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Oscar Grojean - Noël antoiniste (Cassandre, 5 janvier 1935)(KBR)

Publié le par antoiniste

Oscar Grojean - Noël antoiniste (Cassandre, 5 janvier 1935)(KBR)

LA BELGIQUE AU FIL DES JOURS

REVIVALS

Noël Antoiniste
par Oscar GROJEAN

                                   L'Opération.

    Une vaste salle oblongue, autour de laquelle court une galerie en fer. De hautes verrières l'éclairent, d'où tombe une lumière pâle.
    Plusieurs centaines de personnes, de tous âges et de toutes conditions, mais où dominent les gens du peuple, attendent dans un profond silence. Beaucoup de femmes portent une robe noire à larges manches et sont coiffées d'un bonnet à ruche noire que termine un long voile. Beaucoup d'hommes aussi sont vêtus d'une longue lévite noire au col rabattu.
    En face de l'entrée, je lis en lettres blanches sur le fond noir du mur :

CULTE ANTOINISTE
────
L'auréole de la conscience.

    Un seul remède peut guérir l'humanité : LA FOI : c'est de la foi que nait l'amour, l'amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même ; ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer Dieu ; car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend digne de Le servir ; c'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et de vérité.

    Sous cette inscription s'en détache une autre :

    L'enseignement du Père, c'est l'enseignement du Christ révélé à cette époque par petit la Foi.

    Aucun ornement sur les murs nus, sinon trois grandes photographies, encadrées. La première représente un vieillard barbu, chevelu, la main tendue comme pour bénir ; en exergue, cette légende : Le Père fait l'opération. La seconde est le portrait de la Mère, mains jointes. La troisième figure l'Arbre de la science du bien et de la vue du mal.
    La foule, étonnamment silencieuse, attend. Elle regarde avidement une petite estrade devant laquelle se tiennent une femme et deux hommes.
    Dix heures. La femme se lève, imitée par l'assemblée, et elle annonce : L'opération va avoir lieu ; celui qui a foi au Père trouvera satisfaction.
    Un des deux hommes monte sur l'estrade. Il lève les mains à la hauteur de son visage et la tête renversée, les yeux blancs, s'abime dans une contemplation extasiée.
    Au bout de quelques instants, son compagnon prend sa place, s'assied et, d'une voix lente et nette, lit un chapitre de l'Enseignement du Père.
    La foule écoute, attentive, sans, perdre une syllabe.
    L'Enseignement insiste sur l'incompatibilité de l’intelligence et de la conscience. L'intelligence, dit-il, veut toujours plus posséder, veut que tout lui soit subordonné ; elle est opposée à la conscience qu'elle foule aux pieds ; mais c'est la conscience qu'il faut suivre.
    Le lecteur a terminé : « Frères, ajoute-t-il, au nom du Père, merci ! »
    Et l'assemblée s'écoule, sans désordre, recueillie.
    La Mère, qui a 84 ans, n'a point paru.

                                   Le Père.

    C'est une journée de Noël, froide et grise, à Jemeppe-sur-Meuse, – la Mecque de l’Antoinisme.
    Louis Antoine, le Père, prêcha sa doctrine, la nouvelle révélation, de 1906 à 1909, aux métallurgistes et aux mineurs, aux rudes ouvriers de ce pays industriel. Milieu peu propice, semblait-il, à une propagande spiritualiste. Mais Antoine était un guérisseur, un thaumaturge. Bientôt sa réputation franchit les limites de la région liégeoise, dépassa même nos frontières. Quand il mourut, le 25 juin 1912, 165,000 citoyens belges avaient pétitionné aux Chambres pour réclamer la reconnaissance officielle du culte « antoiniste ». Et aujourd'hui, celui-ci compte cinquante « temples », non seulement en Belgique, mais en France et en Hollande.
    Qui était cet homme, que ses disciples appellent le Guérisseur, le Régénérateur, le Père ?
     Un humble artisan, à peine lettré.
    Bon technicien, comme beaucoup des concitoyens du Jemeppois Renkin Sualem, qui construisit pour Louis XIV la machine de Marly, Il va travailler en Allemagne, puis en Russie, où il fut peut-être en contact avec des Doukhobors, et vient se fixer finalement à Jemeppe, en 1888. Il a 42 ans.
    Elevé dans la religion catholique, il s'est toujours distingué par sa piété. Il adhère pendant quelque temps aux théories d'Allan Kardec, pratique le magnétisme. En 1906, il se détache du spiritisme pour fonder ce qu'il appelle le « Nouveau spiritualisme ». Tous les dimanches, il expose de vive voix sa doctrine, qu'un de ses élèves, Mme Desart, recueille et met par écrit.
    Au témoignage de ceux qui l'ont connu, c'était une âme droite et pure. Son intense charité, son élévation morale lui avaient conquis sur ses auditeurs un prestige immense : il guérissait les maladies de l'âme et du corps ; il faisait, assure-t-on, des miracles.
    J'ai eu la curiosité de lire l'Unitif, le bulletin mensuel qu'il publia en 1911, et les recueils où sa pensée est enfermée, notamment le Développement de l'enseignement du Père. On y trouve un fond de croyances chrétiennes, ainsi que des idées empruntées au spiritisme, à la philosophie grecque, au bouddhisme même. C'est un assez singulier mélange et, au demeurant, un assez pauvre livre.
    – Ah ! m'a dit un des disciples qui, avec un désintéressement absolu, administre actuellement les œuvres antoinistes, vous parleriez autrement si, avant sa désincarnation, vous aviez approché le Père, si vous aviez pu apprécier sa haute moralité, son irradiante bonté !

                                   Pèlerinage.

    Quelques jours, avant qu'Antoine se « désincarnât » et ne fût confié dans un cercueil de pauvre à la fosse commune, il avait voulu rempli encore ses yeux des paysages qu'il aimait, revoir la lumière et respirer l'air pur des hauts plateaux.
    C'est à Nandrin-en-Condroz qu'il fit sa dernière promenade. Il s'arrêta à l'Hôtel des Quatre-Bras, à 25 kilomètres de Liége, sur la route de Marche. Les antoinistes s'y rendent, en pèlerinage.
    J'y suis allé dans l'après-midi du 25 décembre. A trois heures, dans le petit temple en qui y a été bâti, en 1927, une centaine de personnes se trouvaient réunies, pour entendre l'Enseignement qu'un lecteur malhabile ânonnait, et pour se souvenir.
    « Il en vient des milliers, le 25 juin », m'a dit une bonne femme du village. « Et chez nous, il y a plus d'antoinistes qu'on ne croit, car la foi guérit. »
    Je songeais à ces paroles et aux spectacles que j'ai essayé de décrire, en regagnant, par le joli bois de la Vecquée, la vallée de la Meuse que couronne, comme un symbole la flamme ardente des hauts-fourneaux. Et je me disais qu'à défaut du mot de vertu, M. Paul Valéry pourrait sans doute trouver la chose parmi les simples, naïfs et bons antoinistes, si toutefois il ne laissait point rebuter par ce que, de son propre aveu, la vertu a de fade, au premier moment.
                                                                     Oscar GROJEAN.

Cassandre, 5 janvier 1935 (source KBR)

 

Illustrations :

 

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