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Le père Dor contre ''La Région'' (Journal de Charleroi, 6 février 1920)(Belgicapress)
Procès de Presse
LE PERE DOR CONTRE « LA REGION »Aujourd'hui est revenu devant la chambre correctionnelle le procès intenté par Pierre Dor, dit père Dor, à Camille Pestiaux, ex-éditeur du journal « La Région » pour la non-insertion d'un droit de réponse à un article du 18 mai 1917, intitulé « La Justice » et signé M. R.
Me Lebeau plaide pour Pierre Dor. Il évoque, pour commencer, l'œuvre du journal « La Région », son attitude dissolvante pendant l'occupation et en profite pour rendre hommage aux journalistes professionnels qui n'hésitèrent pas à déposer la plume plutôt que de la mettre au service de l'ennemi. Cette feuille de chou, dit Me Lebeau, ne vivait que de scandales qu'elle provoquait pour se faire lire. Cet article a ridiculisé père Dor pour qui son défenseur ne trouve que des éloges. C'est un ouvrier qui, par son intelligence, s'est élevé. Sa philosophie est tirée de celle d'Antoine le Guérisseur, son oncle, et il fit beaucoup de bien pendant la guerre. Cet homme procure, à l'aide du fluide, un grand soulagement moral. Il en profite pour acquérir sur l'esprit de ses adeptes une grande et salutaire influence. Père Dor pourrait influencer moralement bien des malades et Me Lebeau, en citant des faits remarquables posés par son client, met l'honnêteté de celui-ci en parallèle avec l'action infamante de « La Région ». Il rappelle entre autres la manifestation de sympathie dont fut l'objet le père Dor lors d'un procès retentissant lui intenté pendant l'occupation.
Il donne lecture de l'article incriminé où l'on cite le père Dor comme un escroc ; il détaille également l'arrêt de la Cour d'appel qui a innocenté son client. Ensuite, il lit le droit de réponse qui cite un article de la « Gazette », signé Alceste et qui l'a vivement frappé. Un second droit de réponse contenant l'arrêt de la Cour d'appel ne fut pas inséré non plus.
Me Lebeau conclut à la légitimité de sa cause et réclame une somme de 3,000 francs comme dommages-intérêts avec contrainte par corps et comme « La Région » ne parait plus, il renonce au droit d'insertion.
Me LEFEVRE, défenseur de Pestiaux, trouve que Me Lebeau a embrouillé la situation en faisant le procès de « La Région ». Il ne s'agit que d'une querelle entre le père Dor et ce journal. L'article incriminé est du 18 mai 1917, le droit de réponse du 29 mai et l'assignation à comparaître date du 6 décembre !
L'affaire fut remise à janvier 1918. M. Dor refuse de plaider. L'affaire fut remise encore par suite de la suppression des tribunaux. Vint l'armistice et nous voilà au 25 novembre 1919. L'honneur du père Dor attend bien longtemps sa réparation !
Ce droit de réponse a donc perdu toute son importance.
Il y a des journaux censurés qui ont été condamnés, d'autres qui ne le sont pas. C'est donc que le seul fait d'avoir paru sous la censure n'est pas condamnable. D'ailleurs, père Dor a écrit aussi pendant la guerre. Lui-même a été censuré. Il est bien mal choisi pour attaquer un journal censuré. Dor, a-t-on dit, est un parfait honnête homme ; quoiqu'illettré, il écrit correctement le français... Comme M. Jourdain, il fait de la prose. Dor est tout simplement un charlatan, Il cite un fait : un homme atteint de hernie va consulter le père Dor ; celui-ci lui révèle que les maux physiques n'existent pas, que son client a péché, qu'il n'a qu'à se purifier. Il faut rentrer chez vous dit-il, et enlever votre bandage. Son adepte, à peine sorti, suit son conseil, ce qui provoque immédiatement une hernie étranglée. Dor est un escroc, Me Lefèvre tend à le prouver par la lettre que Dor a envoyée à « La Région » avec l'arrêt de la Cour d'appel. Me Lefèvre dit que cet arrêt parle de faits consommés. Si Dor a été acquitté, c'est que les faits étaient couverts par la prescription. Dor est un escroc, couvert par la prescription.
Il a été acquitté parce que le tribunal n'est pas sûr que Dor n'était pas de bonne foi. L'arrêt dit : « Vous êtes un illettré, fervent des méthodes spirites et à tout prendre on peut dire que vous êtes de bonne foi et êtes votre propre dupe ».
Au point de vue du Droit, le défenseur constate que le droit de réponse ne correspond pas à l'article incriminé. Dans ce droit de réponse, Dor fait non seulement sa propre glorification, mais la glorification relative de la justice, qui, dans certains cas, arrive à appliquer le droit au fait.
Ce droit de réponse cite en outre 5 ou 6 personnes étrangères au débat, Me Lebeau en tête, auquel Me Lefèvre dit : « Vous êtes en butte aux effusions du père Dor, ainsi que Me Morichar de Bruxelles et lorsque père Dor m'envoie un droit de réponse avec votre éloge dithyrambique, je ne puis insérer. Le droit de réponse qui reproduit l'article d'Alceste est rempli de fautes d'orthographe. Si nous l'avions inséré tel quel nous nous attirions d'Alceste un nouveau droit de réponse.
Ensuite, pendant la guerre, le droit de réponse devait passer par la censure et ce n'était pas à nous à nous faire les domestiques de Dor pour soumettre sa lettre à la censure des occupants.
La loi ne prévoit pas des dommages-intérêts. La non-insertion n'a pas causé préjudice au père Dor.
Me Lefèvre termine en déposant des conclusions tendant à l'acquittement de Pestiaux.
Dans une brève riposte, Me Lebeau soutient que Me Lefèvre est sorti de son droit en traitant son client d'escroc. Il insiste sur ce que l'arrêt de la Cour d'appel a acquitté père Dor et affirme que celui-ci est le frère du Christ.
Le droit de réponse qui cite des tiers n'est pas injurieux, mais bien élogieux pour ceux. ci. Il y a donc lieu dans ce cas de conclure à son insertion.
L'affaire est remise au 4 mars pour entendre l'avis du Procureur du Roi.Journal de Charleroi, 6 février 1920 (source : Belgicapress)
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