• Le Guérisseur psychosique (Le Grand écho du Nord de la France, 20 novembre 1931)

    Le Guérisseur psychosique (Le Grand écho du Nord de la France, 20 novembre 1931)Mystiques charlatans et malades

    LE GUÉRISSEUR PSYCHOSIQUE

        Avec celui-ci, j'ai voulu varier, et je me suis présenté chez lui sous ma véritable identité. Je m'étais dit qu'après tout, un tête à tête de ce genre ne devait pas manquer de charme. D'un côté, un journaliste sceptique par nature et curieux par profession. De l'autre, un « guérisseur ».
        La situation était bien nette. En fait, deux adversaires s'affrontaient. J'avais depuis quelque temps pris mes renseignements. Je savais que ce guérisseur procédait par prières, invocations et incantations. Jamais, à moins d'être fou, il ne pourrait croire que j'admettais ses pratiques. Je venais chez lui pour connaitre la vanité de son argumentation, la disséquer et la réduire à néant.
        Je m'étais figuré qu'il ne me recevrait pas. Je fus trompé, L'homme, très crâne, accepta l'entrevue.

    Chez le guérisseur

        C'est après la seconde visite que la femme du guérisseur, compatissante, se décide à me faire entrer :
        – Il est en tournée, me dit-elle, et ne tardera pas. D'ailleurs, c'est le jour de consultation aujourd'hui. A 14 h. 30, il sera là...
        J'entre. On me fait passer dans une salle d'attente pleine de bancs rangés comme à l'école enfantine, et prêts, semble-t-il, à recevoir les fidèles venus écouter la voix du Maître.
        Mais, visiteur de marque, on m'introduit directement dans la salle de consultation. Et, bien installé dans un fauteuil d'osier, j'examine à loisir cet intérieur aisé où la note moderne est apportée par un appareil de T. S. F. Mes yeux se portent vers les nombreux ornements religieux suspendus aux murs. Un cadre, notamment attire - mon attention. Il représente le Christ guérissant les malades...
        Dans la pièce du fond – la cuisine – deux femmes et un vieillard voisin discutent en un langage qui est loin d'être inspiré...
        15 heures. Empruntant une entrée particulière, le guérisseur arrive dans la cuisine. Il vient de faire une longue route à bicyclette, sous le soleil. Sa peau, déjà bise, ruisselle de sueur. Il n'a pas de col. Sa tenue est celle d'un bon ouvrier qui, pour faire une course après sa « journée », s'est « rapproprié ». Je me suis levé. Une femme lui a dit :
        – Il y a quelqu'un qui t'attend tout de suite.
        Il vient vers moi, la main tendue. Je me présente à nouveau. Il sait, et je vois à son sourire qu'il est « fin prêt » comme disent les sportifs.
        Alors, pendant que me parvient le bruit des consultants entrant dans la salle d'attente, j'ouvre le débat :
        – Voilà, dis-je. Je fais une enquête sur les guérisseurs. J'ai déjà vu quelques-uns de vos confrères. Ils m'ont chacun indiqué leur façon de guérir, certains volontairement, d'autres parce que je me suis présenté chez eux comme malade...
        Mon interlocuteur me fixe. Et ses yeux, qu'il a petits, semblent vouloir pénétrer, en vrille, dans les miens. Je sens qu'il appelle tout son art pour prendre le sérieux de la fonction et m'impressionner. Mais ses yeux ne me font pas peur. Et je plante les miens dedans, au risque de me retrouver tout à l'heure hypnotisé...
                                                                    Amand MAHIEU.
                      (La suite en deuxième page)

     

    LE GUÉRISSEUR PSYCHOSIQUE

    (Suite de la première page)

    Je continue :
        – J'ai voulu savoir comment vous vous y preniez. J'ai lu sur le mur de votre maison une inscription : Institut psychosique. Qu'est-ce qu'un guérisseur psychosique ?

    La vocation

        – Le guérisseur psychosique, me répond-il, est un disciple de Paul Pillaut, de Sin-le-Noble, lequel avait, avant-guerre, fondé douze instituts comme celui-ci...
        – Et il en reste ?
        – Un seul, le mien ! Chaque institut comportait deux guérisseurs…
        – Vous avez donc un collègue ici ?
        – Non, je suis seul...
        – Comment vous vint la vocation ?
        – Voilà. En 1910, je souffrais d'une terrible maladie d'estomac. Les médecins n'avaient pu me guérir. J'entendis parler de Paul Pillaut, qui est aujourd'hui « désincarné » (il ne dit pas : mort). J'allai le trouver et il me purifia l'âme. Je restai en communion avec lui tous les matins par la prière. Et je fus guéri.
        » Un peu plus tard, je me trouvais chez une de mes tantes dont le fils souffrait d'un abcès froid dans le cou. Précisément, la maman s'apprêtait à mettre des cataplasmes sur la partie malade. J'eus une inspiration.
        » – Arrêtez, dis-je. Et, sans me soucier de l'ébahissement des personnes présentes, j'imposai les mains sur le cou. Le lendemain, il avait complètement disparu.
        – Ah ! dis-je, vous « imposez » les mains ?
        – Oui, comme le Christ.
        – Pas moins ? Vous ne guérissez qu'à cette condition ?
        – Non. Je puis guérir à distance, sans même connaître le malade.
        Il ouvre alors un tiroir et me montre, comme le « gros malin » tout un lot de lettres bien classées...
        – Voici des témoignages de guérison de personnes habitant le Centre et le Midi de la France, et que je n'ai jamais vues. Vous voyez que l'imposition des mains n'est pas nécessaire. D'ailleurs, au cours d'un Congrès récent de guérisseurs, plusieurs de mes collègues proposaient de la supprimer, pour éviter qu'on nous confondît avec certains escrocs... J'ai refusé en indiquant que nous devions être assez forts pour braver la critique...
        Très curieux, ce Congrès de guérisseurs qui présente des vœux, vote des motions et réglemente de façon très humaine ce don de guérir qui leur viendrait de Dieu...  

    A distanc

        – Comment faites-vous pour guérir vos malades à distance ?
        – Je leur fais parvenir ceci, m'indique-t-il en me remettant un prospectus imprimé sur lequel il est indiqué au malade de demander, tous les soirs, entre 8 et 9 heures, à Dieu – le père, est-il spécifié, – sa guérison sur le nom de Paul Pillaut, désincarné.
        Tous ces malades, priant à la même heure, attirent sur eux l'attention du Créateur, par la « loi des infinités » !
        Voilà le premier grand mot lâché. Ce ne sera pas le dernier : Pris par son sujet, mon guérisseur s'emballe. Il me sort des lieux communs, hérissés de liaisons défectueuses et d'aspirations déplacées. J'ai la nette conviction de me trouver en face d'un homme sans grande culture, sur qui les grands mots ont produit une forte impression, qui les a retenus et les sert à tout propos. Je comprends combien il peut éblouir certains esprits assez simples. Puis, la question délicate :
        – Et, touchez-vous quelque chose pour vos soins ?
        – Oui, je reçois l'argent des riches. Là-dessus, je donne à ma femme de quoi entretenir très simplement son ménage, la même somme que je gagnerais si j'étais encore mineur, et le reste je le remets aux pauvres.
        Encore une fois, il prend dans un autre tiroir tout un monceau de lettres de remerciements, assure-t-il. Je n'ai pas le mauvais goût de demander à les voir.
        Et je m'en vais après que le guérisseur m'eut assuré que ce n'était pas du « beuffle » ! (sans doute voulait-il dire du « bluff » ?)
                                                                    A. M.

    Le Grand écho du Nord de la France, 20 novembre 1931


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