• Jurisprudence de la Cour d'Appel de Liège (27 mai 1949)-Temple dissident d'Angleur

    Jurisprudence de la Cour d'Appel de Liège (27 mai 1949)-Temple dissident d'Angleur

     Cour d’Appel de Liège

     6e CHAMBRE

    Président :
    M. NEVEN, Président.

    Ministère public :
    M. DELANGE, Substitut du Procureur général.

    31 mars 1949

         CULTES. LIBERTE DES CULTES ET DES
    OPINIONS. CONSTITUTION D'UN CULTE
    DISSIDENT. LICEITE MEME SI LE CULTE
    ORIGINAIRE EST RECONNU COMME ETA-
    BLISSEMENT D'UTILITE PUBLIQUE. USAGE
    PAR LE FONDATEUR DU CULTE DISSIDENT
    DE L'APPELLATION DU CULTE ORIGINAI-
    RE. RESTRICTION.

         L'article 14 de la Constitution garantissant la liberté des cultes et celle de leur exercice public empêche les tribunaux de s’immiscer dans des conflits de dissidence confessionnelle.

        L'usage qu'un citoyen fait des libertés constitutionnelles ne peut subir de restrictions du fait de la reconnaissance du culte originaire comme établissement d'utilité publique.

        Toutefois, le fondateur du culte dissident ne peut reprendre intégralement pour désigner son culte l'appellation du culte originaire. Cette défense sera respectée si l'appellation choisie fait apparaître la distinction entre le nouveau culte et l'ancien (1).

     

    Etablissement d'utilité publique
    « Culte Antoiniste » contre Hanoul

        Vu le jugement dont appel rendu le 9 janvier 1947 par le Tribunal de 1re Instance de Liège et l'appel dirigé contre ce jugement par l'établissement d'utilité publique « Culte Antoiniste » ; que la recevabilité de cet appel n'est pas contestée ;
        Attendu que, le 25 juin 1912, est décédé Antoine Louis-Joseph, connu sous le nom de « Père Antoine », que les deux parties reconnaissent comme le fondateur de la religion antoiniste, dont elles se prévalent l'une et l'autre ;
        Attendu que, usant de la faculté reconnue par la loi du 27 juin 1921, la veuve du « père Antoine » fonda, sous la dénomination de « Culte Antoiniste » l'établissement d'utilité publique, partie appelante, dont les statuts furent fixés suivant actes passés les 16 janvier et 16 juin 1922, devant le notaire Lapierre, de Jemeppe-sur-Meuse, et approuvés par arrêté royal du 3 octobre 1922 ; qu'aux termes de l'article 2 des statuts, l'établissement a pour objet la propagation de la religion antoiniste et l'administration des temples et des biens temporels qui lui sont donnés ou qui lui seront donnés ou légués dans l'avenir ; que, suivant l'article 3, le « représentant du Père » est le chef de la religion antoiniste ; il en a la direction religieuse et morale et désigne les desservants et les lecteurs des temples ;
        Attendu que l'intimé a été desservant du temple antoiniste du quai des Ardennes, à Liège ; qu'un différend ayant surgi entre lui et l'autorité dont il relevait, il fut, en 1943, démis de ses fonctions de desservant et dut quitter le temple et les locaux adjacents affectés à son habitation ; qu'il installa alors à Angleur, rue de Tilff, n° 84, un temple dont il s'institua le desservant et où il prétend enseigner et mettre en pratique ce qu'il soutient être la doctrine du « père Antoine » dans sa pureté primitive ; que la porte de ce temple porte un écriteau avec le mention « Culte Antoiniste » ;
        Attendu que, devant la Cour d'Appel, l'appelant demande acte de ce qu'il n'entend contester, en aucune manière, le libre exercice du culte répondant aux convictions de l'intimé, mais qu'il conclut qu'il lui soit fait défense d'utiliser
    la dénomination « Culte Antoiniste » et de se présenter et d'agir en qualité de desservant d'un temple antoiniste ;
        Attendu que
    la demande formulée originairement, tendant à la fermeture du temple fondé par l'intimé, n'est donc pas maintenue ;
        Attendu que les principes constitutionnels s'opposent à ce qu'il soit fait défense à l'intimé de se présenter et d'agir en qualité de desservant d'un temple antoiniste, soit que l'on considère l'antoinisme comme une religion, comme le font les deux parties, soit qu'on le considère comme un centre d'émulation morale à caractère désintéressé et un cercle de conférence d'éthique à base religieuse et spiritualiste, comme l'a fait la Cour d'Appel de Liège en son arrêt du 7 janvier 1944, soit qu'on l'envisage comme une opinion, une théorie, une doctrine, une philosophie ; que, dans Ia première hypothèse, l'article 14 de la Constitution garantit la liberté des cultes et celle de leur exercice public, et les tribunaux ne peuvent s'immiscer dans des conflits de dissidence confessionnelle ; que, dans les autres hypothèses, les dispositions constitutionnelles qui garantissent la libre manifestation des opinions (article 14),
    la liberté d'enseignement (article 17) et la liberté de réunion (article 19) s'opposant à ce qu'il soit apporté une entrave aux enseignements que donne l'intimé dans un local où le public et ses adeptes se réunissent paisiblement et sans armes ;
        Attendu que l'usage que fait l'intimé de ces libertés constitutionnelles ne peut subir aucune restriction du fait des statuts de l'appelante, ni de l'approbation par le Gouvernement de la fondation de l'établissement d'utilité publique et de ses statuts ; que ceux-ci sont l'œuvre unilatérale du fondateur, en l'espèce la Veuve Antoine, et que leur approbation n'emporte mème pas la reconnaissance de l'antoinisme comme culte ; que, de cette approbation, il résulte uniquement que l'établissement « Culte Antoiniste », tel qu'il avait été fondé, était reconnu d'utilité publique en ce qu'il tendait à
    la réalisation d'une œuvre d'un caractère philanthropique, religieux, scientifique, artistique ou pédagogique, à l'exclusion de la poursuite d'un gain matériel (article 27, alinéa 2 de la loi du 27 juin 1921) ;
        Attendu qu'il résulte des considérations qui précèdent que l'appelant ne peut pas s'opposer à ce que l'intimé se dise antoiniste ni à ce qu'il pratique l'antoinisme selon ses idées, ni à ce qu'il se comporte en desservant d'un temple affecté à l'exercice de l'antoinisme, tel qu'il le conçoit ;
        Attendu qu'il reste à déterminer si l'intimé pouvait légitimement apposer sur son temple l'enseigne, « Culte Antoiniste » identique à celle de l'appelant ;
        Attendu que cette enseigne prête à confusion, le public pouvant s'imaginer qu'il se trouve en présence d'un temple antoiniste relevant comme tous les autres de l'établissement d'utilité publique « Culte Antoiniste », qui, de 1922 à 1943, administrait d'une manière exclusive l'ensemble des temples où ce culte était pratiqué ;
        Attendu que l'intérêt général commande d'éviter pareille confusion et qu'il doit, dès lors, être fait défense à l'intimé d'utiliser une enseigne identique en tous points à celle de l'appelant ; que la défense ne peut cependant pas aller jusqu'à l'interdiction de toute allusion à l'antoinisme dans l'enseigne ; qu'il suffira que l'appellation du temple soit réalisée de telle manière qu'apparaisse la distinction d'avec les temples relevant de l'appelant ;
        Attendu qu'il y a lieu de réserver à l'appelant le droit à des dommages-intérêts pour le cas où l'intimé ne modifierait pas la dénomination de son temple à la suite du présent arrêt ;
        Attendu qu'en l'absence de manœuvre déloyale de la part de l'intimé et vu sa bonne foi, il n'y a pas lieu d'autoriser l'appelant à publier la présente décision dans les journaux ;
        Attendu que les parties succombent chacune sur une partie de leurs prétentions ; qu'il y a lieu, dès lors, de compenser les dépens.

        Par ces motifs :

         La Cour, ouï M. Delange, Substitut du Procureur Général, en son avis conforme, donné en audience publique et en langue française,
        Rejetant comme non justifiées toutes autres conclusions ;
        Donne à l'appelant l'acte qu'il postule ;
        Emendant, fait défense à l'intimé d'utiliser désormais la dénomination « Culte Antoiniste » ;
        Confirme le jugement a quo pour le surplus, sauf quant aux dépens ;
        Compense les dépens des deux instances.

        (Du 31 mars 1949. Plaid. : Mes Rey, Penninck et Théo Collignon.)

     

    (1) Voy. Jugement a quo, cette revue 1946-1947, p. 125.


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