• Point de culte, mais de l'amour (Le Fraterniste, 15 décembre 1910)

    Point de culte, mais de l'amour (Le Fraterniste, 15 décembre 1910)

    Point de culte, mais de l'amour

        Pourquoi établir de nouveaux cultes ? Quelle peut bien être leur utilité ? J'ai beau chercher, je ne vois pas. Je trouve au contraire que toute nouvelle organisation de ce genre ne peut que nuire et mettre des entraves à la pensée libre.
        En Amérique vient de mourir Mrs Eddy, la fondatrice et le chef de la « Christian-Science », culte qui a 600 églises et 30.000 adhérents dans la seule ville de Boston. Que va devenir cette organisation qui reposait sur cette conception que beaucoup de pratiquants s'étaient faite : Mrs Eddy guérit les malades, elle ne peut mourir ? Maintenant que la voilà décédée, des scissions ne vont-elles pas se produire ? C'est très probable. Tant qu'elle a vécu, par respect pour elle et à cause des guérisons qu'elle a produites, toutes ces églises sont demeurées conjointes, en sera-t-il de même demain ?
        La Belgique, avec M. Antoine, médium guérisseur de Jemmeppes-sur-Meuse, va avoir, elle aussi, un nouveau culte : « l'Antoinisme ». 160.000 belges, tous majeurs ont donné leurs signatures et envoyé une pétition à la Chambre des représentants en en réclamant la reconnaissance.
        A quoi pourra bien servir cette nouvelle religion si ce n'est à semer, dans l'avenir, de nouvelles et inutiles divisions ?
        En effet, que M. Antoine vienne à décéder, cette nouvelle Eglise devra changer de direction. Tous ceux qui entourent M. Antoine et écoutent ses conseils seront bientôt amenés à les interpréter de différentes façons, et là commencera pour « l'Antoinisme » ce qui est arrivé à toutes les religions qui l'ont précédée.
        Au lendemain du départ de Christ naquit la dégénérescence. Qu'on le veuille ou non, cela sera, il ne peut en être autrement, parce que chacun a sa manière de juger les choses, et comme tout humain a la certitude d'être dans le vrai, il s'en suivra des heurts inévitables. L'un dira : le maître disait ceci, l'autre répondra : le maître faisait cela, en sorte que chacun voulant avoir raison et ne pouvant se mettre d'accord tant au point de vue théorique que pratique, forcément il arrivera des complications. Et si plus tard quelque question d'ambition vient à surgir, oh ! alors...
        J'ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs fois M. Antoine à son domicile et de causer longuement avec lui ; il est de ceux qui peuvent dire : gardez-moi de mes amis. Ceux-ci ne Iui parlent qu'avec le plus grand respect, quand ils l'approchent ils prononcent le mot : Maître, en somme, ils l'ont juché sur un piédestal inaccessible à l'humain, ils en font un Dieu. Ils le veulent adorer, c'est le Christ des antoinistes. Ah ! pauvre et cher Antoine, est-ce bien cela que tu as envisagé ? Non, je ne le puis croire, puisque tu sais que Christ comme toi fut un humain, et que la Divinité ne peut être qu'Une.
        Mais M. Antoine est presqu'un illettré, il fait, dans sa Chapelle, des conférences qui sont très suivies, il parle en inspiré sous l'influence constante des bons esprits, qui l'assistent, un sténographe le suit, et pour la rédaction de ses écrits il lui faut l'aide de personnes instruites. Son mérite est des plus grands, il a guéri un nombre incalculable de malades, estropiés, aveugles, etc..., etc... il ne voit que le soulagement et le bien que l'on peut produire à ses semblables, rien d'étonnant qu'il ait su grouper autour de lui un nombre aussi considérable d'admirateurs et une si grande reconnaissance.
        Ce que je ne vois pas bien, c'est la déification de M. Antoine. Réfléchissons : M. Antoine n'a pas besoin de cela, je suis convaincu que jamais il n'a dû y songer, pourquoi alors ?... Je crains... je crains... qu'ici sombrent et le désintéressement et l'abnégation de soi-même, l'apanage de M. Antoine. Oh ! je m'empresse de dire que ce n'est pas pour lui que je crains...
        Et puis, pourquoi ne dirais-je pas ma pensée : Un nouveau culte ne me dit rien qui vaille.
        Qui dit culte dit arrêt dans la voie du progrès. Or, j'ai horreur de la stagnation et plus je vieillis, et plus je comprends le bonheur dans l'action, qu'elle soit matérielle ou spirituelle, et mieux j'estime que les deux sont indispensables à l'humain.
        L'usage que l'on fait de la pensée est toujours de l'action, donc la prière pour autrui est action, celui qui suit cette recommandation de Christ : lorsque tu veux prier, retire-toi dans un coin à l'écart et élève ta pensée vers Dieu, se livre à l'action, celle-ci peut être de tous les instants et je dis : Où que tu te trouves, dans quelque endroit ou costume que tu soies, la tête couverte ou non, si ta pensée est bonne ou mauvaise elle ira toujours vers le but où tu la destines, puisqu'elle est action, si elle va vers Dieu elle ira vers la Grande Bonté du Grand-Tout ; si elle vient vers moi, elle servira à assister les malades dans leur guérison ; si elle va vers un de tes frères, elle l'assistera dans ses vicissitudes. Si ta pensée est mauvaise, elle sera recueillie par les méchants, qui ne sont autres que les tardigrades de la dé-chaotisation qui te seconderont dans le mal que tu voudras à autrui. Ils t'aideront, inconscients qu'ils sont encore de ces deux notions : bien et mal. S'il t'en vient de mauvaises, chasse-les aussitôt. La vraie, la bonne prière, doit être l'élan du cœur. Ah ! que je voudrais la guérison de mes frères malades qui vont à l'Institut ! Voilà l'élan, l'action de pitié et de commisération. Dieu, je le considère comme la Grande-Force des forces bonnes universellement répandues. Devenons bons, soyons bons, aidons au bien de nos semblables, à la prospérité sociale, pour cela nous n'avons pas besoin d'intermédiaire, qu'ils soient Eddy, Antoine ou autres. Eddy et Antoine et tous les guérisseurs ne sont que des médiums, tout comme Christ en fut un – sans doute le plus puissant que la Terre ait jamais eu, – tous ne sont pas égaux en puissance, voilà tout. La médiumnité appartient à tous, nous en possédons tous plusieurs, elles sont innombrables et c'est à nous, humains de les rechercher en nous-même et chez nos frères, afin de pouvoir les mettre au service de l'humanité.
        Mais n'anticipons pas, tout viendra en son temps, un avenir prochain nous promet une ample moisson, appuyons-nous sur le travail et la raison, c'est le meilleur moyen d'arriver à la solution.
        De déduction en déduction, nous arrivons à remonter aux causes, par des études poursuivies sans relâche dans le domaine de la métaphysique de nouvelles découvertes tangibles ou invisibles, matérielles ou immatérielles nous attendent.
        Laissons de côté tout ce qui peut barrer le chemin, l'essor de la pensée, et disons : plus de dogme, plus de culte !
        Le grand culte, la grande religion, doit être : Travail au profit de tous ! Amour pour tous ! et non pas l'adoration d'un être quelconque ayant passé sur la Terre.
        Dieu, c'est Tout, et c'est Tous.
        Donc point de culte religieux, un seul culte : La Bonté, Dieu-Amour !

                                                                           Paul PILLAULT.

    Le Fraterniste, 15 décembre 1910


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