• Maxence van der Meersch - Une idole de notre époque

        Les nécessités de la production, cette idole de notre époque, lui imposeront la vie dans les villes, une oxygénation pulmonaire effroyablement insuffisante, des horaires de travail absurdes (travail de nuit, travail par brigades de huit heures qui laissent des loisirs trop long parce qu'on a tendance à en abuser). Horaires bousculés à tout bout de champ, soit pour assurer la relève d'une équipe, soit pour satisfaire aux complications de la production d'énergie électrique. [...] Il vivra dans un décor de faubourg, dans le fracas d'une grande cité, sans autres distractions possibles que le cinéma, la T.S.F. et le café. Une publicité démesurée lui implantera dans le crâne les vertus de la « Gitane » ou de la « Celtic », du rhum Négrita, de la margarine, des fortifiants pharmaceutiques, des conserves, des charcuteries, des confiseries, de la Coca-cola ou de l'Aspro. Il sera pour toute sa vie le prisonnier de la ville, paralysé par le manque d'argent, de connaissances, d'expérience, par les enfants à élever, par peur d'un risque énorme à courir s'il lâche son gagne-pain sans l'absolue certitude de pouvoir s'adapter à une existence nouvelle. La majeure partie des ouvriers n'a jamais plus, de vant elle, que la valeur du gain d'une semaine. Allez, dans ces conditions, dire à un homme de retrourner à la terre ! Allez simplement lui dire d'ajouter des fruits, des entremets, du fromage, des salades, du beurre frais, à ses menus ! La malheureuse qui court de l'usine à sa maison pour fricasser hâtivement sur un réchaud le repas de ses gosses, ne serait-ce pas insulter à sa misère que d'exiger d'elle le long et minutieux épluchage et la lente cuisson des légumes, des fruits ? Le peuple est l'esclave de la production. Peut-être jouira-t-il plus tard, dans quelques générations, du résultat de l'esclavage présent. Je ne sais. L'habitude d'inverser les termes et de faire de l'homme le serviteur de la machine semble désormais terriblement ancrée dans les esprits, et n'y éveille même plus la moindre révolte. En attendant, en tout cas, entre le sacrifice de la production et le sacrifice du producteur, le choix est invariable et immédiat.

    Maxence van der Meersch, Pourquoi j'ai écrit « Corps et Âmes », p.257-58
    (Histoire et théories du Dr Paul Carton) - Albin Michel, Paris, 1956


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