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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le Bruxellois, 12 avril 1917)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Palais de Justice - Le Procès Dor (Le Bruxellois, 12 avril 1917)(Belgicapress)

PALAIS DE JUSTICE
COUR D'APPEL DE BRUELLES
Le Procès Dor
(Suite.)
Audience du 10 avril.

    Suite de la plaidoirie de Mtre Lebeau :
    Dor a institué un culte, il a en conséquence le droit d'en organiser des manifestations extérieures sans pouvoir être interdit. Je vais plus loin : il a le droit de vivre de son métier. Dès qu'on professe une foi, il faut un temple, un lieu de réunion, du charbon et par conséquent il y a un problème financier à résoudre. Voilà pourquoi Dor a placé un tronc. C'était son droit absolu, quelle que soit la mentalité enfantine de sa doctrine.
    M. l'avocat-général. – Il ne pouvait tromper ses adeptes.
    Mtre Lebeau. – Eh ! qui vous dit qu'il les a trompés ? Cet homme n'est-il pas de bonne foi ? Tout prophète est de bonne foi. M. l'avocat-général nous a magnifié ce matin Jean Huss et sa mort. Mais transportons donc Dor à cette époque. C'est lui que nous trouverions sur le bucher, et c'est le démocrate organe de la loi d'aujourd'hui que nous verrions attiser les flammes allumées par les conservateurs d'alors. En réalité, ceci est un épisode nouveau des persécutions religieuses. On aura beau ergoter, il n'y a rien autre chose. Dor a le droit de demander à vivre de son autel et ceux-là qui ont seuls le droit de demander des comptes à Dor, ce sont les gens qui lui ont donné de l'argent. La Cour ne peut s'occuper de sa petite église, parce qu'elle échappe à sa compétence. Elle ne pourrait s'en occuper que s'il y avait des manœuvres basses et grossières pour gruger des imbéciles.
    M. l'avocat-général. – Il se dit le Christ. N'est-ce pas bas et grossier cela ? L'est-il, le Christ ?
    Mtre Lebeau. – Non, il ne l'est pas. (Rires au banc de la partie civile.) Mais ce n'est pas mon opinion à cet égard qui doit prévaloir ici. En tous cas il n'est pas grossier de le prétendre dans le sens qu'admet Dor. Celui-ci a une morale supérieure, des idées qui élèvent l'homme, lui servent à le rendre meilleur. Les Doristes ont un idéal, leur culte que nous considérons nous autres comme primitif et enfantin ; leur doctrine que l'on peut traiter de rudimentaire suffit à ces mentalités frustes et simples. Dor comme d'autres prophètes affirme que sa doctrine vient du ciel. Prouverez-vous que cela n'est pas ? Mahomet a révolutionné le monde en affirmant que c'était l'ange Gabriel qui lui avait inspiré sa mission. Contesterez-vous que Mahomet ait été le chef d'une Eglise, le fondateur d'un culte ? Quelle base scientifique possédez-vous pour démentir des assertions du même genre de la part de Dor ? Nous sourions, nous, de certaines de ses thèses, de la puérilité de certaines de ses pratiques. Mais d'autres y ont foi, son langage dépourvu de délicatesse et de goût fait impression sur ses fidèles. C'est en matière religieuse surtout qu'il importe d'être tolérant et de ne pas juger sur un mot, sur une impression. Il n'y a aucune intention frauduleuse à s'appeler le Christ, le Messie du XXe siècle et il ne faut pas être grand clerc pour trouver un sens très logique à semblables paroles dans la bouche de Dor. Il ne faut pas rire non plus, comme on l'a trop fait, de son fluide. Cette expression empruntée à la science spirite indique qu'il exerce certaines influences morales et même physiques. Or, est-ce vrai cela ? Contestez-vous qu'il ait soulagé, amélioré ses adeptes ? Contestez-vous que beaucoup ont en Dor une confiance Illimitée ? Un magistrat catholique me disait : Le procès Dor doit être pour nos prêtres un enseignement important. Il révèle dans la foule des sources insoupçonnées de besoins religieux. Le peuple a besoin de croire, d'être guidé, éclairé. On ne s'en rend pas assez compte. Dor a compris ce besoin, cette soif de l'âme ; il se penche sur toutes les misères morales et arrive souvent à les soulager et par-dessus le marché les misères physiques d'une manière providentielle. M. l'avocat-général, dans un raisonnement simpliste, nous dit : « Nous sommes en face d'un vrai culte, ou d'une escroquerie. » Pardon ! il faut envisager une troisième hypothèse : Dor n'a pas un culte reconnu ; il peut néanmoins être un prophète de bonne foi, réalisant des phénomènes qui ne se réaliseraient pas sans son intervention.
    M. l'avocat-général. – Je vous entends venir. Vous allez demander l'examen mental de votre client.
    Mtre Lebeau. – Oui ! Je demande l'expertise et ce n'est pas la première fois que je la demande. Quand le parquet de Liége s'occupa d'Antoine le guérisseur, il délégua des médecins qui interrogèrent le Père Antoine et ses adeptes guéris.
    Ces docteurs admirèrent la sincérité du Père Antoine et reconnurent des guérisons jugées impossibles dans certains cabinets de docteurs. Le Père Antoine n'était donc pas un imposteur, ni un escroc.
    Mtre Gérard. – Lisez le jugement. Il dit tout autre chose.
    Mtre Lebeau. – Du tout.
    M. le président. – Est-ce qu'Antoine a été prévenu d'escroquerie ?
    Mtre Lebeau. – Absolument.
    Mtre Gérard. – Il a été acquitté faute de preuves suffisantes.
    Mtre Lebeau. – Je me demande à quoi rime cette intervention, Mtre Gérard.
    Mtre Bonnehil. – Dois-je intervenir alors ? (Rires.) Hé bien ! Je demande moi la nomination d'un expert comptable. Montrez votre comptabilité.
    Mtre Lebeau. – La grosse malice ! Dor n'a pas de comptabilité. S'il en avait on dirait : « Quel bon commerçant ! »
    Il n'en a pas ; on dit : « Quel escroc ! »
    Mtre Bonnehil. – On vous fera cependant rendre gorge.
    Mtre Morichar. – Nous vous avons maintes fois proposé des comptes.
    Mtre Bonnehil. – Des comptes d'apothicaire.
    Mtre Morichar. – Du tout ; seulement vous êtes trop gourmands.
    M. le président. – Remettons la suite de ce débat à demain et tachons de terminer le matin.
    L'audience est levée à 5 heures.

Audience de mercredi matin.

    Dernière journée, très probable, du « Calvaire du Christ. » On s'attend à une déclaration sensationnelle de Mtre Lebeau, mais on suppose qu'il n'y aura pas de répliques.
    La Cour a vivement insisté pour que les débats soient terminés aujourd'hui.
    Mtre Lebeau reprend la parole à 10 heures. Il affirme que Dor est de bonne foi.
    Ce serait au ministère public à faire la démonstration de la mauvaise loi de Dor. Il ne l'a pas lait, moi je vous le démontrerai.
    Dor a toujours aimé le travail, i n'a pas de besoin, il a toujours repoussé avec dédain les moyens faciles et nombreux de faire fortune. Dor a suivi l'école de son oncle, Antoine le Guérisseur, de Jemeppe, qui, d'après l'enquête du parquet de Liége, était un illuminé sincère, Dor n'a jamais été condamné ; il a passé par de nombreuses usines du pays de Liége et partout il a obtenu les certificats les plus élogieux.
    A Jemeppe-sur-Meuse, à la suite d'un accident dont il fut victime, il est devenu commerçant et s'est établi à proximité de son oncle Antoine, commerce d'épiceries, merceries et hôtellerie. Ce commerce était destiné à une prospérité certaine. En 1906 il versait à la banque des sommes très importantes. En cinq mois ses bénéfices montent à 4,124 francs, somme avec laquelle il a acheté un groupe de maisons. En quelques années il réalise un actif de plus de 25,000 fr.
    Il faisait de si bonnes affaires que son départ de Jemeppe stupéfie son entourage. Il vient s'installer à Roux, où il vit en ascète. Il ne sort jamais et se borne à se promener dans son jardin. Il faut une fameuse dose de volonté pour cela... »
    M. le substitut Simons. – C'est comme la femme à barbe à la foire. (Rires.)
    Mtre Lebeau. – « La femme à barbe » sort, je l'ai déjà rencontrée. (Rires.) Dor suit un régime de végétarien, il ne mange que de la margarine. Il en porte la marque sur toute sa personne, ses allures compassées, sa voix blanche, son visage émacié ; tout cela provient du régime qu'il s'impose. Il témoigne de sa sincérité en conformant ses actes à ses théories. Il prêche d'exemple, c'est pourquoi ses disciples le respectent.
    Est-ce un paresseux ? Il se livre à un travail écrasant, il reçoit entre 1,400 à 1,500 personnes par jour, il compose des livres.
    Quelle est dès lors l'explication de sa vie étrange ? C'est que c'est un illuminé, un homme de bonne foi.
    Ses ouvrages encore démontrent sa bonne foi. Il n'est pas lettré et malgré cela il compose des livres, bien conçus, bien enchainés, d'inspiration claire. Son inspiration souvent éloquente est une preuve certaine de conviction. On a insinué que ses livres ne sont pas de lui. C'est le contraire qui est vrai. Il a trouvé des correcteurs pour ses fautes de français, mais il n'aurait pas permis que l'on retouche à sa pensée.
    S'il y avait eu un autre auteur, vous le connaitriez certainement par Mme Delisée. Ne vous a-t-elle pas signalé des livres d'où il a tiré de minuscules paginnettes ? Nous possédons d'ailleurs ses brouillons ; la Cour les a vus. Le fait de composer des livres aussi profondément mystiques démontre que Dor n'est pas un escroc mais un illuminé sincère. Dans la vente des livres, la délicatesse, les scrupules de Dor apparaissent encore d'une manière indiscutable. Il n'impose son livre à personne, il n'offre pas ses ouvrages. Les adeptes achetaient le livre non pour payer Dor, mais dans l'intention de s'instruire. Les Doristes ont parfois essayé de pousser à la vente en organisant le colportage. Cela a été considéré par Dor comme un excès de zèle et il a arrêté net cette propagande. Est-ce là le fait d'un escroc ?
    Les témoins sont des convaincus, ce sont des obligés de Dor et qui n'hésiteraient pas à le payer s'il demandait une rémunération quelconque. Or, Dor n'exige rien.
    Il a été condamné dans le chapitre des escroqueries générales pour avoir reçu de 10 cent. à 10 fr. et cela pour avoir donné des entretiens, des consultations parfois très nombreuses au même client. Sa bonne foi nous est encore démontrée par son influence extraordinaire sur ses adeptes. Par sa seule volonté il parvient à leur imposer une vie conforme à la moralité.
    Croyez-vous qu'un vulgaire escroc parviendrait à influencer son entourage de manière à lui donner des sentiments d'idéal et d’abnégation ? Essayez un peu, M. l'avocat général, vous qui êtes si éloquent, de convertir vos auditeurs à une vie nouvelle.
    M. Simons. – Je ne suis pas jaloux de Dor, ni désireux de tromper comme lui mes semblables.
    Mtre Lebeau. – Il ne s'agit pas de tromper, mais bien de donner à autrui une conviction que l'on n'a pas.
    M. l'avocat général. – Toutes les cartomanciennes savent fasciner leurs clients.
    Mtre Lebeau. – Aucune d'elles ne fait changer la vie de leurs clients. Le mot de Boileau reste vrai.
    « Pour me tirer des larmes il faut que vous pleuriez ! »
    On ne convertit pas les gens sans être convaincu soi-même.
    Les clients du Père sont des gens convaincus, cela vous ne pouvez le nier. Ils puisent cette conviction dans leur confiance vis-à-vis de Dor, confiance souveraine, irrésistible.
    Dor est désintéressé. L'affaire de la margarine le montre d'une manière éclatante. Il autorise la firme Era, margarine végétale, à mettre sur ses paquets « Margarine du Père Dor » et cela à la seule condition que le produit soit pur. Pendant la guerre, comme il se trouve plus le produit à son goût, il permet à la firme Axa que l'étiquette soit transportée à la marque concurrente. On se disait que Dor agissait par esprit de lucre, qu'une grasse commission lui était payée, soit par le fabricant, soit par les dépositaires. Or, dans le procès fait au « Rappel », il a été prouvé qu'il ne touchait absolument rien ni d'un côté, ni de l'autre.
    Voici une autre preuve de son désintéressement. M. Van V..., de Liége, lui donne un jour 5,500 fr. Dor n'attendit pas longtemps pour remettre intégralement cette somme à celui qui la lui avait donnée sans esprit de retour.
    La conclusion de tout ceci, c'est que Dor est un illuminé et non pas un escroc. Pour lui l'argent n'a qu'une importance accessoire.
    Mtre Bonnehil. – Rendez gorge alors !
    Mtre Lebeau. – J'ai à vous faire une déclaration, Mtre Bonnehil ! Je vous propose, pour vous rembourser – ceci par pure honnêteté d'ordre moral – de vous concéder une hypothèque sur les immeubles de Roux, à concurrence de leur plus-value acquise à la suite des améliorations apportées par Mme Delisée.
    M. Simons. – Oui, après l'examen mental. S'il n'est pas escroc, c'est un fou. C'est aux médecins à en juger.
    Mtre Lebeau. – Mon client est un illuminé de bonne foi.
    M. Simons. – Cela ne me suffit pas.
    Mtre Bonnehil. – Ni à moi non plus. Une aumône ne me satisfait pas.
    Mtre Lebeau. – Sa bonne foi peut très bien être admise.
    M. Simons. – Oui, si vous prouvez sa folie.
    Mtre Lebeau. – Erreur manifeste.
    M. Simons. – Il n'est pas fou de se dire le Christ.
    Mtre Morichar. – Pourquoi ? Un illuminé sincère peut aller jusque-là.
    M. Simons. - Enfermons-le et n'en parlons plus.
    Mtre Lebeau. – Vous auriez aussi enfermé Mahomet parce qu'il disait converser avec l'ange Gabriel...
    Il importe de détruire la légende de la fortune de Dor.
    Fortune immobilière de 65,000 fr. affirme Mtre Bonnehil ; fortune mobilière incalculable, ajoute-t-il.
    Dor possédait en 1909 outre ses maisons, qui furent vendues 15,500 fr. un dépôt en banque de 5,000 fr. Il vendit son commerce 7,500 fr. Avec diverses autres sommes qu'il possédait encore, on arrive à un total de près de 30,000 francs.
    S'il était resté à Jemeppe, il se fut enrichi sans se donner trop de mal. Au lieu de faire fortune de thésauriser, Dor est obligé de vendre ses propriétés, il est obligé d'éditer ses sermons, de vendre des brochures.
    Mtre Lebeau estime que l'« Ere nouvelle » rapporta un millier de francs à son client ; « Christ parle à nouveau », 9,000 fr.
    Dor eut certes pu s'enrichir, mais logique avec ses principes, il immobilise tous ses capitaux et déclare que si son capital en banque dépasse 12,000 francs, il en versera le surplus à l'Ecole des estropiés de Charleroi.
    Ce projet de donation est incontestable, il résulte d'une lettre de M. Pastur.
    Il résulte des démarches que fit à Roux l'honorable député permanent, démarches qui n'échouèrent qu'à cause de la guerre.
    Pour fonder sa succursale à Uccle, cet argent ne suffit pas. Et c'est pourquoi il emprunte à ses adeptes. J'en viens à la question du fluide. Ce fluide émane de l'influence d'un personnage et imbibe toutes ses paroles, tous ses gestes.
    Dor a-t-il un pouvoir de rayonnement agissant sur ses malades ? C'est bien possible. Des médecins admettent que les malades peuvent être impressionnés par des influences morales magnétiques ! De nombreuses maladies, disent-ils, peuvent être guéries par la suggestion. Si cela est, la bonne foi de Dor est indiscutable et il ne peut être question d'escroquerie.
    Dor affirme que c'est son amour pour son prochain qui lui donne le pouvoir de guérir ses semblables.
    Les médecins guérisseurs sont ceux qui sont de grands philanthropes : ceci de l'aveu des médecins. Une moquerie n'explique rien. Vous voyez qu'un examen du Père et des malades s'impose.
    D'ailleurs, Dor dit et affirme à maintes et maintes reprises que ce n'est pas lui qui guérit, mais bien qu'on se guérit soi-même en s'améliorant moralement. Si Dor était un escroc, mais il ferait de la réclame, de la propagande. Mais non ; c'est tout le contraire. Il n'appelle personne et refuse qu'on insiste pour lui amener des malades.
    Il a le souci d'éviter le fanatisme chez ses clients. Les formules intolérantes sont aimées des esprits simples. Lui n'en a pas. On reproche au Père Dor son charlatanisme, école morale et le reste. Il a commis de nombreuses fautes de goût, mais il ne faut pas oublier que c'est un illettré, un primaire. A cause de cela, il n'est pas susceptible d'une délicatesse extraordinaire. Il a cru trouver quelque chose de neuf. Il est fier, il est heureux de sa trouvaille. Il a le goût de la propagande et cela provient de sa confiance illimitée en lui-même. Pour faire de la propagande démocratique chrétienne il faut aussi avoir du mauvais goût. (Rires.)
    M. Simons. – Merci.
    Mtre Lebeau. – Ne cherchez pas du bon goût dans ses descriptions emphatiques ni dans les illustrations de ses brochures. C'est nécessairement un caractère commercial. On critique surtout ses gestes hiératiques, gestes très simples, si simples que la plupart des fidèles ne le remarquent pas. Il lève parfois la main, mais pour faire taire les bavards et en imposer à ceux qui pourraient lui faire perdre son temps.
    S'il a l'âme mystique, il a l'allure hiératique, cela se tient. Son costume, sa longue chevelure, sa barbe, tout cela est de l'ermite et est adéquat à sa mentalité. Son temple est fort simple, c'est comme une église protestante.
    La grosse question maintenant. Il a dit qu'il était le Christ. Il a blasphémé, il s'est livré à des manœuvres frauduleuses. S'agit-il du Christ des chrétiens ? Du tout ; celui-là est au ciel et il en voudrait à Mtre Bonnehil de ne pas avoir bien conservé ses intérêts. (Rires.)
    Lui pardonne. Les hommes sont méchants et mettent un nom sur des étendards, mais lui est juste, bon, mystérieux.
    Ne parlons pas de blasphème. Le Christ pardonne à Dor. (Rires.)
    Père Dor, le Christ, serait un homme comme un autre dont la morale était excellente, mais avait pourtant quelques imperfections. Quoi de singulier dès lors que Dor s'imagine faire mieux. Il a une conviction comme d'autres illuminés en ont eu. La sincérité est indiscutable. Il y a une autre hypothèse que l'escroquerie, que la folie ; il y a la chose étrange commandée par le cœur et l'esprit qui font de lui un illuminé.
    La Cour doutera certainement et dans le doute l'acquittement s'impose.
    L'audience est levée à 2 heures. (B.)

Le Bruxellois, 12 avril 1917 (source : Belgicapress)

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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le Bruxellois, 5 avril 1917)(Belgicapress)

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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le Bruxellois, 5 avril 1917)(Belgicapress)

PALAIS DE JUSTICE
COUR D'APPEL DE BRUXELLES
Le Procès Dor

    Audience du 3 avril 1917. – Pour le cas Solms, Dor a ou plusieurs petites condamnations 18 Jours de prison, ce sont les faits les moins graves.
    Pour les époux Chartier, le tribunal de Charleroi a condamné à 4 mois de prison et 200 fr. d'amende. Ces victimes ont été sous une dépendance telle de Dor, qu'elles prenaient pour un Dieu, qu'elles se seraient jetées au feu s'il l'avait ordonné.
    Dor leur faisait prendre ses brochures, les engageait à lui payer du charbon, à mettre 100 fr. dans le tronc. La fille Chartier dont les parents voulaient faire une adepte, déclara à l'audience de Charleroi, que sa première visite chez le père fut pour elle une déconvenue et qu'elle ne put s'empêcher de le qualifier de cochon.
    Le cas Delisée est plus caractéristique encore. Cette femme fut à ce point subjuguée par Dor qu'elle déclara ne plus pouvoir vivre loin de lui. Elle se fit bâtir une maison proche de l'église doriste, installa à la demande de Dor le chauffage central dans le Temple moral et fit un grand nombre d'autres frais.
    Elle aussi eut un jour les yeux dessillés et c'est son cas qui valut à Dor, en première instance, 8 mois de prison et 17,000 fr. de dommages et intérêts.
    Après cet exposé général l'audience est levée à 5 heures.
    La Cour reprend audience à 10 heures. M. Smits continue la lecture de son interminable rapport. Il en vient aux audiences correctionnelles de novembre dernier à Charleroi. Ce sont les faits repris dans la prévention qui retiennent surtout l'honorable rapporteur.
    Quatrième audience : mercredi matin. – Beaucoup de monde ce matin. L'enceinte du public se garnit rapidement. M. et Mme Dor s'entretiennent amicalement, avec leurs adeptes.
    On apporte un banc pour les invités, des dames de magistrats qui, elles aussi, veulent voir le fondateur du Dorisme.
    A 10 heures, l'audience est ouverte. On entend encore quatre témoins cités par la défense. Ce sont des fanatiques du père. Ils ont été guéris. Le président les interroge avec adresse pour leur faire dire ou qu'ils ont payé les soins du faux médecin, ou que celui-ci s'est livré des pratiques réprouvées par la morale des lois. Mais il a affaire à des témoins bien stylés qui répondent ce qu'ils veulent mais auxquels on ne fait pas dire autre chose. L'un d'eux avait même apporté un discours écrit. On le lui fait rengainer, l'audience devant être exclusivement orale.
    Au demeurant, rien de nouveau dans tout cela. A 10 heures, M. le président passe à
    L'interrogatoire du Père Dor. – Celui-ci s'avance très posément vers la Cour. Son ton est calme, fortement nasillard, il a l'accent wallon fort prononcé.
    D. – Le Parquet vous reproche d'exercer l'art de guérir.
    R. – Je ne donne que des conseils moraux. Nos maux proviennent de nos excès. Je remonte à la cause.
    D. – Vous déconseillez d'aller chez les médecins.
    R. – Ceux qui me consultent n'ont plus besoin de médecin, puisque je les aide à supprimer la source des maladies.
    D. – Vous avez donné des recettes directes. Vous avez fait supprimer des bandages, du lait des enfants ?
    R. – Je n'ai jamais donné que des conseils, et ceux qui les ont suivis s'en sont trouvés bien.
    D. – Vous avez ordonné du thé Chambard, des lavements salés, des potions sucrées.
    R. – C'est faux. Ceux qui disent cela sont des personnes achetées.
    D. – Il y a des maladies qui n'ont aucun rapport avec la morale : l'asthme, la pneumonie, la hernie. Vous avez exercé pour ces cas-là aussi.
    R. – Non ! Je me borne à conseiller l'énergie, la confiance.
    D. – Vous aviez des pratiques, des gestes spéciaux pour en imposer.
    R. – Du tout. Je suis chez moi comme ici. Tout le monde fait des gestes en parlant.
    D. – On n'a pas toujours le geste solennel du serment, les bras levés, les yeux au ciel.
    R. - –Ceux que je guéris le sont par la foi qu'ils ont en moi ; ceux qui n'entendent pas se corriger, je les renvoie aux médecins.
    D. – Vous avez fait déshabiller des malades ?
    R. – C'est faux.
    D. – Le Parquet vous reproche d'avoir par vos manœuvres extorqué pas mal d'argent à Solms, Chartier, Delisée.
    Le prévenu nie.
    D. – Vous vous faisiez appeler le Christ.
    R. – Non ! On m'appelait ainsi.
    D. – Vous laissiez faire.
    R. – je ne pouvais empêcher cela. (Puis se recueillant et montant la marche qui le sépare de la Cour) D'ailleurs je suis le Christ ! Oui je le suis, non pas le faux, mais le vrai. (Mouvement prolongé et curiosité dans la salle.)
    D. – Vous admettez donc ce que vous contestiez hier ?
    R. – Oui. C'est la première fois que je me donne mon vrai titre.
    On attend anxieux. On suppose que le président va réclamer des preuves, une démonstration. Mais pas du tout ; il ramène de suite l'inculpé aux faits de la prévention.
    D. – Vous faisiez des grimaces sur vos malades ; vous mettiez la main sur leur tête.
    R. – Jamais, jamais.
    Dor s'explique avec chaleur au sujet des divers faits d'escroquerie. Il reconnait certains faits matériels, mais dit que les dépenses des Chartier et des Delisée ne lui ont jamais donné personnellement le moindre avantage.
    « Madame Delisée a fait pour moi un testament. Je n'ai connu la chose qu'après la descente du Parquet. Mais sapristi, malheureuse, lui ai-je dit, vous allez me compromettre, Courez vite à la gare, allez au coffre-fort du Crédit Général et déchirez cette pièce. – Voilà comment je suis intéressé, moi !
    « Quant aux attentats à la pudeur, c'est encore elle qui m'a devancé. Elle sait que le Père est innocent. Elle sait que j'ai sa confession et qu'il me suffirait de la révéler pour la confondre. Mais qu'elle se rassure : je ne commettrai pas le crime de la dévoiler ; elle est brûlée. »
    Dor conclut en affirmant que s'il est condamné, il sera victime de son désintéressement et de son honnêteté.
    Toujours tranquillement, solennellement, ramenant ses bras en un geste bénisseur, le Christ retourne au banc d'infamie.
    Les plaidoiries. – M. le président : « La parole est donnée à la partie civile et d'abord à l'avocat de la Société de Médecine de l'arrondissement de Charleroi.
    Mtre Gérard rappelle la vocation de Dor, qui avait très bien pu vivre de son métier d'ajusteur, mais fut hypnotisé par les succès d'Antoine le guérisseur, qui était son oncle. Dor aurait pu s'installer prophète à Jemeppe, mais en bon neveu et en madré exploiteur, il préféra ne pas faire concurrence sur place au Père Antoine. Il choisit un milieu du même genre que Jemeppe et jeta son dévolu sur Roux-Wilbeauroux où il vint s'installer en 1909. Ses clients furent immédiatement nombreux. La justice en a entendu un certain nombre. Elle a entendu quelques victimes, quoique ces personnes préfèrent souvent se taire que de révéler leur crédulité et de provoquer des railleries. On a surtout entendu des fervents, des adeptes et la Cour a désiré se rendre compte par elle-même de la mentalité de ces malheureux que le charlatan est parvenu à subjuguer complètement, auxquels il impose de venir conter ses louanges jusque dans le prétoire de la Justice. Il se laissait appeler le Christ. Aujourd'hui dans le prétoire de la Justice, il a été plus outrecuidant encore : Le vrai Christ, s'est-il écrié, c'est moi ! (Rires.) Qui dira les méfaits des conseils de cet homme ? Ses principes végétariens, ses ordonnances de lavement au sel, ses conseils sur la nourriture des enfants constituent bel et bien l'exercice illégal de l'art de guérir. Ses manœuvres, impositions de main et le reste sont le corollaire du délit. Dor se faisait passer pour le Christ réincarné ; il se prétendait capable de guérir toutes les maladies par son fluide. Ce fluide existe-t-il ? Y a-t-il des fluides particuliers, des rayons X, des rayons rouges ? C'est incontestable. Mais on ne peut s'en servir sans titres ni diplômes, et ces moyens sont un danger entre les mains des rebouteux. Dor proteste contre la prévention d'exercice illégal de guérir ; Il n'aurait donné que des conseils moraux. Les médecins, dit-il très injustement, ne voient pas les causes du mal, ils ne s'occupent que des effets. Non, Dor ne se borne pas à donner des conseils d'hygiène, des conseils moraux. Il veut guérir toutes les maladies, il s'occupe du cancer aussi bien que des maladies d'enfant, des maladies d'estomac. Sa compétence est universelle. Il fait jeter le bandage des hernieux, il met des malades affaiblis au régime de l'eau, il commet ce crime de s'en prendre même à l'alimentation du nouveau-né.

Le Bruxellois, 5 avril 1917 (source : Belgicapress)

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Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 17 novembre 1916)(warpress.cegesoma.be)

Publié le par antoiniste

 Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi (17-11-1916), warpress.cegesoma.be)

Chronique des Tribunaux
Tribunal correctionnel de Charleroi
Audience du 16 novembre
Le Père Dor en Correctionnelle
LES ALÉAS DE LA DIVINITÉ

    Si l'exactitude est la politesse des Rois, elle est aussi celle des « dieux » car Pierre Dor se trouvait à l'audience d'hier pour 9 heures du matin, heure fixée pour l'ouverture des débats.
    Comme MM. les membres du siège attentaient l'arrivée de Me Morichar, l'un des défenseurs du prévenu, l'audience ne fut ouverte qu'à 9 h. 45.
    Dans l'intervalle de ce temps, le prévenu se montre d'une nervosité inusitée ; il se lève souvent et fait face à l'auditoire qui est très nombreux. Veut-il lui envoyer son bon fluide et l'animer de sentiments, moins hostiles que ceux qui ont été témoignés à son égard lors des audiences précédentes ? That is the question !
    Me Lucien Lebeau joint son client vers 9 h. 30 et lui donne une vigoureuse poignée de mains en lui disant : « Bonjour, maître ».
    — La Cour, clame l'huissier de service, et l'audience est ouverte.
    Pierre Dor, sur l'invitation de M. le président Castagne se lève ; il va être procédé à son

Interrogatoire

    A la demande de Me Lebeau, le tribunal décide d'entendre le témoin Broset.
    Me Bonnehill. — il est regrettable que Me Lebeau ait fait venir ce témoin sans me prévenir. Si j'avais su cela, j'aurais fait citer le témoin Collard et il y aurait eu confrontation.
    Le Président. — Mais le témoin Broset a été entendu à l'instruction. Le tribunal décide de ne pas entendre ce témoin.     Le Président à Dor. — Vous êtes inculpé d'escroquerie, d'art illégal de guérir et d'attentat à la pudeur. Que pensez-vous des douleurs physiques ?
    Père Dor. — Tout effet à une cause, je ne suis pas guérisseur, je procède d'une façon que je ne puis indiquer.
    Le Président. — Vous prétendez agir comme moraliste ?
    Père Dor. — Absolument.
    Le Président. — Que pensez-vous des médecins ?
    Père Dor. — Ils peuvent guérir l'effet et non la cause.
    Le Président. — Vous les excluez cependant ; vous conseillez à vos adeptes de ne pas y avoir recours.
    Père Dor. — Parce qu'ils deviennent leur médecin eux-mêmes.
    Le Président. — D'après vous, ils soulagent mais ne guérissent pas.
    Père Dor. — Absolument. Il s'agit de découvrir la cause.
    Le Président. — Toutes les maladies, dites-vous, proviennent de nos vices.
    Pire Dor. — Absolument, de nos vues de jeunesse.
    Le Président. — Supposez que dans un moment de colère j'attrape une hernie ; vous me guérissez de ma tolère, mais me guérissez-vous en même temps de ma hernie. (Rires).
    Père Dor. — Evidemment, mais si vous faites un nouvel excès, vous retombez dans le mal. La colère est pire que le vice.
    Le Président. — Quels sont vos titres pour justifier que vous Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi (17-11-1916), warpress.cegesoma.be)êtes dans le vrai et les docteurs dans le faux.
    Père Dor. — J'ai mon amour pour ceux qui souffrent.
    Le Président. — Et vous estimez que cela suffit ?
    Père Dor. — Oui.
    Le Président. — Croyez-vous tue les médecins n'ont pas cet amour de l'humanité ?
    Père Dor. — Le médecin a surtout l'amour de l'or.
    Le Président. — Vous généralisez donc, toutes les maladies peuvent être guéries par vos conseils.
    Père Dor. — C'est vrai, mais quand les personnes ne sont pas à même de se corriger, je les envoie chez les docteurs.
    Le Président. — Vous poussez tout à l'extrême et vous n'avez pas assez de science pour agir de la sorte.
    M. le Président lit un passage du livre du Père Dor, où il dit : « qu'un gosse qui a bu de l'eau sucrée est devenu un colosse. » (Hilarité).
    Père Dor. — Certaines de ces mères ont nourri leurs bébés pendant 4 mois de cette façon.
    Le Président. — Vous prétendez avoir guéri un hernieux et il est établi que celui-ci a dû être opéré dans la suite.
    Père Dor. — Mais je l'ai guéri une fois ; il se peut qu'il ait été atteint d'une seconde hernie. Si j'ai un bandeau sur l'œil, c'est que j'ai mal à l'œil ; je l'enlève dès que je ne souffre plus.
    Le Président. — Croyez-vous qu'on peut guérir le malade sans médicaments ? Cela constitue un grand danger de vous laisser continuer de la sorte.
    Père Dor. — Des médecins m'ont, eux-mêmes, consulté et ont reconnu l'inutilité des médecins.
    La Président. — Dans vos livres où vous prenez le titre de Docteur sans médicaments, vous affirmez que vous guérissez toutes les maladies même celles dont sont atteints les moribonds… surtout quand ces personnes vous consultent à temps (hilarité) ; vous parlez de l'asthme, de gastrite, de pneumonie, etc. Avez-vous exercé l'art de guérir ses maladies qui ne sont pas des maladies morales ?
    Père Dor. — Je prétends que non.
    Le Président. — Il y a des lettres saisies dans lesquelles des personnes soignées parlent de maladies physiques et non morales.
    Père Dor. —Je dis que l'homme n'est rien du tout ; je combats le fanatisme ! ! On doit avoir confiance en moi et en mes instructions.
    Le Président. — Chaque jour, vous receviez quantité de personnes atteinte de différentes maladies ; que leur ordonniez-vous ?
    Père Dor. — De remonter à la cause et d'avoir du courage et de l'énergie. On doit avoir confiance dans le Messie du XXe siècle.
    Le Président. — Vous excluez les médicaments, dites-vous, mais on se rend compte qu'il n'en est pas ainsi quand vous donnez certains conseils.
    Nous allons examiner quelques cas particuliers : le premier, celui de l'épouse Beauvois atteinte d'un cancer.
    Père Dor. — Mme Beauvois est venue me consulter ; elle m'a dit qu'elle avait des douleurs dans le corps et a ajouté que quand elle buvait de l'eau, cela lui faisait du bien.
    Je lui ai répondu : « Si cela vous fait du bien continuez ». (Rires).
    Ce malade devait avoir confiance en moi.
    Le Président. — Et vous croyez que cela suffit.
    Père Dor. — Comme le parfum qui se dégage de la rose ranime, ceux qui suivent mes conseils ne souffrent plus.
    Le Président. — Vous niez donc avoir ordonné des lavements à l'eau salée ? (Rires.)
    Père Dor. — Je le nie.
    Le Président. — Le mari et la fille de la malade ont affirmé le contraire ici à l'audience.
    M. le Président discute alors le cas de Mme Hortense Lecomte qui, elle, est venue à l'audience affirmer que le Père Dor ordonnait des médicaments et un régime végétarien. Le cas de M. J.-B. Richard, ce hernieux de Roux, qui est mort, est aussi symptomatique.

L'ESCROQUERIE

    Le Président. — Croyez-vous vous-même à votre pouvoir ? (Hilarité).
    Le Père Dor ne répond pas directement à cette question. Je ne puis pas le dire, dit-il enfin.
    Le Président. — Vous avez exercé ce métier de guérisseur en Russie où vous avez eu des démêlés avec la police. Vous êtes revenu, vous avez eu des démêlés avec le Père Antoine. Pourquoi ?
    Père Dor. — Je ne peux pas le dire (rires).
    Le Président. — Question de concurrence sans doute ? Comment considérez-vous le Père Antoine ?
    Père Dor. — Comme un homme de bien, un incompris.
    Le Président. — Etes-vous de bonne foi ?
    Père Dor. — Oui.
    Le Président. — Pourquoi vous intitulez-vous Père Dor ?
    Père Dor. — Parce que je fais naître à la vie.
    Le Président. — Pourquoi dites-vous que vous êtes le messie du XXe siècle ?
    Père Dor. — Je ne puis pas le dire.
    Le Président. — Vous ne leur suggérez pas qu'ils vous appellent le Christ ?
    Père Dor. — Non.
    Le Président. — Certains de vos adeptes sont cependant venus vous appeler de cette façon à l'audience.
    Père Dor. — Çà c'est leur affaire, je serais honteux si mes adeptes m'appelaient le Christ, tout le monde peut être le Christ.
    Le Président. — Dans certain passage de votre livre vous suggérez l'idée que vous êtes le Christ ?
    Père Dor. — Non.
    Le Président. — N'y a-t-il pas là une manœuvre frauduleuse dans le but d'exploiter la crédulité de certaines personnes ?
    Père Dor. — Non.
    Le Président. — Vous vous présentez à vos adeptes dans une tenue sommaire ?
    Père Dor. — Cela n'est pas, Mme Delisée ne m'a jamais vu dans cette tenue ; elle est ici, cette dame. N'est-ce pas Marie ? (Rires prolongés).
    M. le Président, parlant de l'opération individuelle, pose diverses questions au prévenu, qui a tort de lever les mains et de faire toute une mise en scène.
    Père Dor. — J'ai donné hier plus de 2,000 consultations gratuites ; si j'avais dû chaque fois lever les bras je n'aurais pu le faire. (Rires.)
    Je ne faisais cette opération, mais de façon générale, que le dimanche. Ce geste d'étendre les mains signifie écoutez-moi, je vais parler. (Rires.)
    Le Président. — Vous avez un costume spécial, une chevelure spéciale.
    Père Dor. — Le Père « La Nature » se promenait dans les rues vêtu d'une grande robe et ayant une chevelure opulente. (Rires).
    Le Président. — Oui, et le malheureux est mort en prison.
    Père Dor. — C'est qu'il n'était pas sincère (nouveaux rires).
    Le Président donne lecture de plusieurs lettres écrites par des personnes qui demandent au Père son bon fluide pour faciliter le règlement de certaines affaires de famille.
    Père Dor. — Celui qui va à l'église croit qu'il fait bien et il a confiance ; celui qui vient chez moi se trouve dans ce cas.
    M. le Président en arrive au cas des époux Chartier. La façon d'entrer en relations avec le Père Dor qui donna la main à M. Chartier, assurant à ce dernier qu'il l'avait déjà connu dans l'autre monde, permet à Pierre Dor de dire que les Chartier sont des menteurs.
    Le Président. — Vous avez procédé à des passes magnétiques et vous avez conseillé à Mme Chartier de vendre ses propriétés.
    Père Dor. — Comment voulez-vous qu'un simple ouvrier tel que moi connaisse le magnétisme ? Quant aux conseils que j'ai donné à Madame Chartier, c'est dans le but de la tranquilliser car elle avait des ennuis avec ses locataires. Je ne puis en dire trop long car ce sont des confidences.
    Le Président. — Quoi qu'il en soit les Chartier vous ont donné beaucoup d'argent ; ils vous ont acheté du charbon ; des casiers pour placer les livres et Mme Chartier à distribué pour 1500 francs de vos livres.
    Père Dor. — Pardon pour 1200 francs ; je n'ai jamais reçu du charbon de ces personnes. Je paie le charbon moi-même.
    Les époux Chartier étaient très jaloux et se croyaient supérieurs aux autres parce qu'ils distribuaient des numéros. Ils se permettaient d'enseigner la morale et voulaient être plus « moral » que le Directeur de l'Ecole morale.
    Le Président discute le cas de Mme Delisée qui, par les menées du Père Dor et l'ascendant que ce dernier avait sur cette personne, remit une somme de 17.000 francs. Vous la faisiez appeler grand'mère.
    Père Dor. — Oui, par déférence pour son grand âge.
    Si j'avais été un escroc j'aurais nié avoir reçu ces sommes. Mme Delisée ment comme les Chartier.
    Le Président parle de l'attentat à la pudeur commit par le prévenu sur la personne de Mme Delisée.
    Père Dor se tournant vers Mme Delisée demanda à celle-ci de déclarer que cela est faux.
    Mais Madame Delisée qui ne subit plus le fluide du Père répond : « Je maintiens ma déposition ».
    Pire Dor. — Vous comprenez, M. le Président, que recevant 600 personnes par jour si je devais faire à chacune d'elle pareil simulacre, je n'en sortirais pas (explosion de rires).
    M. le Président termine l'interrogatoire du prévenu qui maintient qu'il agit, mu par un désintéressement des plus complet.
    M. le Président donne la parole à M. Mahaux, substitut du Procureur du Roi.
    M. Mahaux. — La longue instruction à laquelle il a été procédé avec tant de soin a provoqué l'ahurissement.
    Elle a preuve qu'hélas la crédulité humaine est sans limite. Quand le charlatan se présente sous la forme d'un simple vendeur de plantes sur nos places publiques ; il n'est pas dangereux, mais quand des téméraires abusent de leur ascendant sur certains esprits faibles pour pratiquer l'art de guérir, cela constitue un grand danger.
    A tous les malades, Dor conseillait invariablement le régime végétarien.
    On se rend compte du danger qu'il y a de prescrire le même régime à tous les malades sans distinction d'âge ni d'affection. L'honorable organe de la loi rappelle la déclaration de la fille Beauvois dont la mère morte aujourd'hui, hurlait de douleur quand elle suivait le traitement ordonné par le Père Dor.
    M. Mahaux relit la déposition de M. Richard qui, atteint de hernie et apprenant que le Père Dor guérissait toutes les maladies, se présenta chez ce dernier qui lui conseilla d'enlever son bandage herniaire et de ne plus voir de docteurs. On sait les suites que devait avoir pour ce malheureux le fait d'avoir été rendre visite au prévenu.
    A n'en pas douter, les pratiques magnétiques employées vis à ris des époux Chartier et de Mme Delisée avaient un but guérisseur.
    Le Père Dor était aussi consulté par les mères de nouveau-nés. Il leur ordonnait de l'eau sucrée et, parfois, même uniquement de l'eau non bouillie jusqu'à l'âge de 6 mois.
    Ceci est criminel.
    Et à ce moment où tous nos savants cherchent à ce que notre jeune génération soit sainement nourrie il est pénible de constater que des gens comme le prévenu qui n'a qu'une science infuse sont la cause que plus d'un enfant est mort à la suite de mauvais soins en buvant de l'eau contenant des microbes.
    Beaucoup de mères n'ont pu porter plainte, car elles étaient la cause de ce mauvais traitement et leur conduite était aussi lâche que coupable.
    M. Mahaux rappelle deux jugements de Cour d'appel qui ont condamné des prévenus dans des cas semblables à celui que le tribunal est appelé à juger ce jour.
    M. Mahaux. — Cela m'amène à parler du magnétisme et de l'hypnotisme.
    Le prévenu affectionna spécialement le mot fluide, la signification de ce dernier prouve le sens même de l'opération individuelle.
    Quelle que soit l'explication qu'on puisse donner du magnétisme, il est hors de doute qu'il était employé dans un but curatif et dès lors constitue l'art illégal de guérir.
    L'honorable organe de la loi donna à ce sujet lecture de la jurisprudence.
    Je pense, dit M. Mahaux, avoir prouvé suffisamment en fait et en droit que la première prévention est établie.
    Analysant celle ayant trait à l'escroquerie, M. Mahaux dit que le livre que Pierre Dor vendait 2.50 coûtaient à son auteur 80 cent. Les brochures vendues 25 cent. coûtaient 10 centimes.
    Les bénéfices provenant de la vente de ces livres et brochures se montent à 12.500 fr. et le montant total des sommes encaissées par le prévenu doit laisser rêveur.
    Dor était restaurateur ; quelque temps auparavant il était mécanicien ; c'était le temps où on l'appelait le « Plaisant » oh !combien ! (Rires.)
    Maintenant on l'appelle le Christ :
    Mensonge, fausse qualité. Cette appellation erronée constitue une manœuvre frauduleuse qui s'extériorise dans le but d'exploiter la crédulité du public.
    Lors de la grande fêle qui est organisée le jour de la Toussaint au temple de Roux, des illuminés implorent le prévenu. N'est-ce pas là des manifestations extérieures déclinées à matérialiser le culte.
    Pierre Dor s'intitule de divers noms, dépassant les qualités des autres hommes.
    L'intérieur du bâtiment ressemble à un véritable temple, à l'intérieur duquel on célèbre un culte divin.
    Le prévenu apparaît sous un aspect effrayant : il est vêtu d'une grande robe noire et coiffé d'une calotte noire, il a une barbe broussailleuse ; c'est de cette façon qu'il prêche, le dimanche, dans la chaire de vérité, devant ses fidèles assemblés.
    Aujourd'hui, il a l'air un peu plus humain ; c'est sans doute, dit M. Mahaux le crépuscule du Dieu ! (Rires.)
    Le Père Dor savait que les époux Chartier et Mme Delisée jouissaient d'une fortune rondelette et c'est pour mieux les exploiter qu'il les avait plongés dans un état d'hypnose. Ces personnes étaient devenues sa chose ; Mme Delisée l'a dit à l'audience : « J'étais comme une loque. »
    Le Père leur disait : « Donnez, donnez sans compter, l'argent engendre un cortège de misères ». Ces manœuvres coupables eussent été poussées plus loin si une intervention ne s'était produite.
    Pierre Dor est presque un illettré ; à peine sait-il lire et écrire.
    Les strophes figurant dans le livre « Le Christ parle à nouveau », qui sont dues à la plume de Pierre Dor lui-même ressemblent plutôt à celles figurant sur certains petits papiers entourant certains petits bonbons et que s'échangent les amoureux le jour des kermesses (rires).
    M. Mahaux lit d'autres passages du même livre qui eux ne sont pas du prévenu.
    Me Lebeau. — Ce sont des citations.
    Mme Bonehill. — Le prévenu n'en indique pas la source.
    M. Mahaux. — Nous sommes tous d'accord. Le prévenu s'est emparé de doctrines qui ne sont pas les siennes.
    A la faveur de cette mise en scène et des observations auxquelles Dor se livre, le tronc s'emplit et au moment de lever ce dernier, il engagea un adepte d'y introduire une somme de 100 francs.
    Il y avait des relations plutôt tièdes entre le Père Antoine et le Père Dor et ce, par esprit de concurrence.
    Le commerce de la Margarine du « Père Dor » à Roux, marchait d'abord très bien, mais celui qui l'exploitait d'abord ayant refusé de céder une partie de son bénéfice au père Dor, celui-ci détourna la plus grande partie de la clientèle.
    Cet homme, dit M. Mahaux, n'est désintéressé qu'en apparence.
    Ses brochures, son livre, n'émanent pas de lui.
    Me Lebeau. — De qui émanent-elles ?
    Me Bonehill. — Je vous le dirai demain.
    M. Mahaux. — M. Hans vous a dit qu'au début il corrigeait, au point de vue grammatical, certains écrits et qu'il remarqua que ces derniers n'étaient pas de la main du prévenu.
    Abordant la prévention d'attentat à la pudeur, M. Mahaux est convaincu que Mme Delisée déposant sous la foi du serment a dit la vérité et il n'est pas étonnant que les fanatiques qui ont déposé comme témoins à décharge, aient accablé Mme Delisée comme étant une passionnée.
    Mme Delisée était la chose du Père et lorsqu'il s'agissait d'attentat à la pudeur, ce n'était plus un conseil qu'il donnait, mais un ordre auquel la malheureuse obéissait.
    Le Père Dor ne s'était pas dégagé de ses soins animaliers.
    Si le tribunal ne retient pas l'attentat à la pudeur avec violences, il retiendra le même attentat avec menaces.
    Les adeptes sont des malheureux qui sont atteints mentalement.
    Ils ont déposé par ordre : ce sont des fascinés, ce que je pourrais appeler le suicide de la volonté : il y a là un état psychologique spécial dont il faut tenir compte.
    Les témoins à charge ont été moins nombreux, car il faut avoir su faire un certain effort pour être venu témoigner à l'audience ; d'autres ont eu peur de s'y faire décerner un certificat d'imbécillité. Que penser d'ailleurs de déclarations de gens qui mettent en pratique cette maxime contenue dans le livra à savoir que si on ne se souvient pas d'avoir manqué en rien, on doit néanmoins s'avouer coupable.
    M. Mahaux termine son fouillé et admirable réquisitoire en disant qu'il y a un puissant intérêt social à faire cesser les agissements de cet imposteur et à protéger les témoins à décharge qui n'ont pas encore vu clair.
    A vous, Messieurs, de les protéger en condamnant sévèrement le prévenu.
   L'audience est levée à 1 heure, elle sera reprise ce jour à 9 heures du matin.
    La sortie de l'audience est on ne peut plus tumultueuse.
    Le nombre de curieux, dont très peu d'adeptes, ne veulent quitter la salle des pas-perdus sans avoir vu Pierre Dor.
    Ce n'est pas dans le but de l'ovationner, car dès son apparition, le Père Dor fut copieusement hué, conspué, on crie : Escroc, ignoble personnage ; allez au parc à pouyes. (1)
    Précipitamment Pierre Dor dévale les escaliers et ne demande qu'une chose, c'est d'être dehors.
    A l'extérieur les cris hostiles redoublent et sous les regards amusés des passants ce dieu gagne la Ville-Basse copieusement enguirlandé par environ 2500 personnes.
    Décidément, Pierre Dor aura dû se faire cette réflexion : « La Roche tarpéenne est bien près du Capitole ».                                             RASAM.

La Région de Charleroi, 17 novembre 1916

 

(1)    Parc à pouyes (litt. enclos à poules) désignait, à Charleroi (Boulevard Frans Dewandre) durant la Première Guerre mondiale un lazaret installé par les Allemands et destiné à accueillir les femmes de mœurs légères atteintes de maladies vénériennes. (charleroi-decouverte.be)

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Palais de Justice, Affaire Dor (Le Bruxellois, 11 mai 1917)

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Palais de Justice, Affaire Dor (Le bruxellois, 11 mai 1917)PALAIS DE JUSTICE
Affaire Dor

    COUR D'APPEL DE BRUXELLES. — Audience du 9. — L'affaire Dor. — Mardi matin grand brouhaha au début de l'audience de la 8e chambre des appels correctionnel. Les intéressés n'ont pu être avisés que l'arrêt serait ajourné et tout le monde est au poste.
    Le père Dor, toujours calme et impassible, s'installe au banc des témoins en attendant l'ouverture de l'audience. Il ne bronche pas quand on dit que son sort restera encore huit jours en suspens.
    Dans la salle énormément de monde, de dames surtout, plusieurs sont venues de Roux, de Charleroi par le tain du matin. La nouvelle de la remise de l'arrêt circule aussitôt et est accueillie par certaines avec satisfaction. « On n'oserait condamner le père, pour sûr il sera acquitté, » D'autres s'indignent de ce nouveau retard. « N'est-ce pas trop déjà d'avoir fait attendre si longtemps au père sa réhabilitation. » « On aurait bien pu l'acquitter après les plaidoiries, car c'est plus qu'un innocent.... c'est un saint... un martyr... un dieu ! »
    A 10 h. 10 un coup de sonnette. L'huissier annonce : « La Cour ». Le silence devient émouvant.
    M. Eeckman fait appeler « Dor ; partie civile Delisée » ! Dor se présente accompagné de Mtre Lebeau. Mme Delisée ne paraît pas.
    M. le président : L'arrêt dans cette affaire est remis à huitaine, les dossiers ayant été déposes tardivement.
    Appelez l'affaire Leurquin.
    La foule suit Dor dans les couloirs et on lui prodigue les marques d'affectueux respect. Le père Dor est décidément la coqueluche de ces dames. Celles-ci se préparaient à d'enthousiastes ovations ; elles comptent que ce n'est que partie remise.

Le Bruxellois, 11 mai 1917

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Palais de Justice, Le Procès Dor (Le Bruxellois, 17 avril 1917)

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 Palais de Justice, Le Procès Dor (Le bruxellois, 17 avril 1917)PALAIS DE JUSTICE
COUR D'APPEL DE BRUXELLES
Le Procès Dor
(Suite.)
Audience du lundi 16 avril.

    L'audience de ce lundi matin est annoncée comme irrévocablement la dernière des débats d'appel, aussi les curieux sont-ils plus nombreux que jamais. C'est une dernière occasion de voir le « Christ » réincarné ; ceux qui ne l'ont jamais vu, le contemplent avec un curieux scepticisme ; ceux qui le connaissent, l'accompagnent de leurs vœux de triomphe s'ils sont parmi ses adeptes, de toutes leurs-passions mauvaises s'ils se sont rangés parmi ses adversaires. Dor, lui, conserve une placidité déroutante. Son entrée dans le prétoire ne manque jamais de souveraine grandeur. Ce n'est pas vers le banc d'infamie qu'il se dirige, il va à sa place comme à une chaire de vérité ou à une tribune où rien d'hostile ne l'attend. Il entre par la porte des témoins, salue en souriant longuement ses adeptes fidèles rangés au premier banc. Il a un regard discret pour le gros du public, s'incline à gauche vers les invités de marque, a un coup d'œil discret et plus renfermé pour les journalistes, évite le banc de la partie civile et vient enfin s'entretenir avec ses avocats. Les pontifes de l'Eglise romaine, les princes du Vatican en camail et en robe cramoisie n'ont pas plus de solennité et de lente majesté, et ce qui ajoute à cette entrée peu banale, c'est qu'elle semble sans aucun apprêt théâtral. A son banc. Dor conserve souvent une attitude détachée, parfois il feuillette un livre, semble s'absorber en lui-même, souvent cependant il semble s'inquiéter d'un mot, d'une omission de ses avocats. Il se retourne alors, insiste doucement mais fermement sur le détail, sur tel témoignage. Il s'agit de ne rien laisser à l'ombre, d'éplucher jusqu'à la dernière ligne du dossier. Si les débats se sont prolongés au delà de toute prévision, si la plaidoirie de Mtre Lebeau a paru longue, a impatienté sinon la Cour, du moins le ministère public, c'est surtout, semble-t-il, le fait de Dor qui lui, n'en avait jamais assez et semblait conjurer son défenseur de fouiller les pièces de la procédure jusqu'au moindre détail. Il reste à parler ce matin de deux dernières préventions reprochées à Dor : l'exercice illégal de l'art de guérir et les attentats à la pudeur.

Les dernières plaidoiries.

    Mtre Lebeau reprend sa plaidoirie à 9 heures. Il revient sur la question de la propriété de la maison. Cette maison a été construite par Mme Delisée et lui appartient. Elle-même en a disposé en faveur d'une de ses amies, sans consulter M. Dor. On comprend mal dès lors sa constitution de partie civile. Les autres réclamations ne sont pas plus justifiées et le gain fait sur les brochures est retenu par M. Dor pour régler la pension de Mme Delisée chez lui. Tout compte fait, dit l'avocat, M. Dor est en déficit vis-à-vis de Mme Delisée.
    Mtre Lebeau examine, d'après les Pandectes et la jurisprudence, ce qu'il faut entendre par l'art de guérir. Il faut un examen personnel du patient ; il faut l'ausculter. Est-ce cela que fait Dor ? Non ; à tous il conseille indistinctement l'amélioration morale. Il faut se guérir de ses défauts, de ses vices ; le reste viendra par surcroît. Il ne se donne pas comme guérisseur des corps, il ne se proclame que le médecin de l'âme. Dor ne connaît ni ne pratique le magnétisme. Il se défend de toutes passes, de toute pratique de ce genre. Dans plusieurs passages de ses livres, il dit expressément qu'il ne connaît absolument rien en fait de médecine. En général, la justice est très large vis-à-vis des guérisseurs. Dès que la santé publique n'est pas en danger, on laisse faire. C'est notamment ce que consacre un arrêt de la Cour de Gand du 15 juin 1852. II s'agissait d'un homme du même genre que Dor, qui imposait les mains et obtenait des guérisons. Ce guérisseur acceptait l'argent qu'on lui offrait. Il a été acquitté.
    Mtre Lebeau examine la question des passes magnétiques. Rien de semblable ici. Si cependant la Cour avait des doutes, des médecins seuls pourraient éclairer la Cour sur la nature des pratiques de Dor. On reproche à Dor quelques petits faits précis. Mme Beauvois souffrait d'un cancer ; elle est morte d'inanition, dit la partie civile, le Père lui ayant ordonné de l'eau sucrée. Il est à noter que cette personne était soignée par un médecin, qu'elle n'a pas été personnellement visitée par le prévenu. Le mari et la fille Beauvois ont manifesté une grande hostilité à Dor. N'était-ce pas à eux à obéir aux prescriptions des médecins et leur témoignage n'est-il pas plus que suspect lorsqu'ils viennent dire que Dor aurait prescrit des lavements à l'eau salée ? Ordonner un remède précis, est la négation même du système de M. Dor. Ce qu'on lui reproche c'est un procédé ultra-simpliste du prévenu. On dit qu'il aurait recommandé du thé Chambard ; c'est faux encore, et on n'a parlé de ce thé Chambard qu'après la constitution du complot Delisée-Chartier. Richard était un vieux bonhomme qui avait été employé chez Dor, puis congédié. Richard avait une hernie et en 1909 il enleva son bandage de son plein gré et tout alla bien. Il eut dans la suite me seconde hernie, pour laquelle il est allé consulter M. Dor. Mais il est faux de dire que Dor ait conseillé à personne d'enlever un bandage. Richard dit d'ailleurs explicitement : « Dor ne m'a jamais soulagé et cependant j'ai en son pouvoir une confiance aveugle. » Vous avez entendu ici même une hernieuse qui a proclamé qu'elle avait été guérie par Dor, mais jamais, a dit ce témoin, le prévenu ne m'a engagé à abandonner mon bandage.

                                                                                     (À suivre.)

Le Bruxellois, 17 avril 1917

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Palais de Justice, Tribunal correctionnel de Charleroi (Le bruxellois, 19 décembre 1916)

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Palais de Justice, Tribunal correctionnel de Charleroi (Le bruxellois, 19 décembre 1916)                         PALAIS DE JUSTICE
 TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE CHARLEROI. — Dor, « le Messie ». — Jugement. — Dor est d'abord convaincu d'avoir usurpé, si pas le titre de guérisseur, certainement l'application de ce que la loi réserve aux médecins exclusivement.
    Il est donc reconnu coupable d'avoir, illégalement, exercé l'art de guérir, et encourt de ce chef une amende de 100 florins (220 fr.).
    Il écope également d'une seconde peine, consistant en 4 mois d'emprisonnement et une amende de 200 fr., d'une troisième, équivalent au double de cette dernière, soit par conséquent 8 mois d'emprisonnement et 400 fr. d'amende, puis d'une 4e, formée d'un emprisonnement d'un mois et d'une amende de 26 fr., ensuite d'une 5e, composée, elle, de onze emprisonnements de 8 jours et de onze amendes de 26 fr. encore.
    Les extorsions et fourberies qu'il commit à l'égard des époux Chartier, de Mme Delisée, de feue Mme Richard Solms, et d'autres, lui procurent ce total de 13 mois et 88 jours d'emprisonnement, et de 912 fr. d'amende.
    Le tribunal n'a point retenu, à sa charge, la prévention de s'être aussi livré à des actes immoraux sur la personne de cette dame Delisée susmentionnée, mais il a, en outre, décidé que le condamné restituerait à celle-ci 17,000 fr., et payerait à la Société Médicale de l'arrondissement de Charleroi 500 francs, à titre de dommages-intérêts. Dor n'assistait point à la lecture du jugement prononcé, et très longuement motivé.
    Une foule nombreuse était accourue, et beaucoup jubilaient, parce qu'ils prétendaient avoir fait des paris relatifs à la fin des poursuites intentées contre le « réformateur », paris qu'ils disaient avoir gagnés. (R. N.)

Le bruxellois, 19 décembre 1916

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Palais de Justice, Tribunal correctionnel de Charleroi (Le bruxellois, 13 novembre 1916)

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Palais de Justice, Tribunal correctionnel de Charleroi (Le bruxellois, 13 novembre 1916)    TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE CHARLEROI. — Audience du 10 novembre 1916. — « Le Messie », « père Dor », vient, à l'instar de feu le père Antoine, de Jemeppe-sur-Meuse, de s'asseoir sur le banc de la 5° chambre correctionnelle. Il est âgé de 53 ans et serait monteur de son état. De nombreuses et importantes escroqueries lui sont reprochées, en même temps que l'exercice illégal de l'art de guérir, et des actes immoraux.
    M. Mahaux, substitut du procureur du Roi, soutient l'accusation.
    Vingt-quatre personnes sont citées par son ministère et 38 par la défense.
    De l'interrogatoire auquel M. Bodart, le commissaire de police, est soumis, il appert que des types « semblables » au prévenu font florès à Roux.
    Le distingué policier rappelle qu'en 1909 Pierre Dor vint s'installer dans la commune. Il ne brillait point, mais petit à petit if fut visité par une foule de gens qui le considéraient comme « le Messie », le Christ !
    Par le fait qu'on croyait en lui, on bénéficiait de son « fluide » ! disait-il.
    Il édifia un temple, et un homme auquel il avait ordonné de ne plus porter bandage tomba, paraît-il, un jour évanoui sur la route.
    Me Gérard déclare se constituer partie civile au nom de la Société de Médecine de l'arrondissement de Charleroi, société fondée en 1907 et représentée par M. le docteur Haelewyck, président, et Me Houzé, avoué.
    Mme Delisée Marie, épouse Lechien Gustave, d'Etterbeek, dépose ensuite :
    Devenue « l'auxiliaire » de l'incriminé, elle subit son influence. Il opéra des massages sur sa personne, et elle lui remit d'abord 2000 fr. pour le dédommager des frais qu'elle lui avait causés. Il l'envoya vendre 5000 brochures dans les provinces de Namur et de Liége. Il la menaçait d'attaques d'apoplexie ! « Ne comptez pas, donnez, donnez ! » lui répétait-il sans cesse. Il lui conseilla même fortement de ne pas tester en faveur de ses héritiers ; ceci contrariait leur avancement moral, expliquait-il, et elle testa alors en faveur... du père Dor.
    Il se proclamait Jésus-Christ réincarné, et ajoutait : « Il est temps que le monde sache qui je suis. »
    Quand on qualifiait de « magnétisme » sa prétendue puissance (fluide), il se récriait, et quand le Parquet l'inquiéta, il exhorta le témoin à gratifier « l'Ecole des Estropiés » de sa fortune.
    Mme Delisée rapporte les attentats dont elle fut également victime, et proteste lorsqu'elle s'entend accuser d'avoir troublé le ménage de l'inculpé.
    Mme Dor lui semble trop grossière pour être l'épouse d'un « surhomme ».
    Me Bonnehil, son mandataire, réclame 17,000 fr. seulement.
    M. Chartier, arrivé à la barre, raconte comment il s'est rendu auprès de Dor ; sa femme était « adepte », à cause d'une affection d'estomac.
    Dor prétendit qu'il le connaissait de vieille date et le convertit au végétarisme, lui faisant craindre une paralysie. Peu après, il lui commanda de faire l'achat d'un terrain, de charbons, ventilateurs, casiers, etc. Alors, Dor promettait quasi le triomphe du cartel et le renversement du gouvernement. « Au bon Dieu qu'est-ce qu'on ne donnerait pas », répond le témoin à un certain moment. Avant de terminer, il raconte de quelle manière aussi Dor empocha le prix de plusieurs coupons destinés à payer son pèlerinage à sa maison natale, à Mons-Crotteux-lez-Liége, le 15 août 1914.
    Mme Chartier, elle, reconnaît qu'elle a consulté jadis Antoine, à Jemeppe, et qu'elle fut déclarée fort malade par Dor. Celui-ci l'incita à coopérer à son œuvre et la menaça de paralysie, après son mari. A Bruxelles, Spa et Ostende elle vendit des brochures et se disposait à partir en Suisse lors de la déclaration de guerre. A elle encore, Dor déconseilla de léguer ses biens à ses descendants. Elle vendit des immeubles. Dor ne se contentait point de ce qu'elle donnait, de ce qu'elle faisait. Il se livra sur elle aussi à des attouchements. Quant à sa fille, elle était curieuse, annonce-t-elle, de connaître Dor. « Mademoiselle » lui dit-il, quoiqu'elle fût mariée. Ce que « Dieu » aurait dû savoir, songea-t-elle. Elle allégua un mal d'estomac, et lui d'en profiter aussitôt, en affirmant qu'elle seule lui donnerait le bonheur.
    L'audition subséquente des témoins révèle que Dor s'était enquis de la situation de fortune de Mme Delisée ; qu'abstraction faite des troncs qu'il avait placés en évidence, il désignait quel livre il fallait lui acheter, qu'en moyenne il donnait 300 à 400 consultations quotidiennement. Les débats continuent. (R. N.)

Le bruxellois, 13 novembre 1916

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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le bruxellois, 13 avril 1917, p.3)

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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le bruxellois, 13 avril 1917, p.3)

PALAIS DE JUSTICE
COUR D'APPEL DE BRUXELLES

Le Procès Dor 
(Suite.)
Audience du 10 avril.

    Suite de la plaidoirie de Mtre Lebeau :
    Dor a institué un culte, il a en conséquence le droit d'en organiser des manifestations extérieures sans pouvoir être interdit. Je vais plus loin : il a le droit de vivre de son métier. Dès qu'on professe une loi, il faut un temple, un lieu de réunion, du charbon et par conséquent il y a un problème financier à résoudre. Voilà pourquoi Dor a placé un tronc. C'était son droit absolu, quelle que soit la mentalité enfantine de sa doctrine.
    M. l'avocat-général. — Il ne pouvait tromper ses adeptes.
    Mtre Lebeau. — Eh ! qui vous dit qu'il les a trompés ? Cet homme n'est-il pas de bonne foi ? Tout prophète est de bonne foi. M. l'avocat-général nous a magnifié ce matin Jean Huss et sa mort. Mais transportons donc Dor à cette époque. C'est lui que nous trouverions sur le bûcher, et c'est le démocrate organe de la loi d'aujourd'hui que nous verrions attiser les flammes allumées par les conservateurs d'alors. En réalité, ceci est un épisode nouveau des persécutions religieuses. On aura beau ergoter, il n'y a rien autre chose. Dor a le droit de demander à vivre de son autel et ceux-là qui ont seuls le droit de demander des comptes à Dor, ce sont les gens qui lui ont donné de l'argent. La Cour ne peut s'occuper de sa petite église, parce qu'elle échappe à sa compétence. Elle ne pourrait s'en occuper que s'il y avait des manœuvres basses et grossières pour gruger des imbéciles.
    M. l'avocat-général. — Il se dit le Christ. N'est-ce pas bas et grossier cela ? L'est-il, le Christ ?
    Mtre Lebeau. — Non, il ne l'est pas. (Rires au banc de la partie civile.) Mais ce n'est pas mon opinion à cet égard qui doit prévaloir ici. En tous cas il n'est pas grossier de le prétendre dans le sens Qu'admet Dor. Celui-ci a une morale supérieure, des idées qui élèvent l'homme, lui servent à le rendre meilleur. Les Doristes ont un idéal, leur culte que nous considérons nous autres comme primitif et enfantin ; leur doctrine que l'on peut traiter de rudimentaire suffit à ces mentalités frustes et simples. Dor comme d'autres prophètes affirme que sa doctrine vient du ciel. Prouverez-vous que cela n'est pas ? Mahomet a révolutionné le monde en affirmant que c'était l'ange Gabriel qui lui avait inspiré sa mission. Contesterez-vous que Mahomet ait été le chef d'une Eglise, le fondateur d'un culte ? Quelle base scientifique possédez-vous pour démentir des assertions du même genre de la part de Dor ? Nous sourions, nous, de certaines de ses thèses, de la puérilité de certaines de ses pratiques. Mais d'autres y ont foi, son langage dépourvu de délicatesse et de goût fait impression sur ses fidèles. C'est en matière religieuse surtout qu'il importe d'être tolérant et de ne pas juger sur un mot, sur une impression. Il n'y a aucune intention frauduleuse à s'appeler le Christ, le Messie du XXe siècle et il ne faut pas être grand clerc pour trouver un sens très logique à semblables paroles dans la bouche de Dor. Il ne faut pas rire non plus, comme on l'a trop fait, de son fluide. Cette expression empruntée à la science spirite indique qu'il exerce certaines influences morales et même physiques. Or, est-ce vrai cela ? Contestez-vous qu'il ait soulagé, amélioré ses adeptes ? Contestez-vous que beaucoup ont en Dor une confiance illimitée ? Un magistrat catholique me disait : Le procès Dor doit être pour nos prêtres un enseignement important. Il révèle dans la foule des sources insoupçonnées de besoins religieux. Le peuple a besoin de croire, d'être guidé, éclairé. On ne s'en rend pas assez compte. Dor a compris ce besoin, cette soif de l'âme ; il se penche sur toutes les misères morales et arrive souvent à les soulager et par-dessus le marché les misères physiques d'une manière providentielle. M. l'avocat-général, dans un raisonnement simpliste, nous dit : « Nous sommes en face d'un vrai culte, ou d'une escroquerie. » Pardon ! il faut envisager une troisième hypothèse : Dor n'a pas un culte reconnu ; il peut néanmoins être un prophète de bonne foi, réalisant des phénomènes qui ne se réaliseraient pas sans son intervention.
    M. l'avocat-général. — Je vous entends venir. Vous allez demander l'examen mental de votre client.
    Mtre Lebeau. — Oui ! Je demande l'expertise et ce n'est pas la première fois que je la demande. Quand le parquet de Liège s'occupa d'Antoine le guérisseur, il délégua des médecins qui interrogèrent le Père Antoine et ses adeptes guéris. Ces docteurs admirèrent la sincérité du Père Antoine et reconnurent des guérisons jugées impossibles dans certains cabinets de docteurs. Le Père Antoine n'était donc pas un imposteur, ni un escroc.
    Mtre Gérard. — Lisez le jugement. Il dit tout autre chose.
    Mtre Lebeau. — Du tout. M. le président. — Est-ce qu'Antoine a été pré venu d'escroquerie ?
    Mtre Lebeau. — Absolument.
    Mtre Gérard. — Il a été acquitté faute de preuves suffisantes.
    Mtre Lebeau. — Je me demande à quoi rime cette intervention, Mtre Gérard.
    Mtre Bonnehil. — Dois-je intervenir alors ? (Rires.) Hé bien ! Je demande moi la nomination d'un expert comptable. Montrez votre comptabilité.
    Mtre Lebeau. — La grosse malice ! Dor n'a pas de comptabilité ; S'il en avait on dirait : « Quel bon commerçant ! » Il n'en a pas ; on dit : « Quel escroc ! »
    Mtre Bonnehil. — On vous fera cependant rendre gorge.
    Mtre Morichar. — Nous vous avons maintes fois proposé des comptes.
    Mtre Bonnehil. — Des comptes d'apothicaire.
    Mtre Morichar. — Du tout ; seulement vous êtes trop gourmands.
    M. le président. — Remettons la suite de ce débat à demain et tachons de terminer le matin.
    L'audience est levée à 5 heures.

                               Audience de mercredi matin.

    Dernière journée, très probable, du « Calvaire du Christ. » On s'attend à une déclaration sensationnelle de Mtre Lebeau, mais on suppose qu'il n'y aura pas de répliques.
    La Cour a vivement insisté pour que les débats soient terminés aujourd'hui.
    Mtre Lebeau reprend la parole à 10 heures. Il affirme que Dor est de bonne foi.
    Ce serait au ministère public à faire la démonstration de la mauvaise foi de Dor. Il ne l'a pas fait, moi je vous le démontrerai.
    Dor a toujours aimé le travail, il n'a pas de besoin, il a toujours repoussé avec dédain les moyens faciles et nombreux de faire fortune. Dor a suivi l'école de son oncle, Antoine le Guérisseur, de Jemeppe, qui, d'après l'enquête du parquet de Liège, était un illuminé sincère, Dor n'a jamais été condamné ; il a passé par de nombreuses usines du pays de Liège et partout il a obtenu les certificats les plus élogieux.
    A Jemeppe-sur-Meuse, à la suite d'un accident dont il fut victime, il est devenu commerçant et s'est établi à proximité de son oncle Antoine, commerce d'épiceries, merceries et hôtellerie. Ce commerce était destiné à une prospérité certaine. En 1906 il versait à la banque des sommes très importantes. En cinq mois ses bénéfices montent à 4,124 francs, somme avec laquelle il a acheté un groupe de maisons. En quelques années il réalise un actif de plus de 25.000 fr.
    Il faisait de si bonnes affaires que son départ de Jemeppe stupéfie son entourage. Il vient s'installer à Roux, où il vit en ascète. Il ne sort jamais et se borne à se promener dans son jardin. Il faut une fameuse dose de volonté pour cela... »
    M. le substitut Simons. — C'est comme la femme à barbe à la foire. (Rires.)
    Mtre Lebeau. — « La femme à barbe » sort, je l'ai déjà rencontrée. (Rires.) Dor suit un régime de végétarien, il ne mange que de la margarine. Il en porte la marque sur toute sa personne, ses allures compassées, sa voix blanche, son visage émacié ; tout cela provient du régime qu'il s'impose. Il témoigne de sa sincérité en conformant ses actes à ses théories. Il prêche d'exemple, c'est pourquoi ses disciples le respectent.
    Est-ce un paresseux ? Il se livre à un travail écrasant, il reçoit entre 1,400 à 1,500 personnes par jour, il compose des livres.
    Quelle est dès lors l'explication de sa vie étrange ? C'est que c'est un illuminé, un homme de bonne foi. Ses ouvrages encore démontrent sa bonne foi. : Il n'est pas lettré et malgré cela il compose des livres, bien conçus, bien enchaînés, d'inspiration claire. Son inspiration souvent éloquente est une preuve certaine de conviction. On a insinué que ses livres ne sont pas de lui. C'est le contraire ; qui est vrai. Il a trouvé des correcteurs pour ses fautes de français, mais il n'aurait pas permis que l'on retouche à sa pensée.
    S'il y avait eu un autre auteur, vous le connaîtriez certainement par Mme Delisée. Ne vous a-t-elle pas signalé des livres d'où il a tiré de minuscules paginettes ? Nous possédons d'ailleurs ses brouillons ; la Cour les a vus. Le fait de composer des livres aussi profondément mystiques démontre que Dor n'est pas un escroc mais un illuminé sincère. Dans la vente des livres, la délicatesse, les scrupules de Dor apparaissent encore d'une manière indiscutable. Il n'impose son livre à personne, il n'offre pas ses ouvrages. Les adeptes achetaient le livre non pour payer Dor, mais dans l'intention de s'instruire. Les Doristes ont parfois essayé de pousser à la vente en organisant le colportage. Cela a été considéré par Dor comme un excès de zèle et il a arrêté net cette propagande. Est-ce là le fait d'un escroc ?
    Les témoins sont des convaincus, ce sont des obligés de Dor et qui n'hésiteraient pas à le payer ; s'il demandait une rémunération quelconque. Or, Dor n'exige rien.
    Il a été condamné dans le chapitre des escroqueries générales pour avoir reçu de 10 cent. à 10 fr. et cela pour avoir donné des entretiens, des consultations parfois très nombreuses au même client. Sa bonne foi nous est encore démontrée par son influence extraordinaire sur ses adeptes. Par sa seule volonté il parvient à leur imposer une vie conforme à la moralité.
    Croyez-vous qu'un vulgaire escroc parviendrait à influencer son entourage de manière à lui donner des sentiments d'idéal et d'abnégation ? Essayez un peu, M. l'avocat général, vous qui êtes si éloquent, de convertir vos auditeurs à une vie nouvelle.
    M. Simons. — je ne suis pas jaloux de Dor, ni désireux de tromper comme lui mes semblables.
    Mtre Lebeau. — Il ne s'agit pas de tromper, mais bien de donner à autrui une conviction que L'on n'a pas.
    M. l'avocat général. – Toutes les cartomanciennes savent fasciner leurs clients.
    Mtre Lebeau. — Aucune d'elles ne fait changer la vie de leurs clients. Le mot de Boileau reste vrai.
    « Pour me tirer des larmes il faut que vous pleuriez ! »
    On ne convertit pas les gens sans être convaincu soi-même.
    Les clients du Père sont des gens convaincus, cela vous ne pouvez le nier. Ils puisent cette conviction dans leur confiance vis-à-vis de Dor, confiance souveraine, irrésistible.
    Dor est désintéressé. L'affaire de la margarine le montre d'une manière éclatante. II autorisé la firme Era, margarine végétale, à mettre sur ses paquets « Margarine du Père Dor » et cela à la seule condition que le produit soit pur. Pendant la guerre, comme il ne trouve plus le produit à son goût, il permet à la firme Axa que l'étiquette soit transportée à la marque concurrente. On se disait que Dor agissait par esprit de lucre, qu'une grasse commission lui était payée, soit par le fabricant, soit par les dépositaires. Or, dans le procès fait au « Rappel », il a été prouvé qu'il ne touchait absolument rien ni d'un côté, ni de l'autre.
    Voici une autre preuve de son désintéressement. M. Van V..., de Liège, lui donne un jour 5,500 fr. Dor n'attendit pas longtemps pour remettre intégralement cette somme à celui qui la lui avait donnée sans esprit de retour.
    La conclusion de tout ceci, c'est que Dor est un illuminé et non pas un escroc. Pour lui l'argent n'a qu'une importance accessoire.
    Mtre Bonnehil. — Rendez gorge alors !
    Mtre Lebeau, — J'ai à vous faire une déclaration, Mtre Bonnehil ! Je vous propose, pour vous rembourser — ceci par pure honnêteté d'ordre moral — de vous concéder une hypothèque sur les immeubles de Roux, à concurrence de leur plus-value acquise à la suite des améliorations apportées par Mme Delisée.
    M. Simons. — Oui, après l'examen mental. S'il n'est pas escroc, c'est un fou. C'est aux médecins à en juger.
    Mtre Lebeau. — Mon client est un illuminé de bonne foi.
    M. Simons. — Cela ne me suffit pas.
    Mtre Bonnehil. — Ni à moi non plus. Une aumône ne me satisfait pas.
    Mtre Lebeau. — Sa bonne foi peut très bien être admise.
    M. Simons. — Oui, si vous prouvez sa folie.
    Mtre Lebeau. — Erreur manifeste.
    M. Simons. — Il n'est pas fou de se dire le Christ.
    Mtre Morichar. — Pourquoi ? Un illuminé sincère peut aller jusque-là.
    M. Simons. — Enfermons-le et n'en parlons plus.
    Mtre Lebeau. — Vous auriez aussi enfermé Mahomet parce qu'il disait converser avec l'ange Gabriel...
    Il importe de détruire la légende de la fortune de Dor.
    Fortune immobilière de 65,000 fr. affirme Mtre Bonnehil ; fortune mobilière incalculable ajoute-t-il.
    Dor possédait en 1909 outre ses maisons, qui furent vendues 15,500 fr. un dépôt en banque de 5,000 fr. Il vendit son commerce 7,500 fr. Avec diverses autres sommes qu'il possédait encore, on arrive à un total de près de 30,000 francs.
    S'il était resté à Jemeppe, il se fut enrichi sans se donner trop de mal. Au lieu de faire fortune, de thésauriser, Dor est obligé de vendre ses propriétés, il est obligé d'éditer ses sermons, de vendre des brochures.
    Mtre Lebeau estime que l'« Ere nouvelle » rapporta un millier de francs à son client ; « Christ parle à nouveau », 9,000 fr.
    Dor eut certes pu s'enrichir, mais logique avec ses principes, il immobilise tous ses capitaux et déclare que si son capital en banque dépasse 2 000 francs, il en versera le surplus à l'Ecole des estropiés de Charleroi.
    Ce projet de donation est incontestable, il résulte d'une lettre de M, Pastur.
    Il résulte des démarches que fît à Roux l'honorable député permanent, démarches qui n'échouèrent qu'à cause de la guerre.
    Pour fonder sa succursale à Uccle, cet argent ne suffit pas. Et c'est pourquoi il emprunte à ses adeptes. J'en viens à la question du fluide. Ce fluide émane de l'influence d'un personnage et imbibe toutes ses paroles, tous ses gestes.
    Dor a-t-il un pouvoir de rayonnement agissant sur ses malades ? C'est bien possible. Des médecins admettent que les malades peuvent être impressionnés par des influences morales magnétiques ! De nombreuses maladies, disent-ils, peuvent être guéries par la suggestion. Si cela est, la bonne foi de Dor est indiscutable et il ne peut être question d'escroquerie.
    Dor affirme que c'est son amour pour son prochain qui lui donne le pouvoir de guérir ses semblables.
    Les médecins guérisseurs sont ceux qui sont de grands philanthropes : ceci de l'aveu des médecins. Une moquerie n'explique rien. Vous voyez qu'un examen du Père et des malades s'impose.
    D'ailleurs, Dor dit et affirme à maintes et maintes reprises que ce n'est pas lui qui guérit, mais bien qu'on se guérit soi-même en s'améliorant moralement. Si Dor était un escroc, mais il ferait de la réclame, de la propagande. Mais non ; c'est tout le contraire. Il n'appelle personne et refuse qu'on insiste pour lui amener des malades.
    Il a le souci d'éviter le fanatisme chez ses clients. Les formules intolérantes sont aimées des esprits simples. Lui n'en a pas. On reproche au Père Dor son charlatanisme, école morale et le reste. Il a commis de nombreuses fautes de goût, mais il ne faut pas oublier que c'est un illettré, un primaire. A cause de cela, il n'est pas susceptible d'une délicatesse extraordinaire. Il a cru trouver quelque chose de neuf. Il est fier, il est heureux de sa trouvaille. Il a le goût de la propagande et cela provient de sa confiance illimitée en lui-même. Pour faire de la propagande démocratique chrétienne il faut aussi avoir du mauvais goût. (Rires.)
    M. Simons. — Merci.
    Mtre Lebeau. — Ne cherchez pas du bon goût dans ses descriptions emphatiques ni dans les illustrations de ses brochures. C'est nécessairement un caractère commercial. On critique surtout ses gestes hiératiques, gestes très simples, si simples que la plupart des fidèles ne le remarquent pas. Il lève parfois la main, mais pour faire taire les bavards et en imposer à ceux qui pourraient lui faire perdre son temps.
    S'il a l'âme mystique, il a l'allure hiératique, cela se tient. Son costume, sa longue chevelure, sa barbe, tout cela est de l'ermite et est adéquat a sa mentalité. Son temple est fort simple, c'est comme une église protestante.
    La grosse question maintenant. Il a dit qu'il était le Christ. Il a blasphémé, il s'est livré à des manœuvres frauduleuses. S'agit-il du Christ des chrétiens ? Du tout ; celui-là est au ciel et il en voudrait à Mtre Bonnehil de ne pas avoir bien conservé ses intérêts. (Rires.)
    Lui pardonne. Les hommes sont méchants et mettent un nom sur des étendards, mais lui est juste, bon, mystérieux.
    L'audience est levée à 2 heures. (B.)

Le bruxellois, 13 avril 1917 (page 3)

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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le bruxellois, 5 avril 1917)

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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le bruxellois, 5 avril 1917)PALAIS DE JUSTICE
COUR D'APPEL DE BRUXELLES
Le Procès Dor
(Fin de l'audience de mardi)

    Le rapporteur analyse très longuement les divers témoignages. Il fait connaître la déposition de Mme Délisee à l'audience, les manœuvres dont cette personne prétend avoir été victime pour en arriver à débourser en faveur de Dor des sommes très importantes. — On sait que le tribunal de Charleroi a accordé 17,000 fr. de dommages et intérêts à Mme Delisée. — Il s'agissait notamment d'achat d'un stock important de brochures, de placement d'un parquet du chauffage central, etc.
    « Dor insistait auprès de moi qui étais sa loque » pour que je me dépouille de mon argent. Vous comptez trop, ne cessait-il de cire. » Dor possédait même un testament en sa faveur de cette adepte.
    Après la descente du parquet ce document fut déchiré.
    Le tribunal de première instance tâcha de se rendre compte si des attentats à la pudeur avaient réellement été commis par Dor. Mme Delisée ne put convaincre les juges à cet égard.
    Il parait que non contents du culte doniste, Mme Delisée était théosophe à Bruxelles et y évoquait les esprits.
    Les manœuvres de Dor furent assez caractéristiques pour que le tribunal retint la prévention d'escroquerie.
    De même pour les époux Ch.... qui ont versé de nombreuses sommes à Dor et lui payaient notamment de grandes quantités de charbon.
    M. le conseiller fait connaître de même les témoignages favorables à Dor, l'interminable séquelle des adeptes illuminés qu'il traîna devant le tribunal.
    Puis vient la lecture du long jugement qui clotura le premier acte du calvaire du Christ.
    La prévention d'exercice illégal de l'art de guérir est prouvée par ses paroles et par ses actes. Il n'a ni titre ni diplôme et assure la guerison à ses clients par la transmission de son fluide, par des lavements, l'absorption d'eau non bouillie.
    Les escroqueries sont établies aussi, car il se faisait passer pour le Christ réincarné ; ses réserves elles-mêmes constituent des manœuvres qui ont dû impressionner les esprits simples, ses poses hiératiques, ses titres de guérisseur, de stimulateur de vertus lui ont valu de s'approprier indûment le bien d'autrui.
    En conséquence Dor fut condamné aux diverses peines de prison et d'amende que nous avons fait connaître antérieurement.
    A 12 h. et demi la lecture du rapport est terminée et M. le président passe à l'
                                                   Audition des témoins.
    Eugénie Thonus
, adepte du Père Dor, habite St-Gilles.
    Me Lebeau. — Quelle est la cause de votre trouble lors de votre comparution à Charleroi ?
    R. — j'étais malade à causa de la grande chaleur qui régnait dans la salle et énervée à la suite des trois heures passées dans la salle d'attente.
    D. — Vous n'étiez pas hypnotisée par le Père Dor ?
    R. — Non.
    M. le président. — Et lorsque vous vous êtes écriée : « Sauvez-moi ! », est-ce lui que vous invoquiez ?
    R. — Non, tout le monde. Lui d'abord puisque c'est mon sauveur (!) mais aussi tous ceux qui auraient pu m'assister, me secourir.
    Me Lebeau. — J'insiste surtout pour bien faire voir qu'il n'y avait pas d'hypnotisme de la part de Dor.
    Me Simons, substitut du procureur général. — Je n'attribue pas la moindre importance à cet incident.
    D. — N'aviez-vous pas versé 100 fr. à l'œuvre du P. Dor ? Cet argent vous a-t-il été restitué ?
    R. — Oui, Mme Delisée me la remis.
    D. — Cela a-t-il eu lieu après les premières poursuites dit parquet.
    R. — Je ne m'en souviens pas.
    D. — Mme Delisée montrait-elle beaucoup d'affection pour le Père Dor ?
    — Oui, beaucoup. Elle parlait constamment de lui. Sans lui, disait-elle, elle ne se faisait aucun bien. Souvent elle s'écriait : « O mon cher petit père, comme je vous aime. (Rires.) Si jamais il me mettait hors de chez lui, je crois que j'en mourrais. »
    M. le président. — Pourriez-vous me dire quel genre d'amour elle professait pour l'inculpé.
    R. — Elle était fort légère dans ses paroles.
    D. — Oui, mais, l'aimait-elle d'un amour charnel ?
    R. — Je ne saurais vous le dire.
    Me Bonnehil. — Vous avez dit tout le contraire lors de l'instruction.
    D. — Comment aimiez-vous l'inculpé ?
    R. — Je l'aimais comme sauveur, mais non comme homme, pour les conseils moraux qu'il me donnait.
    Me Gérard. — La déclaration que vous venez de faire ne vous a-t-elle pas été suggéras par l'inculpé ? Ne l'avez-vous pas écrite à l'avance ?
    R. — Rien ne m'a été demandé. J'ai écrit ma déclaration de mon plein gré.
    Me Gérard. — Comme les autres témoins ?
    R. — Je l'ignore.
    Louis van den E…, 31 ans, de Couillet, déclare avoir été guérie d'un asthme par l'inculpé.
    D. — Vous a-t-il prescrit des médicaments ?
    R. — Non. Il a travaillé seulement à mon perfectionnement moral.
    D. — Avez-vous vendu des brochures du Père Dor ?
    R. — Oui. Une société avait été formée par nous pour propager ses œuvres. J'ai moi-même souscrit 100 fr. pour cela.
    D. — Une souscription a été ouverte pour l'œuvre du Père chez Romain. Qui en a eu l'idée ?
    R. — C'est moi.
    D. — On a rendu une partie des souscriptions ?
    R. — Oui plus de la moitié. C'est moi qui en tenais la comptabilité.
    D. — La brochure « L'ère nouvelle » comprenait-elle seulement les sermons du Père Dor ? A-t-elle été éditée avant ou après la rupture de Dor avec Mme Delisée ?
    R. — Avant.
    Me Gérard. — Vous avez écrit votre déposition à la demande de Dor ?
    R. — Je l'ai écrite spontanément de moi-même en réponse aux bruits infâmes qui couraient sur P. Dor.
    — Quelle sorte de bruits ? Touchant la moralité ?
    R. — Oui.
    Alice Pouille, 55 ans, dit qu'elle a connu le P. Dor chez le Père Antoine. Elle a mieux aimé aller chez Dor qui habitait plus près.
    M. le président. — Leur religion était autre. Le 1er c'est St Jean-Baptiste ; Dor c'est le Christ. (Rires.)
    D. — Alliez-vous souvent chez Dor ?
    R. — Tous les quinze jours. Il a même été question que j'aille passer les vacances chez Mme Delisée.
    D. — Que pensez-vous de cette dame ?
    R. — C'était jadis une croyante. Mais comme elle était légère et variable, elle a changé.
    Me Bonnehill. — La doctrine du Père ne vous oblige-t-elle pas de vous dire coupable de fautes que vous n'avez pas commises ?
    R. - ?!?...
    Me Lebeau, protestant. — Vous interprétez mal la doctrine du Père Dor.
    L'audition des témoins de ce matin est terminée.
    M. le substitut du procureur-général. — Il a été fait allusion tout à l'heure à des sollicitations, faites à Charleroi par le prévenu pour obtenir des adeptes des témoignages favorables. Une enquête a été faite par le parquet de Charleroi... je dépose le dossier sur le bureau de la Cour.
    L'ordre du jour est établi ensuite.
    Demain mercredi audition des témoins, puis interrogation du P. Dor. Les plaidoiries des parties civiles doivent être finies demain.
    Mardi prochain, réquisitoire et plaidoiries de la défense. (B.)

Le bruxellois, 5 avril 1917

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Un Messie devant la Cour d'Appel de Bruxelles (Le XXe siècle, 22 avril 1917)

Publié le par antoiniste

Un Messie devant la Cour d'Appel de Bruxelles (Le XXe siècle, 22 avril 1917)SPECTACLE DE SEMAINE SAINTE

UN MESSIE
devant la Cour d'Appel de Bruxelles

    Fidèle à la tradition — qui veut pour la fin du Carême des spectacles graves et des concerts spirituels, — la Cour d'appel de Bruxelles a commencé, le lundi saint, l'examen de l'affaire du Père Dor, dit le « Christ de Roux. » Nous en résumons, d'après les journaux bruxellois, le très authentique compte rendu.
    Le Père Dor est l'élève et le neveu du Père Antoine, dont Jemeppe-sur-Meuse devint le Sinaï ; c'est là que, du haut du terril, fut promulgué la loi de l'« Arbre de la Conscience » ; c'est là que, aux grands jours de l'Antoinisme, pèlerinaient des théories d'adeptes, les hommes en longue redingote et funèbre haut-de-forme, les femmes en voile de veuve.
    Le P. Dor est l'Elysée du cet Elie ; mais il ne fait pas à feu son oncle, et à sa tante qui continue « les affaires », une concurrence déloyale. Il s'est établi à Roux, dans le Borinage, et s'est voué « au bien » de ses semblables.

LE MESSIE

    Le Père Dor est de haute taille, abondamment barbu et chevelu ; des fils d'argent se mêlent à sa noire crinières. II est prosaïquement vêtu d'une redingote et d'un pardessus, coiffé d'un feutre à larges bords. Sa femme l'accompagne, petite et toute de noir vêtue. Le couple prédestiné s'installe au banc des avocats et, fort de l'autorisation des défenseurs persiste à s'y prélasser. Le banc des accusés reste vide.
    Le Père Dor appelle d'un jugement prononcé contre lui à Charleroi le 17 décembre dernier. Le tribunal correctionnel l'a condamné à 100 florins d'amende pour exercice illégal de l'art de guérir ; à 200 francs d'amende, à 8 mois et 400 francs, à onze peines de huit jours, à un mois et 25 francs d'amende pour divers faits d'escroquerie. Il le condamnait en outre à 500 francs de dommages et intérêts en faveur de la Société de Médecins de Charleroi, et 17.000 francs en faveur de Mme Delisée, naguère fidèle à toute épreuve, aujourd'hui principale plaignante.

LE « TEMPLE DE LA MORALE »

    Ainsi s'appelait le lieu où le Père Dor rendait ses oracles ; le temple de Roux avait, à Uccle, une succursale achalandée. L'enseignement du Messie borain n'avait, cependant, rien de bien original. Dans les dossiers de l'enquête, dans les déclarations de l'accusé ou des témoins, il est question, en termes vagues, d'Amour et de Justice, quelques témoins du beau sexe affirment qu'en ce qui les concerne, le P. Dor écrivait « amour » sans majuscule. Hâtons-nous d'ajouter que, sur ces faits, l'enquête n'a rien apporté de probant
    L'« Ecole de la Morale » prêchait surtout la foi au P. Dor. Pour guérir les malades qui recouraient à ses lumières, le « Messie » se contentait d'habitude de passes magnétiques, de regards lourds d'effluves. Plus prosaïquement, il lui arriva d'enlever à des hernieux leur bandage — non leur hernie, — de proscrire le lait du régime de petits enfants ; il alla jusqu'à prescrire du Thé Chambard, des lavements salés, des potions sucrées. Ce sont ces ordonnances que l'accusation considère comme exercice illégal de la médecine. Ces clystères et ces juleps nous semblent, d'ailleurs, n'avoir que des rapports assez éloignés avec la Justice, l'Amour et le « Temple de la Morale ».

OU IL EST QUESTION DE TRONCS,
D'ASSIETTES, DE BOUTONS
            ET DE LITTERATURE

    Le P. Dor ne réclamait, de ses adeptes, aucune rétribution. Dans la candeur de ses débuts, il s'était contenté d'appendre, aux colonnes du Temple, des troncs humblement solliciteurs. Aux gros sous des fidèles, des sceptiques — ou des malades que le Messie n'avait pas soulagés — mêlèrent des boutons de culottes. Le P. Dor dépendit les troncs et les remplaça par des assiettes, qu'il couvait d'un œil vigilant. Mais ces offrandes, volontaires n'étaient que la menue monnaie du Temple de la Morale.
   
Une adepte du « Messie » versa, pour ses œuvres, une somme de cent francs, qui lui a d'ailleurs été restituée. Une autre fut guérie d'un asthme rebelle par le Père Dor, lequel se contenta pourtant de travailler à son perfectionnement moral. (De là à faire passer tous les asthmatiques pour des gens qui ont un fichu caractère, il n'y a qu'un pas.)
    Revenons à nos moutons, à ceux plutôt que tondit le P. Dor. L'asthmatique guérie forma une société, ouvrit une souscription pour, propager les œuvres du « Père ». Cette brochure au titre prometteur, l'Ere nouvelle, serait d'ailleurs une assez maladroite compilation, un « horrible mélange » où maint auteur aurait, avec peine, reconnu son bien.
    Mais tels adeptes — peut-être le P. Dor leur avait-il prodigué son fluide, son amour et sa justice — tels adeptes ne s'en tirèrent à si bon compte.

PAQUET, CHAUFFAGE CENTRAL ET TESTAMENT

    Mme Delisée, qui plaide aujourd'hui contre le Messie, fut de ses plus fidèles croyantes. « O mon cher petit père, s'écriait-elle, comme je vous aime ! Si jamais il me mettait hors de chez lui, je crois que j'en mourrais ! »
    L'infaillible presciences du P. Dor prévit-elle ce décès ? Toujours est-il que Mme Delisée dota le « Temple de la Morale » d'un parquet neuf et du chauffage central. Elle acheta un lot considérable de brochures — dont coût, au total, vingt mille francs environ. Puis, elle rédigea, en faveur du Prophète, un testament en bonne et due forme ; elle habitait une maison qu'elle s'était fait bâtir en style dorique ? à l'ombre du « Temple de la Morale ».
    Hélas ! les yeux de Mme Delisée s'ouvrirent un beau jour, à des clartés qui n'étaient plus celles de la foi au Messie de Roux. Elle vit, elle sut, elle ne crut plus, elle était désabusée. Elle réclame aujourd'hui au P. Dor le remboursement de ses avances, le coût du parquet neuf et du chauffage central ; Le testament, elle l'a déchiré sur l'ordre exprès du Père, éclairé par la descente d'un Parquet, où les soins diligents de Mme Delisée n'avaient, cette fois, rien à voir.

COUP DE THEATRE

     M. le conseiller Smits a terminé la lecture d'un interminable rapport ; des adeptes ont témoigné d'une foi inébranlée ; certains avocats ont fait, devant le tribunal, les gestes rituels, les passes, magnétiques que le P. Dor employait pour guérir ses malades ; M. Eeckman qui préside assisté des conseillers Dassesse et Smits, interroge l'accusé. Le Messie secoue sa longue chevelure, caresse sa barbe et répond, avec un savoureux accent « borègne ».
    Il n'a pas exercé l'art de guérir. Il est remonté à la cause morale des maux qui nous accablent, supprimant ainsi la source des maladies. Il n'a donné que des conseils ; ceux qui les suivirent s'en trouvèrent bien. Il a prêché l'énergie, la confiance ; ceux qui eurent la foi s'en retournèrent guéris. On l'appelait le Christ ? Pouvait-il empêcher cela ? II laissait faire ; et d'ailleurs...
    Le P. Dor se recueille ; il monte les degrés qui le séparent de la Cour, il étend la main : « Et d'ailleurs, je suis le Christ ; oui, je le suis, non pas le faux, mais le vrai ! »
    L'auditoire frémit ; mais le plafond ne s'effondre pas sur la tête du tribunal ; les murs demeurent impassibles. Le président ne s'émeut pas. Il prend acte de l'affirmation et termine l'interrogatoire. La parole est aux avocats des parties civiles.
    Plaidant pour la Société des Médecins de l'arrondissement de Charleroi, Me Gérard, dit que Dor, simple ouvrier ajusteur, ignorant et illettré, a représenté les médecins comme mus uniquement par l'esprit de lucre. Dans plusieurs cas, ses, prescriptions ont été nuisibles aux malades qui s'adressaient à lui. Sous prétexte de fluide, d'hygiène et de conseils moraux, il a porté préjudice à des médecins honorables ; plus que du dommage matériel, c'est du dommage moral que la Société de Médecine demande réparation.
    Me Bonnehill défend les intérêts de Mme Delisée. Il représenta le P. Dor comme un être cupide, comme un imposteur. Il qualifie l'enseignement de la Morale, de la Justice et de l'Amour de « sinistre et ridicule comédie ». Tout naturellement, il évoque le souvenir de Molière, qui prit parfois son bien dans les œuvres des autres. Car Me Bonnehill n'épargne même pas la littérature du P. Dor. Il fait, de ses œuvres prophétiques, des plagiats non seulement impudents, mais, malhabiles.

*
*  *

    L'affaire en est là ; le tribunal s'est ajourné. Le « Christ de Houx » a été invité à revenir devant la Cour d'appel, après les fêtes de Pâques. Nous conterons en son temps, la suite de ses aventures.
                                                 Julien FLAMENT

Le XXe siècle, 22 avril 1917

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