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L'Antoinisme (La Croix du Nord, 21 octobre 1925)

Publié le par antoiniste

L'Antoinisme (La Croix du Nord, 21 octobre 1925)= L'ANTOINISME =

    Nous avons, aux portes de Lille, un temple Antoiniste. Il a été inauguré récemment. Grâce à une réclame aussi intense que savante, l'affluence des curieux a été considérable. Des journaux, qui jamais n'ont une ligne pour les plus grandes et les plus belles cérémonies catholiques, ont publié de pieux comptes rendus. L'un d'eux a poussé la dévotion jusqu'à reproduire les portraits du Père et de la Mère Antoine.
    Cette ferveur religieuse de la presse sans Dieu et contre Dieu est déjà significative. Elle nous avertit que nous sommes en présence d'une caricature.
    Le diable, a-t-on dit, est le singe de Dieu. Singe, il a la manie d'imiter. Mais la griffe simiesque se trahit toujours par l'absurde ou le burlesque dans ses constructions.
    De ces signes, l'Antoinisme est rempli. La main du « père du mensonge » appose sa signature sur toutes les manifestations de ce prétendu culte.
    Si bien qu'il serait non seulement irrévérencieux, mais littéralement impossible d'esquisser une comparaison quelconque entre l'Antoinisme et notre grand et divin Catholicisme.
    Mais l'histoire nous montre que les erreurs les plus monstrueuses, quand elles empruntent une marque religieuse, trouvent toujours quelque écho dans ce fond de religiosité qui subsiste chez les âmes abruties par l'ignorance ou les passions.
    De là, chez les déchristianisés, la vogue étrange de superstitions puériles et grossières ainsi que des charlatans débitant la bonne aventure.
    Il ne faut donc pas s'étonner du succès de l'Antoinisme en certains milieux qui ne connaissent plus notre sainte religion.
    Il est, en effet, un mélange de charlatanisme et de superstition.

*
*  *

    Qu'était le Père Antoine, dont la veuve, la Mère Antoine, continue le petit commerce ?
    Un mystificateur habile ? Un innocent illuminé ? Un peu de l'un et de l'autre.
    Il naquit à Mons-Crotteux (Belgique), en 1846. Fils de mineur, il descendit lui-même à la fosse, puis devint ouvrier métallurgiste.
    Jusqu'à l'âge de 42 ans il fut catholique pratiquant. Mais il perdit alors son fils unique, âgé de 20 ans.
    Pour son malheur, il lia connaissance avec un groupe de spirites. Et le ménage Antoine, dans sa désolation, n'eut plus qu'un rêve : causer avec l'enfant disparu. Ces braves gens apprirent ainsi, par les mediums, que leur fils mort était devenu... pharmacien à Paris !
    Firent-ils le voyage pour rechercher dans notre Capitale ce garçon mué par la mort en apothicaire diplômé et... improvisé ?
    On l'ignore. Ce que l'on sait, c'est que le père Antoine, plus féru que jamais de spiritisme, se vit bientôt à la tête d'une bande de visionnaires s'intitulant « les Vignerons du Seigneur ».
    Il publie un catéchisme spirite. Il donne des séances dans sa maison, transférée, de Crotteux-Mons, à Jemmeppe-lez-Liége.
    On y cause avec qui l'on veut, mort ou vivant. Des mediums vous mettent en communication avec les plus grands personnages, avec l'évêque de Liége, avec Léon XIII.
    Premier miracle : tous ces interlocuteurs lointains et divers out le même accent wallon très caractérisé.
    Et voici les guérisons qui commencent : « Les Vignerons du Seigneur, dit le prospectus, guérissent les malades, chassent les démons, ressuscitent les morts, donnent, gratuitement ce qui leur a été donné gratuitement. »
    A vrai dire, les registres de l'état-civil de Jemmeppe ne mentionnent aucun ressuscité, mais on doit constater un autre miracle : cette clinique gratuite des esprits enrichit rapidement les thérapeutes.
    Car on vient en foule, de toutes parts, chercher « le soulagement de toutes les maladies, afflictions morales et physiques », dit une autre réclame répandue à profusion.
    Les bizarres annonces du Guérisseur, du « Saint », comme on l'insinue déjà, sa vie retirée et mystérieuse, ses discours charitables, son régime végétarien (nécessité par une maladie d'estomac), son air extatique au milieu des scènes d'évocation et des crises des mediums, tout cet ensemble attire et méduse les simples.
    La vogue devient telle qu'Antoine croit pouvoir simplifier ses méthodes. Il congédie ses mediums, et lance une certaine liqueur Coune (2,50 la petite fiole, 5 fr. la grande), qui guérit tout, aussi bien les entorses que la phtisie galopante.
    Poursuivi et condamné pour exercice illégal de la médecine, il n'en devient que plus fameux et plus couru. Pensez donc, les médecins ont peur de lui !
    Antoine simplifie encore. Il lance un autre remède souverain : l'eau claire qu'il magnétise en la chargeant de son... fluide.
    Et les malades affluent toujours. Mais de remplir des bouteilles d'eau et de se livrer sur chacune à des contorsions et à des passes fatigantes, épuise le saint homme. Nouvelle simplification : on distribue aux malades des petits papiers que le père Antoine a magnétisés chez lui, sans témoins, à ses moments perdus.
    Et ces sacrés papiers font florès, plus encore que les fioles Coune et les bouteilles d'eau.
    Antoine se rend compte alors que la crédulité du public est illimitée. Pourquoi s'embarrasser d'intermédiaires matériels ? Pourquoi ne pas magnétiser directement les clients ?
    Nouvelle phase de l'Antoinisme. Le Guérisseur se contente, désormais, d'imposer les mains aux malades : par ce geste, les bons fluides, dont il est la source intarissable, guérissent tous ceux qui ont... la foi...

*
*  *

    La foi en lui, bien entendu. Et voici que commence à poindre le dogmatisme de l'Antoinisme. Le Guérisseur devient prophète. Il élabore par pièces et par morceaux incohérents, par un nébuleux mélange de coq-à-l'âne et de préceptes moraux, une vague doctrine.
    Il s'entoure de disciples malins qui recueillent pieusement ses abracadabrants enseignements, qui les impriment, qui les répandent au loin.
    Et curieux, adeptes et malades de venir en foule se courber sous la main bénissante du prophète. Souvent, plus de cinquante par heure défilent pour recevoir le fluide éthéré.
    Pour tant de fidèles il faut un temple. L'argent ne manque pas, on le bâtit.
    Et alors, l'action du Père évolue une fois de plus. Les passes individuelles deviennent collectives.
    Et voici, d'après un témoin, le spectacle auquel on peut alors assister à Jemmeppe tous les dimanches :

    « Au fond du temple il y a une tribune. Elle communique avec les appartements privés du Voyant. Les fidèles et les curieux se placent dans les bancs, face à la tribune.
    « Un Monsieur se lève :
    « Notre bon Père va venir. Avant d'opérer, il se recueille dans la prière. Respectez ce moment solennel. Ranimez votre foi, car tous ceux qui ont la foi seront guéris ou soulagés. »
    « La porte s'ouvre. M. Antoine s'avance. Il est bien vieux. Il a laissé pousser ses cheveux et s'est composé une tête hiératique. La scène est admirablement machinée.
    « Alors le prophète, que transfigure un air inspiré, se place au milieu de la tribune. Son regard est perdu dans l'au-delà. Il élève majestueusement les mains, étend les bras, remue les doigts pour laisser écouler sur son peuple tout le fluide qu'il a emmagasiné par la prière, répand ses fluides à l'Orient et à l'Occident.
    « Il ferme les yeux, se retourne et rentre lentement, sans avoir proféré une parole. L'autre Monsieur se lève de nouveau : « L'opération est terminée. Les personnes qui ont la foi sont guéries ou soulagées. »
    « On renvoie toutes ces personnes, et l'on introduit d'autres spectateurs qui verront la même comédie. Généralement, ce sont les mêmes gens qui sont guéris et soulages chaque dimanche. »

    Ajoutons que, parmi les autres, certains ignorants et naïfs croient que « c'est arrivé ». Quant aux gens de bon sens, ils sont radicalement guéris, en effet, de toute envie d'entrer dans la religion antoiniste.

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*  *

    Comment expliquer, cependant, l'extraordinaire fortune de la secte, qui compte aujourd'hui plusieurs centaines de mille fidèles, et qui a, rien qu'en France, une dizaine de temples ?
    I est manifeste que, dans le début, Antoine n'a voulu être qu'un guérisseur populaire, comme il y en a toujours eu, et comme il y en a encore un peu partout.
    Bientôt, à ses remèdes, comme l'authentique liqueur Coune, il a joint des recommandations pieuses, des pratiques superstitieuses : c'est l'enfance de l'art.
    Quand il s'est rendu compte que, dans un peuple déchristianisé, la crédulité humaine n'a pas de bornes, il a imaginé le fluide magnétique, une trouvaille déjà exploitée au XVIIIe siècle.
    La réclame habile et continue de ses disciples a entretenu et développé le succès. S'illusionnant peut-être lui-même sur le sentiment qu'il inspire et se prenant à son propre jeu, Antoine finit par se croire vraiment prophète et inspiré du ciel.
    Il devient voyant, dictant des oracles, dévoilant les secrets, résolvant des cas de conscience, se faisant directeur d'âmes, fondant une religion bâtie sur de prétendues révélations.
    C'est le mystificateur devenant peu ou prou son propre mystifié.
    Même phénomène chez ses disciples : les uns roublards, les autres simplistes se font apôtres. Ils racontent partout les miracles. Mais ils se gardent bien de les consigner avec précision dans les innombrables opuscules de propagande. Il faut éviter tout contrôle.
    Quant à la doctrine inspirée du Père et consignée en ces écrits, elle défie toute critique. Elle échappe à toute analyse. Est-ce qu'on palpe et saisit le brouillard ?
    Un écrivain belge, M. Kervyn, à qui nous empruntons la plupart des éléments de cet article, a essayé de condenser la doctrine antoiniste. Nous-même avons étudié plusieurs opuscules, tentant d'en extraire la substance positive. Peine inutile. Antoine est panthéiste et dualiste, il nie Dieu et ad- met Dieu, il nie l'âme et admet les réincarnations successives de l'âme. Il combat la « croyance » et commande la foi. Il est surtout ennemi de « l'intelligence », ce qui le dispense de comprendre et d'être compréhensible. Sa morale, en dehors de quelques bribes de catéchisme, est nulle. Chacun a la faculté d'établir des lois, chacun agit selon sa nature, etc.
    Et ce sont des divagations éperdues, un monstrueux magma d'idées n'ayant ni queue ni tête. Voilà l'Antoinisme. Voilà la... religion nouvelle qui se dresse en face du Christianisme des Augustin, des Thomas d'Aquin, des Bossuet, des Pascal et des Pasteur.
    En vérité, cette fois, le singe de Dieu s'est surpassé. Il n'a presque plus imité ; tout est à son image grimaçante et à sa ressemblance infernale : c'est le chaos.

                                                                                                          CYR.

La Croix du Nord, 21 octobre 1925

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