• Raymond Devos - Le pied de vigne ou l'imagination de la matière

    La métempsycose, ce la existe !
    Avant 'dêtre ce que nous sommes,
    nous avons tous été quelqu'un d'autre
    ou quelque chose d'autre,
    dans une vie antérieure.
    Il y a des témoins.
    Je peux vous en citer trois.
    Il y a d'abord mon voisin de palier, le fruitier !
    Eh bien, dans une vie antiérieure,
    il a été un figuier.
    Puis sur le même palier, la fleuriste !
    Elle a été "rosier" dans une autre existence.
    Et le troisième témoin, c'est moi !
    A la même époque, la tertiaire,
    J'étais un pied de vigne.
    Nous étions tous trois voisins d'espalier.
    Nous menions une vie végétative.
    A ma droite, le rosier !
    A ma guache, le figuier !
    Moi, entre eux, je me tenais comme ça...
    sur un pied... (Il s'y met).
    J'étais tout noueux, tout tordu,
    tout maigrichon !
    J'avais l'air d'un épouventail...
    JJe faisais peur aux oiseaux...
    Alors que le figuier, lui les atirait !
    Je me disais : Qu'a-t-il de plus que moi ce figuier,
    a part ses figues ?
    (Il n'y a là aucune arrière pensée).
    C'était un figuier... Il avait des figues...
    Je dis "des figues".
    C'eût été un chêne, j'aurais dit : "des glands".
    Qu'est-ce qu'il avait de plus que moin
    ce figuier, à part ses deux figues ?
    Il n'en avait que deux !
    J'aurais dit : "trois", on aurait dit : il esagère !
    Non ! Ce qu'il avait de plus que moi, ce figuier,
    c'était des feuilles... de belles feuilles vertes !
    C'est alors que l'idée me vint de me faire une feuille
    bien à moi, qui ne ressemblerait à aucune autre feuile.
    Aussitôt, je me suis mis à penser "feuille"...
    Ah, l'imagination de la matière !
    Combien de rêves de feuille il m'a fallu faire
    avant d'en voir une se cristalliser, se matérialiser,
    prendre forme !
    Ah, la belle feuille !
    Je la baptisais aussitôt "feuille de vigne".
    Je l'ai tout de suite placée au bon endroit, d'instinct !
    Vous me direz : "Vous n'aviez rien à cacher ?"
    Certes, Mais je n'avais rien à montrer non plus !
    Alors que le rosier arborait à chacune
    de ses boutonnières
    une rose... odorante... d'un beau rouge vif !
    C'est alors que l'idée me vint de me faire une fleur
    bien à moi, qui ne ressemblerait à aucune autre.
    Aussitôt, je me suis mis à penser "fleur".
    Ah, l'imagination de la matière !
    Combien de rêves de fleur il m'a fallu faire
    avant d'en voir ue se cristalliser, se matérialiser,
    prendre forme !
    Ah... la vilaine fleur !
    Mi-figue, mi-raison !... Bisexuée !
    De nos jours, la bisexualité chez les lfeus,
    personne n'y trouve à redire...
    Mais à l'époque, être à la fois la fleur de la femelle
    et la fleur du mâle (mal), c'était plutôt mal accueilli !
    Elle était comme ça...
    (Il reprend la même attitude que pour le pied de vigne).
    Tout nouée, toute tordue, toute mauigrichonne...
    Ah, ce n'était pas la fine fleur, mais...
    c'était ma fleur...
    - Je ne pouvais pas la renier ! -
    Je l'ai glissé sous ma feuille...
    Et c'est là que bien au chaud, à l'abri des regards,
    ma fleur à fructifié...
    Et par un beau matin ensoleillé, ma fleur s'est
    métamorphosée en un beau grain de raison...
    Un seul, oui !
    Mais...
    (Il en indique la grosseur).
    Disons...
    (Il ramène la grosseru de son raison à de plus justes proportions).
    Vermeille était sa couleur,
    ronde sa forme, juteuse sa substance !
    Ah, l'imagination de la matière !
    J'avais, à partir d'un désir cent fois caressé...
    fait naître charnellement ce superbe grain de raison.
    C'étai alors que je vis arriver pour la premier fois
    une espèce de petit bonhomme barbu,
    avec une hotte sur le dos.
    Tout d'abord, j'ai cru qye c'était le père Noël.
    Et puis nons, c'était saint Emilion...
    Il a sorti un sécateur et clac ! (dans le vif du sujet).
    On a beau être de bois...
    ... J'en ai eu le soufffle coupé...
    J'avais perdu de ma superbe.
    Savez-vous comment a fini mon beau grain de raison ?
    Piétiné... écrasé sous les pieds d'un dénommé
    Bacchus qui dansait la bourrée !
    Et c'est ainsi que je suis devenu "vin".
    Evidemment, vous allez me dire :
    "Monsieur, est-ce que tout cette histoire
    de pied de vigne dans une vie antérieure
    ne serait pas plutôt le fruit de votre imagination,
    un jour où vous étiez dans les vignes du Seigneur ?"
    Peut-être !
    Mais alors... comment expliquez-vous que dans ma famille,
    depuis des générations et des générations,
    on ne trouve que des vignerons...
    et qu'ils ont tous un petit grain quelque part,
    de la grosseru??? d'une figne ?
    D'ailleurs, si vous voyez mon arbre généalogique...
    il est comme ça...
    tout noueux,
    tout tordu,
    tout maigrichon !
    Mais au bout de chaque branche...
    il y a...
    une rose !

    Raymond Devos, Matière à rire, L'intégrale
    Olivier Orban, Paris, 1991 (p.11)


    Tags Tags :
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :