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André Baillon - Nous

Publié le par antoiniste

    Bien entendu, et avant tout, il y a des "Je". Le "Je" de Bèche, le "Je" de Bornet, le "Je" de Martin, les autres. Ils diffèrent peu des "Je" qui portent chapeau ou casquette dans le monde. Peut-être sont-ils plus forts, ce qui m'a fait dire à Claire :
    - Tu ne sais pas ? Notre maboulisme, c'est l'hypertrophie du "Je".
    Et Claire n'a pas dit non.
    Quelque fois, le "Je" s'efface et le "Nous" se révèle. Un "Nous" composé de nos "Je" avec un ciment en plus qui les transforme et les agglomère en bloc : le "Nous" de Voisin*.
    Le pain arrive en retard. Chaque "Je" trouverait sans peine une croûte pour sa faim. Le "Nous" veut avoir son pain ; il proteste ; il réclame :
    - On nous oublie ! Où est notre pain ?
    Mélange de ce que nous pensons, craignons, voulons, "Nous" n'a qu'une tête. "Nous" se rebelle et trousse, quand le poêle fume. "Nous" a mal, si un de ses "Je" se détache de lui, dans la petite voiture. "Nous" est nerveux. "Nous" s'amuse. Il se forme, sans qu'on sache pourquoi, tout à coup. Il se désagrège sans qu'on le sache davantage. Il a vécu une heure, une minute, une seconde. Revoici le "Je" de Bèche, le "Je" de Bornet, les autres...

* Voisin est le nom de la section de la Salpétrière où se trouve Jean Martin.

André Baillon, Chalet 1, p.209
Cambourakis, Paris, 2009

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