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andre therive

Un portrait par jour (Le Nouveau siècle, 21 février 1928)

Publié le par antoiniste

Un portrait par jour (Le Nouveau siècle, 21 février 1928)

Un portrait par jour

    D'André Thérive, l'auteur de Sans Ame, ce portrait du père Antoine, fondateur de l'antoinisme.
    Son image ne préside aux temples que depuis trois ans, bien qu'il ait été désincarné en 1912, le 25 juin, à l'âge de 65 ans, ce qui est jeune pour un guérisseur. Mais quoi, le Père Antoine, ancien mineur, ancien concierge aux tôleries, survit assez : il a la barbe et le cheveu blancs comme feu le zouave Jacob, la prestance d'un moujik vénérable, l’œil flambant, le geste bénisseur. Son portrait est un agrandissement photographique an fusain, à vingt-quatre francs quatre-vingt-quinze, et dans un coin, l'artiste a signé de son paraphe superbe.

Le Nouveau siècle, 21 février 1928

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Casablanca - salle de lecture antoiniste (La Dépêche coloniale, 9 décembre 1932)

Publié le par antoiniste

Casablanca - salle de lecture antoiniste (La Dépêche coloniale, 9 décembre 1932)

Cultes étranges et étrangers au Maroc

    Casablanca possède un temple antoiniste. C'est, dans une rue écartée, une petite maison tranquille dont la porte ogivale, toujours fermée, est dominée par une inscription tracée en lettres d'une dimension très modeste : culte antoiniste.
    André Thérive, curieux des sectes « populistes » de chez nous et qui consacra son roman Sans Ame aux Antoinistes des parages de la porte d'Italie, ignore sans doute l'existence de cette chapelle silencieuse. A plus forte raison, les profanes de France.
    Mais une véritable église vient d'être consacrée à Rabat, qui sera vite connue dans le monde entier. Elle est, en effet, dédiée à la religion orthodoxe et les Russes blancs, émigrés à travers les cinq continents, sauront vite que leurs compatriotes réfugiés au Maroc ont un asile de piété et de recueillement.

La Dépêche coloniale, 9 décembre 1932


    On ignore la durée d'existence de cette salle de lecture, mais elle n'aboutit pas à un temple.

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BONNES FEUILLES - Sans âme (L’Ère nouvelle, 19 janvier 1928)

Publié le par antoiniste

BONNES FEUILLES - Sans âme (L’Ère nouvelle, 19 janvier 1928)

BONNES FEUILLES
Sans âme

    ... Sans âme, par André Therive (Grasset, éditeur). Est-ce Huysmans, est-ce Tolstoï qu'il faut rappeler à propos de l'histoire de Julien Lepers, de l'ouvrière Lucette, de la danseuses Lydia ? et de tant d'autres personnages inoubliables ?

III

    Le train avait passé Thieulecques ; avant d'arriver à la station de Saint-Achille, Julien aperçut, fort près de la voie, la sucrerie rouge de M. Drémoncourt, son oncle. Les bâtiments, la haute cheminée, la villa, tout flambait neuf, au milieu des champs pâles et sur un fond de bois dépouillés. Tout cela avait été dévasté par la guerre, reconstruit magnifiquement sur les toits éclatants, un jeu de tuiles faisait lire le nom de Ghislain Drémoncourt beaucoup plus fièrement qu'un drapeau.
    Le maître de ces lieux vint chercher son neveu à la gare. Il avait notablement vieilli depuis un an ; enflé, tassé, les yeux sanglants, mais la parole gaillarde. Sous des dehors si grossiers, c'était un esprit vif et curieux. Ancien pharmacien à Saint-Omer, où la société bien pensante lui rendit autrefois la vie intenable, on le disait prospère dans l'industrie, et sa vieillesse semblait son apogée. Mais il ne parlait pas de ses affaires. Deux passions fortes l'animaient encore : l'une politique et qui se devine ; l'autre d'exceller à la tapisserie. Il s'était brodé lui-même des pantoufles historiées, tantôt à ses initiales gothiques, tantôt au caducée ou au mortier de son ancienne confrérie. Il avait été marié, veuf de très bonne heure, coureur assez longtemps. A présent, il se contentait de son industrie et d'intrigues politiques, qui lui faisaient trouver dans les journaux une pâture savoureuse et variée. Il n'était même pas conseiller général ; il était faiseur de députés comme on fut faiseur de rois, en dédaignant un peu ses créatures. Bien moins riche d'ailleurs que son renom ne le voulait ; satisfait de faire peur à ses ennemis, envie à ses amis, et en cela de duper tout le monde à moitié. Gourmet à la mode d'aujourd'hui, gourmand aussi à la mode d'hier. Casanier depuis deux ou trois ans, il avouait avec amertume, au moins dans ses lettres, qu'il est sage de se détacher de la vie quand elle se détache de vous. Mais, en paroles, une pudeur le gardait de cette forfanterie plaintive.
    – Alors, il y a eu un drame demanda Julien, copieusement embrassé.
    – Oui, oui, je te raconterai. Mais, d'abord, que je te prévienne : il va nous arriver de Wazemmes les de Gouin pour déjeuner, après la messe. Deux parents, trois filles. Je me suis réconcilié par lettre avec eux ; ou eux avec moi. Enfin, mettons tous ensemble. Il n'y a pas tant d'occasions de faire la fête en famille. Autant ceux-là que d'autres ; ils habitent si près ! Vois-tu, il n'y a rien de si terrible que la solitude. Il me semble que je la sens plus lourde de mois en mois. J'ai bien le temps, que diable, d'être enterré pour de bon !
    Ces paroles, dites avec gaité, rendaient un son funèbre. L'air était aigre, glacé par moments. La boue de novembre ne séchait plus sur les routes où les camions marquaient leurs ornières pour six mois. Au bord des champs, des silos à betteraves, voutés comme des tombeaux, exhalaient, malgré le froid, une puanteur acide.
    – Ah ! Dieu de Dieu ! s'écria encore M. Drémoncourt, que j'aime à te voir, Julien, froncer le nez devant l'odeur de la campagne maternelle ! Les de Gouin, au moins, sont des rustiques : ils ont fait de la terre, de la vie aux champs, un article de foi ; cela en ajoute un à ceux qu'ils croient déjà. On n'en saurait trop mettre. J'espère bien que tu les feras enrager là-dessus. Car il est inutile de parader devant ces demoiselles : tu as surement horreur de la campagne et de ton oncle campagnard.
    Il frappa amicalement sur l'épaule du neveu, qui lui prit le bras et avoua :
    – Ce qui doit être affreux dans la campagne, c'est de pouvoir penser à soi trop nettement, et de voir toute simple, toute fatale devant soi, sa destinée.
    – Tu me dis ça, fit observer M. Drémoncourt, souriant, à moi qui la verrais n'importe où aussi simple et aussi courte, parce que je suis vieux ! Tu gardes l'illusion des jeunes : que la vie reste libre tant qu'elle cache de l'imprévu. Je ne t'en veux pas, égoïste. Tu as les défauts de ton âge, et un autre encore : car au fond tu es un bohème.
    Oui, un bohème..., Ha ! Ha ! j'ai trouvé le mot. Il y a des êtres qui poussent ainsi, même dans les plantations bourgeoises, comme le chiendent dans les betteraves. Ce n'est pas moi qui les appellerai des maudits... Ils choisissent la meilleure part. Si j'avais su, peut-être, en mon temps... mais il ne faut pas recommencer toujours sa vie en songe. Il ne faut jamais détester ce qu'on est. Ça, c'est la vraie malédiction.
    – Ah ! oui, reconnut Julien.
    – Mon neveu a le cafard, dit le distillateur. Voilà le paysage de Saint-Achille qui agit déjà. Ou bien est-ce qu'il aurait des peines de cœur. Oui ? non dans le sacré Paris pourtant, avec mille francs que je t'envoie par mois, et tes honoraires ! Combien gagnes-tu avec M. Comte ?
    – Neuf cent six francs.
    – Cela fait bien des cigares. Et tu vends bien quelques petites gravures ? A ta place, je serais heureux. Veux-tu changer ta peau avec moi ? Ah ! vingt milliards de dieux ! qu'est-ce qu'elle cherche donc, la science, si ce n'est de faire rajeunir les vieilles bêtes ? à quoi sert-elle, je te demande un peu ? Allons, Julien, c'est toi qui fais la tête, et moi qui te remonte ! Et malgré mes drames domestiques ! Et malgré l'arrivée de la sainte famille de Gouin !
    Ils parvenaient à la distillerie. Le pavillon de M. Drémoncourt donnait sur un jardin dessiné, mais tout nu, qui rejoignait les prés et les bois. A l'horizon, deux cônes noirâtres indiquaient le pays des mines, les terrils de charbon, Le ciel était bas : des corbeaux erraient déjà comme une fumée sous les nuages, en criant, et soudain se taisaient, laissant le paysage à sa nudité, à son silence.
    – A propos, demanda Julien. Et le drame ! et votre fidèle Irène ?
    M. Drémoncourt se rembrunit :
    – C'est vrai ; je ne pouvais te raconter par lettre toute cette histoire incroyable. La pauvre vieille a passé juste le lendemain du 14 juillet, tandis qu'il y avait encore dans la cour des lanternes et un accordéon pour le bal des ouvriers. Elle avait eu déjà deux ou trois crises d'étouffement, mais elle ne voulait pas se reposer, encore moins se faire suppléer par une jeunesse. On peut dire qu'elle est morte avec son tablier bleu ! Je l'ai relevée moi-même, je lui ai scarifié moi-même des ventouses ; et Dieu sait si je n'aime plus ce métier-là ! Elle disait juste : « Ça me fourmille, monsieur, ça me fourmille partout », avec sa langue pâteuse. Et puis : « Il faudra avertir à Caudry M. Meulemester. – Quoi donc ? c'est un parent ? – Non, non. – Un médecin ? non ? un notaire ? – Un « adepte » ! a-t-elle dit enfin.
    « Je n'y comprenais rien du tout. Depuis vingt-cinq ans qu'elle me servait, elle ne m'a jamais parlé d'« adeptes ». Elle ne quittait non plus jamais la baraque. Tu sais qu'elle n'allait pas même à la messe, que je lui plaçais ses gages, et qu'elle me demandait vingt francs de temps en temps, sur son magot, pour s'acheter de la laine à tricot. Quand elle a été morte, j'ai fait chercher à Caudry le sieur Meulemester.
    « Il est arrivé le soir même, avec deux femmes bizarres, des espèces de nonnes, ou d'infirmières en noir. Ils ont passé la nuit à l'auberge, sans vouloir veiller la pauvre Irène. C'est moi qui suis resté auprès de son lit, à boire le café sans chicorée, qui était bon pour la première fois : car enfin elle avait de sacrés goûts en cuisine ! Tu me vois devant les bougies, luttant contre le sommeil, farfouillant un peu dans ses nippes pour rassembler son héritage, avant de dénicher les héritiers, belle corvée mon ami ! J'étais attaché à cette bonne vieille, après tout : Vieille ? elle avait trois ans de plus que moi. Mais éreintée et un peu hébétée aussi. Qu'est-ce que je trouve dans ses paquets de linge : des brochures bleues ou vertes qu'elle recevait, écrites en un charabia impossible, et intitulée l'« Unitif ». Cela lui venait de Belgique, et cela m'avait l'air de prêcher l'Antoinisme, une espèce de nouvelle religion, oh ! une religion pour les pauvres bougres... Naturellement, j'ai jeté les papiers au feu : cela pourrait faire beaucoup de mal. Je n'ai su que le fin mot que le lendemain.
    « Le sieur Meulemester arrive donc avec ses acolytes : vêtu d'une lévite jusqu'aux talons, il apportait un drap vert-chou dont il a fait couvrir le cercueil, au grand épatement des gens d'ici ; et il s'est prélassé devant la charrette en promenant une espèce d'écriteau carré où il y avait un arbre peint et ces mots : « La science de la vue du mal ». Il m'a montré un papier signé (si on peut dire) de la pauvre Irène, qui exigeait des funérailles « antoinistes », c'est-à-dire ce carnaval, et en fin de compte, la fosse commune (tu entends, Julien !) le trou au bout du cimetière, le silo où l'on ne jette ici que les os déterrés et les vieilles couronnes, avec défense de jamais avoir son nom sur ce misérable tombeau. Tu penses si j'étais furieux ! J'avais d'abord l'air d'un pingre, d'un abominable dégoûtant, devant tous les gens de l'usine qui regardaient le cortège, et qui n'en croyaient pas leurs yeux. Heureusement que le sieur Meulemester, avec son attirail, éveillait l'attention, me sauvait la mise. Il a récité au cimetière des phrases ridicules, en langage d'école du soir : la conscience, la matière, le développement intellectuel, que sais-je ? Le bruit s'est répandu vite que ce gibier représentait des Antoinistes ; et il y a eu des gens pour trouver que des funérailles pareilles, c'était crâne, c'était grand... et que la vieille Irène avait été une sainte à sa façon. Le nommé Meulemester, a replié son drap vert ; ses donzelles ont distribué des papiers. Le curé, m'a-t-on dit, contemplait l'affaire derrière ses rideaux, d'où il voit la porte du cimetière. Les crétins qui se disent ici bolchevistes ont raconté le soir, à l'estaminet, que la fosse commune devrait être rendue obligatoire. Et puis tout cela s'est oublié ; le notaire s'occupe de trouver des ayants-droits au petit magot de la pauvre Irène. Rendons cette justice au sieur Meulemester et à sa nouvelle religion : c'est qu'ils n'ont pas capté le testament ni réclamé de casuel... Mais faut-il qu'il existe des abrutis en ce monde !
    A ce moment, la nouvelle servante se montra sur le perron. C'était une grosse Flamande, veuve d'un marin disparu, et qui avait été cordon-bleu à Dunkerque.
    – Celle-là au moins, dit M. Drémoncourt, elle n'a rien de la prophétesse. Tu verras sa cuisine ! Il faut avouer qu'elle se boissonne tous les samedis, et le chauffeur la console de ses malheurs quand il l'emmène faire son marché. J'aime mieux cela. Mais je pense à la pauvre Irène qui soufflait en se traînant de pièce en pièce, et qui maintenant dort comme un chien à l'endroit des pots cassés et des grilles en morceaux... Ah ! pouah ! c'est joli, ce qui nous attend tous !
                                                                                                          André THERIVE.

L’Ère nouvelle, 19 janvier 1928

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Simon Arbellot - Conciliabules chez les Huymansiens (1957)

Publié le par antoiniste

Simon Arbellot - Conciliabules chez les Huymansiens (1957)Auteur : Simon Arbellot
Titre : Conciliabules chez les Huymansiens
Édition : Revue des Deux Mondes (1er MAI 1957), pp. 139-143

 

    Évoque le destin de la chapelle antoiniste de la rue Christine. En 1948, les Huysmansiens ont investi la salle de lecture du Culte Antoiniste, tenue un temps par Frère Jolly depuis au moins 1925. Elle a été remplacée en 1955 par le Temple des Ternes, au Passage Roux (17e arrdt). On y parle aussi d’André Thérive, membre de la première heure du club des Huysmansiens.

 

CONCILIABULES
CHEZ LES HUYSMANSIENS

    Rue Jacob... une petite boutique de libraire à l'enseigne « Chez Durtal » ... des reliures aux ors passés... des photos, des lettres, des manuscrits... le masque mortuaire de Pascal... je ne me trompe pas, c'est bien là le sanctuaire de Joris Karl Huysmans. J'aperçois le grand prêtre du culte huysmansien, M. Pierre Lambert, au visage ascétique, assis à sa table au milieu de ses livres et qui semble écouter la confession d'un jeune homme.
    – Conseillez-moi, dit celui-ci, c'est l'époque de la conversion et de Ligugé qui, seule, m'intéresse. Est-il bien utile de me lancer dans l'œuvre entière ?
    – Lisez la préface d'A Rebours, écrite vingt-cinq ans après la première édition, vous aurez là l'essentiel de la pensée de Huysmans.
    Je suis entré sur la pointe des pieds dans la librairie et comme j'esquisse un pas en arrière, M. Pierre Lambert me fait signe de rester.
    – Vous n'êtes pas de trop, nous commençons, me dit-il.
    Et cet homme d'études qu'on dérange tout le temps ajoute en riant :
    – Vous n'osiez pas entrer... je finirai par faire poser une plaque de sonnette sur ma porte comme on en voit sur celles des presbytères, mais au lieu de « Ici, pour les sacrements », je mettrai « Ici, pour Huysmans ».
    Je regarde autour de moi. Je reconnais tout de suite un Saint Mamert en bois sculpté qui retient d'une main ses entrailles, non loin de lui un Rabelais à la tête laurée, des livres rares et, partout, des photos représentant un vieux monsieur à la barbiche blanche, une sorte de M. Folantin, fonctionnaire, « bourgeois modeste et frileux », c'est Joris Karl Huysmans. Une odeur de sacristie, un silence de bibliothèque. Je pense, malgré moi, à Jean de Bonnefon recevant, il y a trente ans, dans son rez-de-chaussée de la rue de Vaugirard, l'un après l'autre, ses pénitents. Au milieu des Christs et des statues dédorées, de candélabres et de livres d'heures, le maître, assis dans une cathèdre, donnait audience. Il portait une veste d'intérieur violette. Il était bagué d'améthyste comme un archevêque et monoclé comme M. Paul Bourget. Mais chez ce chroniqueur de la belle époque, les dieux étaient assoiffés, ici, rue Jacob, on est sérieux. Le culte de Joris Karl, comme disent ses disciples, est celui de la fidélité et après un demi-siècle nous comprenons mieux la portée de l'exemple qu'a suscité dans le monde l'illustre converti.
    M. Pierre Lambert m'a laissé un instant à mes réflexions et à mes émerveillements.
    – Tenez, me dit-il, en me désignant un fauteuil de cuir, c'est là que votre ami Léo Larguier venait s'asseoir, en fin de journée, pour me parler de la tour Saint-Sulpice et du sonneur de cloches Carhaix. En voilà un qui connaissait Huysmans et qui l'aimait ! Il en savait des pages par cœur et me les récitait de sa belle voix romantique. S'étant enquis de mes dernières découvertes, de la lettre inédite, du texte inconnu, des cotes récentes des manuscrits à l'hôtel Drouot, de la vie de la société, il reprenait son bâton, coiffait son haut feutre en ayant bien soin de laisser échapper quelques mèches rebelles et disparaissait au coin de la rue de Furstemberg à la recherche de son rêve.
    – Je sais, moi, où il allait en vous quittant : chez Henri Martineau parler de la Sansévérina, ou chez Marcel Bouteron, à l'Institut, prendre des nouvelles de Mme de Nucingen ou encore chez son ami Martine, aux Beaux-Arts, pour verser, de concert, quelques larmes posthumes sur Emma Bovary. Ses seules amours.
    Que Léo Larguier, ce huguenot des Cévennes, ait pu être trouble par Huysmans ne saurait nous surprendre. J'ai trouvé dans le bulletin de la société quelques lignes de lui qui montrent à quel point l'avait frappé la description de la vie dans la fameuse tour de Saint-Sulpice.
    « ... il y a des soirs naufragés d'hiver, écrivait-il, où je me dis souvent qu'il ferait bon, dans un logis coi de la provinciale rue Férou, à deux pas de Saint-Sulpice, d'être, défrayé de tout ce qui encombre la vie, un monsieur prêtre, plus amateur de littérature que de théologie, dorloté par une gouvernante tyrannique, érudit, gastronome, bibliophile et lisant au coin du feu Barbey d'Aurevilly et Huysmans dans leurs bonnes éditions... »

    Mais je ne suis pas venu « chez Durtal » pour rêver, sinon pour prendre, moi aussi, des nouvelles de la a Société Joris Karl Huysmans qui se prépare à fêter le cinquantième anniversaire de l'auteur de La Cathédrale. Je sais, bien sûr, qu'elle date de 1927 mais que, dès 1919, il existait un « Huysmans-Club assez mystérieux et plutôt initiatique. Je connais les noms de ces huysmansiens des débuts, Lucien Descaves, Paul Bourget, l'abbé Bremond, Forain, le chanoine Mugnier, André Thérive, Valette, et d'autres qui surent attirer à eux tant et tant de personnalités diverses, unies dans la même pensée.
    – Aujourd'hui, me dit M. Pierre Lambert, nous comptons trois cent cinquante membres, nous avons publié trente-trois bulletins et nous restons en contact permanent. Venez jeudi prochain à notre réunion mensuelle rue Christine, un quartier que Huysmans a peu quitté. Nous nous réunissons dans une salle de la « Reine Christine », sur l'emplacement d'une ancienne chapelle antoiniste.
    Le jeune homme nous a quittés depuis un instant, mais nous n'allons pas rester longtemps seuls. Voici une visite. C'est un « fidèle » à la recherche d'un livre rare, mais on sent qu'il a, aussi, quelque chose d'important à dire.
    – Un ami belge, murmure-t-il d'une voix émue, m'assure que le Chapitre de Bruges va se décider à parler.
    – N'y comptez pas trop, lui répond M. Pierre Lambert.
    La glace est rompue. Ainsi j'apprends que le chanoine Docre a vraiment existé sous le nom du chanoine van Haecke, prêtre satanique sur lequel un dossier accablant existe dans la ville des Memling et du Saint Sang. Les chanoines de Bruges, eux, connaissent la vérité. Il parait qu'ils vont enfin parler.
    Plein d'illusions, le fidèle est parti. Nous voici seuls. Pierre Lambert me parle de sa collection d'autographes qui se monte à plus de quatre cents lettres, des éditions rares qu'il possède. Il avait dix-huit ans quand il a découvert Là-Bas. Depuis il a vécu sans cesse avec Huysmans par la pensée. Mais comment s'est-il procuré ce titre de bachelier de Joris Karl, sa blague à tabac japonaise, celle même qu'on voit dans les mains de des Hermies ? Le dieu seul de la brocante le sait.
    Dans l'arrière-boutique, sur un rayon profond, au milieu des livres, M. Pierre Lambert me conduit devant un large coffret carré, habillé de drap rouge avec une porte ornée de cours en bois sculpté : c'est le tabernacle de Julie Thibault, la servante de Huysmans, et qui se trouvait dans sa chambre de bonne de la rue de Sèvres.
    Initiée du rituel des sacrifices du Carmel Eliaque, cette Julie Thibault se disait voyante et Huysmans s'en méfiait. Il savait fort bien que, là-haut, elle célébrait un culte et consacrait sous les trois espèces du pain, du vin rouge et de la lumière. Il laissait faire.
    M. Pierre Lambert, doucement, a ouvert la porte du tabernacle ; j'aperçois, suspendus au fond, hors de portée de la main, quelques médaillons de verre contenant des hosties. Je recule instinctivement, un peu gêné.
    – Rassurez-vous, me dit M. Pierre Lambert, elles ne sont pas consacrées, c'est l'avis des prêtres qui sont venus ici.
    Je voudrais être ailleurs. J'apprends alors que Julie Thibault n'est autre que la Céleste Bavoil de l'Oblat et de la Cathédrale. Je respire mieux, la littérature l'emporte...
    – A jeudi !
    – A jeudi, Durtal, pardon ! Monsieur Lambert.

*
*   *

    Maître Maurice Garçon, l'avocat du diable, a chaussé ses larges lunettes. Cet homme jeune encore que l'on a accoutumé de voir plutôt sourire dans la vie, occupe, avec le sérieux d'un chanoine capitulaire, la présidence des amis de J. K. Huysmans dans ce qui fut la chapelle antoiniste. Nous sommes rue Christine, à l'enseigne de la « Reine Christine », où la maîtresse de céans, la bonne Mme Deudon, la cuisinière au grand cœur chantée par Léon Daudet, donne chaque mois asile aux huysmansiens plus avides de nourritures spirituelles que des siennes. Peu importe puisqu'en ces lieux le parfum des sauces l'emporte tout de même sur celui de l'encens.
    C'est donc Maitre Maurice Garçon qui a succédé à Lucien Descaves et apporte à la vie de la Société J. K. Huysmans ce dynamisme qui a marqué sa carrière d'avocat. Faut-il, lui aussi, qu'il l'aime ce Joris Karl Huysmans pour lui consacrer un temps précieux ! Il y a là, dans la salle de la « Reine Christine », autour des petites tables du restaurant, une soixantaine de personnes de tous âges et de toutes conditions. Les grands ténors, ceux dont les noms sont inséparables de toute idée de comité de patronage, ne sont pas là. A part les membres du bureau, je ne mets aucun nom sur ces visages. Il y a des femmes, des hommes, des jeunes gens qui viennent entendre parler et parler eux-mêmes de celui qu'ils appellent familièrement Joris Karl tout en buvant une orangeade. Le secrétaire lit le compte rendu de la dernière séance et la parole, ce jour-là, est donnée à un jeune étudiant pour une communication. Je tombe bien, le sujet est amusant et imprévu pour moi : les relations entre Huysmans et Jean Lorrain. On apprend tous les jours quelque chose de nouveau. On apprend surtout que l'auteur frivole de Monsieur de Phocas, si oublié ! n'était peut-être point si fol qu'il le paraissait au café Napolitain, et que sous des dehors criants il cachait une âme inquiète. Ses lettres à Huysmans, dont on nous lit des extraits, sont empreintes de sincérité et l'amitié que l'auteur de l'Oblat lui rendait ne saurait être suspecte de complaisance.

Oui, on en apprend des choses, rue Christine ! Figurez-vous que pendant l'occupation (c'est un « sociétaire » qui parle), un bibliophile niçois est perquisitionné par la Gestapo, qui découvre toute l'ouvre de J. K. Huysmans à la place d'honneur. Huysmans ! Le policier fait la grimace, voilà un nom qui ne sent pas son pur aryen. Soudain, sur un rayon voisin, son attention est attiré par une belle reliure sur laquelle il lit La Jérusalem délivrée. Plus de doute cette fois : la bibliothèque entière est confisquée.
    Revenons aux choses sérieuses. On parle maintenant de M. Folantin, l'un des nombreux hypostases, au dire de M. F.-E. Fabre, de Joris Karl « romancier de soi-même »...
    Sait-on combien Là-Bas, paru en feuilleton à l'Echo de Paris, fut payé à Huysmans ? Cinquante centimes la ligne, avait dit M. Gérard Bauer, quarante rectifie M. Pierre Lambert... C'est Jules Destrée qui avait fait connaître à Huysmans les Chants de Maldoror. Il les avait aimés, mais il ne put s'empêcher d'écrire : « Que diable pouvait faire dans la vie l'homme qui a écrit d'aussi terribles rêves ? »... On parle aussi d'Edmond de Goncourt pour lequel Huysmans professait une grande admiration. On a retrouvé de belles lettres à ce sujet. Histoire, petite histoire, tout est bon aux fidèles d'Huysmans qui veulent toujours en savoir davantage sur leur idole. Et cette chasse à l'anecdote, au document se trouve résumée dans les trente-trois bulletins que j'ai parcourus « Chez Durtal » et qui nous conduisent de la rue de Sèvres à la rue Saint-Placide en passant par Ligugé, du naturalisme à la mystique catholique, de la critique d'art au symbolisme archéologique jusqu'à l'occultisme...
    Je suis frappé du côté sérieux de ces huysmansiens réunis à « La Reine Christine ». Là, La Cathédrale l'emporte nettement sur la messe noire et chacun de ces fidèles se préoccupe plus de la prochaine cérémonie anniversaire que des excentricités de Julie Thibault. Ici on ne connait que Céleste Bavoil. C'est à peine si j'ai entendu prononcer le nom de Des Esseintes et personne ne m'a proposé d'aller au « Britannia » diner d'une tranche de roastbeef et d'une pinte de stout. Mais chacun s'est quitté en se donnant rendez-vous à la messe en cette chère église Saint-Séverin, où, comme disait Huysmans, « l'âme des voûtes existe ».

                                                                          SIMON ARBELLOT.

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André Thérive, Sans âme (L'Œuvre, 31 janvier 1928)

Publié le par antoiniste

André Thérive, Sans âme (L'Œuvre, 31 janvier 1928)

L'ŒUVRE littéraire 

LES LIVRES DE LA SEMAINE

Quelques romans

    Il y a deux sujets dans Sans âme, d'André Thérive, il y a du moins l'étude de deux milieux. L'un est un milieu secret, presque inaccessible, constitué par une petite secte religieuse dont la chapelle se trouve au quartier de la Butte-aux-Cailles et qui porte l'étiquette d'« antoiniste », du nom de son fondateur. L'autre, c'est le music-hall, le monde des petites danseuses, des figurantes, des « marcheuses », selon l'expression du métier. D'un milieu à l'autre, de la rive droite à la rive gauche, va et vient le principal personnage, Julien Lepers, assistant à je ne sais quel laboratoire de psychologie mystique expérimentale, qui finit par perdre sa place et par accepter un simple emploi de commis. Il a été l'amant d'une petite « marcheuse » qui se sachant enceinte et s'étant juré de ne plus le revoir après s'être donnée une fois à lui, s'est suicidée. Le récit de cette fin forme le plus émouvant chapitre du livre, d'ailleurs fort beau d'un bout à l'autre, mais un peu déconcertant, voire désespérant, et qui laisse un arrière-goût de désolation amère.
    Au delà des données immédiates et concrètes de Sans aime se révèle en effet, l'intention de l'auteur de nous rendre sensible l'abandon de l'âme moderne, la dégénérescence du sentiment religieux dans le peuple, la noire ivresse de vivre qui a remplacé chez nos contemporains les supports moraux traditionnels. N'avant point pour habitude de discuter les idées, la philosophie des romanciers, surtout quand ils ne présentent pas une thèse en bonne forme et se contentent de laisser certaines constatations se dégager honnêtement d'elles-mêmes, je ne vais pas bien entendu, remontrer à M. Thérive qu'il a tort et lui vanter l'efficacité de la morale laïque considérée comme aliment spirituel des masses populaires : Je préfère lui faire observer qu'au point de vue de la technique romanesque son livre, où abondent des pages remarquables, notamment des descriptions de faubourgs et où règne, avec un style aisé, fluide, un ton fort élégamment familier, serait peut-être plus satisfaisant pour le moyen lecteur si l'intérêt tardait moins à s'y fixer. L'influence de Huysmans est si manifeste dans cette peinture d'une secte mystique assez cocasse qu'on hésite presque à la signaler. Mais ce par quoi M. Thérive l'emporte évidemment sur son maître et sur tous les naturalistes dont il semble si étrangement féru, c'est l'écriture.

L'Œuvre, 31 janvier 1928

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André Thérive - Les Portes de l'Enfer (1924)

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André Thérive - Les Portes de l'Enfer (1924)

Auteur : André Thérive
Titre : Les Portes de l'Enfer
Édition : Bloud et Gay, Paris, 1924


Recensions :
                  André Thérive
             Les Portes de l'Enfer
    Voici un livre d'érudition vraie, qui, en deux cent vingt-cing pages, remplacera pour le lecteur curieux une grosse bibliothèque. Il intéressera tous ceux qui pensent que la science contemporaine laisse en dehors de ses investigations tout ce qui fait le sel du monde, tout ce qui préoccupa et préoccupera toujours l'humanité pensante, je veux dire le mystère. Sans l'inconnu, c'est-à-dire sans un plan supérieur proposé à nos imaginations, aucun progrès ne serait possible et l'homme ne se distinguerait en rien de l'animal.
    Sous ce titre : Les Portes de l'Enfer, c'est donc, en réalité, tout ce qui constitue la substance humaine que M. André Thérive a résumé. L'art et le satanisme, la vague théosophique, le spiritisme devant les lettres et la philosophie, la leçon de la Kabbale, l'ancêtre de La Divine Comédie, la légende de Dante hérétique, le pessimisme éternel, autant de chapitres que l'on ne saurait résumer, mais que l'on pourrait développer, au contraire, en vingt volumes.
    Ce qui nous plaît chez l'auteur, c'est son sens critique aigu qui, malgré certaines préférences évidentes, lui permet de porter des jugements de bon sens sur les questions les plus embrouillées. Je n'en veux pour exemple que les mystères du Graal, dont les complications inouïes seraient bien faites pour dérouter le plus laborieux pondeur d'in-folio allemands.
    A vrai dire, si l'on se perd dans la symbolique, on risque de s'égarer définitivement. La voie philologique paraît plus simple. D'où vient le mot Graal ? En Savoie et en Suisse, grâla, ou crôl, signifient une jatte. En Normandie, en Auververgne, graset désigne une lampe-vaisseau. Peut-être y a-t-il là aussi un jeu de mots, grasalis signifiant un récipient en bas-latin, et gradalis, un livre pieux. Le graal signifierait donc, à la fois, un livre d'initiation et une soupière. Si l'on sait que grasalis désignait dans le Midi une mesure de pêcheur pour le poisson, on comprendra l'origine de l'idée du Riche Pêcheur. D'autres équivoques sur le plat et la lance enrichissent également la légende. Quelle peut être également la transformation apportée dans la légende du Graal par l'idée chrétienne ? On sait, en effet, (Montalembert nous l'a tout au long raconté), quelle fut l'indocilité des chrétiens de Bretagne contre l'autorité catholique. Le Graal venait, en effet, de Grande-Bretagne, où il avait été apporté d'Orient, et la Table Ronde a failli représenter une troisième communion mystique. Les moines de Cîteaux, dans leur réaction contre les frivolités de la féodalité galante, ont dû tourner les légendes du Graal vers une fin morale et théologique. vers une fin, disons-le, plus catholique. Et le Graal ne fut plus qu'une sorte de figure de l'Eucharistie, sa Quête représentant le voyage du chrétien à la recherche de son Dieu, qu'il n'atteint que dans la mort, comme on le voit par l'exemple de Lancelot et de Galaad. La légende du Graal n'est point, du reste, sans porter en elle un ferment d'hérésie, et l'auteur était bien placé pour le découvrir. Salomon l'avait dit par avance à Galaad :
    - Si tu veux être en paix, garde-toi des femmes sur toutes choses.
    « Entendons bien, nous dit M. André Thérive. Ces préceptes qui adjurent le monde de finir, le monde qui insultait Dieu par son existence même, ces préceptes ne posent pas une morale supérieure et idéale ; ils supposent bel et bien une espèce de blasphème et de négation. Aussi les néo-bouddhistes du dernier siècle n'ont-ils eu garde de le négliger. Parsifal, le guerrier-vierge, devenu schopenhauérien, a incarné pour Wagner la négation du vouloir vivre. »
    Nous sommes heureux de l'entendre dire à l'auteur du Plus Grand Péché, dont nous parlâmes ici même à l'occasion du Prix Balzac.
    Si l'on voulait trouver une raison à cette fin de toutes choses, peut-être pourrait-on la trouver, à mon sens, dans le désir très banal de conclure qui est particulier au roman, fût-il de chevalerie. Une belle histoire doit se terminer en apothéose ; l'apothéose suppose quelque chose de surhumain ; l'auteur, avant de quitter tous ses personnages, doit les conduire jusqu'au bout de leur vie ou de leur geste ; il me semble bien que toutes les théories négatives naissent de ce besoin obscur de conclure, aussi bien dans le roman qu'en philosophie. La théorie du non-être, celle de la fin des temps aventureux » n'est-elle point, à bien prendre, qu'une forme mystique des faciles dénouements de théâtre, lorsque l'auteur, sentant venir la « fin du troisième acte, met dans la main de son héroïne ou de son héros la facile conclusion du revolver ?
    Ne l'oublions pas, - et M. André Thérive est le premier à nous le faire remarquer, c'est souvent dans les idées populaires les plus simples qu'il faut trouver l'origine des conceptions philosophiques les plus embrouillées.
G. de Pawlowski
Les Annales politiques et littéraires, 8 février 1925


               Les Portes de l'Enfer
                 par André Thérive
    Point n'est besoin de profondes connaissances exégétiques pour savoir que cette métaphore : les portes de l'Enfer, désigne les puissances diaboliques, auxquelles il ne sera jamais donné de prévaloir contre l'Eglise du Christ ; point besoin, non plus, de forte culture gréco-latine pour se rappeler qu'au 19e chant de l'Odyssée, Homère affirme que les songes véridiques sortent du royaume de Hadès par une porte de corne, tandis que les trompeurs montent par une porte l'ivoire. Ingénieuse fiction, bâtie sur un simple jeu de mots (kéras, corne, avec krainô, accomplir ; éléphas, ivoire, avec éléphairomai, tromper) et reprise par Platon dans le Charmide et Virgile dans l'Enéide. Et voilà donc limpide, à présent, le titre à première vue un peu mystérieux du morceau livre de M. André Thérive. Non seulement la cité de Dieu est attaquée par les forces sataniques, mais aussi la cité humaine que le respect de la liberté de penser livre sans défense à des rêves et des folies qui, d'origine infernale, menacent la civilisation.
    Ces rêves et ces folies, d'apparence souvent innocente, doctrines fuyantes et sinueuses : spiritisme, théosophisme, kabbale... il importe de leur arracher le masque ; tout au moins d'attirer sur elles une attention raisonnable. C'est ce qu'a fait M. André Thérive en des études qui sont d'un philosophe savant et subtil. Aussi bien, n'a-t-il pas oublié la porte de corne. Toutes les fois qu'il en a l'occasion il y regarde afin d'y chercher vérité et poésie. Il s'en trouve même dans les pires erreurs. Satan ne fut-il pas le plus beau des singes ?
    Et il reste le plus malin ! Ne s'est-il pas glissé dans les pages mêmes que M. André Thérive vient d'écrire pour combattre ! Comment, en effet, si les portes de l'Enfer n'ont pas quelque peu prévalu contre le Grammaire-Club, comment expliquer, sans la plume de M. André Thérive, ce mignon solécisme : « Ce ne saurait être pour rien que les esthètes purs ont posé en blasphème contre Dieu la dévotion envers l'art... » (page 14) et cet autre, bien plus grave : «... le Pimandre est encore facile à se procurer » (p. 36), répété p. 76. ... le P. Lucien Roure dont les deux ouvrages sont fort aisés à se procurer ». Oui, oui, le diable est bien malin ! - (Bloud et Gay.)
                                                Henri CASANOVA.
Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 28 mars 1925

    On peut lire en page 9, juste ce petit signalement contre l'orientalisme :
    "Aujourd'hui, l'on voit communément, sous les espèces d'un « orientalisme » d'aloi confus, reparaître l'antique dualisme, dont le satanisme est seulement une figure plus franche. En Amérique, en Belgique, en Allemagne, un peu partout, on voit surgir des messies indulgents et bénisseurs dont le vieux manichéisme semble bien être la doctrine suprême. Or dans les plus innocentes prédications qui vous proposent tour à tour l'amour universel, l'abdication de l'intelligence, la négation du mal, de la souffrance, et de la matière, qu'elles assimilent à ce principe, le critique informé subodore assez vite l'évangile mensonger de la haine, de la charnalité et du culte des ténèbres. Ce sont là de grands mots ; mais quand les employer sinon en pareille circonstance ?"
    Sans évoquer l'Antoinisme, c'est bien ce dont parle l'auteur.

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André Thérive - Querelles de langage, Jemeppes vs. Jemmapes (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936)

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André Thérive - Querelles de langage (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936)

QUERELLES DE LANGAGE

    J'ai encouru récemment les foudres de Cassandre, l'hebdomadaire bruxellois, pour avoir, à peu près, écrit que la vie privée du Père Antoine, fondateur de la religion antoiniste, aurait pu être celle de n'importe quel ouvrier du Borinage. Or, le Père Antoine était de Jemeppes-sur-Meuse, dans la banlieue de Liége, et le Borinage, c'est une région du Hainaut qui contient Jemmapes (où eut lieu la bataille), et délimitée à peu près entre Maubeuge et Mons, entre Valenciennes et Fleurus...
    Sur quoi on m'accuse d'observer « la tradition des chroniqueurs français pour qui la géographie de la Belgique est une chose essentiellement approximative ». Je ressens vivement ce reproche, mais je n'ai jamais confondu Jemeppe et Jemmapes. Borinage doit s'écrire en français comme nom commun, avec une minuscule. Le Larousse du xxe siècle donne au mot le sens général d'exploitation des houillères dans la région du Nord, et même d' « ensemble des ouvriers qui travaillent dans les houillères ». Le même dictionnaire comporte aussi borin, borine, pour désigner un ouvrier ou une ouvrière de cette profession. Le Littré, vieux de soixante ans, offrait déjà les mêmes mots dans le même sens. Et le Père Antoine, ayant commencé par travailler à la mine (à la fosse, comme on dit là-bas), a tous les droits d'être nommé en français un ouvrier du borinage.
    L'histoire des mots figurés offre mille exemples analogues, où le vocable propre tantôt prend une acception locale, particulière, sans cesser d'avoir sa signification générale, tantôt s'élargit, en dehors de ses frontières primitives, Est-il besoin de rappeler damas, rouennerie, cordonnerie (cuir de Cordoue) et tous les mots qui ont donné lieu, comme champagne, par exemple, à des procès commerciaux ? Dans le cas de borinage, on peut penser qu'une restriction géographique du sens a été pratiquée en Belgique, bref que le nom propre est postérieur au nom commun. Si je me trompe, si les borins ne sont à l'origine que les ouvriers ou habitants du pays Borinage, je serai heureux qu'on me le démontre.
    En attendant, rappelons que la France elle-même a usurpé le nom de la Francie des Francs, comme l'Angleterre recouvre peu à peu l'idée de Grande-Bretagne, voire d'Empire britannique. Amérique a une fortune analogue. Les Canadiens, Américains à nos yeux, disent l'Amérique en parlant des Etats-Unis.
                                                                          
André THERIVE.

Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936

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André Thérive - Querelles de langage, Jemeppes vs. Jemmapes (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936)

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André Thérive - Querelles de langage (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936)

QUERELLES DE LANGAGE

    J'ai encouru récemment les foudres de Cassandre, l'hebdomadaire bruxellois, pour avoir, à peu près, écrit que la vie privée du Père Antoine, fondateur de la religion antoiniste, aurait pu être celle de n'importe quel ouvrier du Borinage. Or, le Père Antoine était de Jemeppes-sur-Meuse, dans la banlieue de Liége, et le Borinage, c'est une région du Hainaut qui contient Jemmapes (où eut lieu la bataille), et délimitée à peu près entre Maubeuge et Mons, entre Valenciennes et Fleurus...
    Sur quoi on m'accuse d'observer « la tradition des chroniqueurs français pour qui la géographie de la Belgique est une chose essentiellement approximative ». Je ressens vivement ce reproche, mais je n'ai jamais confondu Jemeppe et Jemmapes. Borinage doit s'écrire en français comme nom commun, avec une minuscule. Le Larousse du xxe siècle donne au mot le sens général d'exploitation des houillères dans la région du Nord, et même d' « ensemble des ouvriers qui travaillent dans les houillères ». Le même dictionnaire comporte aussi borin, borine, pour désigner un ouvrier ou une ouvrière de cette profession. Le Littré, vieux de soixante ans, offrait déjà les mêmes mots dans le même sens. Et le Père Antoine, ayant commencé par travailler à la mine (à la fosse, comme on dit là-bas), a tous les droits d'être nommé en français un ouvrier du borinage.
    L'histoire des mots figurés offre mille exemples analogues, où le vocable propre tantôt prend une acception locale, particulière, sans cesser d'avoir sa signification générale, tantôt s'élargit, en dehors de ses frontières primitives, Est-il besoin de rappeler damas, rouennerie, cordonnerie (cuir de Cordoue) et tous les mots qui ont donné lieu, comme champagne, par exemple, à des procès commerciaux ? Dans le cas de borinage, on peut penser qu'une restriction géographique du sens a été pratiquée en Belgique, bref que le nom propre est postérieur au nom commun. Si je me trompe, si les borins ne sont à l'origine que les ouvriers ou habitants du pays Borinage, je serai heureux qu'on me le démontre.
    En attendant, rappelons que la France elle-même a usurpé le nom de la Francie des Francs, comme l'Angleterre recouvre peu à peu l'idée de Grande-Bretagne, voire d'Empire britannique. Amérique a une fortune analogue. Les Canadiens, Américains à nos yeux, disent l'Amérique en parlant des Etats-Unis.
                                                                          
André THERIVE.

Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 4 avril 1936

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André Thérive - Les Lettres (L'Intransigeant 28 jan 1928)

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André Thérive - Les Lettres (L'Intransigeant 28 jan 1928)

XX SANS AME, roman, par André Thérive (Collection « Les Ecrits » n° 5, Grasset édit.). — Ce roman nous révèle une partie – et la plus émouvante – de ce qu'on découvre lorsqu'on sait se mêler à la vie intime des faubourgs parisiens.
    André Thérive s'est mêlé à cette vie. Avec une intelligence aiguë, il a pénétré la pensée des pauvres gens qui s'agitent dans leurs passions comme dans le décor d'une triste féerie.
    Sans âme : c'est-à-dire sans foi véritable, sans motif d'enthousiasme profond, sans idéal suffisant...
    Cette œuvre d'un style cursif et d'une trame toute simple (deux lamentables idylles rehaussées de promenades pittoresques chez les Antoinistes et dans des décors parisiens à la Huysmans) cette œuvre soulève vraiment de hautes questions et de la façon la plus poignante. C'est un livre de pessimisme et de sensibilité qui fait grand honneur à André Thérive. — (
II.)

                                             LES TREIZE.

L'Intransigeant, 28 janvier 1928

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André Thérive - Du côté de la Butte-aux-Cailles (L’Œuvre, 27 mars 1928)

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André Thérive - Du côté de la Butte-aux-Cailles (L'OEuvre, 27 mars 1928)

    Sans Ame, de M. André Thérive, est un des bons romans de cette année. Si ce n'était que cela, je n'en parlerais pas : la critique est ici trop bien faite par notre brillant collaborateur André Billy. Mais Sans Ame est, au fond, un roman « à thèse ». Ceci de la façon la plus adroite, la plus neuve ; cette « thèse », il n'y a que le titre du roman qui la signale, qui l'affirme. Hors ce titre, l'auteur n'expose, ou ne prétend exposer, que des faits, un état social, l'attitude enfin d'une très grande partie de la population parisienne en présence du problème religieux.
    C'est bien simple : selon M. André Thérive, elle l'ignore. Un demi-siècle d'enseignement laïque – le romancier n'en dit mot, il n'aurait garde, dans un ouvrage d'imagination, d'employer des termes si décisifs et grossiers – a déraciné, supprimé le christianisme, et surtout le catholicisme.
    Cette religion deux fois millénaire a en somme disparu. Beaucoup d'enfants ne sont pas baptisés. Ceux qui le furent se demandent sincèrement : « Est-ce que je l'ai été ?... » Ils ne s'en souviennent plus. Ignorance totale des dogmes, des rites, des sacrements. Une des petites filles qu'on rencontre à une page de ce roman remarquable dit : « La communion ? Je sais ce que c'est : une chose que les curés vous mettent dans la bouche pour vous confesser ! » Elle confond ainsi le sacrement de la Pénitence et celui de l'Eucharistie.
    Alors, comme cette population est intelligente et sensible encore plus sensible qu'intelligente – c'est chez elle une inquiétude obscure, confuse, du mystère de l'après-vie, parfois aussi puissante, aussi dominatrice que chez le primitif de l'âge de la pierre. Résurrection du vieil animisme. Epouvante devant la mort, devant les rêves « qui doivent signifier quelque chose ». Des demi-primaires se réfugient dans la magie, instituent des cultes bizarres ; d'autres dans « l'Antoinisme », déformation ingénue du Christian Scientisme américain, mélange naïf de spiritisme, de « fluidisme », et de biblisme qui compte 300.000 adeptes en Belgique, possède maintenant un temple à Paris, et où l'on rend hommage au Christ, mais également au Diable : car le Diable, c'est la matière, et ne sommes-nous pas formés pour trois quarts de matière ? ... Et dans ce roman, qui arrive à l'émotion, au pathétique par des moyens inédits, comme dénudés, poignants, l'héroïne, une petite marcheuse de café-concert, meurt à dix-sept ans, enceinte de cinq mois, après un incendie et une chute dans « sa boîte », murmurant : « Mourir, ce n'est rien... mais je ne veux pas finir ! Non, je ne veux pas finir ! »
    ... Pendant ce temps un certain M. Comte, dans son Laboratoire de Physiologie des Religions, créé par le Collège de France, s'efforce de saisir les réactions de l'émotion religieuse, aidé des sphygmographes et des manomètres à mercure.

    Donc, si je ne me trompe, voilà bien la thèse : « Le peuple a été élevé « sans âme ». Vaguement il en cherche une. Il ne la trouve pas. M. André Thérive se garde fort d'ailleurs de dire ouvertement qu'il le regrette. Il semble seulement qu'il fasse entendre une protestation en faveur de l'âme immortelle : « S'il y a quelque part un jugement pour remettre les humiliés dans la gloire, ne vaut-il pas mieux être des victimes que des bourreaux ? »
    Je veux bien, moi, naturellement ! Je ne demande pas mieux que de ressusciter ! Mais ça ne m'empêche pas de me demander pourquoi, s'il y a un démiurge ou un bon Dieu, il permet qu'il y ait sur cette terre des victimes et des bourreaux. A cela les religions spiritualistes n'ont jamais bien clairement répondu, et il ne semble pas non plus qu'elles aient, mieux que le matérialisme « officiel » de nos jours, préservé, accru, la moralité des peuples.
     Car voici que ressort du roman de M. Thérive un fait bien singulier ! Il n'apparaît pas, à le lire, que ces misérables petites filles nées entre la Glacière, la place d'Italie, Saint-Médard et le boulevard de l'Hôpital, et devenues ouvrières dans les fabriques de sucre et les ateliers de cartonnage, ou bien qui dansent nues dans les music-halls, vaillent moralement moins que leurs devancières du dix-neuvième ou du dix-huitième siècle. Elles ont leur fierté, elles ont leur honnêteté, elles ont leur « morale » qui pour n'être pas celle du catéchisme leur maintient une espèce de dignité. Et, entre celles que rencontrait Restif de la Bretonne dans les mêmes parages, il y a un siècle et demi, et celles qu'a vues M. Thérive, l'avantage est plutôt pour celles-ci.
    Et puis, n'a-t-il pas exagéré la défaite des religions « établies » ? On semble discerner, au contraire, à bien des signes, qu'elles exercent une influence beaucoup plus active qu'il y a trois ou quatre générations.

                                                             Pierre Mille.

L’Œuvre, 27 mars 1928

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