• Les Weissenbergiens (Michelis di Rienzi, 1939)

     

    Les Weissenbergiens

     

        « Et quel temps fut jamais plus fertile en miracles ? » fait dire Jean Racine, à Nathan, dans son Athalie.

        N’est-ce pas le cas de remplacer, dans ce vers fameux, le mot « miracles » par celui de « prophètes », car il s’agit encore d’un extraordinaire personnage qui a donné le nom à une secte comptant plus de cent mille adeptes, secte primitivement appelée Association catholique des sérieux chercheurs de l’Au-delà et des véritables adeptes de l’Eglise chrétienne.
        Le titre est un peu long, quoique synthétique, et il a fallu la maîtrise, nettement affirmée de Weissenberg, pour qualifier de son nom la nouvelle religion.
        Né à Fegebentel (Silésie), le 24 août 1855, d’une famille de bergers, berger lui-même, Joseph Weissenberg déserta tôt la campagne pour exercer toutes sortes de métiers : on le vit successivement maçon, cocher, marchand ambulant, puis aubergiste...
        Déjà, à l’âge de onze ans, il eut une première vision du Christ. Ce ne fut cependant que bien plus tard, vers sa quarantième année, qu’une nouvelle apparition du « Seigneur » lui fit prendre le chemin de Berlin où l’avait précédé sa réputation de magnétiseur-guérisseur.
        Il s’installa dans un des quartiers les plus modestes de la capitale allemande et les malades qui accoururent furent tellement nombreux que l’on dut, disent les gazettes, établir un service d’ordre devant sa demeure : il guérissait des centaines de patients par jour !
        Les autorités avaient d’abord voulu s’opposer à cette « concurrence déloyale » au corps médical. Il fallut y renoncer, car Weissenberg n’ordonnait aucun médicament, se bornant à prescrire, comme boisson, le thé dans lequel se trouvent, disait-il, tous les éléments nécessaires à la vie : vitamines et hormones.
        Sa force de suggestion augmentait de jour en jour, au point qu’il put opérer, non plus sur chaque individu séparément, mais d’un seul coup, sur des groupes entiers !
        Avant la douloureuse guerre de 1914-1918, Weissenberg s’était rallié, lui, né catholique, à l’Eglise Evangélique. Il faut croire que celle-ci ne satisfaisait pas ses aspirations, car il s’en sépara, et non sans éclat, en 1926.
        Revenons un peu en arrière. Marié, il avait divorcé, en 1908, parce que sa femme lui aurait été révélée comme étant la matérialisation du serpent qui tenta Eve !
        Il serait, certes, curieux de savoir comment les tribunaux ont apprécié cet argument ! Depuis, il n’est plus qu’entouré de « médiums » le secondant dans sa « mission ».
        Parmi ces « médiums », on signala une certaine Gretchen Muller, d’une grande beauté et qui guérissait les croyants par attouchements et impositions des mains.
        D’après Weissenberg, c’est en elle que s’est incarné l’Esprit de la Vierge, et c’est d’elle que devaient naître, symbolisés par des branches d’olivier, les deux anges annoncés par Zacharie (Verset 4) et par saint Jean l’Evangéliste.
        Et ce qui devait arriver arriva : « Soeur Gretchen Muller » mit au monde, le 7 février 1911 et le 14 février 1912, les deux enfants prévus par Weissenberg...
        Est-il besoin de dire que les adeptes ont la plus grande vénération pour cette Gretchen à laquelle ils attribuent presque autant de pouvoir qu’au « Maître divin ? »
        Maître divin ! C’est ainsi qu’ils appellent Weissenberg, non seulement à cause de ses cures merveilleuses dont ils ont été les témoins ou les bénéficiaires et qui ne peuvent provenir, d’après eux, que d’un pouvoir divin, mais encore parce que, sur la paume de sa main droite, dans le voisinage du médius, figure le signe mystérieux prédit par Isaïe (v. 16 et 49 : Vois dans ta main, je l’ai marquée (deux lignes croisées).
        Il n’est pas jusqu’à son nom, décomposé (Weiss Berg) qui ne le désigne comme la Montagne blanche dont parle le prophète Michée.
        Pour ses disciples, Weissenberg est à la fois Moïse, Elie et Jean : Moïse, homme de la prière ; Elie, homme de l’action ; Jean, porteur de l’amour. Et c’est lui qui doit mener l’humanité à la lumière !
    Aussi, se croit-il plus haut que le Pape, ce dernier n’étant que le représentant de Dieu sur la Terre, alors que lui, Weissenberg, est, en personne, le Paraclet, c’est-à-dire l’Esprit-Saint :
        « Il possède tous les dons... Il vit sur la terre comme une parcelle de Dieu, dans un état d’extase et en commerce avec tous les êtres spirituels qu’il voit en dedans et en dehors de la matière avec le droit et le devoir de les scruter... »
        Est-ce à cause de son caractère divin, qu’il revêt, par profonde humilité, un aspect extérieur que d’aucuns disent repoussant (abstossend) ?
        Pour convaincre les incrédules, Weissenberg n’opère plus lui-même, mais par des « médiums » de diverses qualités, choisis par lui, « médiums à incarnation », et c’est par leur bouche que Luther, Bismarck, Windhorst, entre autres, viennent faire d’extraordinaires révélations.
        Rappelons-en quelques-unes, dont nous pouvons sourire aujourd’hui, mais qui troublèrent alors profondément les auditeurs : «L’Angleterre devait disparaître de la surface de la terre le 25 mai 1929, à 11 heures du soir; l’Italie, également, parce qu’elle avait trahi l’Allemagne...; la guerre libératrice de cette dernière nation éclaterait en automne 1929...
        Ces communications, datant de la période qui a immédiatement suivi la Grande Guerre, n’ont plus qu’un intérêt rétrospectif, mais ne témoignent-elles pas, si on y ajoutait foi, que, dans l’au-delà, les passions patriotiques seraient loin d’être éteintes ?
        Weissenberg n’a cessé de proclamer que, depuis deux mille ans, les prêtres ont retenu « en prison » la pensée de Dieu qui est tout amour et qu’il fallait dorénavant unifier toutes les doctrines en la sienne : Jésus, le Charpentier, a commencé l’édifice ; lui, Weissenberg, comme maçon, le terminera », a-t-il écrit.
        En vue de cette union des églises, le « Maître divin » a envoyé un message aux Empereurs, aux Rois, aux Gouvernants et au Pape lui-même, pour leur annoncer sa mission, affirmée par des miracles et des exorcismes, comme le fut celle de Jésus, le grand Thérapeuthe.
        Qui croirait, après ce que nous venons de raconter, que Weissenberg se déclare contre les pratiques du spiritisme et qu’il condamne les évocations en commun ?
        C’est que les « désincarnés » ne doivent se manifester que sur sa permission, et par l’intermédiaire des « médiums » qu’il a choisis : « Il siège à cet effet, tous les mercredis dans le monde des esprits et c’est lui qui leur assigne leur tâche ».
        Quand il veut instituer un « médium », il lui pose la Bible sur le front pour le mettre « en transe » et annonce que l’esprit va parler.
        L’église Weissenbergienne est constituée comme la plupart des sectes protestantes. Elle a un consistoire, des officiants et des prédicants.
        C’est Weissenberg lui-même qui ordonne les prêtres d’après un rituel qu’il a institué. Ceux-ci portent un costume sacerdotal assez semblable à la robe des pasteurs évangéliques, mais avec un insigne spécial.
        Au moment de l’ordination, le « Maître divin » leur transmet sa force psychique en leur rappelant qu’elle leur sera retirée s’ils viennent à démériter.
        Le culte est réduit à sa plus simple expression : prières, exhortations. Le Pater Noster est récité à haute voix par tous les assistants dans chaque cérémonie. Il en est un spécial pour les Morts. A notre connaissance, il n’existe de Weissenbergiens qu’en Allemagne. Chaque année, un grand nombre d’entre eux se réunissent à Trebbin, près de Berlin, où Weissenberg a fondé une vaste colonie, en 1920, et où fut inauguré, le 21 juillet 1929, un immense temple pouvant contenir 8.000 personnes. Il a fallu, pour cette journée, organiser 10 trains spéciaux !
        Si l’on en croit les savants qui ont étudié son « cas » au point de vue psychique et physiologique, Weissenberg est doué d’une force de suggestion extraordinaire. Ses cures ne sont pas contestées, tandis que certaines de ses pratiques hypnotiques sur des femmes et des jeunes filles lui valurent de sévères condamnations qu’il accueillit avec une parfaite sérénité...
        On dit qu’à l’instar de Jésus, il aurait ressuscité des morts ?
        Si son pouvoir magnétique est à peu près indiscutable, par contre, sa morale tend à la destruction et, assurent ses ennemis, à la dissolution des meurs. On lui prête, en effet, des enseignements sur la vie sexuelle qui ne sont pas précisément en harmonie avec les idées reçues...
        A l’heure actuelle, la secte dispose d’importantes publications : die Wahrheit (la Vérité), Organ (l’Organe), Johanne’s Botschaft (le Message de Jean), der Weisse Berg (la Montagne Blanche), etc. C’est dire qu’elle n’est point négligeable.
        Weissenberg est-il un nouveau Jean de Leyde ou un nouveau Luther ? Nous pencherions plutôt pour une ressemblance avec le moine de Wartbourg, car n’est-ce pas ce dernier qui a déclaré que « la raison est la prostituée du Diable ? »

    Michelis di Rienzi, Les Religions ignorées, 1939

     


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