Cliquez sur les images pour agrandir
DOSSIER | L’Antoinisme, « médecine de l’âme », est-il une secte ?
Vous êtes peut-être déjà passés devant cette église blanche, rue Vergniaud. Il s’agit en fait d’un temple du culte antoiniste, une religion guérisseuse créée en Belgique il y a plus d’un siècle. Si certains la qualifient de secte, il semblerait que la réalité soit plus nuancée.
« Mes Frères, le Père fait l’Opération, suivie d’une lecture dans l’Enseignement. Celui qui a foi au Père, trouvera satisfaction. » Ce lundi matin, à 10 heures, une des sœurs du temple de la rue Vergniaud annonce la prière devant une quinzaine de fidèles. Debout et silencieux, ils sont venus assister à la lecture des « dix principes de Dieu par le Père », autrement dit le credo antoiniste. Deux sœurs sont montées à la tribune, vêtues de leurs grandes robes noires. Pendant cinq minutes, tous resteront les yeux fermés et les mains croisées pour ce qu’ils appellent « l’opération générale », censée transmettre des bons « fluides » à l’assistance. Une scène digne d’une secte ? Vu de l’extérieur, ce culte peut sembler plus qu’étrange pour les non initiés. Lorsque l’on interroge les commerçants aux alentours sur la présence d’un tel temple dans le quartier, ils lâchent d’ailleurs le mot « secte » sans hésiter. Et pour cause, en 1995, un rapport parlementaire avait listé le culte antoiniste parmi les « mouvements guérisseurs sectaires ». Mais en 2005, une circulaire de Jean-Pierre Raffarin invalide cet intitulé et le qualifie « de moins en moins pertinent ». Depuis lors, et malgré cette remise en cause du rapport de 95, un soupçon plane toujours sur les Antoinistes.
Une dimension thérapeutique qui pose problème
Le culte antoiniste, créé en Belgique au début du 20e siècle, est classé parmi les « associations cultuelles » en France depuis 1924. « Il n’a jamais fait l’objet d’aucun signalement à la Miviludes qui, je vous le rappelle, n’existait pas en 1995 », rapporte Serge Blisko, président de la Miviludes. Lorsque la commission d’enquête a rendu son avis en 95, Anne-Cécile Bégot, sociologue membre du « groupe société, religions, laïcités » au CNRS, réalisait justement une thèse sur les liens entre santé, religion et spiritualité à travers, notamment, l’étude du culte antoiniste. Elle reconnaît avoir été surprise par le fait que le groupe ait été qualifié de secte.
Selon le rapport, l’Antoinisme nierait la maladie. Ce n’est pas la première fois que la dimension thérapeutique de ce mouvement religieux guérisseur pose problème. Élevé dans la foi catholique, son créateur, Louis Antoine, commence à s’intéresser au spiritisme en 1884. Alors qu’il se découvre des dons de médium, il décide de rompre avec sa confession d’origine pour se consacrer pleinement à la guérison et se livre à des consultations lors desquelles il détecte les organes malades de ses disciples et leur prescrit des remèdes. Mais ses pratiques lui valent rapidement une action en justice. Considéré comme « une menace pour la santé publique », Louis Antoine « abandonne le recours aux supports médicamenteux ; les moyens spirituels sont désormais considérés comme les seuls légitimes », raconte ainsi Anne-Cécile Bégot dans un de ses articles sur le sujet (1). « Ici, c’est par la prière et par la foi qu’on soigne », assure d’ailleurs une des sœurs du temple de la rue Vergniaud. Elle ajoute : « Il n’y a pas de rejet de la médecine, on va nous-mêmes chez le médecin ! »
[...]La suite dans Le 13 du Mois #28
Publié par Rozenn Le Carboulec le 15 Avril 2013
On peut avoir un aperçu de son contenu par une autre source indiquant notamment le nombre de costumés du temple de la rue Vergniaud. Il faut acheter la version magazine pour avoir l'article dans son entier :
À la mort du Père Antoine, comme l'appellent ses disciples, c'est sa femme, dite « Mère », qui prend la relève. Aujourd'hui, ce sont les « guérisseurs » qui sont censés avoir hérité de ce don et reçoivent ceux qui le souhaitent en consultation. « Mais leur formation est très sommaire, ils ne sont pas là pour guérir. Ils sont une sorte d'intermédiaire entre Antoine et le disciple », explique Anne-Cécile Bégot. Pour la sociologue, la dimension thérapeutique n'est plus prédominante dans les demandes des fidèles : « Les gens qui viennent consulter sont aux prises avec les difficultés matérielles de la vie : un divorce, le chômage... »
« On reçoit des personnes de toutes confessions »
Madeleine, 86 ans, a connu le culte antoiniste il y a presque 50 ans. Elle, qui suit également une cure à Vichy, vient au temple de la rue Vergniaud environ une fois par semaine « pour se rassurer ». « On me reçoit, je demande à ce qu'on prie pour moi et ça m'apporte un certain bien-être », explique la vieille dame, qui croit en Jésus Christ et qui apprécie la « liberté » prônée par l'Antoinisme. « On reçoit des personnes de toutes confessions », ajoute l'une des sœurs. Lors de son analyse des pratiques antoinistes, Anne-Cécile Bégot se souvient par exemple avoir vu une guérisseuse qui portait une croix de Jésus autour du cou.
Si une grande souplesse est donnée aux fidèles, les costumés, qui portent une tenue noire, sont en général entièrement dévoués au Père Antoine. « Vous obtenez la robe en fonction de votre mérite et de votre foi », explique l'une des sœurs. À l'intérieur de chaque temple, un(e) desservant(e) gère les costumés et décide de leur rôle au sein du culte. « Un fonctionnement assez théocratique, commente Anne-Cécile Bégot, puisque les desservants sont inspirés par le Père. » Sous l'autorité d'un desservant national, qui gère l'ensemble des temples, les costumés donnent de leur temps bénévolement pour organiser le culte et les consultations. Ils sont 49 rien que pour le temple de la rue Vergniaud, majoritairement des femmes. Les seuls bénéfices touchés par l'association seraient récoltés sous la forme de dons anonymes et serviraient à l'entretien des 32 temples français. Madeleine, adepte du culte, n'a d'ailleurs jamais donné d'argent : « Je n'ai pas à payer pour ma foi ! », insiste-t-elle.
Désintéressement et discrétion semblent ainsi être les maîtres mots des disciples. « Ce qui se passe à l'intérieur reste à l'intérieur, on ne veut pas de pub ! », défend une des costumées. Un choix mis en avant pour s'éloigner encore un peu plus du modèle sectaire ? « Non, cette discrétion était de mise avant 95, rapporte Anne-Cécile Bégot. Les Antoinistes ne sont pas prosélytes. C'est en étant un exemple pour les autres qu'ils pensent pouvoir témoigner de leur religion. »
Un aspect « suranné » qui peut effrayer
Alors pourquoi ce rapport de 95 a qualifié l'Antoinisme de secte ? Selon la sociologue, ce sont les aspects « ésotérique » et « suranné » qui ont pu y contribuer. Dans le temple de la rue Vergniaud, construit en 1913, sont affichées de très vieilles photos du Père Antoine et de son épouse, ainsi qu'une représentation de « l'arbre de la science de la vue du mal », censé redéfinir « l'arbre de la connaissance du bien et du mal » de la Bible. Si l'on ajoute à cela des murs verts qui ne présentent aucun ornement, si ce n'est une horloge blanche très sobre dont on entend résonner le tic-tac lors de « l'Opération », les temples peuvent effectivement paraître austères.
Aujourd'hui, les œuvres de Louis Antoine, qui datent de plus d'un siècle, sont les seuls canaux officiels sur lesquels s'appuient les disciples. En conséquence, « nombreux sont ceux qui interprètent ces propos comme bon leur semble », explique Anne-Cécile Bégot. Si certains pensent qu'une consultation pourra préserver leur santé, d'autres, comme Madeleine, viennent parfois pour de toutes autres raisons. Ce lundi matin, la vieille dame a perdu d'importants papiers. Elle espère que le Père Antoine va l'aider à les retrouver. ◊ R.L.C.
(1) « La question thérapeutique à l'épreuve du temps. Le cas de la Science Chrétienne et de l'Antoinisme », Ethnologie Française, novembre 2000, n. 4, pp. 601-609