• On arrête un guérisseur inoffensif (Le Petit bleu de Paris, 8 avril 1927)

    On arrête un guérisseur inoffensif (Le Petit bleu de Paris, 8 avril 1927)TROP DE ZELE

    ON ARRÊTE
    un guérisseur inoffensif

        Mais mieux vaudrait coffrer les assassins, les cambrioleurs et les empoisonneurs publics.

        Il est entendu qu'il faut défendre la santé publique contre les marchands d'orviétan qui vendent, sous forme de poudres, de cachets ou de flacons, sans diplômes et contre espèces sonnantes, des drogues sans valeur, quand elles ne sont pas nocives pour ceux qui les emploient.
        Mais pourquoi, diable, arrêter ce paysan des environs de Metz qui, d'aubergiste, était devenu antoiniste zélé, puis guérisseur des maladies du corps humain par la foi et l'amour de Dieu ? Le père Wagner, comme on l'appelait, en plus de ses fonctions d'hôtelier villageois, avait rang d'évêque du culte antoiniste. A ce titre, il faisait des miracles, c'est-à-dire qu'il faisait du bien à une foule de malheureux malades par l'application de sa doctrine purement mystique.
        La foi soulève les montagnes, c'est un lieu commun. Pourquoi – à la condition que celui qui se sert de ce levier intérieur ne soit pas un filou – lui refuser le moyen de soulager des misères physiques ? Le Codex n'est pas l'alpha et l'oméga de la thérapeutique humaine et l'on conçoit très bien que certaines catégories de souffrants trouvent un soulagement à leurs maux ailleurs que dans les formules débitées avec garantie du gouvernement. C'est dans ce domaine-là qu'on peut dire que la fin justifie les moyens, l'essentiel étant qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse.
        Il y a au surplus assez de cambrioleurs, d'assassins, de mercantis et autres malfaiteurs publics pour que les juges s'occupent de choses utiles et ne se rendent pas ridicules en arrêtant des gens qui veulent guérir les corps, comme les âmes, en prescrivant la foi et l'amour de Dieu.
        Justement, dans cette région lorraine, il y a des bouchers empoisonneurs et des dissimulateurs de bénéfices de guerre. Les parquets locaux ne croient-ils pas que mieux vaudrait s'occuper de ces gens-là que d'un thaumaturge villageois et mystique qui, en fait de médicaments, recommandait aux malades de chercher la guérison aux sources de la vie surnaturelle ? Un tel apôtre n'est pourtant guère dangereux ni pour l'ordre public, ni pour la santé de ses concitoyens, à la différence des marchands de viande avariée et de vaches tuberculeuses. Aussi peut-on penser que ce n'est pas M. Barthou qui a donné des instructions de ce genre-là.

    Le Petit bleu de Paris, 8 avril 1927


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