• Le guérisseur Antoine (L'Abeille de la Nouvelle-Orléans, 10 janvier 1911)

    Le guérisseur Antoine (L'Abeille de la Nouvelle-Orléans, 10 janvier 1911)

    Le guérisseur Antoine.

        La chambre des représentants de Bruxelles vient de recevoir une pétition demandant la reconnaissance officielle de la religion "Antoiniste". Cette demande est signée par les principaux disciples d'Antoine le guérisseur, dont le temple est érigé à Jemeppes-sur-Meuse. M. Jules Bois raconte, dans une page curieuse que publie le "Figaro" du dimanche, la visite qu'il fit naguère à ce bizarre guérisseur :
        Au coin d'une traverse, une maison d'aspect presque officiel, rappellent une clinique ou une petite mairie. La porte est ouverte. Dans la salle d'attente, une multitude de femmes. Les clientes rassemblent les types les plus différents, depuis l'épouse du contremaître, déjà bourgeoise, en chapeau, et dont le corset, sous la robe, s'accuse comme une armure, jusqu'aux plus humbles ouvrières avec leurs châles à gros pois, leurs sabots, leurs cheveux filasse, dont le manque d'éclat atteste les longues privations.
        ... J'ai passé par les coulisses de l'office magnétique. C'est un corridor étroit où bée, pour tout ornement, un tonneau a épluchures.
        Ce corridor conduit à la hutte qu'habite Louis Antoine. une chambre seulement, bien pauvre et bien nue, où sa femme prépare le repas du soir.
        Description du thaumaturge :
        C'est un microcéphale, les cheveux coupés très ras, une barbe de l'avant-veille, et je ne sais quelle teinte grisâtre sur tout sa personne, provenant sans doute de l'âge, qui a décoloré ses cheveux et ses regards, de cette fumée aussi qui remplit tout Jemeppe, habille les êtres et les choses. Il parle avec une certaine difficulté, soit que le français ne lui serve pas de langage habituel, soit que sa nervosité, toujours en éveil, donne un tremblement à ses paroles.
        - Faites excuse, me dit-il, je ne pourrai vous répondre qu'après L'avoir consulté. Je ne fais rien sans Lui.
        Louis Antoine parle ainsi mystérieusement de ce guide dont il ne sait pas trop bien le nom, qui est tantôt pour lui l'âme du curé d'Ars, tantôt celle du Dr Demeure, dont les portraits au crayon pendant au mur dans la salle d'attente, à côté de placards contre l'alcoolisme.
        - "Il" m'apparaît, me dit-il, comme un nuage lumineux, lorsque je dois réussir ma cure ; mais quand ceux qui viennent à moi n'ont pas la foi, mon guide s'en va, je "deviens seul"... je puis si peu de chose par moi-même.
        - Vous n'êtes donc pas magnétiseur ?
        - Si; mais je ne suis devenu Louis Antoine que lorsque je  "m'ai acquis" la foi. C'est la foi qui nous guérit. Si nous croyons que nous allons cesser d'être malade, la maladie s'en va. Nous sommes guéris selon notre foi. Plus j'ai réussi, plus j'ai en confiance  et par conséquent plus j'ai réussi encore.
        ... Une mère et son enfant pénètrent. Le petit a les jambes torses, le corps couvert de taches rouges. Chétif produit d'une existence sans hygiène et d'ancêtres dégénérés.
        Louis Antoine pose sur ses membres déformés sa main rédemptrice : le petit tressaute de temps en temps comme sous une brûlure. Puis le thaumaturge qui ordonne de marcher, de courir même. Il marche, il court en effet avec ses misérables jambes tordues. Réellement il va mieux, il rit, il saute dans les bras d'Antoine, par cette sorte de reconnaissance instinctive qu'ont les enfants pour ce qui leur fait du bien. il n'est pas guéri, certes, mais électrisé. Sa mère pleure de joie.
        Vient une consultation sur la nourriture. Antoine défend le porc, ne permet qu'une pomme de terre avec du beurre, sans graisse. Ces détails culinaires sont écoutés avec religion, comme s'ils sortaient de la bouche d'un dieu.
        Maintenant c'est le tour d'une vieille. Louis Antoine lui touche le front. une des prérogatives dont se targue le thaumaturge, c'est de lire les maladies dans les corps, par intuition. Cette consultante détient la foi totale. Sous la coiffe noire, le visage s'accentue, têtu et docile, crédule. Au bout d'une minute, Louis Antoine profère son diagnostic. Il a découvert avec assez d'exactitude les souffrances de la brave femme et leur emplacement. Celle-ci en est tout émue ; chaque fois que le guérisseur dénonce quelque infirmité, son enthousiasme grandit ; et elle s'écrie avec son accent rude de paysanne :
        "C'est ben comme ça ! c'est ben comme ça !"
        Le prétendu guérisseur n'accepte que quelques sous. Il publie un "journal" intitulé "Connais-toi". M. Jules Bois pense que ce papier rempli des phrases ampoulées, dont les doctrines spirites ont le secret ne peut pas être rédigé par Louis Antoine lui-même.
        Ainsi la crédulité humaine, détourné de la foi, s'attache aux êtres et aux pratiques les plus bizarres, et en ce siècle de scepticisme, nous revoilà comme reportés sans l'idolâtrique Egypte où, selon le mot de Bossuet, tout était Dieu, excepté Dieu lui-même.

    L'Abeille de la Nouvelle-Orléans, 10 janvier 1911

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    Je vous propose de décortiquer cet "article" : les guillemets sont de rigueur, car le journaliste cite un confrère, Jules Bois, du Figaro. On se demande s'il a même mit les pieds à Jemeppe, donc.

    Il note qu'il n'y a que des femmes : s'il le journaliste du Figaro est allé pendant une journée de la semaine, les hommes étaient à l'usine. 

    Il signale la pauvreté de l'intérieur. Jusque là on est d'accord.

    "je ne sais quelle teinte grisâtre sur tout sa personne, provenant sans doute de l'âge, qui a décoloré ses cheveux et ses regards, de cette fumée aussi qui remplit tout Jemeppe, habille les êtres et les choses", mais cela ne l'aide pas a relativiser, à voir la cause de toute cette population cherchant réconfort auprès de Louis Antoine. Non il ne verra que l'effet.

    Puis il nous dit que le Père évoque le curé d'Ars ou le docteur Demeure. L'article du Figaro ne doit pas daté de 1911. Mais tout au plus de 1910, la demande de reconnaissance légale datant de fin mars de cette année. Les lecture d'Allan Karec furent supprimées à peu près à cette époque.

    Ce qui surprend c'est que le journaliste nous dit que le guérisseur "n'accepte que quelques sous", or normalement ces sous était déposé dans une urne, à discrétion. Louis n'accepte ou ne refusait rien, il n'était presque pas au courant de la somme, si somme il y avait.

    Deuxième surprise : le "journal Connais-toi". Dans aucune source antoiniste on ne cite un nom comme celui-là. Par contre le fait que ce journal "ne peut pas être rédigé par Louis Antoine lui-même", c'était de notoriété : déjà en 1905, dans le journal "La Meuse", M. Delcroix présente la brochure "L'enseignement" comme le fruit du travail collectif des adeptes et de leur chef.

    A la fin, il semble comprendre sans comprendre : "Ainsi la crédulité humaine, détourné de la foi, s'attache aux êtres et aux pratiques les plus bizarres, et en ce siècle de scepticisme, nous revoilà comme reportés sans l'idolâtrique Egypte où, selon le mot de Bossuet, tout était Dieu, excepté Dieu lui-même."
    Selon lui, donc, la foi autre catholique (à la rigueur protestante ou juive) est la seul digne d'exister.
    Ensuite, en effet, il y avait une certaine vénération pour le Père Antoine, mais lui-même nous disait que nous sommes des Dieu, alors oui "tout était Dieu, excepté Dieu lui-même".


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