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L'Antoinisme dans le roman (Le Soir, 27 juin 1932)(Belgicapress)

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L'Antoinisme dans le roman (Le Soir, 27 juin 1932)(Belgicapress)

L'ANTOINISME DANS LE ROMAN

    Dans « La Vie wallonne » (12, rue Saint- Mathieu, Liége), M. Pierre Landelies, à propos d'un livre : « Sans Ame », publié naguère par M. André Thérive, parle de l'antoinisme dans le roman :

    Religion éclose sur les coteaux de Meuse, à quelques kilomètres de la Cité, l'antoinisme porte en soi les marques du paysage qui l'a vu naître. A la douceur des ciels gris appuyés sur les collines roses succèdent les nuits traversées des lueurs ardentes et cyclopéennes des hauts fourneaux au travail : étrange union des contraires, spiritualité et matière mêlant leur rythme en un perpétuel acte de foi pour créer la vie. Ainsi l'antoinisme : religion de foi simple et fruste, sans grand apparat, entourée d'une spiritualité assez vague et informe pour plaire aux humbles et les conquérir. Religion touchant à la lumière en la niant. Il serait assez curieux de rechercher ce que l'antoinisme doit aux autres religions et philosophies, depuis Epictete jusqu'à Allan Kardec, amalgame d'idées hétéroclites et parfois contradictoires. Il serait plus intéressant encore de suivre, dans la foule souffrante à qui il s'adresse, son influence ascendante.

Le Soir, 27 juin 1932

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Un portrait par jour (Le Nouveau siècle, 21 février 1928)

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Un portrait par jour (Le Nouveau siècle, 21 février 1928)

Un portrait par jour

    D'André Thérive, l'auteur de Sans Ame, ce portrait du père Antoine, fondateur de l'antoinisme.
    Son image ne préside aux temples que depuis trois ans, bien qu'il ait été désincarné en 1912, le 25 juin, à l'âge de 65 ans, ce qui est jeune pour un guérisseur. Mais quoi, le Père Antoine, ancien mineur, ancien concierge aux tôleries, survit assez : il a la barbe et le cheveu blancs comme feu le zouave Jacob, la prestance d'un moujik vénérable, l’œil flambant, le geste bénisseur. Son portrait est un agrandissement photographique an fusain, à vingt-quatre francs quatre-vingt-quinze, et dans un coin, l'artiste a signé de son paraphe superbe.

Le Nouveau siècle, 21 février 1928

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BONNES FEUILLES - Sans âme (L’Ère nouvelle, 19 janvier 1928)

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BONNES FEUILLES - Sans âme (L’Ère nouvelle, 19 janvier 1928)

BONNES FEUILLES
Sans âme

    ... Sans âme, par André Therive (Grasset, éditeur). Est-ce Huysmans, est-ce Tolstoï qu'il faut rappeler à propos de l'histoire de Julien Lepers, de l'ouvrière Lucette, de la danseuses Lydia ? et de tant d'autres personnages inoubliables ?

III

    Le train avait passé Thieulecques ; avant d'arriver à la station de Saint-Achille, Julien aperçut, fort près de la voie, la sucrerie rouge de M. Drémoncourt, son oncle. Les bâtiments, la haute cheminée, la villa, tout flambait neuf, au milieu des champs pâles et sur un fond de bois dépouillés. Tout cela avait été dévasté par la guerre, reconstruit magnifiquement sur les toits éclatants, un jeu de tuiles faisait lire le nom de Ghislain Drémoncourt beaucoup plus fièrement qu'un drapeau.
    Le maître de ces lieux vint chercher son neveu à la gare. Il avait notablement vieilli depuis un an ; enflé, tassé, les yeux sanglants, mais la parole gaillarde. Sous des dehors si grossiers, c'était un esprit vif et curieux. Ancien pharmacien à Saint-Omer, où la société bien pensante lui rendit autrefois la vie intenable, on le disait prospère dans l'industrie, et sa vieillesse semblait son apogée. Mais il ne parlait pas de ses affaires. Deux passions fortes l'animaient encore : l'une politique et qui se devine ; l'autre d'exceller à la tapisserie. Il s'était brodé lui-même des pantoufles historiées, tantôt à ses initiales gothiques, tantôt au caducée ou au mortier de son ancienne confrérie. Il avait été marié, veuf de très bonne heure, coureur assez longtemps. A présent, il se contentait de son industrie et d'intrigues politiques, qui lui faisaient trouver dans les journaux une pâture savoureuse et variée. Il n'était même pas conseiller général ; il était faiseur de députés comme on fut faiseur de rois, en dédaignant un peu ses créatures. Bien moins riche d'ailleurs que son renom ne le voulait ; satisfait de faire peur à ses ennemis, envie à ses amis, et en cela de duper tout le monde à moitié. Gourmet à la mode d'aujourd'hui, gourmand aussi à la mode d'hier. Casanier depuis deux ou trois ans, il avouait avec amertume, au moins dans ses lettres, qu'il est sage de se détacher de la vie quand elle se détache de vous. Mais, en paroles, une pudeur le gardait de cette forfanterie plaintive.
    – Alors, il y a eu un drame demanda Julien, copieusement embrassé.
    – Oui, oui, je te raconterai. Mais, d'abord, que je te prévienne : il va nous arriver de Wazemmes les de Gouin pour déjeuner, après la messe. Deux parents, trois filles. Je me suis réconcilié par lettre avec eux ; ou eux avec moi. Enfin, mettons tous ensemble. Il n'y a pas tant d'occasions de faire la fête en famille. Autant ceux-là que d'autres ; ils habitent si près ! Vois-tu, il n'y a rien de si terrible que la solitude. Il me semble que je la sens plus lourde de mois en mois. J'ai bien le temps, que diable, d'être enterré pour de bon !
    Ces paroles, dites avec gaité, rendaient un son funèbre. L'air était aigre, glacé par moments. La boue de novembre ne séchait plus sur les routes où les camions marquaient leurs ornières pour six mois. Au bord des champs, des silos à betteraves, voutés comme des tombeaux, exhalaient, malgré le froid, une puanteur acide.
    – Ah ! Dieu de Dieu ! s'écria encore M. Drémoncourt, que j'aime à te voir, Julien, froncer le nez devant l'odeur de la campagne maternelle ! Les de Gouin, au moins, sont des rustiques : ils ont fait de la terre, de la vie aux champs, un article de foi ; cela en ajoute un à ceux qu'ils croient déjà. On n'en saurait trop mettre. J'espère bien que tu les feras enrager là-dessus. Car il est inutile de parader devant ces demoiselles : tu as surement horreur de la campagne et de ton oncle campagnard.
    Il frappa amicalement sur l'épaule du neveu, qui lui prit le bras et avoua :
    – Ce qui doit être affreux dans la campagne, c'est de pouvoir penser à soi trop nettement, et de voir toute simple, toute fatale devant soi, sa destinée.
    – Tu me dis ça, fit observer M. Drémoncourt, souriant, à moi qui la verrais n'importe où aussi simple et aussi courte, parce que je suis vieux ! Tu gardes l'illusion des jeunes : que la vie reste libre tant qu'elle cache de l'imprévu. Je ne t'en veux pas, égoïste. Tu as les défauts de ton âge, et un autre encore : car au fond tu es un bohème.
    Oui, un bohème..., Ha ! Ha ! j'ai trouvé le mot. Il y a des êtres qui poussent ainsi, même dans les plantations bourgeoises, comme le chiendent dans les betteraves. Ce n'est pas moi qui les appellerai des maudits... Ils choisissent la meilleure part. Si j'avais su, peut-être, en mon temps... mais il ne faut pas recommencer toujours sa vie en songe. Il ne faut jamais détester ce qu'on est. Ça, c'est la vraie malédiction.
    – Ah ! oui, reconnut Julien.
    – Mon neveu a le cafard, dit le distillateur. Voilà le paysage de Saint-Achille qui agit déjà. Ou bien est-ce qu'il aurait des peines de cœur. Oui ? non dans le sacré Paris pourtant, avec mille francs que je t'envoie par mois, et tes honoraires ! Combien gagnes-tu avec M. Comte ?
    – Neuf cent six francs.
    – Cela fait bien des cigares. Et tu vends bien quelques petites gravures ? A ta place, je serais heureux. Veux-tu changer ta peau avec moi ? Ah ! vingt milliards de dieux ! qu'est-ce qu'elle cherche donc, la science, si ce n'est de faire rajeunir les vieilles bêtes ? à quoi sert-elle, je te demande un peu ? Allons, Julien, c'est toi qui fais la tête, et moi qui te remonte ! Et malgré mes drames domestiques ! Et malgré l'arrivée de la sainte famille de Gouin !
    Ils parvenaient à la distillerie. Le pavillon de M. Drémoncourt donnait sur un jardin dessiné, mais tout nu, qui rejoignait les prés et les bois. A l'horizon, deux cônes noirâtres indiquaient le pays des mines, les terrils de charbon, Le ciel était bas : des corbeaux erraient déjà comme une fumée sous les nuages, en criant, et soudain se taisaient, laissant le paysage à sa nudité, à son silence.
    – A propos, demanda Julien. Et le drame ! et votre fidèle Irène ?
    M. Drémoncourt se rembrunit :
    – C'est vrai ; je ne pouvais te raconter par lettre toute cette histoire incroyable. La pauvre vieille a passé juste le lendemain du 14 juillet, tandis qu'il y avait encore dans la cour des lanternes et un accordéon pour le bal des ouvriers. Elle avait eu déjà deux ou trois crises d'étouffement, mais elle ne voulait pas se reposer, encore moins se faire suppléer par une jeunesse. On peut dire qu'elle est morte avec son tablier bleu ! Je l'ai relevée moi-même, je lui ai scarifié moi-même des ventouses ; et Dieu sait si je n'aime plus ce métier-là ! Elle disait juste : « Ça me fourmille, monsieur, ça me fourmille partout », avec sa langue pâteuse. Et puis : « Il faudra avertir à Caudry M. Meulemester. – Quoi donc ? c'est un parent ? – Non, non. – Un médecin ? non ? un notaire ? – Un « adepte » ! a-t-elle dit enfin.
    « Je n'y comprenais rien du tout. Depuis vingt-cinq ans qu'elle me servait, elle ne m'a jamais parlé d'« adeptes ». Elle ne quittait non plus jamais la baraque. Tu sais qu'elle n'allait pas même à la messe, que je lui plaçais ses gages, et qu'elle me demandait vingt francs de temps en temps, sur son magot, pour s'acheter de la laine à tricot. Quand elle a été morte, j'ai fait chercher à Caudry le sieur Meulemester.
    « Il est arrivé le soir même, avec deux femmes bizarres, des espèces de nonnes, ou d'infirmières en noir. Ils ont passé la nuit à l'auberge, sans vouloir veiller la pauvre Irène. C'est moi qui suis resté auprès de son lit, à boire le café sans chicorée, qui était bon pour la première fois : car enfin elle avait de sacrés goûts en cuisine ! Tu me vois devant les bougies, luttant contre le sommeil, farfouillant un peu dans ses nippes pour rassembler son héritage, avant de dénicher les héritiers, belle corvée mon ami ! J'étais attaché à cette bonne vieille, après tout : Vieille ? elle avait trois ans de plus que moi. Mais éreintée et un peu hébétée aussi. Qu'est-ce que je trouve dans ses paquets de linge : des brochures bleues ou vertes qu'elle recevait, écrites en un charabia impossible, et intitulée l'« Unitif ». Cela lui venait de Belgique, et cela m'avait l'air de prêcher l'Antoinisme, une espèce de nouvelle religion, oh ! une religion pour les pauvres bougres... Naturellement, j'ai jeté les papiers au feu : cela pourrait faire beaucoup de mal. Je n'ai su que le fin mot que le lendemain.
    « Le sieur Meulemester arrive donc avec ses acolytes : vêtu d'une lévite jusqu'aux talons, il apportait un drap vert-chou dont il a fait couvrir le cercueil, au grand épatement des gens d'ici ; et il s'est prélassé devant la charrette en promenant une espèce d'écriteau carré où il y avait un arbre peint et ces mots : « La science de la vue du mal ». Il m'a montré un papier signé (si on peut dire) de la pauvre Irène, qui exigeait des funérailles « antoinistes », c'est-à-dire ce carnaval, et en fin de compte, la fosse commune (tu entends, Julien !) le trou au bout du cimetière, le silo où l'on ne jette ici que les os déterrés et les vieilles couronnes, avec défense de jamais avoir son nom sur ce misérable tombeau. Tu penses si j'étais furieux ! J'avais d'abord l'air d'un pingre, d'un abominable dégoûtant, devant tous les gens de l'usine qui regardaient le cortège, et qui n'en croyaient pas leurs yeux. Heureusement que le sieur Meulemester, avec son attirail, éveillait l'attention, me sauvait la mise. Il a récité au cimetière des phrases ridicules, en langage d'école du soir : la conscience, la matière, le développement intellectuel, que sais-je ? Le bruit s'est répandu vite que ce gibier représentait des Antoinistes ; et il y a eu des gens pour trouver que des funérailles pareilles, c'était crâne, c'était grand... et que la vieille Irène avait été une sainte à sa façon. Le nommé Meulemester, a replié son drap vert ; ses donzelles ont distribué des papiers. Le curé, m'a-t-on dit, contemplait l'affaire derrière ses rideaux, d'où il voit la porte du cimetière. Les crétins qui se disent ici bolchevistes ont raconté le soir, à l'estaminet, que la fosse commune devrait être rendue obligatoire. Et puis tout cela s'est oublié ; le notaire s'occupe de trouver des ayants-droits au petit magot de la pauvre Irène. Rendons cette justice au sieur Meulemester et à sa nouvelle religion : c'est qu'ils n'ont pas capté le testament ni réclamé de casuel... Mais faut-il qu'il existe des abrutis en ce monde !
    A ce moment, la nouvelle servante se montra sur le perron. C'était une grosse Flamande, veuve d'un marin disparu, et qui avait été cordon-bleu à Dunkerque.
    – Celle-là au moins, dit M. Drémoncourt, elle n'a rien de la prophétesse. Tu verras sa cuisine ! Il faut avouer qu'elle se boissonne tous les samedis, et le chauffeur la console de ses malheurs quand il l'emmène faire son marché. J'aime mieux cela. Mais je pense à la pauvre Irène qui soufflait en se traînant de pièce en pièce, et qui maintenant dort comme un chien à l'endroit des pots cassés et des grilles en morceaux... Ah ! pouah ! c'est joli, ce qui nous attend tous !
                                                                                                          André THERIVE.

L’Ère nouvelle, 19 janvier 1928

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Club du Faubourg in La Journée (La Revue hebdomadaire, 16 mai 1929)

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Club du Faubourg in La Journée (La Revue hebdomadaire, 16 mai 1929)

Conférence de Henri Bodin :
Mise en accusation de Sans âme. Accusé : M. André Thérive. Procès de la doctrine du Père Antoine. Pour ou contre l'antoinisme, avec l'orateur antoiniste Bodin, sur La foi peut-elle guérir ?

La Revue hebdomadaire, 16 mai 1929

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André Thérive, Sans âme (L'Œuvre, 31 janvier 1928)

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André Thérive, Sans âme (L'Œuvre, 31 janvier 1928)

L'ŒUVRE littéraire 

LES LIVRES DE LA SEMAINE

Quelques romans

    Il y a deux sujets dans Sans âme, d'André Thérive, il y a du moins l'étude de deux milieux. L'un est un milieu secret, presque inaccessible, constitué par une petite secte religieuse dont la chapelle se trouve au quartier de la Butte-aux-Cailles et qui porte l'étiquette d'« antoiniste », du nom de son fondateur. L'autre, c'est le music-hall, le monde des petites danseuses, des figurantes, des « marcheuses », selon l'expression du métier. D'un milieu à l'autre, de la rive droite à la rive gauche, va et vient le principal personnage, Julien Lepers, assistant à je ne sais quel laboratoire de psychologie mystique expérimentale, qui finit par perdre sa place et par accepter un simple emploi de commis. Il a été l'amant d'une petite « marcheuse » qui se sachant enceinte et s'étant juré de ne plus le revoir après s'être donnée une fois à lui, s'est suicidée. Le récit de cette fin forme le plus émouvant chapitre du livre, d'ailleurs fort beau d'un bout à l'autre, mais un peu déconcertant, voire désespérant, et qui laisse un arrière-goût de désolation amère.
    Au delà des données immédiates et concrètes de Sans aime se révèle en effet, l'intention de l'auteur de nous rendre sensible l'abandon de l'âme moderne, la dégénérescence du sentiment religieux dans le peuple, la noire ivresse de vivre qui a remplacé chez nos contemporains les supports moraux traditionnels. N'avant point pour habitude de discuter les idées, la philosophie des romanciers, surtout quand ils ne présentent pas une thèse en bonne forme et se contentent de laisser certaines constatations se dégager honnêtement d'elles-mêmes, je ne vais pas bien entendu, remontrer à M. Thérive qu'il a tort et lui vanter l'efficacité de la morale laïque considérée comme aliment spirituel des masses populaires : Je préfère lui faire observer qu'au point de vue de la technique romanesque son livre, où abondent des pages remarquables, notamment des descriptions de faubourgs et où règne, avec un style aisé, fluide, un ton fort élégamment familier, serait peut-être plus satisfaisant pour le moyen lecteur si l'intérêt tardait moins à s'y fixer. L'influence de Huysmans est si manifeste dans cette peinture d'une secte mystique assez cocasse qu'on hésite presque à la signaler. Mais ce par quoi M. Thérive l'emporte évidemment sur son maître et sur tous les naturalistes dont il semble si étrangement féru, c'est l'écriture.

L'Œuvre, 31 janvier 1928

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André Thérive - Les Portes de l'Enfer (1924)

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André Thérive - Les Portes de l'Enfer (1924)

Auteur : André Thérive
Titre : Les Portes de l'Enfer
Édition : Bloud et Gay, Paris, 1924


Recensions :
                  André Thérive
             Les Portes de l'Enfer
    Voici un livre d'érudition vraie, qui, en deux cent vingt-cing pages, remplacera pour le lecteur curieux une grosse bibliothèque. Il intéressera tous ceux qui pensent que la science contemporaine laisse en dehors de ses investigations tout ce qui fait le sel du monde, tout ce qui préoccupa et préoccupera toujours l'humanité pensante, je veux dire le mystère. Sans l'inconnu, c'est-à-dire sans un plan supérieur proposé à nos imaginations, aucun progrès ne serait possible et l'homme ne se distinguerait en rien de l'animal.
    Sous ce titre : Les Portes de l'Enfer, c'est donc, en réalité, tout ce qui constitue la substance humaine que M. André Thérive a résumé. L'art et le satanisme, la vague théosophique, le spiritisme devant les lettres et la philosophie, la leçon de la Kabbale, l'ancêtre de La Divine Comédie, la légende de Dante hérétique, le pessimisme éternel, autant de chapitres que l'on ne saurait résumer, mais que l'on pourrait développer, au contraire, en vingt volumes.
    Ce qui nous plaît chez l'auteur, c'est son sens critique aigu qui, malgré certaines préférences évidentes, lui permet de porter des jugements de bon sens sur les questions les plus embrouillées. Je n'en veux pour exemple que les mystères du Graal, dont les complications inouïes seraient bien faites pour dérouter le plus laborieux pondeur d'in-folio allemands.
    A vrai dire, si l'on se perd dans la symbolique, on risque de s'égarer définitivement. La voie philologique paraît plus simple. D'où vient le mot Graal ? En Savoie et en Suisse, grâla, ou crôl, signifient une jatte. En Normandie, en Auververgne, graset désigne une lampe-vaisseau. Peut-être y a-t-il là aussi un jeu de mots, grasalis signifiant un récipient en bas-latin, et gradalis, un livre pieux. Le graal signifierait donc, à la fois, un livre d'initiation et une soupière. Si l'on sait que grasalis désignait dans le Midi une mesure de pêcheur pour le poisson, on comprendra l'origine de l'idée du Riche Pêcheur. D'autres équivoques sur le plat et la lance enrichissent également la légende. Quelle peut être également la transformation apportée dans la légende du Graal par l'idée chrétienne ? On sait, en effet, (Montalembert nous l'a tout au long raconté), quelle fut l'indocilité des chrétiens de Bretagne contre l'autorité catholique. Le Graal venait, en effet, de Grande-Bretagne, où il avait été apporté d'Orient, et la Table Ronde a failli représenter une troisième communion mystique. Les moines de Cîteaux, dans leur réaction contre les frivolités de la féodalité galante, ont dû tourner les légendes du Graal vers une fin morale et théologique. vers une fin, disons-le, plus catholique. Et le Graal ne fut plus qu'une sorte de figure de l'Eucharistie, sa Quête représentant le voyage du chrétien à la recherche de son Dieu, qu'il n'atteint que dans la mort, comme on le voit par l'exemple de Lancelot et de Galaad. La légende du Graal n'est point, du reste, sans porter en elle un ferment d'hérésie, et l'auteur était bien placé pour le découvrir. Salomon l'avait dit par avance à Galaad :
    - Si tu veux être en paix, garde-toi des femmes sur toutes choses.
    « Entendons bien, nous dit M. André Thérive. Ces préceptes qui adjurent le monde de finir, le monde qui insultait Dieu par son existence même, ces préceptes ne posent pas une morale supérieure et idéale ; ils supposent bel et bien une espèce de blasphème et de négation. Aussi les néo-bouddhistes du dernier siècle n'ont-ils eu garde de le négliger. Parsifal, le guerrier-vierge, devenu schopenhauérien, a incarné pour Wagner la négation du vouloir vivre. »
    Nous sommes heureux de l'entendre dire à l'auteur du Plus Grand Péché, dont nous parlâmes ici même à l'occasion du Prix Balzac.
    Si l'on voulait trouver une raison à cette fin de toutes choses, peut-être pourrait-on la trouver, à mon sens, dans le désir très banal de conclure qui est particulier au roman, fût-il de chevalerie. Une belle histoire doit se terminer en apothéose ; l'apothéose suppose quelque chose de surhumain ; l'auteur, avant de quitter tous ses personnages, doit les conduire jusqu'au bout de leur vie ou de leur geste ; il me semble bien que toutes les théories négatives naissent de ce besoin obscur de conclure, aussi bien dans le roman qu'en philosophie. La théorie du non-être, celle de la fin des temps aventureux » n'est-elle point, à bien prendre, qu'une forme mystique des faciles dénouements de théâtre, lorsque l'auteur, sentant venir la « fin du troisième acte, met dans la main de son héroïne ou de son héros la facile conclusion du revolver ?
    Ne l'oublions pas, - et M. André Thérive est le premier à nous le faire remarquer, c'est souvent dans les idées populaires les plus simples qu'il faut trouver l'origine des conceptions philosophiques les plus embrouillées.
G. de Pawlowski
Les Annales politiques et littéraires, 8 février 1925


               Les Portes de l'Enfer
                 par André Thérive
    Point n'est besoin de profondes connaissances exégétiques pour savoir que cette métaphore : les portes de l'Enfer, désigne les puissances diaboliques, auxquelles il ne sera jamais donné de prévaloir contre l'Eglise du Christ ; point besoin, non plus, de forte culture gréco-latine pour se rappeler qu'au 19e chant de l'Odyssée, Homère affirme que les songes véridiques sortent du royaume de Hadès par une porte de corne, tandis que les trompeurs montent par une porte l'ivoire. Ingénieuse fiction, bâtie sur un simple jeu de mots (kéras, corne, avec krainô, accomplir ; éléphas, ivoire, avec éléphairomai, tromper) et reprise par Platon dans le Charmide et Virgile dans l'Enéide. Et voilà donc limpide, à présent, le titre à première vue un peu mystérieux du morceau livre de M. André Thérive. Non seulement la cité de Dieu est attaquée par les forces sataniques, mais aussi la cité humaine que le respect de la liberté de penser livre sans défense à des rêves et des folies qui, d'origine infernale, menacent la civilisation.
    Ces rêves et ces folies, d'apparence souvent innocente, doctrines fuyantes et sinueuses : spiritisme, théosophisme, kabbale... il importe de leur arracher le masque ; tout au moins d'attirer sur elles une attention raisonnable. C'est ce qu'a fait M. André Thérive en des études qui sont d'un philosophe savant et subtil. Aussi bien, n'a-t-il pas oublié la porte de corne. Toutes les fois qu'il en a l'occasion il y regarde afin d'y chercher vérité et poésie. Il s'en trouve même dans les pires erreurs. Satan ne fut-il pas le plus beau des singes ?
    Et il reste le plus malin ! Ne s'est-il pas glissé dans les pages mêmes que M. André Thérive vient d'écrire pour combattre ! Comment, en effet, si les portes de l'Enfer n'ont pas quelque peu prévalu contre le Grammaire-Club, comment expliquer, sans la plume de M. André Thérive, ce mignon solécisme : « Ce ne saurait être pour rien que les esthètes purs ont posé en blasphème contre Dieu la dévotion envers l'art... » (page 14) et cet autre, bien plus grave : «... le Pimandre est encore facile à se procurer » (p. 36), répété p. 76. ... le P. Lucien Roure dont les deux ouvrages sont fort aisés à se procurer ». Oui, oui, le diable est bien malin ! - (Bloud et Gay.)
                                                Henri CASANOVA.
Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 28 mars 1925

    On peut lire en page 9, juste ce petit signalement contre l'orientalisme :
    "Aujourd'hui, l'on voit communément, sous les espèces d'un « orientalisme » d'aloi confus, reparaître l'antique dualisme, dont le satanisme est seulement une figure plus franche. En Amérique, en Belgique, en Allemagne, un peu partout, on voit surgir des messies indulgents et bénisseurs dont le vieux manichéisme semble bien être la doctrine suprême. Or dans les plus innocentes prédications qui vous proposent tour à tour l'amour universel, l'abdication de l'intelligence, la négation du mal, de la souffrance, et de la matière, qu'elles assimilent à ce principe, le critique informé subodore assez vite l'évangile mensonger de la haine, de la charnalité et du culte des ténèbres. Ce sont là de grands mots ; mais quand les employer sinon en pareille circonstance ?"
    Sans évoquer l'Antoinisme, c'est bien ce dont parle l'auteur.

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André Thérive (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 25 août 1928)

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André Thérive (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 25 août 1928)André Thérive (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 25 août 1928)

LES “SANS-AME”

Vers une religion nouvelle

                     par PIERRE MAC ORLAN.

    J'emprunte le titre de cette chronique au livre de M. André Thérive. Il me paraît s'appliquer non seulement au remarquable roman d'un grand écrivain, mais encore à tous ceux qui errent dans les rues ou à travers les accessoires de la rue, comme des « corps sans âme ». Vulgairement, un corps sans âme est un personnage désemparé. C'est un fantôme provisoire, qui appartient, quand il a dépassé un certain âge, aux romanciers, et qui irrite les parents quand il est jeune. Cette phrase : « As-tu fini de tourner comme un corps sans âme ? » ne fait présager rien de bon pour un enfant. Ce malaise, qui parfois précède les enthousiasmes saugrenus de la puberté, chez un adolescent isolé, s'empare quelquefois de l'humanité quand il arrive à celle-ci de retomber dans cet état de transition qui n'est plus l'enfance et qui n'est pas encore l'adolescence.
    En ce moment, l'humanité, secouée par quelques crises parfaitement connues, cherche, comme un corps sans âme, une issue pour sortir de ces vieilles chambres à coucher. Mis à part les paysans qui appartiennent aux choses du sol, comme l'arbre et l'herbe, le reste des hommes travaille parce que le travail est une obligation sociale qui entraîne la mort quand on se refuse à l'accepter. Mais personne ne sait plus très bien vers quelle apothéose morale le travail de chacun doit aboutir. Beaucoup craignent que des guerres nouvelles ne soient le résultat de leurs petits efforts quotidiens et d'autres pensent que vingt années de bureau consciencieusement vécues au goût de l'administration se convertiront en un phénomène instantané d'insécurité absolue.
    Je pense que cette insécurité, devinée et crainte, est la seule raison qui le puisse expliquer l'inquiétude générale. Nous sommes encore loin d'une religion nouvelle, qui pourrait enfin donner une expression à la fois littéraire et morale aux petits mystères sociaux de notre temps.
    Pour l'instant, nous connaissons de nombreuses petites religions, que l'on pourrait dire de poche, car on emporte avec soi les objets du culte. Le scapulaire cède la place à l'éléphant blanc, au sou percé et à toutes les matérialisations plus ou moins décoratives de l'espoir de conjurer le mauvais sort. Au moment même où la science nous donne la T. S. F., la télévision et toutes les merveilles qui attendent dans des laboratoires leur forme définitive et publique, la croyance en la fatalité triomphante domine les hommes. On conduit une vingt-cinq chevaux sous la protection d'une poupée-mascotte, et l'on prend la route en touchant du bois. Tout cela éparpille cette force, la crédulité humaine, en mille petites chapelles qui, réunies au profil d'une entreprise sentimentale, pourraient cette fois constituer une force capable de bâtir, elle aussi, des cathédrales. Rien n'est plus émouvant et plus séduisant qu'un effort formidable quand il aboutit à la réalisation d'une œuvre qui ne s'adapte à rien de pratique, mais dont on peut dire qu'elle a été édifiée avec toutes les forces sentimentales, secrètes et inemployées, d'un nombre illimité d'individus.
    Quelques-uns se dirigent bien encore vers les anciens temples. Mais dans cette foule qui prie, combien sont prêts aux suprêmes sacrifices pour la défense de leur foi ? Il est évident qu'une religion nouvelle, et qui tiendra compte vraiment de la présence du pauvre et du riche pourra ressusciter cet état de grâce qui insensibilise les fidèles contre les supplices des bourreaux et les boniments goguenards des sceptiques. Des mots seront revalorisés, en quelque sorte, des mots usés jusqu'à la corde comme : honneur, vertu, fidélité, fraternité, justice, etc. Le mot liberté a tout de même gardé un peu de sa valeur sentimentale, et je crois qu'il restera l'idéal le plus pur d'une société qui va excessivement vite vers un destin que j'ignore.
    Ce qu'on pourrait espérer de cette religion nouvelle serait qu'elle fût moins soumise à cet hypocrite amour de l'humanité pour elle-même. Il est convenu de présenter la race humaine en un seul bloc. Si au point de vue physique cette estimation, peut paraître assez logique, il n'en est pas ainsi au point de vue spirituel. L'expérience a prouvé qu'en général les hommes n'étaient point organisés pour vivre ensemble. La peur, et quelquefois des cas assez prévus de folie collective peuvent les rapprocher pour quelque temps. Ils tâchent alors, et sincèrement, de donner un sens pratique aux mots cités plus haut. L'indifférence – quand ce n'est pas la haine – des hommes pour les autres hommes est malgré tout impressionnante. Mais c'est de cette haine, ou simplement de cette indifférence que naît cette bonté purement littéraire qui donne à certaines personnes sensibles des regrets distingués. Ces regrets distingués, soumis aux exigences de la liberté de penser, deviennent des romans qui sont émouvants, parce que chacun, en les lisant, se sent un peu responsable de cette angoisse, de cette tristesse et de ce mystère, qui donnent aux créations littéraires une vérité qu'il est difficile de découvrir sans le secours de certains intermédiaires, bons conducteurs des petites forces secrètes qui nous animent.
    M. André Thérive vient d'écrire un roman tel que l'époque l'exige, c'est-à-dire un témoignage devant quelques cas de désespoir, que la plupart des hommes ne peuvent contrôler que par l'intermédiaire d'un écrivain. L'honnêteté d'un écrivain est l'équivalent, à elle seule, de l'honnêteté de sept mille personnes. Ce qui indique déjà un « tirage » satisfaisant. Le livre de Thérive me paraît – je ne suis pas un critique littéraire, et c'est pour cette raison que je prends quelques précautions – ce roman, Sans âme, me parait un des livres les plus curieux de notre époque. C'est un livre d'aventures qui pénètre en profondeur dans l'arrière-boutique cérébrale de deux filles et de quelques hommes parfaitement dépourvus de ce pittoresque social qui facilite les recherches. Il est difficile d'émouvoir plus honnêtement ; sans ruse et sans se mêler soi-même à la misère des autres.
    Lucette et Lydia sont deux jeunes femmes absolument réduites aux apparences de toutes celles qui peuplent la rue, pour un soir... un soir de 14 juillet, par exemple. Elles n'offrent rien de conventionnel, cependant, car s'il y a des lois dans la vie des hommes, rien de conventionnel n'existe réellement. Et c'est ce qui donne à notre existence cet attrait dont les plus déshérités demeurent les esclaves...
    Lucette et Lydia, jeunes filles, ne sont pas des filles publiques. Leur sentimentalité est d'une qualité plus fine. Elle est même tout à fait délicate chez Lydia. Les deux femmes cherchent à se défendre de l'homme, mais par des moyens qui reflètent très bien le désarroi sentimental de notre temps. Autour de ces trois personnages – les deux femmes et l'homme qui est entré dans la vie de ces deux femmes – un décor assez commun et très familier prend une qualité extraordinaire et se peuple de fantômes grâce à M. Comte, qui mesure les réactions motrices et sexuelles des sergentes salutistes, grâce à M. Pardoux, qui sait se déboîter légèrement les parois de la fontanelle comme Philoxénès, mage autrichien, et grâce à la présence de Mme Lormier et des fidèles de l'antoinisme. Le fantastique, qui emprunte souvent les formes les plus mesquines pour se glisser sous les portes les mieux closes, entre par quelques fissures, dans ce livre, qu'un autre écrivain aurait peut-être – je pense à Charles-Louis Philippe – mieux fermé. C'est pourquoi je préfère la sensibilité de M. Thérive et son art qui n'est pas imperméabilisé.
    Ce livre est mobile comme la vie et la mort. Thérive a tenu compte de la mobilité de la matière. Ces personnages sont maintenus au rythme de la vie. En lisant ce roman, on n'éprouve pas cette impression de trébucher comme celui qui, sans habitude, tente de poser le pied sur un escalier roulant. Notre propre part de mystère et de tragique se mêle sans effort aux créations de l'écrivain. C'est ainsi qu'il faut voir et aimer la rue ; c'est du moins ainsi que j'aime à entendre parler de la rue, d'une ville que je connais, et de fantômes qui, çà et là, semblent agir inutilement pour le plaisir pervers d'on ne sait qui. Dans le livre de Thérive, chacun cherche à sa façon la connaissance de Dieu. Cette recherche de la connaissance de Dieu pour des gens qui n'ont plus confiance dans les anciennes directives est encore un des éléments du fantastique social de notre temps. Certains, parmi les plus pauvres en imagination vont jusqu'au couperet de la guillotine pour atteindre la révélation. C'est tout cela et autre chose que je ne peux juger et qui appartient à André Thérive, qui font de son dernier roman une œuvre dont l'importance a déjà été soulignée, sans doute depuis longtemps.
                                                       Pierre MAC ORLAN.

Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 25 août 1928

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André Thérive - Querelles de langage, Jemeppes vs. Jemmapes (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936)

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André Thérive - Querelles de langage (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936)

QUERELLES DE LANGAGE

    J'ai encouru récemment les foudres de Cassandre, l'hebdomadaire bruxellois, pour avoir, à peu près, écrit que la vie privée du Père Antoine, fondateur de la religion antoiniste, aurait pu être celle de n'importe quel ouvrier du Borinage. Or, le Père Antoine était de Jemeppes-sur-Meuse, dans la banlieue de Liége, et le Borinage, c'est une région du Hainaut qui contient Jemmapes (où eut lieu la bataille), et délimitée à peu près entre Maubeuge et Mons, entre Valenciennes et Fleurus...
    Sur quoi on m'accuse d'observer « la tradition des chroniqueurs français pour qui la géographie de la Belgique est une chose essentiellement approximative ». Je ressens vivement ce reproche, mais je n'ai jamais confondu Jemeppe et Jemmapes. Borinage doit s'écrire en français comme nom commun, avec une minuscule. Le Larousse du xxe siècle donne au mot le sens général d'exploitation des houillères dans la région du Nord, et même d' « ensemble des ouvriers qui travaillent dans les houillères ». Le même dictionnaire comporte aussi borin, borine, pour désigner un ouvrier ou une ouvrière de cette profession. Le Littré, vieux de soixante ans, offrait déjà les mêmes mots dans le même sens. Et le Père Antoine, ayant commencé par travailler à la mine (à la fosse, comme on dit là-bas), a tous les droits d'être nommé en français un ouvrier du borinage.
    L'histoire des mots figurés offre mille exemples analogues, où le vocable propre tantôt prend une acception locale, particulière, sans cesser d'avoir sa signification générale, tantôt s'élargit, en dehors de ses frontières primitives, Est-il besoin de rappeler damas, rouennerie, cordonnerie (cuir de Cordoue) et tous les mots qui ont donné lieu, comme champagne, par exemple, à des procès commerciaux ? Dans le cas de borinage, on peut penser qu'une restriction géographique du sens a été pratiquée en Belgique, bref que le nom propre est postérieur au nom commun. Si je me trompe, si les borins ne sont à l'origine que les ouvriers ou habitants du pays Borinage, je serai heureux qu'on me le démontre.
    En attendant, rappelons que la France elle-même a usurpé le nom de la Francie des Francs, comme l'Angleterre recouvre peu à peu l'idée de Grande-Bretagne, voire d'Empire britannique. Amérique a une fortune analogue. Les Canadiens, Américains à nos yeux, disent l'Amérique en parlant des Etats-Unis.
                                                                          
André THERIVE.

Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936

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André Thérive - Querelles de langage, Jemeppes vs. Jemmapes (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936)

Publié le par antoiniste

André Thérive - Querelles de langage (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936)

QUERELLES DE LANGAGE

    J'ai encouru récemment les foudres de Cassandre, l'hebdomadaire bruxellois, pour avoir, à peu près, écrit que la vie privée du Père Antoine, fondateur de la religion antoiniste, aurait pu être celle de n'importe quel ouvrier du Borinage. Or, le Père Antoine était de Jemeppes-sur-Meuse, dans la banlieue de Liége, et le Borinage, c'est une région du Hainaut qui contient Jemmapes (où eut lieu la bataille), et délimitée à peu près entre Maubeuge et Mons, entre Valenciennes et Fleurus...
    Sur quoi on m'accuse d'observer « la tradition des chroniqueurs français pour qui la géographie de la Belgique est une chose essentiellement approximative ». Je ressens vivement ce reproche, mais je n'ai jamais confondu Jemeppe et Jemmapes. Borinage doit s'écrire en français comme nom commun, avec une minuscule. Le Larousse du xxe siècle donne au mot le sens général d'exploitation des houillères dans la région du Nord, et même d' « ensemble des ouvriers qui travaillent dans les houillères ». Le même dictionnaire comporte aussi borin, borine, pour désigner un ouvrier ou une ouvrière de cette profession. Le Littré, vieux de soixante ans, offrait déjà les mêmes mots dans le même sens. Et le Père Antoine, ayant commencé par travailler à la mine (à la fosse, comme on dit là-bas), a tous les droits d'être nommé en français un ouvrier du borinage.
    L'histoire des mots figurés offre mille exemples analogues, où le vocable propre tantôt prend une acception locale, particulière, sans cesser d'avoir sa signification générale, tantôt s'élargit, en dehors de ses frontières primitives, Est-il besoin de rappeler damas, rouennerie, cordonnerie (cuir de Cordoue) et tous les mots qui ont donné lieu, comme champagne, par exemple, à des procès commerciaux ? Dans le cas de borinage, on peut penser qu'une restriction géographique du sens a été pratiquée en Belgique, bref que le nom propre est postérieur au nom commun. Si je me trompe, si les borins ne sont à l'origine que les ouvriers ou habitants du pays Borinage, je serai heureux qu'on me le démontre.
    En attendant, rappelons que la France elle-même a usurpé le nom de la Francie des Francs, comme l'Angleterre recouvre peu à peu l'idée de Grande-Bretagne, voire d'Empire britannique. Amérique a une fortune analogue. Les Canadiens, Américains à nos yeux, disent l'Amérique en parlant des Etats-Unis.
                                                                          
André THERIVE.

Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936

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André Thérive - Les Lettres (L'Intransigeant 28 jan 1928)

Publié le par antoiniste

André Thérive - Les Lettres (L'Intransigeant 28 jan 1928)

XX SANS AME, roman, par André Thérive (Collection « Les Ecrits » n° 5, Grasset édit.). — Ce roman nous révèle une partie – et la plus émouvante – de ce qu'on découvre lorsqu'on sait se mêler à la vie intime des faubourgs parisiens.
    André Thérive s'est mêlé à cette vie. Avec une intelligence aiguë, il a pénétré la pensée des pauvres gens qui s'agitent dans leurs passions comme dans le décor d'une triste féerie.
    Sans âme : c'est-à-dire sans foi véritable, sans motif d'enthousiasme profond, sans idéal suffisant...
    Cette œuvre d'un style cursif et d'une trame toute simple (deux lamentables idylles rehaussées de promenades pittoresques chez les Antoinistes et dans des décors parisiens à la Huysmans) cette œuvre soulève vraiment de hautes questions et de la façon la plus poignante. C'est un livre de pessimisme et de sensibilité qui fait grand honneur à André Thérive. — (
II.)

                                             LES TREIZE.

L'Intransigeant, 28 janvier 1928

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