Une cérémonie antoiniste (Gazette de Charleroi, 28 juin 1924)(Belgicapress)
Qui n'a entendu parler du « Père Antoine », l'apôtre de Jemeppe-sur-Meuse ? Il a créé une religion nouvelle. Ses adeptes se comptent par milliers sur les deux hémisphères. Il s'est « désincarné », mais il continue à être un esprit au milieu de ses fidèles et la « Mère Antoine », son épouse, continue à prêcher son culte. Un neveu d'Antoine, le « Père Dor », a essayé de faire à son oncle une concurrence fructueuse en créant une secte dissidente. Il a eu un temple à Roux. Il reçoit encore, paraît-il, aux environs de Bruxelles, où il a transporté ses pénates après un procès qu'il a gagné. Car enfin, il n'est pas interdit de créer une religion, et si les croyants de la secte troublaient l'ordre public, on ne les mettrait plus en croix après leur maître : on se bornerait à les mettre à l'ombre et, le cas échéant, à les doucher.
Un confrère français parle en ces termes de l'inauguration du temple antoiniste qui a eu lieu mercredi matin, à Paris :
« On eût pu croire qu'un pèlerinage en partance pour Lourdes avait été, par quelque erreur de parcours, dirigé sur le paisible, archaïque et lointain quartier de la Glacière. Si calme d'ordinaire qu'elle semble l'antichambre du désert, la rue Vergniaud regorgeait d'une foule aussi remarquable par son importance que par le pittoresque de sa tenue. On voyait des aveugles, des paralytiques, des ataxiques. On voyait aussi des familles entières, visiblement recrues de fatigue, dont chaque membre portait de pauvres bagages. Tous ces gens, qui semblaient venir de très loin, étaient accompagnés et guidés par une centaine d'hommes en lévite, coiffés d'un curieux chapeau s'apparentant à la fois au sombrero espagnol et au cronstadt des beaux jours de l'alliance russe. Des femmes, revêtues d'un costume mi-laïc, mi-religieux, secondaient les hommes en lévite dans leur tâche.
Ainsi, au nombre de cinq mille, calmes, silencieux, émus sans doute, les Antoinistes de France, venus de toutes les provinces, allaient célébrer la fête de leur patron Antoine le Guérisseur, au temple voué au culte dont il fut l'initiateur.
...Hier, tandis que les fidèles s'empressaient à offrir leurs hommages à la mère Antoine, veuve du Guérisseur, venue spécialement de Belgique pour la circonstance, un frère antoiniste, taillé en colosse, qui canalisait de ses bras puissants le flot des assistants, s'exclamait :
« Voyez, mes frères, j'étais faible et débile. J'ai prié : je suis guéri. Gloire au père Antoine ! »
Gloire au père Antoine !... Avec quelle ferveur les fidèles firent écho à ce cri au cours de la cérémonie dans la chapelle aux murs nus.
Ce fut d'abord une prière muette, impressionnante par sa durée, troublée à deux reprises par le sanglot d'une jeune femme aux yeux clos. Puis la mère Antoine et trois officiants rappelèrent les principes moraux énoncés par le père Antoine, dont le huitième, qui est peut-être le plus curieux et le plus significatif, ordonne : « Ne vous laissez pas maîtriser par votre intelligence ».
Voilà un précepte qu'il était à peine nécessaire de rappeler aux hommes. Car ils l'appliquent d'instinct avec un respect... religieux !
Gazette de Charleroi, 28 juin 1924 (source : Belgicapress)