qu'on lui connaît depuis "Le féminisme, histoire et actualité" aux mêmes éditions.

        Citations générales (p.162) : Mystifiés par des gourous : voilà leur trait commun. Mais la définition est plus importante que le nom. Continuons donc à placer sous celui, désuet à notre sens, de "secte" ces groupuscules qui se caractérisent par une vie communautaire fermé, rompant les ponts entre l'adepte et tout son passé, prétendant plus ou moins à l'autarcie et se signalant par le fanatisme commun pour une idée centrale, de moins en moins religieuse - en générale un aspiration "à la mode", écologique, alternative, voire parapsychologique, néo-fasciste, ou néo-révolutionnaire émise par un gourou (qui ne dit pas son nom) et régenté par une chefferie (groupée autour de lui et, en général, s'enrichissant du travail et des dons communs.)
        Cette définition a l'avantage de réunir tous les traits qui prédisposent un groupe à devenir mystificateur, dangereux et antisocial. Cependant, nous verrons par la suite que des sectes authentiques n'y correspondent pas dans la mesure où elles se contentent de diffuser un "enseignement" (infaillblement : une idéologie, religieuse ou non, à dormir debout) sans exiger une vie communautaire rompant les liens avec l'extérieur. Ce sont, en général, les plus vieilles sectes, et les moins néfastes car moins susceptibles d'attenter à la liberté individuelle.
        L'auteure précise sa pensée à la page 243 : Les sectes déjà anciennes comme les Antoinistes, les Rose-Croix, etc., ne montrent pas ce type d'avidité. Peut-être parce qu'elles sont en perte de vitesse ?
        Remarque injustifiée car se sentant en perte de vitesse, une vraie secte, comme l'explique Jean-Yves Roy dans Le Syndrome du Berger, s'enferme dans sa croyance de détenir la vérité et va jusqu'au bout de ses moyens, même si c'est la mort qui garantira la solution et de sauver la face.

        A la page 201, l'auteure se demande si le régime giscardien était-il si favorable aux sectes, et pour quelles raisons ? En retour, on se demander si le rapport n'était pas une réponde expéditive au laxisme des gouvernements précédents ? En effet, le rapport ne sort qu'après le double mandant de Mitterand alors qu'un rapport avait déjà été réalisé sur cette question en 1983 par Alain Vivien (qui commence son travail en 1978, donc sous Giscard d'Estaing, travail qui sera interrompu par la dissolution de l’Assemblée Nationale de 1981), à la demande du premier ministre Mauroy durant lequel la France voit l'abolition de la peine de mort, l'autorisation des radios locales privées, la loi d'amnistie, qui inclut les délits homosexuels, la régularisation des immigrés sans papiers qui exercent un travail et peuvent le prouver, la création de l'impôt sur les grandes fortunes, la loi-cadre Defferre sur la décentralisation, le passage de la majorité sexuelle à 15 ans pour tous, homos et hétéros, le durcissement du contrôle des changes, la loi Roudy sur l'égalité salariale entre hommes et femmes dans les entreprises...
        Alain Vivien reviendra plus tard semble-t-il sur l'idée de légiférer contre les sectes comme en témoigne cet extrait d’interview publiée dans le Figaro le 29 avril 1992 : « Il ne faut pas créer de législation particulière au risque de faire apparaître les sectes pour des martyrs. L'arsenal dont nous disposons est tout à fait suffisant, il suffit de l'appliquer ! ». (source : wikipedia).

        Françoise d'Eaubonne donne, elle, comme moyen d'action contre les sectes, un peu les mêmes que Alain Woodrow à savoir :
    - application des lois existantes (p.282);
    - information (j'ajouterai information des faits avérés allant contre les lois existantes)(p.278), sinon "après avoir voulu protéger l'individu contre les sectes, il serait déplorable de livrer toute association d'individus marginalisés à l'Etat" (p.282)(c'est ce que font actuellement les rapports ministériels);
    - un changement de société proposant une alternative, notamment de la société d'abondance actuelle (pp.283 & 272).
        Bref, on voit que le gouvernement de droite de Chirac n'a pas suivi l'avis de la journaliste, et ne s'est pas donner la peine de consulter des chercheurs sur la question, mais se basent sur des informations fournies par les Renseignements généraux et par des associations spécialisées, telles l'UNADFI. Le premier rapport officiel datant de 1995 a établi une liste de sectes, désormais considérée comme caduque par le rapport de 2003, nous renseigne Wikipedia (cf. http://www.prevensectes.com/mivi3.pdf). Ce dernier parle des dérives sectaires concernant les atteintes à la santé, en remontant aux années précédentes, mais on n'y lit aucune condamnation contre l'antoinisme.
        Le problème est en fait que le rapport avec la liste reste diffusé sur internet. Et on ne lit plus rien dans les précédents et suivants rapports sur l'antoinisme, même par une atténuation du rapport caduque, comme pour les Témoins de Jéhovah, qui refusent la transfusion sanguine, mais dont il est dit qu'ils restent un mouvement qui " ne peut être assimilé à une secte absolue, mais dont certains aspects du comportement sont inacceptables dans la mesure où ils remettent en cause des droits fondamentaux de la personne humaine " (source : http://www.prevensectes.com/rev0202.htm#21a) ou la Science Chrétienne, qui pour la sociologue Anne-Cécile Bégot, est proche de la secte, pointant la « rupture avec le monde environnant (...) [et la] reconnaissance et soumission à une autorité », bien qu'elle considère qu’il faille nuancer ces éléments en France car le mouvement a dû s'accommoder de la laïcité environnante. En définitive, elle estime que le groupe tendrait « vers un type d'organisation religieuse intermédiaire entre la secte et l'Église : la dénomination ». Elle considère également que le mouvement est peu prosélyte en privilégiant « la qualité de ses recrues plutôt que la quantité ». (source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Science_chr%C3%A9tienne#Point_de_vue_sociologique)
       Il n'y a que le rapport belge qui dénonce : "L'établissement d'un répertoire des mouvements sectaires (cf. le rapport de la commission d’enquête française) lui [M.Nefontaine] paraît dangereux, parce que cela donnerait également une mauvaise image d’organisations tout à fait honorables (par exemple l’Ecole de la Rose-Croix d’or, l’antoinisme, les Hommes d’affaires du plein évangile)" (source : http://www.ciaosn.be/49K0313007.pdf).

        Maintenant voyons le chapitre que consacre l'auteure au mouvement religieux qui nous intéresse. Il fait partie de la Deuxième partie, sur les Petites déviations ou les Bourgeonnements du délire, avec les Pentecôtistes, les Trois Sains Coeurs (ou Les adeptes de Jason), la Mission de la lumière divine, les Rose-Croix (ou L'ésotérisme séculaire) et les Témoins de Lucifer (ou L'humour noir ?).
        Le chapitre 5 sur l'antoinisme ou la foi du guérisseur comporte pas plus de 3 pages (pp.149-151), et on s'étonne de trouver autant d'erreurs en si peu de pages. Nous consacrerons donc une petite note pour chaque phrase qui appelle un commentaire.

        Trois adresses à Paris ; vingt-cinq en provinces ; trente-deux en Belgique ; n'est-ce pas beaucoup pour une secte de vingt mille membres ? (1)
        Le fondateur, né en 1846, est un pauvre mineur, puis ouvrier métallurgiste qui n'a de remarquable, outre sa beauté physique, qu'un extraordinaire piété. Comme il est de culte catholique, ses parents pensent l'envoyer au séminaire. Mais il préfère se marier (2) ; il épouse Jeanne-Catherine Collon après avoir voyagé en Allemagne et en Pologne où il a peut-être rencontré des initiés. Le spiritisme le passionne après la quarantaine ; il sera l'auteur d'un greffon étrange du spiritisme sur le catholicisme, et fondera ainsi "Le Nouveau Spiritisme" en 1906 (3).
        Sa réputation de guérisseur s'étend si rapidement qu'on fait bientôt de lui "l'égal d'Adam, de Moïse et de Jésus". Il est le Père, et son épouse la Mère. Il mourra en 1912, et Jeanne-Catherine huit ans plus tard (4).
        Une célèbre photo du culte antoiniste le représente, majestueux, impressionnant. Déjà âgé, il rayonne, barbe fleuve et cheveux torrentiels. Leur blancheur contraste avec le noir profond du regard. Le nez est droit comme une colonne grecque. Il élève la main d'un geste emphatique. "Le Régénérateur de l'Humanité" sait tirer parti de son apparence (5).
        Ses fidèles le fêteront le 25 juin, et sa femme aura le 3 novembre. On récite des prières et on chante en leur honneur dans tous les temples antoinistes français et belges (6).
        L'enseignement de cet apôtre de l'imposition des mains (7) est surtout contenu dans une dizaine de petits poèmes libres qui s'intitulent "principes". Ses disciples les diffusent ; ils tiennent des réunions et des conférences auxquelles tous sont conviés par prospectus (8) car le culte est ouvert à tout venant. Là on recommence à prier et on tente de guérir, les mains posées sur le mal. Les guérisseurs sont vêtus de noir (9).
        Les "principes" montrent une tolérance fort estimable ; on ne doit pas prêcher, on doit respecter toutes les croyances, et aussi l'incroyance ; faire la charité n'est jamais que la faire à soi-même ; toute souffrance est due au besoin de posséder ; imposer le respect aux autres est agir selon l'intelligence, mais contre la conscience. Âme profondément charitable, Antoine niait l'existence du mal ; il avait une conception "fluidique" du monde et du fonctionnement de notre mental qui correspondait à cette époque spiritiste où tout l'inconnu était placé sous le nom fourre-tout de "fluide". Et c'est bien un fluide lumineux qui semble émaner de lui, sur la photo du culte antoiniste.
        Sans entrer dans les détails, Didier Deplaige, producteur à Antenne 2 et J.-M. Leduc, journaliste et musicien, qui respectent cet insolite mystique, affirment qu'aujourd'hui "autour des Antoinistes gravitent d'autres groupes certes moins recommandables". On peut en effet supposer qu'une secte si fort axée sur la guérison en dehors de la médecine peut s'ouvrir à toutes sortes de charlatans qui abusent de la crédulité et vivent de la pathologie des naïfs (10).
        Tel est en effet l'écueil réservé à tout ce qui, sous forme de secte, voit le jour ; y compris à celles animées des meilleures intentions. Alors que les Partis et les Eglises ont donné l'exemple d'une telle détérioration de la foi ou de l'idéologie qui leur a donné naissance, en dépit d'un si grand nombre de personnes à surveiller leur évolution et à leur rafraîchir la mémoire, comment voudrait-on que des minorités fragiles et circonscrites par un milieu global indifférent ou hostile puissent maintenir, au-delà de leurs premiers fondateurs, l'excellence de leurs objectifs ? (11)
        De nombreux exemples peuvent être produits à l'appui de cette remarque. L'antoinisme ne fait pas exception. Après l'apostolat d'un illettré qui semble avoir montré toute sa vie une vertu naïve mais solide et sincère, ce serait "miraculeux" (12) si ceux qui se réclament du "nouveau spiritisme" avaient été capables de se montrer aussi honnêtes qui lui, aussi dévoués à "régénérer l'humanité", surtout dans un domaine où abondent les marchands d'élixir et d'orviétan de toute sorte.


    (1) C'est d'autant beaucoup de temples quand on en compte plus qu'il n'y en a : en Belgique il n'y a jamais eu plus de 31 temples. Par contre, en 1982, il y avait 28 temples en France. On ne sait pas quelle est la source de l'auteur pour donner le chiffre de 20.000 membres.
    (2) C'est la première fois que je lis cette histoire de séminaire. En tout les cas, il a 27 ans, c'est déjà un homme quand il se mari, et n'a donc pas à demander l'autorisation de ses parents pour cela. Il se mari d'autant plus que Catherine Collon est alors enceinte.
    (3) En 1906, c'est le Nouveau Spiritualisme qu'il fonde, et non le Nouveau Spiritisme. Il s'en était séparé officiellement en 1905.
    (4) Ce n'est pas 8 ans, mais bien 28 ans plus tard.
    (5) L'auteure insiste sur la beauté de Louis Antoine. C'est une femme. Jules Bois, cependant (certes c'est un homme) en fera un autre portrait : "C'est un microcéphale, les cheveux coupés très ras, une barbe de l'avant-veille, et je ne sais quelle teinte grisâtre sur tout sa personne, provenant sans doute de l'âge, qui a décoloré ses cheveux et ses regards, de cette fumée aussi qui remplit tout Jemeppe, habille les êtres et les choses. Il parle avec une certaine difficulté, soit que le français ne lui serve pas de langage habituel, soit que sa nervosité, toujours en éveil, donne un tremblement à ses paroles."
    (6) On ne récite pas de prières et on ne chante pas dans les temples antoinistes où le silence est de rigueur, sauf pour le lecteur. L'auteure n'a donc pas pris la peine d'aller dans un temple pour vérifier ses sources, alors qu'elle le fit pour d'autres sectes bien plus dangereuses.
    (7) Louis Antoine n'imposera plus les mains à partir de 1901.
    (8) Je n'ai jamais eu connaissance de prospectus. Mais admettons.
    (9) Il n'est pas nécessaire de prier, mais on peut le faire. Ensuite on ne tente pas de guérir dans les salles de lectures, mais uniquement dans les temples où les adeptes assistent à l'Opération Générale pour obtenir selon sa foi. De plus, on ne pose pas les mains sur le mal, ni dans les temples ni dans les cabinets de consultation, ni dans les salles de lecture. Pour finir, il faut porter le costume pour être guérisseur, mais ce n'est pas parce qu'on est guérisseur qu'on porte le costume. C'est donc par un flot d'erreur que l'auteur fini son plaidoyer contre le culte pour ensuite pendre presque la défense de Louis Antoine.
    (10) C'est encore cependant mal connaître le fonctionnement du mouvement : tous dons revient au centre, Paris pour la France, Jemeppe pour la Belgique. Un charlatan ne pourrait donc pas vivre de la pathologie des naïfs, car il ne peut rien en garder pour lui. De plus, en cas de manquement au pratique du culte (qui ne va pas sur le terrain de la science, rappelons-le), l'exclusion est possible.
    (11) Je trouve justement que l'Antoinisme a très bien réussi à se maintenant dans la même foi, le même amour et le même désintéressement. Même si bien sûr, il n'est pas exclu que certains adeptes aient agi contre la loi. Comme le dit le Père, les lois humaines sont alors là pour servir pour punir le contrevenant, mais pas pour autant tout le groupe.
    (12) Pour les adeptes du "nouveau spiritisme", je ne sais pas, mais pour les adeptes du "nouveau spiritualisme", je témoigne encore une fois, de leur bonne foi. C'est d'ailleur la raison pour laquelle le groupe ne va pas sur le terrain de la science, et laisse le libre-arbitre à chacun de se soigner selon leur foi, en ayant recourt au médecin, au culte, ou au deux. Signalons d'ailleurs que pour l'antoinisme, il n'y a pas de miracle, il n'y a que la foi et la conscience qui compte.


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