• Le Dorisme à son déclin (Le Messager de Bruxelles, 28 novembre 1916)(warpress.cegesoma.be)

    Le Dorisme à son déclin (Le Messager de Bruxelles (28-11-1916) warpress.cegesoma.be)

    Le Dorisme à son déclin

        Nos lecteurs ont suivi avec un intérêt croissant parfaitement compréhensible en ces temps où les diversions aux sombres préoccupations qui nous alarment sont avidement saisies, les débats trop suggestifs, hélas !! d'un procès curieux intenté à Dor, l'homme impénétrable, qui se fait appeler le Messie du XXe siècle, le Christ réincarné, etc.
        Ces débats nous ont révélé la triste mentalité des foules à l'égard d'un adroit farceur, d'un illuminé, qu'il soit sincère ou non. Mais, en réalité, peu de personnes se rendent compte de ce qu'est le Dorisme qui, aux dires des adeptes du Père Dor, est appelé à devenir la religion de demain !
        De Socrate à Spencer, les philosophes de toutes les époques et de toutes les nations se sont ingéniés à élaborer des systèmes de morale dont l'application des principes à la vie humaine doit assurer à l'homme un bonheur parfait, une félicité absolue. En sondant ce qu'il prétendait être son ignorance, le savant Socrate fit cette découverte qui donne la clef des différentes variétés de morale : « Il y a des lois non écrites supérieures aux lois écrites et qu'il faut toujours observer. » Au nombre des lois non écrites figure l'éternelle et immuable loi Morale. Si l'on considère qu'une loi écrite reçoit autant d'interprétations qu'il se présente d'interprétateurs, à plus forte raison une loi non écrite, et qui laisse ainsi le champ libre aux imaginations fantaisistes, est-elle l'objet de divergences de compréhension lorsqu'il s'agit de la traduire en langage clair. Il est généralement admis que toute morale doit être l'expression du Souverain Bien. C'est à partir d'ici que les philosophes s'abandonnent à leur inspiration personnelle. De leurs travaux ont surgi différentes écoles morales, écoles classiques connues sous les appelations : morale formelle, morale du plaisir, morale sentimentale, utilitarisme. eudomonisme, esthéticisme, égoïsme, altruisme, etc. Dans les etc., il faut comprendre non seulement la morale positiviste, la morale évolutionniste, d'autres encore, minutieusement cataloguées, mais aussi quantité de systèmes que l'on a pu étiqueter qu'en faisant dériver leur terminologie du nom même de leur auteur, tels l'Hobbisme, l'Hégélianisme. Ceci suffit à justifier la qualification de Dorisme appliquée à l'ensemble des principes de morale d'après la conception d'un particulier, d'un citoyen du nom de Dor. Le Dorisme est lui-même issu de l'Antoinisme, duquel il se diffère que par des points de détail, le fond des deux doctrines étant le même : recherche du bonheur par l'amélioration spirituelle. Mais ce bonheur idéal n'est pas ce que le vulgaire profane s'imagine. Plaisir, douleur n'ont plus la signification attribuée jusqu'ici à ces vocabules, car c'est dans la douleur qu'il faut chercher le plaisir, tandis que c'est sous le manteau du plaisir que se cache la douleur.
        Les philosophes des siècles passés avaient accoutumé l'humanité à discerner le Bien et le Mal. Nos prophètes contemporains ne connaissent plus le Mal, celui-ci n'étant qu'une nuance d'un Bien Universel. Tous les mots usuels seront de la sorte l'objet d'un renversement. Ainsi, d'après la nouvelle Ecole, vivre c'est mourir ; mourir, c'est renaître à la vie. De telles modifications apportées à la valeur des mots doivent fatalement avoir pour conséquence le bouleversement des concepts.
        Au temps où Antoine « révéla » sa morale, on ne manqua pas de le traiter de fumiste et d'illuminé. Il n'en recruta pas moins un nombre considérable de disciples, et l'Antoinisme pris une ampleur telle qu'à certain moment le gouvernement belge fut sollicité par une requête couvet de 130,000 signatures, d'accorder la reconnaissance officielle de la religion nouvelle. Le Dorisme et né de l'Antoinisme : affaire d'imitation d'abord, de concurrence ensuite.
        Neveu d'Antoine, Dor était un fervent disciple de son oncle, lorsqu'un jour le démon « Evolution », petit-cousin du tentateur « Progrès », s'infiltra en l'âme du néophyte, du disciple fit un Maitre, et le Fils à son tour devint Père. En se posant en rival d'Antoine, le nouveau Père Guérisseur et moraliste, n'entendait pas ajouter une religion aux 900 et plus existant déjà, ni donner naissance à une secte particulière, pas même fonder une société quelconque : il ne manifestait d'autre ambition que d'ériger un temple à la vertu. Mais c'est là simple question de mots ; qu'on le veuille ou non, dès l'instant ou plusieurs personnes se réunissent dans un but commun, ils forment société ou secte. Et de secte à religion, il n'y a que l'épaisseur d'une brique. La brique a multiplié et le monument connu sous le nom d'Ecole Morale (Jeu de Massacre a dit M. Bonnehill) est la plus flagrante contradiction des affirmations doristes.
        – La thérapeutique doriste repose sur l'observance de la Loi Morale ; soyez dans la loi, et vous jouirez d'une excellente santé. Force est donc aux malades désireux de guérir, de s'initier à cette loi et de s'y conformer. Le Souverain Bien consistera en l'amélioration de soi-même, ou mieux, en l'épuration de l'âme, non au cours d'une seule vie, mais à travers un cycle d'existences d'autant plus nombreuses que l'âme sera lente à se désintoxiquer. Il y a donc à admettre avant tout le principe de la réincarnation, basée sur la loi du Progrès, clame le Père Dor.
        La morale doriste adopte comme formule : Etre sans rancune. Pour se trouver dans cet état d'âme, il faut pratiquer la Tolérance. Encore un mot à la valeur élastique, car chacun comprend à sa façon et voit les choses de même. Etre tolérant, par exemple, ce sera battre en brèche toutes les cérémonies du culte catholique !
        Les premières « instructions » doristes ont paru en 1909 en une brochure ayant pour titre « le Devoir ». Dans cet opuscule sont exposés les principes d'une morale bourgeoisement sage et qui ne froisse les opinions philosophiques de personne.
         Il y est question de Dieu, « source de vie », en qui il faut croire, car cette croyance, c'est la consolation, l'espérance de ceux qui souffrent, le suprême refuge des affligés, des abandonnés. C'est du Dorisme de la première heure et rien dans ce « premier livre » ne laisse percer les sentiments révolutionnaires, on si l'on veut une expression atténuée, les projets rénovateurs du Père. Certains malades guérissent, d'autres sont soulagés. Pour un grand nombre, c'est le statu-quo. A ceci, il y a une cause, et cette cause n'est rien autre que l'état de trop grande imperfection de l'âme. La maladie, en ce cas, est une « épreuve » qu'il faute supporter avec résignation, cette épreuve étant une condition « sine qua non » d'amélioration future. La mort, ou « désincarnation » qui s'ensuit doit être considérée comme une grâce accordée à l'âme, une libération si l'on veut, un « salaire » qui lui permettra, pour son « avancement », d'aspirer à une prompte et propice réincarnation. Il fallait faire accepter ce principe de réincarnation par ceux-là même qui appartenaient à une religion considérant comme blasphématoires les théories de la métempsychose. La réincarnation ne se prouve pas scientifiquement, mais s'explique, et cette explication est plus facilement acceptée qu'elle émane d'une source inspirant confiance ! L'argument décisif sera l'interprétation donnée par Dor aux paroles de Jésus-Christ conversant avec Nicodème : « En vérité, en vérité, je vous le dis, personne ne peut voir le royaume de Dieu s'il ne naît à nouveau », paroles d'évangile... apocryphe. Cette citation de source divine, texte authentique ou non, ces paroles du Fils de Dieu convainquirent les... Enfants du Père Dor, et, actuellement, nombreux sont les chrétiens qui ont versé dans le Dorisme, en conservant cette idée qu'ils continuent à vivre en Jésus-Christ, tout en suivant les enseignements doristes. Jésus devient ainsi l'allié, le protecteur de Dor. L'idée germe même dans les esprits que l'on pourrait bien être la réincarnation de l'autre, car Jésus a dit aussi : « Je reviendrai parmi vous pour vous entraîner, par l'exemple de mes vertus, vers des mondes supérieurs à celui-ci. » Dor n'est-il pas Celui qui doit venir ? La question est posée, comme par hasard, lors d'une instruction. Le Père, qui « a surmonté » tout orgueil, toute vanité, sur qui l'envie et l'ambition n'ont pas, n'ont plus de prise (c'est lui qui le déclare du moins) n'a garde de répondre à cette question discrète autant qu'indiscrète. Il indique simplement le moyen d'être fixé sur ce point délicat : « C'est par la pratique des instructions de ce livre précieux, qui s'appelle Charité, que vous connaîtrez la réponse à la demande que nous m'adressez. Ce livre qui s'appelle Charité, est le volume in-8° de 220 pages, paru sous le titre : « Christ parle à nouveau » (dont de nombreuses citations ont été faites au Tribunal tour à tour par les défenseurs du prévenu et de la partie civile), révision et amplification des brochures antérieures. Le conseil est bon, les adeptes en font leur profit, et un certain jour, en réunion publique, l'un d'entre eux apporte la conviction qu'il s'est formée après avoir lu et relu l'ouvrage signalé à l'attention des curieux. Il dit : Vous voulez nous cacher votre essence surnaturelle, c'est-à-dire qui vous êtes, mais vos enfants vous ont reconnu, et vous le crient bien haut : Vous êtes le Christ, vous êtes le Conducteur du Monde, vous êtes le Messie du XXe siècle ». (Page 27, brochure bleue, discours de la Toussaint).
        Lors de l'audition des témoins, le Tribunal a connu aussi pareilles émotions !
        La loi Morale est un précieux atout en mains du malade qui cherche la guérison. Le maître a tout, l'as, un brelan d'as même, se trouve dans le jeu du guérisseur, c'est-à-dire dans le travail personnel du Père, que nous analyserons ci-après :
        Les lacunes de la pharmacopée, l'efficacité inopérante de maints médicaments ont de tout temps inquiété et les malades et les médecins. Molière ne manqua pas de noter le fait et de commenter à sa façon en imaginant les pilules de « matrimonium » que Sganarelle, « médecin malgré lui » administrait avec succès dans certain cas d'affection... cordiale compliquée d'aphonie simulée. Un siècle plus tard. Mesmer, médecin authentique, s'inspirant de Molière et reprenant la « théorie des fluides » émise par Paracelse au début du XVIe siècle, inventa un baquet magique dans lequel se trouvaient concentrés les fluides guérisseurs captés par des procédés occultes, ou tout au moins procédés tenus soigneusement secrets. Depuis ce temps, la théorie des fluides, le magnétisme, l'hypnotisme, la suggestion ont fait du chemin. Pendant que les facultés de Paris et de Nancy s'occupaient de ces questions au point de vue scientifique, l'Amérique les étudiait plus pratiquement du point de vue commercial. C'est l'Amérique qui lança les institutions connues sous les noms de « Christian » et « Mental Scientists », « Magnetic » et « Thelepatic Healers », dont Antoinisme et Dorisme sont des décalques, des adaptations nationales, des contrefaçons belges.
        Toutefois, le Dorisme se défend d'une telle filiation, et le Père nous dit : « Sachez que je suis le guérisseur, et non pas un médecin, ni un thaumaturge, ni un magnétiseur ». Il ajoute : « Suggestion, mot des hommes sceptiques, c'est-à-dire doutant du vrai comme du faux ». Lui, le Père, travaille non avec le « mot », mais avec la « chose », essence même du mot, la chose... « le fluide Amour aux effluves bienfaisantes et régénératrices ». Soyons conciliant, acceptons l'hypothèse du fluide, cause essentielle, mais ne rejetons pas la suggestion, cause officiente sans laquelle le fluide le plus radiant reste en stagnation. Fluide et suggestion, le contenu et le contenant se complètent donc l'un et l'autre, mais chose curieuse, si le fluide ne peut agir sans qu'il y ait suggestion, la suggestion opère parfaitement sans le concours du fluide qu'elle est censée recéler.
        Les suggestions doristes agissent selon le degré de suggestibilité des malades ou patiente. Tel sujet sera déjà vivement frappé à la seule que du monument « Ecole Morale » ; tel autre sera ébranlé jusque dans ses fondements par la gravité de ce lieu ; un troisième se sentira frôlé par le fluide au simple contact de la médaille-numéro de réception qui lui sera remise à l'entrée du temple ; tous éprouveront des picotements à la plante des pieds en franchissant le seuil du cabinet de consultations, la plupart se sentiront comme anesthésiés à l'apparition spectrale du Père ; beaucoup se verront dans l'impossibilité d'articuler une syllabe : c'est le fluide paralysant qui agit. En cet état semi-cataleptique, bien que parfaitement éveillé, le malade oublie son affection, il ne sent plus rien, ses douleurs ont disparu, est guéri instantanément et comme par « enchantement ». Le Père, lui, n'a rien dit encore, le voici qui parle : « Allez, tout ira bien, pensez à moi », ces paroles ponctuées d'un geste bénisseur. C'est là le traitement applicable aux cas bénins : mal de dent, torticolis, « resticlage ». Les affections réellement sérieuses, les maladies graves, nécessitent un traitement de longue haleine, comportant l'emploi de suggestions verbales savamment appropriées. Le Père alors questionne, s'enquiert des antécédents moraux, du régime alimentaire, des habitudes sociales. La petite enquête terminée, il découvre sans plus tarder la cause du malaise : imperfection de l'âme, cause d'ordre moral invariablement doublée d'un autre d'ordre physique.
        De temps en temps, en présence de cas épineux, le Père, prudent, se déclare incompétent et envoie le malade à un médecin : Commencement de la fin du Dorisme. Emoi des adeptes, série de questions s'enchainant dans un ordre logique. Le Père, malin comme pas un, répond : « J'envoie au médecin pour des raisons que je ne puis dire parce qu'il est en cette vie des choses qu'on ne peut divulguer... » En termes moins fluidiques : Ceci ne vous regarde pas. Et le secret professionnel donc !
        Que prend le Dorisme ? « La restauration » de l'âme par la culture exclusive et intensifiée d'une unique faculté, l'amplification à outrance du sens moral, ce qui engendrerait une monstruosité psychique sans nom.
        Figurons-nous un corps humain sans bras ni jambes, et nous obtiendrons le pendant matériel de l'âme « dépouillée de ses imperfections » ; jolie perspective de l'amélioration de notre personnalité.
        Quel est donc le véritable auteur du méfait imputé au Dorisme ? « Cherchons » et nous découvrirons « la cause » dans le Dorisme n'est qu'un « effet », cause à laquelle son caractère d'abstraction évite le désagrément d'une comparution à la barre : l'ignorance des masses, mère de la crédulité de foules.
        « Etudions » ! et quand l'Ignorance aura cédé le pas au Savoir, les Aliborinismes présents et à venir auront vécu.
        Et enfin « observons » ! Observons l'évolution du Dorisme, sa naissance, son développement, son désagrégement, et nous devrons convenir que le système incriminé n'est qu'un infime incident de la vie universelle. Observons et nous n'aurons pas besoin d'être devin ou prophète pour nous apercevoir que l'incident va se clore de lui-même et que le spectacle touche à sa fin. Le denier acte commence : Le Dorisme déménage, on vend le temple que nul ne s'empresse d'acquérir ; le Père cherche dans une retraite « aux environs d'une forêt et d'une vaste campagne » un milieu favorable au rétablissement de sa santé physique qu'il sent « s'affaiblir d'une façon rapide ». Sans préjuger de l'épilogue qui va se dérouler après le délibéré que prononcera vraisemblablement M. le Président du Tribunal Correctionnel de Charleroi et qui clôturera les « opérations multiples » du Père, nous pouvons cependant affirmer sans trop craindre de nous tromper, que d'autres illuminés, succédant à Antoine et à Dor, réapparaîtrons sur la scène, afin d'exploiter comme leurs devanciers la crédulité des foules.
        Un grand penseur n'a-t-il pas dit :  « la bêtise humaine est incommensurable ! Stulto rum numerus est infinitus !

                                                                     R. M.

    Le Messager de Bruxelles, 28 novembre 1916
    Source : warpress.cegesoma.be


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