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Antoinistes à Chantenay (L'Ouest-Éclair 3 mars 1930)

Publié le par antoiniste

Antoinistes à Chantenay (L'Ouest-Éclair 3 mars 1930)

                  L'AFFAIRE EYNARD (1)

                 Les guérisseurs nantais

    Il y a, dans Nantes, 218 médecins et 232 guérisseurs. Chacun de ces derniers faisant, comme M. Eynard, des guérisons à jet continu, on se demande par quel miracle il peut encore rester des malades pour les pauvres médecins.
    Si les résultats obtenus par les guérisseurs sont identiques et s'ils guérissent tous la méningite, les hernies, l'appendicite, les paralysies, etc..., les procédés qu'ils emploient sont variés. Les uns magnétisent avec ou sans diplôme, les autres soufflent, d'autres font des croix sur la partie malade avec leur pouce mouillé de salive. Une guérisseuse, installée rue de Carcouët, obtient de grands succès en rouant ses malades de coups et une vieille pêcheresse, repentie depuis peu de temps, s'est mise à guérir par des prières.
    N'oublions pas la « Dame aux Fleurs » qui fait apparaitre des violettes et des roses à volonté et qui, jusqu'à ces derniers temps, a exercé rue de Rennes.
                 Mam'zelle Vallée, magnétiseuse
    Les premiers jours de mon installation dans l'hôtel que j'habite, je fus très intrigué par ce qui se passait en face, au no 112 de la rue des Hauts-Pavés.
    Matin et soir, c'était un défilé continuel de gens qui portaient tous à la main paniers, sacs ou cabas, desquels, souvent, un goulot de bouteille sortait.
    La plupart du temps, c'étaient des paysans et des bonnes femmes à pignon, qui entraient le plus naturellement du monde ; mais parfois aussi, c'était une dame élégante qui jetait, avant de pousser la porte, des regards inquiets à droite et gauche, comme si elle allait à un rendez-vous galant et craignait d'être surprise. Je m'informai. C'étaient des malades qui se rendaient chez Mm'zelle Vallée, magnétiseuse. Elle n'était pas diplômée, mais tenait son pouvoir de guérison de sa mère, qui avait exercé toute sa vie rue Saint-Similien où elle était en même temps matelassière.
    J'eus bientôt des échos de ce qui se passait chez elle. Comme M. Eynard, elle ajoutait au magnétisme d'autres moyens thérapeutiques inconnus de la Faculté. C'est ainsi qu'une femme lui amena un jour son fils, qui avait été mordu par un chien. Le fluide ne suffisant pas, Mam'zelle Vallée se mit à tourner autour du petit malade en secouant ses cotillons. Comme elle n'est pas aussi jolie ni élégante que l'était Loïe Füller, le résultat de cette originale médication fut de donner à l'enfant une nuit d'insomnie coupée de cauchemars. C'est pourquoi la mère jugea préférable de le confier à un médecin qui fit cicatriser rapidement la morsure avec une pommade au baume du Pérou.
    Craignant – elle avait bien tort, – que je ne gênasse sa fructueuse industrie, Mam'zelle Vallée se fit construire, avec l'argent qu'elle a gagné en magnétisant – car le métier rapporte, n'est pas M. Eynard ? — une maison, route de Rennes, qu'elle habite actuellement. Elle a fait apposer, dans l'embrasure de sa porte, une belle plaque de cuivre, comme en ont les médecins, où sont indiqués sus heures de consultation. Elle aurait bien tort de se gêner, puisque personne ne lui dit rien.
                 La mère Poisson
    Celle-là exerçait « en Chantenay » le quartier le plus pittoresque de Nantes, où l'on trouve des Antoinistes, des Hiéromoines, des églises de toutes les hétérodoxies et mon excellent et spirituel ami Chapiet.
    La mère guérissait en soufflant sur les parties malades. Le fluide ne lui sortait pas des doigts, mais de la bouche, c'est pourquoi, souvent, elle sentait l'ail. Sa clientèle était aussi nombreuse.
    Mais la mère Poisson vint à mourir, accident fâcheux qui arrive à tout le monde, même aux guérisseurs. Des malades de la campagne, qui ignoraient son décès, continuèrent à venir demander la mère Poisson. Un quiproquo se produisit parfois et plusieurs furent envoyés chez une marchande de poissons. Celle-ci protesta d'abord qu'elle n'était point guérisseuse ; mais voyant les clients si nombreux, elle s'avisa sagement qu'il y avait là une source de profits qu'elle serait bien sotte de laisser perdre et elle se mit à souffler à son tour. Elle souffle maintenant comme feu la mère Poisson elle-même et a une grande réputation pour la cure des... hémorrhoïdes.
    Je pourrais continuer cette revue des guérisseurs nantais et en emplir tout un numéro de ce journal, mais la place m'étant limitée, je n'accorderai plus qu'une brève mention au
                 Père Bouillon-Blanc
    C'était un vieux paysan, illettré et sale à souhait, qui venait de la campagne et descendait dans un petit cofé de la place du Bouffay, où il consultait dans l'arrière-boutique. Il soignait par les plantes qu'il avait ramassées le long de la route et avait naturellement une grosse clientèle, tant ses guérisons étaient nombreuses et extraordinaires.
    Mais un jour néfaste, deux clients se présentèrent en même temps, après avoir absorbé la chopine de muscadet obligatoire. Chez l'un il diagnostiqua aussitôt une maladie d'estomac, chez l'autre une maladie de foie. Il leur donna d'ailleurs les mêmes plantes. Le résultat fut extraordinaire : aussitôt les deux clients déclinèrent leur qualité d'inspecteurs de police et emmenèrent le père Bouillon-Blanc au commissariat. Il passa en correctionnelle et nul ne l'a plus revu.
    Je me demande pourquoi ce traitement de défaveur pour ce pauvre bonhomme, tandis que d'autres guérisseurs plus dangereux florissent dans tous les quartiers de notre bonne ville.
    Ce n'est pas seulement pour vous offrir une distraction dominicale que je vous ai compté tout cela, mais pour vous prouver que le fluide de M. Eynard n'est ni indispensable, ni même nécessaire pour obtenir les mêmes guérisons qu'il lui attribue. D'ailleurs ce fluide thérapeutique n'existe pas, ainsi que je vous l'ai déjà dit, et comme va vous le dire à son tour le plus célèbre magnétiseur des temps modernes :
                 Pickmann
    Qui ne l'a vu, celui-là ? Il était vraiment extraordinaire. Non seulement il donnait des représentations publiques, mais il se rendait à domicile et opérait des guérisons auprès desquelles celles de M. Eynard ne sont que du pros-plant. Il y gagna cinq millions. Sur la fin de sa vie il fit ses confidences à M. Paul Heuzé, le pourfendeur de fakirs – bien connu des lecteurs de l'Ouest-Eclair – qui les a publiées dans plusieurs numéros de Candide. Il les réunira prochainement en un volume où vous pourrez tous lire ceci :
    « Le fluide magnétique que l'on m'attribue n'existe pas, je n'en ai point, et les guérisons que j'ai faites ont été opérées par un mécanisme tout autre et bien connu de tous les médecins. »
    Car Pickmann, qui était fort intelligent, avait compris, par l'observation seule, ce à quoi étaient arrivés, de leur côté, les savants que je vous ai cités : Liébault, Bernheim, Grasset, Charcot et Babinski.
    Ce mécanisme de guérison, je pourrai vous l'expliquer quelque jour dans un autre article en faisant la critique scientifique et par conséquent impartiale, des guérisons de M. Eynard.

                                                   Dr Gilbert CHARETTE.

(1) Voir les numéros de l'Ouest-Eclair des 12, 21 et 24 février 1930.

L'Ouest-Éclair, 3 mars 1930

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