Emile Verhaeren - Hélas ! La Plaine !
Mais aujourd'hui, la plaine, elle est finie ;
La plaine, est morne et ne se défend plus :
Le flux des ruines et leurs reflux
L'ont submergée, avec monotonie.
On ne rencontre, au loin, qu'enclos rapiécés
Et chemins noirs de houille et de scories
Et squelettes de métairies
Et trains coupant soudain des villages en deux.
Les Madones ont tu leurs voix d'oracle
Au coin du bois, parmi les arbres ;
Et les vieux saints et leur socle de marbre
Ont chu dans les fontaines à miracles.
Et tout est là, comme des cercueils vides
Et détraqués et dispersés par l'étendue.
Et tout se plaint ainsi que les défunts perdus
Qui sanglotent le soir dans la bruyère humide.
Hélas ! la plaine, hélas ! elle est finie !
Et ses clochers sont morts et ses moulins perclus.
La plaine, hélas ! elle a toussé son agonie
Dans les derniers hoquets d'un angélus.
Emile Verhaeren, La Plaine, p.108
Les Villes tentaculaires (1895)
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