Henri Pirenne - Progrès de l'anticléricalisme
Pour les catholiques, la neutralité de l'État en matière religieuse implique son hostilité à la religion. Si les ministres et si la majorité qui les soutient dans les Chambres protestent de leur respect pour elle, ne voit-on pas poindre au sein même du parti libéral une orientation nettement anti-catholique? A la lutte contre l'Église se substitue évidemment parmi les « avancés » et les « radicaux », la lutte contre les croyances que l'Église a mission de propager. Ses dogmes sont représentés comme incompatibles avec la liberté politique et avec les découvertes de la science. Le progrès est au prix de leur disparition et il faut dès lors les attaquer en face, et à l'intolérance cléricale répondre par l'intolérance laïque.
Le mouvement, parti des loges maçonniques, se répand, depuis les environs de 1857, avec une rapidité croissante. Dans les grandes villes se forment des sociétés de « solidaires » dont les membres s'engagent à s'abstenir des sacrements. Les enterrements civils se multiplient et donnent lieu à des manifestations de libres-penseurs. La répartition des cimetières en une partie bénite pour les croyants et une partie profane pour les non-croyants, devient un sujet de conflits incessants et de scandales. A Bruxelles s'ouvre une école pour les jeunes filles de la bourgoisie d'où l'enseignement religieux est banni. A l'Université de Gand, le professeur Laurent, dans son cours et dans ses écrits, attaque l'Église avec passion et, au mépris de la constitution, réclame sa subordination à l'État. Emile de Laveleye, constatant l'impossibilité pour les libéraux de professer encore les dogmes catholiques, leur conseille de se convertir au protestantisme. Dans la jeunesse, dans la jeunesse des grandes écoles surtout, ces tendances excitées par l'amour des nouveautés, le besoin d'activité et la hardiesse des tempéraments vont à l'extrême radicalisme. Le congrès des étudiants tenu à Liège au mois d'octobre 1865 a été «effrayant». Des étudiants parisiens y sont venus, un crêpe au chapeau; on y a exalté la république, insulté Napoléon III, pourfendu l'Église et la religion.
Sans doute ces outrances ne sont, dans le parti libéral, que le fait d'une minorité. Mais il n'importe. Un parti est toujours jugé sur l'attitude de son avant-garde et il était fatal qu'aux yeux des catholiques le radicalisme compromît tous les libéraux, comme aux yeux des libéraux l'ultramontanisme compromettait tous les catholiques.
Henri Pirenne, Histoire de la Belgique
7. De la révolution de 1830 à la guerre de 1914
Progrès de l'anticléricalisme, p.191
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