• La Meuse, 15 décembre 1906, soir (source : Belgicapress)

    Felix Dengis (La Meuse, 15 décembre 1906, soir)(Belgicapress)UNE MYSTERIEUSE AFFAIRE

    A CHOKIER

    C'EST UN CRIME. – UN CERCUEIL PROFANE. –
    LE MEURTRIER SE CONSTITUE PRISONNIER

        Nous avons, ce samedi matin, donné les détails de la dramatique affaire qui a causé à Chokier et à Jemeppe une émotion bien compréhensible. Mais aux mystérieuses circonstances que nous avons relatées devait venir s'ajouter un fait de plus haute gravité et dont l'horreur dépasse l'imagination.

    Cercueil profané

        On sait que, l'autopsie pratiquée, les restes de la victime, l'épouse Félix Dengis, avaient été placés dans un cercueil scellé par les magistrats instructeurs et laissé à la Morgue de Jemeppe.
        Or, vendredi après-midi, en pénétrant dans ce lieu funèbre, la police constatait qu'un inconnu s'était introduit en escaladant le mur du cimetière, puis en brisant un carreau de la fenêtre du local.
        On s'aperçut alors que les scellés du cercueil avaient été brisés, le couvercle soulevé à l'aide d'un outil et les restes du cadavre mis à découvert. Quel pouvait être l'auteur de cette profanation ? Cet acte odieux était-il l'œuvre de celui qu'on recherchait, de Félix Dengis ? Cet homme, disparu avec deux de ses enfants, les aînés, avait-il en réalité tué sa femme et, pris de remords, ou agissant sous l'empire d'un sentiment d'une psychologie déroutante, avait-il voulu revoir les restes de celle dont la mort s'était accomplie d'une façon aussi tragique ? C'est ce que l'on ne sait. Mais cet acte était certainement de nature à faire faire un grand pas à la justice et à diriger des rechercher dans un cercle plus restreint.
        Aussi, le parquet, après avoir fait une nouvelle descente à la Morgue, vendredi, à 9 heures et demie du soir, donnait-il l'ordre d'opérer ces recherches dans Jemeppe et les localités environnantes, y compris à Liége, où les agents de la Sûreté reçurent l'ordre de se mettre en campagne.

    Notre enquête

        Poursuivant notre enquête, nous nous sommes rendu ce samedi matin à Chockier, ou demeure, nous l'avons dit, les époux Emile Dengis, chez lesquels est hébergé depuis quelque temps un des quatre enfants de Félix Dengis, le petit Armand, âgé de 3 ans et demi.
        Dans ce ménage d'honnêtes travailleurs, dont le père, ouvrier mineur, est occupé au charbonnage du Nord de Flémalle, sont quatre autres enfants, dont l'aîné, Jean-Baptiste, âgé de 13 ans, travaille au même charbonnage pour grossir un tant soit peu l'avoir du ménage, ce qui ne l'empêche pas, du reste, en brave petit gars qu'il est, de suivre des cours d'école du soir.
        Quand nous arrivons chez Emile Dengis, nous trouvons celui-ci en train de fumer sa pipe, l'air préoccupé, tandis que sa femme, près de la fenêtre de l'unique place du rez-de-chaussée, est en train de lessiver un tas de linge. Dans cette place, qui sert de cuisine, sont deux fillettes, dont la plus grande vague aux soins du ménage.
        Nous expliquons à ces braves gens le but de notre visite et demandons quelques renseignements sur la façon d'être des époux Félix Dengis durant les trois jours, du 17 au 20 novembre, qu'ils passèrent ensemble dans leur maison. On nous répond que ceux-ci paraissaient bien s'entendre et qu'à aucun moment nulle discussion ne s'est élevée entre les époux.
        « Nous savions pourtant, nous dit l'épouse Dengis, que mon beau-frère était extrêmement jaloux de sa femme et que celle-ci, lors d'autres visites à Chokier, se plaignait d'être brutalisée par lui. Enfin, l'accord ne régnait plus depuis longtemps dans le ménage, mais rien ne pouvait faire supposer que, lasse de la jalousie tyrannique de son mari, Ferdinande Humblet pourrait mettre fin à ses jours. »
        Mais une singulière circonstance devait rester dans la mémoire des époux Emile Dengis. Le 20 novembre, en effet, jour du départ du mari et de la femme, qui devaient se rendre à Jemeppe pour faire quelques achats, Félix Dengis dit tout à coup à sa femme, alors que l'on venait d'achever le repas de midi :
        « Eh bin, bâçelle? Vinez-ve fer l'lette ? » Tous deux montèrent alors à l'étage, d'où ils redescendaient quelques instants après. Dès ce moment, Felix Dengis ne quitta plus sa femme d'une minute, semblant épier tous ses mouvements. Vers 2 heures et demie, les époux quittèrent la maison pour se rendre à Jemeppe.
        Quand Dengis rentra seul, à 1 heure du matin, sa belle-sœur lui demanda ce qu'était devenue sa femme. « Vosse soûre », répondit Dengis, « c'est ine belle... Louquiz cisse lette chal qui dj'a st-attrapée... » II exhibait en même temps une lettre que son épouse écrivait à un prétendu amant, habitant Marcinelle et dans laquelle elle lui annonçait un prochain retour, aussitôt qu'elle pourrait abandonner son mari.
        Mais répliqua la belle-sœur, « n'esse nin là l'lette qui v'lî avez fet scrire divant d'enn-aller ? »
        Nenni, dit Dengis, « cisse là c'esteut eune qui djî li féve sicrire à s'galant po li d'nner on rendez-vous... Mins c'est mî qui âreus stu… »
        La conversation prit fin et Dengis alla se coucher. On sait le reste.

    Surprise des époux Dengis

        On conçoit l'émoi causé au foyer des Dengis par cette affaire qui, ce matin encore, n'était pas encore éclairée. Mais celui-ci ne devait que grandir encore.
        Ce samedi matin, à 6 heures, ces braves gens voyaient entrer chez eux une voisine, la dame Ralet, qui tient un café à quelques mètres de là, sur la grand'route. Celle-ci tenait par la main une fillette que les époux Dengis reconnurent aussitôt. C'était la petite Joséphine, âgée de 5 ans, que l'on croyait à Grâce-Berleur, chez le père des Dengis et qui se trouvait à Chokier depuis la veille à 8 heures du soir.
        Mme Ralet apprit aux époux que ce jour-là, dans la soirée, en venant dans le corridor de sa demeure, elle avait aperçu l'enfant. La fillette, interrogée, dit que son père était allé la chercher chez marraine, la sœur des Dengis, à Grâce-Berleur, et l'avait amenée sur le train pour voir sa « tante Pauline », à Chokier.
        Il l'avait alors menée jusque devant la maison, avait secoué la clinche de la porte, mais comme on ne répondait pas, il était revenu sur ses pas, l'avait fait entrer dans le corridor, où la dame Ralet l'avait trouvée et hébergée jusque ce samedi.
        Cette affaire devrait enfin avoir son dénouement. On avait vu, paraît-il, vendredi soir, à Jemeppe, Felix Dengis qui semblait s'en aller au hasard par les rues. M. Jacquet, commissaire de police de la commune, ayant été averti, fit immédiatement suivre cette piste par ses agents. Mais Felix Dengis avait trouvé à se loger et les recherches entreprises hier demeurèrent vaines.
        Ce samedi à 10 heures du matin, M. Jacquet était informé que Dengis était aux mains de la gendarmerie de Tilleur. Le fait était exact. Se sentant probablement sur le point d'être arrêté, il avait préféré aller se constituer prisonnier.

    Les aveux du meurtrier

        Aussitôt interrogé par le commandant de la brigade, il entra dans la voie des aveux et déclara que, poussé par la jalousie, certain qu'il était d'être trompé par sa femme, il avait résolu de la supprimer. Tous deux s'étaient rendus à Jemeppe pour y faire quelques achats. En revenant, dans la campagne, entre Flémalle et Chokier, il avait adressé des reproches à sa femme et, soudain, dans un accès de colère, l'avait poussée à l'eau en lui disant : « Tu m'as trompé, mais tu ne me tromperas plus ! »
        La malheureuse avait disparu, tandis qu'il poursuivait son chemin.
        Ces déclarations actées, le parquet fut avisé. Ordre fut immédiatement donné de transférer le coupable à Liége, où quelques heures après il était écroué à la prison Saint-Léonard.
        Ajoutons que le meurtrier déclara aussi avoir ramené et placé à Marcinelle les deux enfants avec lesquels il était parti de Chokier.
        Le parquet de Liége s'est rendu cette après-midi dans cette localité, pour recueillir les derniers témoignages nécessaires à l'instruction.
        Voilà donc éclaircie cette tragique affaire qui appartient désormais au jury.

                                                                                                                                  Breteuil.

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