Germaine Lievens, antoinistes de Marly-le-Roi
Illustration : Germaine Lievens en habit antoiniste avec sa fille Eve-Marie, dans leur jardin de la maison de la Rue de la Montagne à Marly-le-Roi
En médaillon : André Baillon à Marly-le-Roi (source : www.andrebaillon.net)
Germaine Lievens était la compagne du grand et malheureux écrivain André Baillon. Pianiste de renom en Belgique et en France dans les années 20, elle est encensée par la critique, désignée, pour son interprétation de la Suite nocturne de Paul Gilson, par la revue bruxelloises L'Art Libre, comme "une de nos meilleurs pianistes" au "style parfait".
C'est à elle que l'écrivain dédie la plupart de ses livres : En sabots (1922), Zonzon Pépette, fille de Londres (1923, en travaillant cet ouvrage, il s'identifie si bien à son héros, un criminel, que Germaine, victime à son tour d'une grave dépression, le quitte fin 1918), Un homme si simple (1925), Chalet 1 (1926), Le perce-oreille du Luxembourg (1928) et surtout Histoire d'une Marie, parut en 1921, qui s'inspire de Marie Vandenberghe, sa première épouse, une ancienne prostituée flamande, avec qui il essaya un ménage à trois avec Germaine (Germaine Levine dans le roman ; elle devient parfois "Claire" dans d'autres oeuvres semi-autobiographique de Baillon dont Un homme si simple).
Dans son enfance orpheline, André Baillon fut à la charge de sa tante Louise (Mademoiselle Autorité), dévouée mais bigote et peu sensible. En 1882, il entre en pension chez les soeurs de Saint-Vincent-de-Paul à Ixelles. Il est ensuite confié aux Jésuites de Turnhout, puis à ceux d’Alost. Il termine ses études secondaires chez les Joséphites, à Louvain. De ses années, lui reste des sentences latines qu'il sème dans ses ouvrages et ses dédicaces à Germaine. Dans Histoire d'une Marie et En sabots, il se montre admiratif de la vie mystique et communautaire des frères Trappites ("Leur chant fait pénitence. Il ne pense pas à soi : il prie. A la fois très triste et très doux, il appelle le Maître et n'ose monter jusqu'à Lui. Un malheureux s'est égaré sous la terre, il appelle ; il voudrait qu'on l'entende ; il craint cependant qu'on l'entende." ; "Je ne serais pas ce que je suis, si, sachant comment vivent les Trappistes, je ne voulais vivre quelque peu comme les Trappistes." (En Sabots, 1923, p.203 & p.227) ; "Vous pensez : « Ces hommes qui font le mort pourrait être des hommes qui font la vie ». [...] Le voyez-vous, Henry Boulant [André Baillon], la tête rasée, enfermé dans son manteau, mort parmi ces morts, simples parmi ces simples et humbles, oh ! beaucoup plus humbles que ces frères qui sont déjà si humbles !" (Histoire d'une Marie, Labor, 1997, p.210)").
Il rencontre Germaine Lievens en 1912 (alors qu'il est marié avec Marie depuis 1902), "il espère trouver en elle une spiritualité que n’a pas son épouse" d'après Pie Tshibanda (http://users.skynet.be/pie.tshibanda/baillon.doc). :
"La porte bâillait un peu... Oui.. c'était du Bach... ou peut-être du Beethoven, il ne savait pas au juste, mais en tout cas, quelque chose de beau, puisque celle qui en jouait était une grande artiste. Il écoutait comme on respire un bon parfum. Il regardait aussi. Ces cuivres, ces plâtres, il pendait là de ces objets qu'on aime à revoir parce qu'on ne les trouve pas chez les bourgeois. Au fond, ces deux grandes ailes : une Victoire. Autrefois, lui aussi, cette Victoire... Bast ! qu'était-il maintenant ?
Il sonna. Il la regarda venir. Oh ! pas une Marie ! Drapée dans du rouge à grands plis, un nez découpé « Je veux », des yeux qui pensent, un air à l'appeler « Impéria » et aussi « la Madone » (Histoire d'une Marie, Labor, 1997, p.245).
C'est avec elle qu'il vivait quand il fit un séjour psychiatrique à l'Hôpital de la Salpêtrière en 1923 (après une relation compliquée et ambiguë avec sa belle-fille, Eve-Marie, fille de Germaine, âgée de seize ans, il sombre moralement et reste interné trois mois : "Il sera parmi ses frères, « les pauvres et les humbles ».", Chalet 1, Cambourakis, 2009, p.175) et tenta plusieurs fois de se suicider et il y réussit : il meurt le 10 avril à l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye, où Germaine Lievens l’a fait transporter.
Dans une lettre de 1949 à Robert Hankart elle déclare : "Moi aussi j'ai des occupations auxquelles je ne puis me soustraire et je crois utile de vous en faire part pour une prochaine réunion. Je suis guérisseuse antoiniste et tous les lundis, je fais mon travail au temple de Paris. Je le fais aussi chez moi tous les 2e et 4ème dimanches du mois. Ce sont donc des jours où je ne puis recevoir personne d'autre que des malades... et je vous espère en excellente santé !". Elle continue également de proposer des leçons de pianos.
A la page 324 de la biographie romancée d'André Baillon, on lit : "Dans le temple parisien du groupe, elle célèbre des messes et guérit des malades par imposition des mains. Elle ne se montre que vêtue d'un long habit et de voiles noirs. Au début des années cinquante, Germaine est persuadée que Baillon était le diable en personne; il n'aura pas trop de plusieurs vies pour expier ses crimes. Elle prie Robert Hankart de venir au plus vite la trouver et d'emporter jusqu'au dernier bout de papier qui a appartenu à Baillon." (Frans Denissen, André Baillon. Le Gigolo d’Irma Idéal, Bruxelles, Labor, Archives du futur, 2001).
"Comme d'autres ont la religion de Dieu, elle a la religion de l'Art" (A.Baillon, Un homme si simple, Cambourakis, 2009, p.55). Mais cette religion ne lui a pas suffit après ses épreuves avec l'écrivain. Devenir guérisseuse antoiniste semble l'avoir sauvé de son "démon" :
On lit une de ses lettres dans Chalet 1 :
" Mon Dieu, je prends sur mes faibles épaules toutes les peines des Hommes.
Je prends, Seigneur, sur mes faibles épaules, la peine des pauvres petits Enfants.
Je prends, Seigneur, sur mes faibles épaules, la peine des pauvres petites Mamans.
Je prends, Seigneur, sur mes faibles épaules, la peine des pauvres petits grands Artistes qui ne savent pas le mal qu'ils font.
Je prends ces peines, parce que telle est ma Volonté, plus forte que la Vôtre, Seigneur, en son implacable Sérénité.
Mon Dieu, je prends sur mes faibles épaules... " (Chalet 1, Cambourakis, 2009, p.175).
On lit dans Un homme si simple :
"Qu'ai-je fais de cette Claire [Germaine dans l'oeuvre] ?
Elle se plaignait quelquefois :
- Je suis morte.
Je la blaguais :
- Voyons ! Ces beaux yeux, ces belles joues, ces... Tu es une morte bien vivante.
Et pourtant si ! Oh ! je ne l'ai pas tuée le premier. A l'âge qu'atteint maintenant sa fille, elle a aimé quelqu'un, un peintre [Henry de Groux avec qui elle conçoit Eve-Marie]." (idem, p.55)
Frans Denissen écrit : "Si je me souviens bien, c'est même à cause de cet engouement religieux qu'elle a décidé de se débarasser de tout ce qui avait à voir avec Baillon, en contactant Robert Hankart. Et c'est donc indirectement à son antoinisme que nous devons le Fonds Hankart."
C'est ainsi grâce à Germaine Lievens qu'on doit la constitution en 1956 du fonds André Baillon aux Archives et Musée de la Littérature de Bruxelles qui conserve entre autres les quelques 300 lettres d'amour entre André et Germaine entre 1913 et 1930.
Germaine Lievens a 84 ans lorsqu'elle succombe des suites d'une chute dans son jardin à Saint-Germain-en-Laye, en 1964.
Quand à Eve-Marie, elle semble bien avoir suivi le mysticisme de sa mère. Ses rêves artistiques, qui changeaient sans cesse, ne se sont jamais réalisés. A cinquante ans, elle habite toujours chez Germaine, elle travaille comme dactylo pour un bureau d'assurances parisien et chaque matin, avant de partir, elle demande à sa mère de lui tracer une croix sur le front.
Frans Denissen, André Baillon. Le Gigolo d’Irma Idéal, Bruxelles, Labor, Archives du futur, 2001, p.322
sources :
http://www.andrebaillon.net/
http://fr.wikipedia.org/wiki/André_Baillon
Merci à :
Maria-Chiara Gnocchi, auteure avec F. Denissen et E. Loobuyck de Bibliographie de et sur André Baillon 1898-2004 ;
Frans Denissen, auteur de André Baillon. Le Gigolo d’Irma Idéal et traducteur en néerlandais de huit des romans de Baillon ;
Eric Loobuyck, Président de Présence d'André Baillon asbl.