A.G. VICENTE - L'évolution des sectes (1967)
Auteur : Alfonso Geraldo VICENTE
Titre : L'Evolution des sectes, analyse sociologique. Le cas de l'antoinisme en Belgique
Editions : Louvain, C.R.S.R., 1967, V-219 p. (C.R.S.R. Reprints, n04, varitypé).
Une certitude préside à cet ouvrage, reflétée dans la dichotomie de la couverture et de la page de garde. Cette dernière porte : L'Évolution des sectes, analyse sociologique, le cas de l'antoinisme en Belgique. Qu'a-t-on voulu nous proposer ? Un travail sur l'évolution de l'antoinisme en Belgique dans le cadre général de la sociologie des sectes, ou une présentation de la diversité des méthodes et des concepts mis en oeuvre par les sociologues qui se sont jusqu'ici occupés des sectes, suivie d'une application pratique sur le cas de l'antoinisme belge ? Nous optons pour cette dernière éventualité, dont la probabilité se trouve corroborée par le nombre de pages consacré aux deux thèmes (131 p. pour le premier, 75 p. pour le second, préface et bibliographie mises à part).
La première partie rendra quelques services pour une initiation aux diverses théories sociologiques concernant les sectes. Les tableaux synoptiques, nombreux, sont bienvenus. On se méfiera cependant de vérifier l'exactitude des détails. Ainsi l'opinion prêtée au présent recenseur, p.49-50 et p.54, au sujet de Weber et de Troeltsch est inexacte. Sans doute faut-il lire Troeltsch à la place de Weber et se demander ce que Weber a alors dit ou pas dit. On se reportera donc avec plus d'avantage aux textes mêmes de ces classiques.
La seconde partie est nettement décevante. On y trouve certes d'intéressantes analyses : celle, par exemple, de la divination du fondateur de l'antoinisme. Encore est-elle un peu courte. Tout le reste se révèle, par contre, plutôt aprioristique. On suppose que l'antoinisme est une secte. Peut-être ; encore aurait-il fallu montrer qu'il n'était pas un "cult" ou une religion nouvelle. L'A. aurait dû méditer pour son propre compte sa note de la p.162 : "Nous n'avons été frappé a postériori par le parallèle que M. Colinon dressa entre l'antoinisme et la Science chrétienne... Or selon B.R. Wilson, la Science chrétienne est l'exemple même de la secte gnostique". Une courte réflexion sur ce parallèle aurait permis à A.G.V. de se rendre compte que la Science chrétienne, contrairement à l'opinion de Wilson, ne saurait passer pour une secte, mais qu'elle est une nouvelle religion de type Église. Il manque à cette Évolution des sectes le minimum de connaissance de l'histoire générale des dissidences nécessaire à leur interprétation sociologique.
Laissons tout cela de côté et revenons au niveau où l'A. s'est placé. Là encore, l'analyse manque de fermeté. Les pages consacrées à démontrer la co-existence de caractères sectaires à côté de caractères de type Église dans l'antoinisme depuis ses débuts sont intéressants. Mais A.G.V. n'a pas su tirer parti de cette constatation quant à la validité du continuum niebuhrien de la secte à l'Église.
Enfin, il semble douteux que le matériau ayant servi à l'analyse historique comme celui recueilli par interview auprès de quelques dirigeants de groupe soit suffisant. L'A. en a conscience (p.194-95) ; les directeurs de la collection auraient pu en prendre acte. En tout cas ils auraient dû revoir de plus près le texte où les fautes de langue fourmillent.
Jean Séguy, Archives des sciences sociales des religions - année 1968 - numéro 25 - pp.232-233 (persee.fr)
On lit d'abord une étude des auteurs de sociologie, dont M. Weber, B. Wilson, H.R. Niebuhr... L'auteur signale qu'il existe peu d'études positives de l'évolution des groupements religieux, voilà la raison de la deuxième partie. Dans la première partie, l'auteur de la dichotomie "Secte-Eglise" arrive à préférer la dichotomie "sectarité-ecclésialité", forme plus pratique se portant sur le caractère des groupements religieux pour étudier leur fonctionnement sociologique (p.102)(la Miviludes parle elle maintenant de caractère sectaire d'un groupement religieux). Son hypothèse est qu'un groupe, d'un maximum de sectarité et d'un minimum d'écclésialité, arrivera, s'il se maintien dans le temps, à un maximum d'ecclésialité et un minimum de sectarité. A cela peut s'ajouter, entre autre, une divination du fondateur. L'auteur veut vérifier cette hypothèse par l'étude d'un cas, l'antoinisme. Pour cela, l'auteur étudie l'antoinisme comparativement avec lui-même selon plusieurs périodes (1912 / actuellement)(p.134-135).
Mais alors que pour l'historique (le meilleur peut-être de tous les historiques de l'antoinisme), l'auteur s'appuie sur Debouxhtay et les Unitifs, pour l'étude des variables du schéma d'analyses, l'auteur se sert de son historique, mais aussi de textes de Colinon (Le Phénomène des sectes) ou de H.Ch. Chéry (L'Offensive des sectes)(p.155) ou encore de témoignages de personnes n'étant pas antoinistes (p.158). Cela devient donc beaucoup moins convainquant. En effet, dresser un tableau sociologique d'un groupe à sa création, il y a plus de 50 ans, était une gageure. Gageure qui a échoué à mon sens, car l'auteur arrive à la conclusion que l'antoinisme, à la mort d'Antoine, était une Secte thaumaturge évoluant ver le type gnostique (p.162).
De tout état de fait, cela nous amène à des erreurs (par exemple, "Antoine jugeait l'éducation nuisible et sa doctrine s'opposait à l'intelligence, à la science et à la matière même, comme contraire à la conscience, seule source de connaissance véritable et de moralité" (p.178) ; "l'antoinisme, d'après Antoine devait remplacer le Christianisme" (p.154)) ou à des généralités ("on le confond avec le Christ, on tombe à genoux devant lui" ; "au lendemain de sa mort, il semble qu'ils n'étaient pas rares les adeptes qui croyaient à sa prochaine résurrection" (p.163)).
De plus au cours du développement, l'auteur utilise parfois l'adectif "sectaire", plutôt que "de caractère de sectarité". Et il s'appuie sur plusieurs auteurs pour construire son schéma d'étude, ce qui ne simplifie pas les concepts.
Donc en conclusion, l'auteur en arrive à la déduction que l'antoinisme de "secte thaumaturgique" (selon WIlson), il devient "secte gnostique" (selon Wilson). Mais ses preuves son minces et en note, il précise encore qu'il a été "frappé a posteriori par le parallèle que M. Colinon dressa entre l'antoinisme et la Science Chrétienne. Or selon Wilson, la Science Chrétienne est l'exemple même de la Secte gnostique" (p.162). Or comme le dit Jean Séguy, selon Wilson, la Science Chrétienne est une Eglise et non une Secte. L'antoinisme dans tout cela, donc ?
Bref, on reste sur sa fin, et la deuxième partie déçoit beaucoup.