Rencontre de vieux-vroyants sectaires russes
CHAPITRE V
LES SOUTAÏEVTZY
Les soutaïevtzy raillent le clergé, les images, les sacrements, le service militaire, et prêchent la communauté des biens. Fondée par un modeste travailleur de Tver, vers l'année 1880, cette secte est devenue en peu de temps célèbre. Le comte Tolstoï lui-même accueillit à bras ouverts Soutaïeff, qui parcourait les campagnes et enseignait que le vrai christianisme consiste dans l'amour du prochain. Il n'y a qu'une seule religion la religion de l'amour et de la miséricorde. Les cérémonies religieuses, les popes, les églises, les anges et les diables, ne sont que des inventions qu'il faut rejeter, si on veut vivre conformément à la vérité. Et qu'est-ce que le paradis? Lorsque tous les préceptes de l'amour et de la miséricorde seront réalisés sur terre, la terre deviendra un paradis.
La propriété privée étant la source de tous les malheurs, la source des crimes et des mensonges, il faut l'abolir, de même que les armées et la guerre. Soutaïeff prêcha la non résistance au mal, la renonciation à toute violence. Un des fils de Soutaïeff, enrôlé comme conscrit, refusa de porter le fusil. Toutes les persuasions, toutes les punitions restèrent sans aucun effet. Le texte de l'Évangile dans la bouche, il prouvait à qui voulait le forcer de porter les armes que le ciel s'y oppose. On finit par l'envoyer au cachot.
Soutaïeff n'admet pas non plus qu'on soit jugé par son prochain! "Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés", dit-il à son entourage. Sa vie enthousiasme ses adeptes et remplit d'étonnement tout le monde. Ce simple paysan qui eut le courage de jeter au feu l'argent qu'il avait gagné comme maçon à Saint-Pétersbourg, qui poussa sa miséricorde jusqu'à poursuivre les voleurs pour leur donner de la bonne farine au lieu de la mauvaise qu'ils ont prise chez lui par erreur, ce simple d'esprit qui ne demande qu'à souffrir pour la "vérité" accusait à la fois, l'âme d'un saint et d'un véritable illuminé.
Jean Finot, Saints, initiés et possédés modernes (1918)
source : gallica2