• Jane Regina - Vie d'une française (1975)

    Jane Regina - Vie d'une française : Nadia & Denis

    Auteur : Jane Régina (Lydia Bercou)

    Titre : Vie d’une française de 1900 (Tome 2)
    Édition : Éd. du Basileus (Toulouse), 1990 (première édition Marsat, Impr. La Source d’Or, 1975-1977)

     

    Raconte l’histoire de Nadia (Première partie de la biographie de la conférencière spiritualiste Lydia Bercou : Vie de femme et de mère.). Dans une de ses conférences (Krishnamurti et la Connaissance de Soi), elle évoque cet épisode rapidement : « Nos fils se sont mariés, l’un a épousé sa femme au Temple Antoiniste, l’autre a choisi une fille de libre-penseurs, et cela n’a créé aucun problème dans notre famille. » Elle raconte plus en détail dans ce livre les tenants et les aboutissants de cette histoire de famille.

     

     

    [pp.200-201 : dans ce moment du livre, début de la Deuxième Guerre mondiale, son fils, Denis fait son service militaire dans la marine.]

        Comme rien ne bouge pour le moment, Denis revient en permission. Comme la fois précédente il parle d’une jeune fille qu’il allait souvent voir en ville et qu’un de ses camarades marin lui a présentée, lequel voulait s’en débarrasser et ne savait comment faire. Il est très bien reçu chez les parents. « Je voudrais que tu la connaisses », dit-il à sa mère. Il a 20 ans, Nadia le trouvait un peu jeune pour songer au mariage, et disait on verra plus tard.

        Aujourd’hui il décide d’aller lui rendre visite et dit à Nadia : « Maman, fais-moi un tour de cartes avant ». Dès qu’elle regarde dans son jeu, elle lui dit : « Tu vas avoir un accident et tu consulteras quelqu’un ». « Penses-tu, c’est sans doute le dentiste ? », dit Denis en riant. « Non, tu ferais bien de rester ici » dit-elle, mais il n’écoute pas, disant à sa mère : « Puisque je suis averti, je ferai attention, voilà tout ». Or, en descendant en bicyclette une côte raide, il passe par-dessus son vélo, s’ouvre l’arcade sourcilière et on est obligé de lui poser des agraffes. Il arrive néanmoins chez les parents de la jeune fille, qui étant « antoinistes » l’emmènent chez le Père afin de se faire guérir, car chez eux on ne soigne pas. Il guérit naturellement étant de tempérament très sain mais cela lui laissera une cicatrice sur le front, que l’on aurait pu éviter.

    Comme il ne va pas être de retour le soir, la ville de Vichy où il s’est rendu étant à 15 km environ, il téléphone à son père afin qu’on ne s’inquiète pas. « Ce n’est rien, dit-il, ce n’est pas grave, mais je ne veux pas effrayer maman, en arrivant la tête bandée » et Loup dit à Nadia : « Denis a fait avertir qu’il ne rentrerait que dans deux ou trois jours, car il est invité par les parents de sa jeune fille ».

        Maître Morisset arrive chez eux, il va être mobilisé comme officier. Il leur apporte une cantine militaire, renfermant tout ce qu’il a de plus précieux et la confie à Nadia jusqu’à son retour, lui demandant d’en prendre le plus grand soin et que s’il arrivait quelque chose ou que les allemands viennent jusque là, qu’ils la cachent dans la terre. Ensemble, ils examinent un endroit où les uns ou les autres pourraient la retrouver plus tard. « Dans le cas où je serais tué, dit-il à Nadia, on ne sait jamais, je voudrais que vous la remettiez à mon fils, dont il lui donne l’adresse, car j’ai plus confiance en vous, qu’en la femme avec laquelle je vis actuellement ».

        Nadia accepte et il repart en disant à Loup : « Vous avez une femme exceptionnelle, et je l’aime comme si elle était ma sœur ». Il l’embrasse tristement, ne sachant dans ces moments critiques, s’ils se reverront.

        A son retour de Vichy, Denis insiste auprès de sa mère. Il veut absolument qu’elle fasse connaissance de cette jeune fille. Il veut se fiancer avec. Nadia a toujours promis qu’elle donnerait à ses deux fils pour leur servir de bague de fiançailles, les deux seules bagues de valeur qu’elle possède. Elle pense que, c’est lorsqu’on est jeune que l’on a besoin d’une bague de prix et qu’on ne doit pas leur faire attendre de n’être plus là, pour la leur donner. « D’ailleurs, je mettrai un faux diamant sur moi, dit-elle en riant, et l’on croira qu’il est vrai ».

        Elle l’accompagne donc ce matin, emportant la bague avec elle. Jusqu’à présent, Denis a fréquenté plusieurs jeunes filles, mais il a toujours rompu au dernier moment. On ne sait comment il s’y prend et Nadia pense qu’il doit être trop entreprenant car il les fâche toujours. Il dit à sa mère que celle-là c’est sérieux. « Je veux me marier, dit-il, je vais avoir 20 ans 1/2 ». « Tu es encore trop jeune pour savoir ce que tu fais, dit sa mère, tu devrais attendre d’avoir terminé ton service ». « Mais tu peux bien la connaître et venir la voir, emporte la bague avec toi, tu la lui montreras », mais en route il lui dit : « Il faut que je te parle d’abord, car il y a des choses qui ne te plairont pas : ses yeux, ils sont bleus, enfin ils n’ont rien d’extraordinaire, mais ses cheveux ne te plairont pas, elle est très blonde, mais ce n’est pas naturel, elle est teinte, sa bouche aussi, elle a une bouche en accent circonflexe, puis sa voix).

        Nadia l’écoute surprise. Il continue : « Sa mère aussi va te déplaire ». Elle lui dit : « Vraiment, je ne vois pas pourquoi tu veux me présenter cette jeune fille, puisqu’il n’y a rien de plaisant en elle et que tu t’en rends compte ». « Mais elle m’aime ! », dit-il. « Et toi, est-ce que tu l’aimes ? ». « Oh moi, ça n’a pas d’importance, comme il faut se marier un jour, que ce soit celle-là ou une autre, les femmes sont bien toutes pareilles ». Mais il insiste : « Je tiens à ce que tu la vois, ainsi tu me diras ce que tu en penses. Ses parents sont propriétaires, ils ont une villa sur l’avenue ». Nadia le suit donc jusque dans cette ville. La jeune fille est bien telle qu’il l’a dépeinte, très ordinaire surtout, avec ses cheveux teints, très fardée, la lèvre supérieure relevée découvrant ses dents et une voix de « mélé-cass ». Elle n’attire absolument pas Nadia, qui sent comme un barrage entre elles. Quant à la mère, elle est plus qu’ordinaire. Deux choses pourront les dépeindre, mieux qu’elle ne pourrait le faire.

        Ils prennent l’autobus, la jeune fille, Denis et Nadia. Il y a beaucoup de monde et ils sont séparés, alors tout à coup d’un bout à l’autre de l’autobus, on entend Nette (c’est son nom) qui crie, de sa voix éraillée : « Et dis « Nini » tu sais qu’on descend à la prochaine ».

        Ils arrivent chez les parents, le père, un brave homme c’est certain, parle sans arrêt de toutes les maladies qu’il a eues depuis son enfance, de la longueur de son appendice qu’on lui a enlevée, de son ver solitaire qui avait tant de mètres, etc.. « A un moment, j’étais perdu, dit-il, mais j’ai eu confiance aux antoinistes qui m’ont guéri, alors je me suis fait Antoiniste, depuis je porte leur costume les jours de fête et les dimanches pour me rendre dans leur Temple. Celui-ci consiste en une grande redingote et un chapeau haut de forme pour les hommes, pour ma femme, c’est une tenue noire, avec un voile noir, sur la tête un peu comme les religieuses catholiques ».

    [pp.230-233 : Nadia reçoit une lettre de son fils, Denis]

        […] A la veille de son départ pour Toulon, elle reçoit une lettre de Denis : « Ma chère mamam, etc... Maintenant, je vais te faire un aveu mais il ne faut pas m’en vouloir car je ne sais pas ce que tu en penseras, mais je vais me marier le mois prochain avec Nette (la première) car maman, c’est une fille qui m’adore et je sais que je serai heureux avec elle et ses parents m’aiment beaucoup. Elle ne te plaît peut-être pas, mais que veux-tu pour moi c’est une brave fille. Si tu veux tu viendras à notre mariage, réponds-moi ce que tu en penses. Quant à moi si je suis retourné vers Nette, c’est que depuis 3 ans que je la connais, j’en ai fréquenté d’autres et c’est la seule qui m’a gardé sa fidélité et son amour et puis, depuis quelque temps, il y a une force invisible qui m’attire vers elle. J’ai su qu’elle a élevé sa pensée vers moi, chez le Père (Antoiniste), alors tu vois, maman, c’est une famille qui en vaut bien une autre, si un jour je suis malheureux – je ne le pense pas d’ailleurs – je ne viendrai jamais me plaindre à la maison. Alors j’espère que tu ne m’en voudras pas et que tu accepteras Nette pour fille. J’ai aussi à te dire que l’année prochaine je me ferai Antoiniste car j’ai une vraie vocation pour ce culte. J’espère que tu me feras une longue lettre et que tu m’écriras plus souvent et aussi que tu me comprendras. Je viendrai en permission vers le 13 juin, mon mariage aura lieu le 20 juin pour ton anniversaire, c’est pourquoi j’ai choisi cette date. Dans l’espoir de te lire bientôt, mes plus tendres baisers ».

       Nadia est bouleversée, cela se comprend, et une semaine après, elle recevait une autre lettre de Denis, en réponse à la sienne : « Bien reçu ta lettre qui m’a fait bien plaisir, mais je m’aperçois que tu n’aimes pas beaucoup Nette. Ecoute maman, je ne ferai pas comme mes oncles, qui ont tous divorcé, il ne faut pas croire cela. Nette m’aime énormément, donc je ne risque pas d’être malheureux, ensuite j’ai compris par ta lettre que ce serait moi, peut-être, qui la rendrai malheureuse, eh bien, loin de la car, une fois marié, l’on change de caractère. Tu me dis de bien réfléchir, or j’ai bien réfléchi, Nette en vaut une autre. Je ne comprends pas du tout pourquoi tu ne veux pas qu’elle soit ma femme. Vois-tu maman, les femmes, j’ai appris à les estimer, d’une drôle de manière, j’ai cru qu’elles étaient comme je le pensais, et je me suis aperçu que 99 % ne valent pas cher, même les plus honnêtes. Alors, à quoi bon, je ne serai pas plus malheureux avec Nette qu’avec une autre et j’ai beaucoup confiance en elle, car je l’ai fréquentée depuis trois ans. En tous cas, je me marie le 20 juin prochain. Si Nette ne te plaît pas, tu la laisseras de côté, après tout c’est une fille comme une autre. Le Bord a fait une enquête, ils ont eu de bons renseignements sur elle et sa famille, alors pourquoi la blâmer, une fois mariée, la jeune fille change de caractère aussi. Je pense donc que tu me comprendras ».

       Nouvelle lettre le 29 mai 1942 : « Ma chère maman, je fais réponse à ta lettre, etc... Je vois que tu commences à me comprendre, tu sais maman, mon mariage est publié depuis le 23 mai, j’ai reçu tous les papiers nécessaires et celui-ci aura lieu le samedi 20 juin à 16 h. Je voudrais bien savoir si tu y assisteras, dis-le moi dans ta prochaine lettre. Je te comprends très bien moi aussi, mais une fois marié, je serai tout-à-fait sérieux. Je partirai du Bord vers le 16 ou 17, j’arriverai juste à temps. Nette s’occupe de tout, car moi je n’aurai pas le temps. Guy vient à la Noce, je lui prêterai peut-être mon costume, car je me marie en marin. Nous serons 30 au mariage, je me marie civilement seulement. Guy a drôlement grandi, je ne me le figure pas, j’ai hâte de le voir, il est beau garçon. Je termine car il se fait tard, tendres baisers » etc..

        Loup et Nadia sont sidérés par ces lettres et à l’idée de ce mariage. Nadia ne peut s’empêcher de pleurer et pendant trois jours et trois nuits, elle versera des larmes. Elle comprend que son fils va complètement gâcher sa vie, aussi bien matériellement que spirituellement et c’est pour elle une grande épreuve, car pas une fois il lui a dit qu’il aimait cette jeune fille, mais toujours elle m’aime. S’il lui avait dit : « Maman, je l’aime », elle aurait compris, mais rien de cela.

        Lorsqu’il arrive, son père pendant une heure lui dit ce qu’il pense : « Tu n’es pas infirme, un beau garçon comme toi, tu crains de ne pas trouver à te marier, alors que de par le monde, il y a des quantités de jeunes filles de valeur, qui ne trouvent pas, elles à se marier ». Enfin il lui dit tout ce qu’il doit lui dire. Denis accoudé sur le piano, ne répond pas mais il ne trouve rien de mieux que de tout répéter à Nette.

        Loup dit à Nadia : « Je n’irai pas à ce mariage car tu me connais, je ne pourrais pas me dominer, maintenant tu feras comme tu voudras ». « J’irai, dit Nadia, car je ne veux pas me fâcher et me fermer la porte avec mon fils ». Elle fait tuer une grosse agnelle [la famille s’occupe d’élevage pendant la guerre] qu’elle leur envoie, ainsi que des fromages, du beurre et des produits de leur jardin et arbres fruitiers, afin que les beaux-parents s’en servent pour le menu.

        Denis a une grande influence sur son frère, Nadia les ayant toujours élevés dans l’amour l’un de l’autre. Guy soutient donc celui-ci, qui le change complètement à ses idées, étant trop jeune pour comprendre, il donne raison à Denis dans tout. Et le jour du mariage arrive. Nadia pense, si Denis lui avait dit : « Maman, que veux-tu, je l’aime », elle aurait accepté, car cela ne se discute pas, mais se marier sans amour avec une fille quelconque, cela dépasse l’imagination.

        Ce matin-là, elle part avec Guy, remplie d’une grande tristesse, pourvu qu’elle puisse retenir ses larmes et ne pleure pas. Denis est comme elle, lui si gai d’habitude et rieur, n’a pas le sourire. Il lui annonce qu’ils vont se marier au Temple. Elle croît que c’est au Temple protestant, mais c’est au Temple Antoiniste, cela est sans importance pour eux, ils auraient accepté une jeune fille de n’importe quel milieu, sans aucune fortune, de n’importe quelle religion, mais une jeune fille sérieuse, réservée, de bonne éducation, et qui aurait pu s’élever par la suite. Or, celle-ci n’évoluera pas car elle se trouve très bien dans son milieu. Denis a 23 ans 1/2, il est libre de se marier à son gré et ils n’y peuvent rien. Nette a invité sa meilleure amie, qui travaillait avec elle en usine et qui a vraiment mauvais genre. Au repas, elle chante une chanson tout-à-fait crue et déplacée. Denis regarde sa mère, elle sent qu’il est très gêné, mais elle fait celle qui est distraite et n’y prête pas attention. Le beau-père fait le service de table, il a un tablier blanc, une serviette blanche sur l’épaule, comme un garçon de café. Il dit : « Je me sens mieux à mon aise, ainsi ». La belle maman fait la cuisine et n’en sort pas. Nadia a toutes les peines du monde à retenir ses larmes et passe une des plus tristes journées de sa vie.

        Lorsqu’elle parle au père de Nette, lui demandant : « Comment se fait-il que votre fille ait attendu Denis pendant trois ans ? ». Il lui répond franchement, car il n’est pas diplomate : « Parce qu’elle n’a pas trouvé d’autres garçons entre temps, elle a pourtant assez couru les bals, mais aucun n’en a voulu pour l’épouser, elle n’est bonne à rien. C’est moi qui lui raccommode ses chemises, elle ne s’est jamais acheté de quoi se faire six torchons, tout son argent passe au cinéma, au bal, au coiffeur, en teintures ou indéfrisables. Que voulez-vous que j’y fasse, je me demande ce qu’ils feront tous deux. Ce n’est pas un garçon comme votre fils qu’il lui fallait, car elle le fera marcher et elle l’a bien senti. Il lui aurait fallu un ouvrier qui lui plaque une baffe (sic) quand elle ne marcherait pas droit. Votre fils lui baise la main, elle le prend pour un CON. Excusez-moi du mot » dit-il à Nadia, mais elle reconnaît qu’il a raison ce brave homme. Elle est bien de son avis. Par contre, à côté de Nette, il y a une jeune fille, réservée, gentille et jolie avec cela, certainement Denis lui plaisait, mais il n’y a pas fait attention, car elle est triste. Nadia lui dit : « Ne vous inquiétez pas, je vous trouverai un charmant garçon », car elle confie à Nadia : « Je vis seule avec ma mère, et je ne sors jamais, ici, je ne suis pas dans le milieu qui me plaît et je ne peux pas faire de connaissances comme il faut ».

        Il est convenu qu’elle viendra passer 15 jours de vacances chez Nadia, où en ce moment, de nombreuses personnes viennent pour le week-end à la maison, où ils sont sûrs de bien manger. Nadia fait pension de famille et en profite pour cacher certains résistants sans qu’on s’en doute. Quelquefois, elle a une douzaine d’hommes à table, cela lui donne beaucoup de travail c’est certain, surtout qu’elle les nourrit bien avec un prix tout-à-fait réduit, mais ils emploient les légumes du jardin, le lait de leurs chèvres, leurs fromages, tous produits qu’on ne trouve pas actuellement ou à des prix excessifs et cela évite à Loup de se rendre au marché.

        Parmi ces hommes, il y a un charmant garçon fonctionnaire, à qui elle pense pour cette jeune fille Berthe. Elle croît qu’ils sont aussi timides l’un que l’autre. Elle a aussi en pension, les neveux de Maître Morisset, qui habitent la côte d’azur, où ils ont souffert de malnutrition et ont bien besoin de reprendre des forces. Elle a donc tout un groupe de jeunes qui remplit la maison de gaité…

     


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