Eklablog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'Affaire Dor (Le Journal de Charleroi, 5 mars 1920)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

L'Affaire Dor (Le Journal de Charleroi, 5 mars 1920)(Belgicapress)Tribunaux
Tribunal correctionnel de Charleroi
Audience du 4 mars 1920.
L'AFFAIRE DOR

    On se souvient que cette affaire, dans laquelle est en cause l'ex-éditeur de la « Région » Pestiaux, contre Pierre Dor, fut remise pour entendre l'avis du procureur du Roi.
    La parole est à Me Feron, substitut. Il résume l'article incriminé de la « Région » et le trouve injurieux pour Dor. Celui-ci, dans son droit de réponse dit : « Votre article contient des choses vraies, mais ce que vous alléguez à mon égard, est faux. »
    Cette réponse constitue bien un droit de réponse à l'article.
    Rien, dans cette lettre, n'outrepasse les droits. Quant aux tiers, il estime que, somme toute, les personnes citées ne sont pas des tiers. Des magistrats, hommes publics, y sont cités.
    Faut-il considérer Alceste comme un tiers ? Non ! puisque c'est un homme public, puisque journaliste. Et puis, du moment que le droit de réponse n'est pas injurieux pour les tiers, on doit l'insérer. Me Lefevre, défenseur de Pestiaux, riposte :
    Les termes dans lesquels Alceste est cité, ne sont pas des plus élogieux. Son article était reproduit très inexactement et Alceste n'aurait pas manqué de protester.
    Me Lebeau est aussi cité et en des termes très élogieux. Il n'aurait certainement pas laissé passer ce passage sans protestation.
    Le tribunal décide de prononcer le jugement samedi prochain.

Le Journal de Charleroi, 5 mars 1920 (source : Belgicapress)

Voir les commentaires

Alceste - Quotidiennes sur Pierre Dor (La Gazette de Charleroi, 25 février 1914)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Alceste - Quotidiennes sur Pierre Dor (La Gazette de Charleroi, 25 février 1914)(Belgicapress)Quotidiennes

    Le parquet a donc opéré une descente chez le père Dor, le thaumaturge de Roux. On lui reproche d'exercer illégalement l'art de guérir. Ce reproche me paraît extraordinaire. Car enfin, la loi est inhumaine qui interdit de guérir en dehors de certaines règles déterminées. Guérir est l'essentiel. Ce que la loi devrait proscrire, sous peine de sanctions rigoureuses, c'est l'art de ne pas guérir.
    Pierre Dor n'a pas de parchemin délivré par les bonnets carrés de l'Université. Pour ma part, je regarderais à deux fois avant de m'abandonner à ses soins magiques, car j'ai encore le respect atavique des diplômes qui constituent, en somme, une présomption de savoir. Mais Dor n'est pas seul dans son cas. Où sont, je vous la demande, les diplômes de la kyrielle de bienheureux et de bienheureuses établis, depuis des siècles, spécialistes des affections les plus diverses et les plus délicates ? Si le parquet contrarie le père Dor dans l'exercice de sa profession, il doit, en toute équité, sévir aussi contre saint Hubert, saint Guy et les autres médecins du paradis.
    On dit que le thaumaturge de Roux opère par l'imposition des mains. C'est une méthode divine. Jésus l'a illustrée, sans compter Mahomet dont les musulmans, égarés par leur fanatisme sectaire, prétendent que les prodiges sont les seuls authentiques.
    On m'objectera que cette thérapeutique n'a de valeur que par celui qui l'emploie. Excellente quand Jésus l'utilisait, elle est illusoire lorsqu'un Dor y recourt pour abuser la crédulité populaire.
    Ce raisonnement est fallacieux. Certes, le Sauveur a accompli des miracles, mais Dor en a effectué également. Invoquez donc le témoignage de ses fidèles : ceux-ci seront des centaines à attester, par serment, qu'il les a guéris de la jaunisse, du diabète, de la gale et de tout ce qu'il vous plaira. Et comment auriez-vous le droit de rire de leurs témoignages, alors que vous acceptez sans discussion ceux de gens trépassés depuis vingt siècles ?
    Je commence à croire véhémentement que, si le Seigneur recommençait ses cures merveilleuses en notre beau pays, il recevrait la visite des gendarmes et serait coffré par la magistrature catholique.
                                                                                 ALCESTE.

La Gazette de Charleroi, 25 février 1914 (source : Belgicapress)

Voir les commentaires

Le père Dor contre ''La Région'' (Gazette de Charleroi, 6 février 1920)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Le père Dor contre ''La Région'' (Gazette de Charleroi, 6 février 1920)(Belgicapress)CHRONIQUE JUDICIAIRE
Tribunal Correctionnel de Charleroi

Le père Dor contre “La Région„

    On se souvient que, pendant l'occupation, le père Dor fut condamné par le tribunal correctionnel de Charleroi pour escroqueries, exercice illégal de l'art de guérir, etc.
    La Cour d'appel de Bruxelles révisa ce jugement et, le 16 mai 1917, le père Dor fut acquitté de la prévention d'escroquerie.
    Le surlendemain, le journal « La Région » publia en deuxième page un article signé M. R., intitulé « La Justice » et dont le thème était fourni par le procès du père Dor. Celui-ci y était cité nominalement.
    Le 29 mai 1917, le père Dor envoya un droit de réponse qui ne fut pas inséré. Il en envoya alors un second reproduisant l'arrêt de la Cour d'appel ; celui-là non plus ne fut pas inséré.
    Le 6 novembre 1917, « La Région » fut assignée une première fois. L'audience devait se tenir en janvier 1918. La séance fut remise mais, sur ces entrefaites survint la suspension des audiences.
    Le 25 novembre 1919, le père Dor assigna de nouveau « La Région ». L'affaire fut inscrite au rôle plusieurs fois et, finalement, remise à cette audience.
    Me Lebeau plaide pour le père Dor. Il évoque l'ombre de « La Région » et rend hommage à la presse qui, par dignité et par patriotisme, refusa de se soumettre à la censure. « La Région » dit Me Lebeau, s'est jetée sur tous les prétendus scandales qui se sont commis pendant l'ocupation pour les donner en pâture au public. C'est ainsi qu'elle s'est activement occupée de l'affaire Dor, accablant, dès l'ouverture de l'instruction, le père Dor d'injures et de calomnies.
    Me Lebeau accorde au père Dor une confiance complète et le considère comme un homme irréprochable et honnête. Il s'étend assez longuement sur sa doctrine philosophique et sur les procédés « fluidiques » qu'il employait pour soulager les malades qui se présentaient à lui.
    Me Lebeau insiste sur l'indignité de la partie citée. Il lit l'article de « La Région » incriminé et le droit de réponse du père Dor : celui-ci rend hommage aux juges qui l'ont acquitté, à l'avocat qui l'a défendu, en l'occurrence Me Lebeau, et à notre collaborateur Alceste.
    Me Lebeau réfute, avant la lettre, les objections de son adversaire.
    Le droit de réponse ? Il était fondé puisque le père Dor était cité.
    Les tiers cités ? Le père Dor pouvait le faire, en vertu d'un arrêt de la Cour de cassation de 1883, puisqu'il n'y avait pas d'imputations calomnieuses à leur charge.
    Le droit de réponse devait être visé par la censure ? Cela regardait la rédaction du journal.
    Me Lebeau conclut en insistant sur le préjudice causé, par l'article incriminé, au père Dor et réclame pour celui-ci 3000 frs de dommages-intérêts et la contrainte par corps.
    Me Lefèvre défend Pestiaux, l'éditeur responsable de « La Région ». Il s'étonne que son adversaire veuille embrouiller la situation en faisant le procès de « La Région » alors qu'il ne s'agit que d'une querelle entre le journal et le père Dor.
    Il fait l'historique du procès et soutient qu'il était impossible de vivre pendant cinq ans sans nouvelles quotidiennes données par un journal. Le fait de se soumettre à la censure, dit-il, ne tomba pas sous l'application de la loi et, du reste, le père Dor s'y est lui-même soumis puisqu'il a fait éditer des brochures pendant la guerre.
    Me Lefèvre ridiculise le père Dor et son « fluide » ; c'était, dit-il, un charlatan et un escroc. L'arrêt de la Cour d'appel est un brevet de malhonnêteté. Un des attendus est, en effet, rédigé à peu près comme suit : « Attendu que le délit a été commis six ans avant l'assignation, la prescription est acquise. Pour les autres faits, continue l'arrêt, il ne sera pas condamné, car il n'est pas absolument impossible qu'il soit de bonne foi. »
    On se trouve donc en présence, dit Me Lefèvre, d'un cas pathologique peu ordinaire : ou bien le père Dor est un malhonnête homme ou il est une espèce d'illuminé irresponsable.
    « La Région » a donc bien fait de ne pas insérer cet arrêt dans l'intérêt du père Dor. De plus, la réponse n'était pas adéquate ; donc, il n'avait pas le droit de la faire imprimer.
    Quant aux personnes citées, elles auraient parfaitement pu envoyer des droits de réponse. Le père Dor se répand en éloges dithyrambiques sur vous, mon cher confrère, dit Me Lefèvre. Je ne doute pas que le ridicule dont le père Dor vous couvrirait de la sorte ne vous ait été fort désagréable : vous auriez très bien pu, à votre tour, envoyer à « La Région » un droit de réponse.
    Quant à Alceste, le père Dor eut voulu qu'on reproduisit des extraits d'une de ses « Quotidiennes », mais il y ajoutait des expressions à sa façon et Alceste se serait certainement froissé de cette collaboration intempestive qui eût pu, elle aussi, attirer un droit de réponse à « La Région ».
    Enfin, en ce qui concerne le visa de la censure, c'était au père Dor à l'obtenir car « La Région » n'était pas son commissionnaire.
    Me Lefèvre aborde ensuite la question des dommages-intérêts. Les faits étant couverts par la loi d'amnistie, aucune condamnation pénale n'est possible. Il n'a été causé aucun préjudice au père Dor ; bien au contraire, on lui a rendu service en lui évitant le ridicule.
    Me Lebeau réplique. Dor a été légalement acquitté pour les faits qui lui étaient reprochés. Dor est moralement le frère du Christ, s'exclame l'avocat ; je l'ai affirmé devant la Cour d'appel et je le répète encore ici.
    Dor avait intérêt à faire publier sa réponse. On ne l'a pas insérée ; il a donc subi un dommage.
    La parole est ensuite donnée à M. le substitut du Procureur du Roi qui demande la remise de l'affaire à quatre semaines afin de pouvoir étudier le dossier pour donner son avis.
    M. le président remet donc cette affaire à l'audience du 4 mars.

Gazette de Charleroi, 6 février 1920 (source : Belgicapress)

Voir les commentaires

La Justice (La Région de Charleroi, 18 mai 1917)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

La Justice (La Région de Charleroi, 18 mai 1917)(Belgicapress)La Justice

    Une fois encore un jugement a donné lieu à des discussions, passionnées où les esprits simplistes décident de façon irréfutable des questions de droit les plus difficiles. Est-il nécessaire de dire que je veux faire allusion à l'épilogue du procès du Père Dor, tant commenté par nos concitoyens.
    Le public est porté à ne voir en toutes choses que partialité et injustice. Sans doute l'expérience a-t-elle formé ainsi sa compréhension de notre vie moderne mais il n'existe pas de règle sans exceptions et la probité, vertu pratiquée par une petite élite, conserve cependant ses prêtres fervents.
    Loin de moi l'idée de commenter et surtout d'approuver ou de désapprouver le verdict rendu ; je n'y vois qu'une occasion de parler de la Justice telle qu'elle est ou doit être rendue.
    L'on est prompt à soupçonner l'impartialité d'un magistrat et, s'il existe des magistrats corrompus, d'étendre à la généralité des cas particuliers. Or la première imperfection, la plus flagrante, la plus frappante, c'est dans la Loi qu'il faut la chercher. Nos lois, imprécises, sujettes à mille interprétations différentes ne permettent pas à deux hommes également loyaux d'évaluer également le même mal.
    La Loi marque tel acte de blanc ou de noir. Mais entre le blanc et le noir il existe toute une gamme de gris et dans ces tons il en est de si mal définis que la meilleure vue aurait grand'peine à assurer qu'ils se rapprochent plus du noir que du blanc ou réciproquement. Or les hommes ont une bien mauvaise vue et chacun de nous voit d'une façon différente de celle du voisin. En affirmant que cette teinte est trop sombre vous êtes aussi sincère que moi qui la déclare trop claire et tous deux nous sommes assurés d'être dans la note juste.
    Dès lors, pour une chose aussi délicate que l'application d'une loi, comment ne pourrait-il exister de jugements contradictoires ? Tel individu condamné en correctionnelle et en appel se voit, après la cassation du jugement, acquitté en dernier ressort. Chaque juge est persuadé cependant, en son âme et conscience, d'avoir judicieusement appliqué le code.
    Les uns ont vu mal, les autres bien. Et l'on frémit à cette idée qu'un pseudo coupable puisse être déféré devant une suite de magistrats voyant mal en ce cas.
    Cette réflexion enlève un peu du prestige dont nous avons auréolé la Justice et ses prêtres et nous montre cette déesse suprême, plus faillible que la moindre divinité de l'Olympe et souvent plus mal servie par les Ministres de son culte. Combien de désillusionnés sont sortis du temple de Thémis en murmurant, les larmes aux yeux : « Et pourtant, j'avais raison ! » Combien d'odieux malfaiteurs sont retournés la tête haute !
    Est-ce la négation de la Justice ? La guerre nous accoutumé à tant de négations et nous savons ce que valent les grands mots de bonté, fraternité, amour et respect du prochain, dont on avait grisé nos jeunes âmes, le meurtre et ses horreurs n'étant une faute chez l'individu que parce qu'il est un monopole d'Etat. Non, la Justice est toujours l'admirable vertu devant laquelle s'inclinent les mondes, mais combien intangible et insaisissable ! Elle est le rêve splendide et nous subissons la réalité.
    Qu'un escroc ait été assez habile pour se faire innocenter par ses juges, que des circonstances malheureuses aient fait condamner un honnête homme, je ne pourrais m'attarder à ces infimes détails et ce n'est pas dans son sanctuaire que j'applaudirai à l'application du Droit. Ceux qui ont suivi les méandres de ce labyrinthe en connaissent assez les détours pour me comprendre et m'approuver.
    La justice pure n'existe pas dans les verdicts humains, qui n'en sont qu'un pâle reflet. C'est dans les cours simples qu'il faut la chercher, c'est en soi qu'il faut l'honorer.
    Que l'homme se pétrisse une âme droite et loyale, qu'il agisse en toutes choses selon sa Conscience. C'est en elle qu'il trouvera le prix de ses bonnes actions et le plus réel châtiment de ses fautes. Et devant ce jugement, tout autre jugement semble vain et imparfait.

La Région de Charleroi, 18 mai 1917 (source : Belgicapress)

    Cet article donnera lieu à une attaque en justice de la part du Père Dor contre le journal « La Région ».

Voir les commentaires

Le père Dor contre ''La Région'' (Journal de Charleroi, 6 février 1920)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Le père Dor contre ''La Région'' (Journal de Charleroi, 6 février 1920)(Belgicapress)Procès de Presse
LE PERE DOR CONTRE « LA REGION »

    Aujourd'hui est revenu devant la chambre correctionnelle le procès intenté par Pierre Dor, dit père Dor, à Camille Pestiaux, ex-éditeur du journal « La Région » pour la non-insertion d'un droit de réponse à un article du 18 mai 1917, intitulé « La Justice » et signé M. R.
    Me Lebeau plaide pour Pierre Dor. Il évoque, pour commencer, l'œuvre du journal « La Région », son attitude dissolvante pendant l'occupation et en profite pour rendre hommage aux journalistes professionnels qui n'hésitèrent pas à déposer la plume plutôt que de la mettre au service de l'ennemi. Cette feuille de chou, dit Me Lebeau, ne vivait que de scandales qu'elle provoquait pour se faire lire. Cet article a ridiculisé père Dor pour qui son défenseur ne trouve que des éloges. C'est un ouvrier qui, par son intelligence, s'est élevé. Sa philosophie est tirée de celle d'Antoine le Guérisseur, son oncle, et il fit beaucoup de bien pendant la guerre. Cet homme procure, à l'aide du fluide, un grand soulagement moral. Il en profite pour acquérir sur l'esprit de ses adeptes une grande et salutaire influence. Père Dor pourrait influencer moralement bien des malades et Me Lebeau, en citant des faits remarquables posés par son client, met l'honnêteté de celui-ci en parallèle avec l'action infamante de « La Région ». Il rappelle entre autres la manifestation de sympathie dont fut l'objet le père Dor lors d'un procès retentissant lui intenté pendant l'occupation.
    Il donne lecture de l'article incriminé où l'on cite le père Dor comme un escroc ; il détaille également l'arrêt de la Cour d'appel qui a innocenté son client. Ensuite, il lit le droit de réponse qui cite un article de la « Gazette », signé Alceste et qui l'a vivement frappé. Un second droit de réponse contenant l'arrêt de la Cour d'appel ne fut pas inséré non plus.
    Me Lebeau conclut à la légitimité de sa cause et réclame une somme de 3,000 francs comme dommages-intérêts avec contrainte par corps et comme « La Région » ne parait plus, il renonce au droit d'insertion.
    Me LEFEVRE, défenseur de Pestiaux, trouve que Me Lebeau a embrouillé la situation en faisant le procès de « La Région ». Il ne s'agit que d'une querelle entre le père Dor et ce journal. L'article incriminé est du 18 mai 1917, le droit de réponse du 29 mai et l'assignation à comparaître date du 6 décembre !
    L'affaire fut remise à janvier 1918. M. Dor refuse de plaider. L'affaire fut remise encore par suite de la suppression des tribunaux. Vint l'armistice et nous voilà au 25 novembre 1919. L'honneur du père Dor attend bien longtemps sa réparation !
    Ce droit de réponse a donc perdu toute son importance.
    Il y a des journaux censurés qui ont été condamnés, d'autres qui ne le sont pas. C'est donc que le seul fait d'avoir paru sous la censure n'est pas condamnable. D'ailleurs, père Dor a écrit aussi pendant la guerre. Lui-même a été censuré. Il est bien mal choisi pour attaquer un journal censuré. Dor, a-t-on dit, est un parfait honnête homme ; quoiqu'illettré, il écrit correctement le français... Comme M. Jourdain, il fait de la prose. Dor est tout simplement un charlatan, Il cite un fait : un homme atteint de hernie va consulter le père Dor ; celui-ci lui révèle que les maux physiques n'existent pas, que son client a péché, qu'il n'a qu'à se purifier. Il faut rentrer chez vous dit-il, et enlever votre bandage. Son adepte, à peine sorti, suit son conseil, ce qui provoque immédiatement une hernie étranglée. Dor est un escroc, Me Lefèvre tend à le prouver par la lettre que Dor a envoyée à « La Région » avec l'arrêt de la Cour d'appel. Me Lefèvre dit que cet arrêt parle de faits consommés. Si Dor a été acquitté, c'est que les faits étaient couverts par la prescription. Dor est un escroc, couvert par la prescription.
    Il a été acquitté parce que le tribunal n'est pas sûr que Dor n'était pas de bonne foi. L'arrêt dit : « Vous êtes un illettré, fervent des méthodes spirites et à tout prendre on peut dire que vous êtes de bonne foi et êtes votre propre dupe ».
    Au point de vue du Droit, le défenseur constate que le droit de réponse ne correspond pas à l'article incriminé. Dans ce droit de réponse, Dor fait non seulement sa propre glorification, mais la glorification relative de la justice, qui, dans certains cas, arrive à appliquer le droit au fait.
    Ce droit de réponse cite en outre 5 ou 6 personnes étrangères au débat, Me Lebeau en tête, auquel Me Lefèvre dit : « Vous êtes en butte aux effusions du père Dor, ainsi que Me Morichar de Bruxelles et lorsque père Dor m'envoie un droit de réponse avec votre éloge dithyrambique, je ne puis insérer. Le droit de réponse qui reproduit l'article d'Alceste est rempli de fautes d'orthographe. Si nous l'avions inséré tel quel nous nous attirions d'Alceste un nouveau droit de réponse.
    Ensuite, pendant la guerre, le droit de réponse devait passer par la censure et ce n'était pas à nous à nous faire les domestiques de Dor pour soumettre sa lettre à la censure des occupants.
    La loi ne prévoit pas des dommages-intérêts. La non-insertion n'a pas causé préjudice au père Dor.
    Me Lefèvre termine en déposant des conclusions tendant à l'acquittement de Pestiaux.
    Dans une brève riposte, Me Lebeau soutient que Me Lefèvre est sorti de son droit en traitant son client d'escroc. Il insiste sur ce que l'arrêt de la Cour d'appel a acquitté père Dor et affirme que celui-ci est le frère du Christ.
    Le droit de réponse qui cite des tiers n'est pas injurieux, mais bien élogieux pour ceux. ci. Il y a donc lieu dans ce cas de conclure à son insertion.
    L'affaire est remise au 4 mars pour entendre l'avis du Procureur du Roi.

Journal de Charleroi, 6 février 1920 (source : Belgicapress)

Voir les commentaires

Le ''Christ'' devant ses juges (Le Messager de Bruxelles, 20 novembre 1916)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Le ''Christ'' devant ses juges (Le Messager de Bruxelles, 20 novembre 1916)(Belgicapress)

CHARLEROI
(De notre correspondant particulier)
Le « Christ » devant ses juges
Plaidoirie de Me Lebeau, un des défenseurs
du Père Dor

    Avant d'entamer le fond de sa plaidoirie, Me Lebeau rend hommage à l'honorable tribunal et particulièrement au président, qui, par sa patience, sa bonne grâce vis-à-vis de la défense, a permis que la vérité se lit éclatante et convaincante sur la légende de l'Ecole Morale en dépit des calomnies infames dont elle fut l'objet. Il souligne que ce n'est qu'après les plaintes Chartier et Delysée que le Parquet se décida enfin à effectuer une descente à Roux, et à ouvrir une instruction. On escomptait un scandale ; la déception fut vive car on ne découvrit rien de semblable : l'Ecole Morale était à l'abri de tout reproche.
    Il dit avoir écouté avec attention les brillantes plaidoiries de ses adversaires ; celle de Me Bonnehill surtout, qui contenait certaines affirmations des plus graves pour le Père et son œuvre, et où la rage et la passion étaient distillées, et qui renfermait beaucoup d'invectives qu'il a été surpris d'entendre de la part d'un tel confrère à la parole si élégante. N'a-t-il pas dépassé la mesure ?
    Me Lebeau y voit une maladresse, car lorsqu'on emploie des moyens qui dépassent le but, on nuit à sa propre cause. Il reproche aussi cette manière de plaider où il oppose continuellement le vrai Jésus avec Dor et l'appel fait au tribunal pour qu’il « tue » avec le Père Dor les doristes eux-mêmes. Il met en garde le tribunal contre son propre sentiment dans ces questions religieuses.
    L'enquête a fait naître un sentiment qui sera partagé par le tribunal ; pour Me Lebeau, c'est une demi-révélation, c'est que le Dorisme, c'est-à-dire la petite église qui s'est formée autour de Dor, est un phénomène d'ordre religieux : c'est là la véritable caractéristique de cet état d'esprit, de cette mentalité étrange qui s'est manifestée à l'audience. Le dorisme est une manifestation de cet état d'esprit propre à tout homme qui recherche son idéal : à se troubler devant certaines manifestations des forces de la nature devant la mort, devant le problème de l'au-delà. Au domaine religieux appartient précisément ce phénomène moral de la conversion que l'éminent avocat définis dans toutes ses phases avec une rare maîtrise et qu'il agrémente de citations de Tolstoï, Pascal et Ibsen.
    Les doristes ont précisément été l'objet de cette conversion morale pour la plupart, c'est la maladie qui en a été la cause primordiale, car ils n'avaient pas trouvé auprès des hommes de l'art le soulagement qu'ils escomptaient ; Dor, avec sa doctrine, leur a révélé la valeur mystique de la souffrance qui constitue un avertissement, pour adopter une ligne le conduite meilleure, car on ne peut se libérer de la souffrance qu'en se dématérialisant.
    Les convictions des doristes sont donc à la fois d'ordre moral et d'ordre religieux. C'est une secte bien caractérisée comme on en rencontre beaucoup en Angleterre où tout le monde peut devenir un innovateur et réunir autant d'adeptes qu'on le peut.
    Me Lebeau, très habilement, invoque la jurisprudence belge basée sur la liberté des cultes. Il définit exactement la nature du procès engagé qui vise plus haut que le simple délit d'escroquerie et même de l'art de guérir et se fait un argument puissant des protestations exubérantes de la reconnaissance et de la vénération des adeptes du Père Dor, que ceux-ci considèrent comme un être suprême et non à l'égal d'un simple rebouteur guérissant avec ou sans diplôme, auquel on doit de la reconnaissance, et rien de plus, Dor est plus que tout cela, c'est le fondateur de leur religion. L'éloquent et persuasif défenseur insiste sur cette constatation qui doit, selon lui, emporter l'acquittement du prévenu. L'action du Ministère public doit fatalement se briser dès lors contre un obstacle d'ordre constitutionnel, contre l'art. 14 de la constitution belge : La liberté des cultes. Le tribunal peut-il, en conscience, décider que la doctrine Doriste n'est qu'un amas d'insanités, qu'elle constitue un artifice pour l'exploitation des crédules ! Si une condamnation devait intervenir, c'est admettre que les 1,500 ou 2,000 adeptes de Dor se sont trompés du même coup.
    Le tribunal ne le peut ; la constitution belge d'abord s'y oppose et ensuite le tribunal ne peut s'ériger en concile charge de juger une hérésie. En frappant Dor, on atteint l'unique dépositaire de la doctrine Doriste, mais Dor n'a commis aucun délit de droit commun ; on veut atteindre surtout la religion qu'il a fondée. Tout sentiment religieux, quel qu'il soit, doit être respecté. Au cas d'une condamnation du fondateur de la religion doriste, deux hypothèses se présenteraient : Ou bien Dor s'inclinerait devant la sentence et alors ce serait l'effondrement suivi du découragement de milliers de doristes revenus à la pratique d'une meilleure vie par suite d'un puissant effort sur eux-mêmes et l'impossibilité pour eux de s'attacher à d'autres croyances ; ou bien encore que Dor et les doristes ne s'inclineront pas devant le jugement ; sachant que Dor n'est pas un imposteur, il lui décerneront la palme du martyr et le vénéreront comme tel, et le résultat sera dès lors contraire à celui auquel on voulait arriver...
    L'honorable avocat disserte longuement sur la religion bouddhiste, qui présente une grande analogie avec la religion doriste ; il établit des comparaisons très habiles que nous nous dispenserons, bien à regret, de publier pour la documentation de nos lecteurs, mais qui démontrent que la religion doriste, à peu de chose près, est issue des doctrines du Bouddha, sans que Dor en ait jamais eu l'intuition bien définie. Me Lebeau en arrive à examiner si Dor est réellement sincère.
    Le tribunal aura certainement retenu une impression favorable de l'interrogatoire du prévenu, qu'il considèrera peut-être comme un ascète, un rêveur, un contemplateur, mais non pas comme un vil escroc. Tout concorde à établir que Dor vivait pauvrement, qu'il se cloitrait, lisant, écrivant, recevant tous les jours 5 à 600 personnes, se livrant en un mot à une besogne obsédante, déprimante. On re peut affirmer qu'il avait l'amour de l'argent puisqu'il vivait misérablement, ne se livrait à aucune dépense, donnant seulement à ses deux fils une instruction rudimentaire : l'un est apprenti ouvrier, l'autre plus jeune, suit des cours à l'Ecole de St. Gilles.
    On critique aussi ses ouvrages ; on y relève beaucoup d'inexactitudes, on a débité beaucoup de plaisanteries ; mais plaisanter n'est pas raisonner ; Dor n'a aucune prétention : ce n'est pas un lettré ni un érudit, et néanmoins il y a dans ses livres de belles pages (il lit plusieurs pages que l'auditoire, amusé, écoute), et on conclut que les ouvrages de Dor peuvent être lus sérieusement, car ils ont été consciencieusement pensés et écrits. Pas de talent, certes, mais des convictions ardentes, remarquables, personnelles, ce qui est étrange. On a prétendu que ce livre avait été corrigé, écrit par une autre personne, mais on n'a jamais pu le prouver ni désigner un autre auteur que Dor !
    A ce moment, une femme s'évanouit : vif moi passager ; un policier la transporte dans une salle contiguë où on lui prodigue des soins.
    Me Lebeau verse au dossier de nombreux cahiers renfermant les brouillons des théories du Père publiées dans les brochures incriminées. (Remarque de Me Bonnehill, les dites pièces n'ayant pas été enregistrées.)
    Me Lebeau veut démontrer d'une manière lumineuse la sincérité de son client. Dor prêche le désintéressement et montre l'exemple. En effet, il est parvenu à réunir des preuves écrites de son désintéressement : il a derrière lui tout un passé d'honnêteté et de probité. A la suite d'un accident de travail dont il fut victime, il abandonna sa profession d'ajusteur et s'établit dans le commerce, il devint successivement épicier, puis restaurateur à la Porte du Temple d'Antoine, son oncle, où il gagnait beaucoup d'argent (les témoignages abondent dans ce sens). Il est de bonne conduite et de mœurs honorables, une attestation du commissaire de police de Jemeppe en fait foi ; ce n'est ni un escroc ni un imposteur, son casier judiciaire est vierge et il jouit de l'estime et de la considération de ses concitoyens. Attiré par les belles maximes d'Antoine, son oncle, il devint un de ses adeptes, mais se détacha bientôt de lui, c'est alors qu'il connut un industriel de Liége, nomme V..., qu'il guérit d'une grave maladie. Cet industriel lui avait voué une gratitude illimitée, il l'amena en Russie où il fut l'objet des sollicitations de la médecine et des agents de la police et revint en Belgique où il vint s'installer à Roux ; afin d'aider à ses premiers besoins, l'industriel V... fut sollicité pour un prêt de 5,500 francs, qu'il consentit avec empressement et sans espoir de remboursement (une lettre émanant de cet industriel en fait foi). Avec cet argent, Dor acheta un terrain, mais, pris de remords, il renvoya une première fois 2.000 francs à V..., qui en parut fort étonné, puisqu'il avait consenti la donation à fonds perdus, et plus tard Dor remboursa le solde de ce qu'il considérait comme un prêt à terme par l'abandon d'une créance de 3.558 fr. (15 février 1911). Tout ceci est prouvé par des documents authentiques que l'éminent avocat communique à l'appréciation du tribunal. Ce beau geste de désintéressement doit être apprécié d'autant mieux que cet acte a toujours été tenu secret même vis-à-vis des adeptes. Il y a encore un deuxième fait, une preuve plus décisive encore, souligne Me Lebeau. C'est l'affaire de la margarine.
    En 1912, M. Dor, après avoir reconnu la valeur de la margarine végétale, se mit en rapport avec la firme Vanderdherghe qui fabriquait la margarine Era, afin de faire vendre ce produit à Roux, où les adeptes du Père, sur la recommandation de celui-ci, viendraient se pourvoir. La firme susdite accepta avec empressement, et Romain Jules fut commis pour la vente. Or, selon l'aveu même de ce Monsieur qui devint plus tard un ennemi acharné de M. Dor, celui-ci n'a jamais été intéressé d'un seul centime et malgré que quelque temps après il fit confectionner des emballages à son nom « Margarine Père Dor » sans jamais réclamer le moindre avantage pécunier, ni du fabricant, ni de l'intermédiaire ; mieux, il refusa la proposition de M. Servaes succédant à M. Romain dans la vente de la margarine et cependant les bénéfices réalisés par le vendeur du produit, aux témoignages même de celui-ci, étaient fort appréciables. (M.Servaes, qui habite actuellement Bruxelles, et qui ne fut jamais un adepte du Père Dor, est venu témoigner qu'il avait réalisé un bénéfice de fr. 0.30 à 0.40 au kilo et que la vente avait monté une année à 9,078 kilos. Ces faits sont décisifs parce qu'une participation dans les bénéfices aurait parfaitement pu être tenue secrète.
    Me Lebeau résume : Première considération : Le Père Dor n'a pas fait le geste inconsidéré qui fait tendre les mains vers l'argent ; deuxième considération : non seulement, Dor est un désintéressé, mais il est aussi un naïf, précisément parce que la margarine à sa marque ne rapportait pas un sou et qu'il laissait dire à tout le monde qu'il intervenait dans les bénéfices de la vente ; en effet, c'est contraire à notre logique mercantile que nous prêtions assistance à une opération commerciale sans récupérer la moindre parcelle du profit. N'est-ce pas exactement le contraire de ce que fait l'escroc, Considérer Dor comme un illuminé, un apôtre, cela explique amplement toute l'affaire…
    Il est 5 h. ½ ; le tribunal décide de reporter au mercredi 22, à 9 heures, la cotinuation de la plaidoirie de Me Lebau et d'entendre ce même jour à l'audience de l'après-midi la défense de la troisième prévention qui incombe à Me Morichar. Ensuite, selon toute vraisemblance, l'affaire sera remise en délibéré.

            Plaidoirie de Me Bonnehill

    Me Bonnehill prenant la parole, rappelle la rare maîtrise avec laquelle M. le Président a procédé à l'interrogatoire du faux Christ et, d'une part, la claire et fluide logique du magistrat, sa profonde connaissance ; d'autre part, la piteuse et lamentable mentalité du prévenu qui est sorti de l'audience couvert de ridicule après avoir passé sous une volée de verges administrées par l'honorable organe de la loi, après aussi que Me Gérard, dans sa puissante plaidoirie, l'eut cloué au pilori de l'opinion publique. Il rappelle que le Ministère public a démontré l'interprétation que les commentateurs donnent à l'art. 496 : les délits d'escroquerie existent lorsque la remise a été déterminée par l'usage de faux nom et de fausse qualité ou bien lorsque la remise des sommes a été provoquée par des manœuvres frauduleuses. Or, ces faits de la prévention ont été suffisamment établis.
    Il expose ensuite la demande de la partie civile Delysée, M. le Procureur du Roi a portraituré (que d'honneur !) le Père Dor : il a dépeint sa course vertigineuse à la fortune. Mme Delysée fut amenée à connaître Dor par un des rabatteurs de ce dernier : il discerna aussitôt tout le Profit qu'il pourrait tirer d'une telle adepte car il découvrit qu'elle était très âgée (66 ans), ancienne théosophe, spirite, qu'elle était riche et n'avait aucun héritier direct ; après l'avoir fascinée, éblouie, il en fit sa commensale, la séquestra et, par la menace des pires douleurs physiques et de châtiments éternels pour ses défunts, il lui soutira de grosses sommes. La lecture de certaines lettres du Père soulève l'hilarité de l'auditoire par l'énoncé des fautes triviales de syntaxe qui y figurent, mais démontrent la sollicitude toute particulière du « charmeur » à l'égard de « sa chère enfant ». Il cite aussi de nombreux passages tendancieux du livre précieux dont la pauvre femme avait fait son livre d'heures et dont elle imprégnait son esprit des inepties y contenues. Or, il appert que le livre en question n'était autre chose qu'une vulgaire reproduction de livres de morale, de psychologie et autres traités parus à une date antérieure à celle où « Christ parle à nouveau « fut imprimé. Pendant qu'il lit les livres du plagiaire, le tribunal suit attentivement les passages incriminés.
    Mme Delysée pouvait-elle résister à tant d'artifices ! Comme elle l'a affirmé, elle n'était plus qu'une misérable loque entre les mains du « charmeur ». D'autres hommes sont venus affirmer qu'il était bien le Messie, le Christ réincarné d'il y a 2.000 ans. Ce sont les pantins dont il tire la ficelle. La proie, en l'occurence Mme Delysée, est suffisamment préparés. En 1913, le Père persuade à la pauvre femme que les appartements qu'il occupe sont insalubres, qu'il manque d'air et de clarté, et lui soutire 1,800 francs pour le parquet et la vérandah, on ne demande pas de reçu à Jésus, mais lorsqu'il paie ses fournisseurs, il prend soin de se faire délivrer des reçus en due forme. En 1914, 4.000 francs sont encore versés pour l'installation du chauffage central, puis, afin de contribuer à la diffusion de l'œuvre, des brochures sont achetées au prix de la vente au numéro, pour une somme de 5,400 francs.
    En 1905, il convient que Mme Delysée signala sa présence par de nouvelles libéralités, et le rusé coquin se souvient qu'il dispose d'un terrain improductif entre le temple et la maison voisine. L'Ecole Morale devrait plutôt s'intituler « Jeu de massacre des Innocents ».
    Nous sommes loin des maximes enseignées par le Père sur le désintéressement : Donnez, dépossédez-vous. Quel joli couple d'éperviers, dit-il, en faisant allusion à Dor et à sa femme.
    Après avoir vendu ses maisons de Jemeppe pour 15,700 francs, comme cela résulte d'une attestation du receveur de St-Nicolas, il vint habiter Roux, où il loue une maison d'une valeur locative de 20 fr. Six années après, il fait édifier une Ecole Morale, que Me Bonnehill évalue à 55,000 francs.
    On discute le droit de réponse adressé le 3 mai à « La Région » et établissant les immeubles dont se compose la fortune du Père et l'affirmation de ce dernier assurant qu'il fait don d'une somme à l'Ecole des Estropiés se heurte à incrédulité de l'orateur, car il ne suffit pas de promettre, mais aussi d'exécuter. Donc, en 1909, 15,750 francs. En 1916. 15,000 francs, plus la valeur de la propriété que le Père fit construire à Uccle et évaluée à 30.000 francs. (Protestations de Me Lebeau, qui conteste cette évaluation et affirme que le coût de cette construction a été payé par une tierce personne qu'il désignera.)
    L'affirmation du Père au sujet de ce qu'il a avoué avoir recueilli en dix mois de temps uniquement dans les troncs, doit laisser rêveur ! Me Bonnehill ajoute qu'en admettant le geste du Père de verser une somme au profit de l'Ecole des Estropiés, il est hors de doute que Me Pastur, qui a les mains blanches comme l'hermine de sa robe, tandis que celles de Dor sont noires, refuserait l'offrande, car il sait que chaque brique de l'Ecole Morale représente l'apport d'un malheureux spolié, mais il ajoute qu'il ne croit pas à une pareille tentative sérieuse de Dor.

Le Messager de Bruxelles, 20 novembre 1916 (source : Belgicapress)

Voir les commentaires

Les tribulations d'un prophète (Le Vingtième Siècle, 14 juin 1917)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Les tribulations d'un prophète (Le Vingtième Siècle, 14 juin 1917)(Belgicapress)

Les tribulations d'un prophète

LE « PÈRE DOR » EN COUR D'APPEL

    La Cour d'appel de Bruxelles vient de rendre son arrêt dans l'affaire du P. Dor, après d'interminables plaidoiries et plusieurs remises à huitaine. Car le prophète ne s'est pas enlevé au ciel ; (il n'avait pas de « Passier-schein » il ne s'est pas enveloppé d'un nuage ; (les Allemands les envoient au front, chargés de gaz asphyxiants). Il est venu, – non sans majesté – s'asseoir au banc des prévenus : il s'est, avec la même égalité d'âme, entendu tour à tour, porter aux nues des plaidoiries, trainer dans la boue des réquisitoires ou des réclamations de la partie civile.

LES ANTI-DORISTES

    Me Bonnehill plaide pour Mme Delisée, qui se prétend victime de sa confiance en le « Père Dor ». Il s'obstine à considérer le « Messie » comme un paresseux, le dorisme comme une profitable industrie ; il n'hésite pas à comparer au mauvais larron celui qui se proclame le Christ.
    L'honorable organe de la Loi – M. le substitut Simons – fait bon marché des doctrines. Le dorisme n'étant pas un culte n'est pas couvert par la Constitution ; le Père Dor est un homme de génie – de ce génie qui, dans la fertile sottise humaine, découvre, exploite un filon nouveau. En vain, pris d'une soudaine humilité, il dénie à ses gestes toute majesté, toute vertu ; en vain, il rabaisse au modeste emploi de robe de chambre, la toge qui le drapait de ses plis. Il a voulu en imposer aux simples ; il leur a « soutiré » de l'argent, vendu des brochures ; le chauffage central et le parquet de Mme Delisée sont – si j'ose ainsi m'exprimer – les chevaux de bataille de l'accusation.

LES DORISTES

    C'est leur faire peut-être beaucoup d'honneur que d'appeler ainsi les défenseurs du « Messie ». Me Lebeau se promène, avec aisance, parmi les plate-bandes des théologies. Il parle du boudhisme ; il évoque la figure de Jean Huss, brûlé jadis comme hérétique. Il proclame l'honnêteté, la bonne foi du P. Dor et revendique, pour sa doctrine, le respect que mérite toute croyance sincère.
    Dor a touché de l'argent : il n'en a jamais demandé ; il a le droit de vivre de l'autel qu'il dessert, l'eut-il bâti de ses mains. Somme toute, Me Lebeau dépeint le Père Dor comme un illuminé, convaincu de l'excellence des doctrines qu'il enseigne et tout dévoué au bonheur de l'humanité. Ces assertions ne vont pas sans soulever les protestations des avocats de la partie civile ; l'on parle, tour à tour, de la femme à barbe, de Mahomet, de l'ange Gabriel et d'un commerce de margarine où le Père Dor eût pu faire fortune. Il ne l'a pas voulu, ce qui prouve son désintéressement : il est prêt d'ailleurs, à rembourser à Mme Delisée et aux plaignants leurs offrandes, toutes volontaires.

ETRE LE CHRIST OU NE PAS L'ETRE

    Maître Lebeau plaide avec une conviction qui émeut les Doristes de l'auditoire ; ils ne sont pas loin de le prendre pour un adepte. Me Lebeau ne s'offusque pas de ce que Dor se dise le Christ ; tout au plus, y aurait-il lieu de le soumettre à un examen mental. Après tout, les adeptes du Père Dor ont été moralement améliorés, sinon guéris de leurs maux physiques. Ce sont de braves gens, respectueux des lois et de ceux qui les appliquent. S'il y avait plus de Doristes, il faudrait moins de gendarmes et moins de magistrats.

LE TOUR DE LA PARTIE CIVILE

    Maître Lebeau n'est pas tendre pour les ennemies du Père Dor. Elles, l'avoir aimé ? Manières ! elles ont voulu jouer un rôle dans la religion nouvelle, vivre auprès du Père, capter sa confiance, s'imposer à lui. Il n'admet pas davantage que le Messie les ait aimées ; il lui eût fallu, assure-t-il, « un rude courage ». Lui ! aimer ces vieilles femmes, ces véritables monstres de laideur.... J'en passe, et des meilleurs. Car la plaidoirie de Maître Lelong – c'est Maitre Lebeau, que je veux dire – rendrait, pour l'élasticité, des points à la ligne Hindenburg. Le président, le substitut, les avocats de la partie civile le conjurent de passer au déluge ; Maître Lebeau s'en tient à la genèse.... de l'affaire, et ne cesse de peindre le Paradis terrestre que Mme Delisée dota du chauffage central et d'un parquet flambant neuf.
    Il se résigne pourtant à en finir : il tresse des couronnes au front inspiré du Messie de Roux. Il exécute une dernière fanfare à la gloire du prophète. Pour un peu, il menacerait le tribunal et les plaignants des foudres vengeresses. Mais il se modère ; il n'exige même pas leur conversion au culte du « Perfectionnement moral ». Il lui suffit que justice soit rendue à son client.

OU IL EST QUESTION DE....

    De quoi ne parle pas Maître Morichar, second défenseur du Messie ? De l'article 14 de la Constitution – monument invoqué dans le temple de Thémis comme en une forteresse ; des principes du dorisme ; de l'origine des cultes ; de Marconi ; d'Edison et d'aviation – le P. Dor étant accusé de vol – enfin, de la laideur – physique et morale – des plaignantes : elles accusent le P. Dor de les avoir trop aimées ; elles semblent plutôt regretter qu'il les ait dédaignées

LE MESSIE A PARLE

    Et peut-être eût-il mieux fait de se taire. Le prudent silence qu'il gardait devant ses juges, tels gestes adroits, l'outrance même de son affirmation : « Je suis le Christ », lui conféraient quelque prestige. L'intimité le dépouille de son auréole. Un journaliste bruxellois a interrogé le Messie ; et le Messie fait figure de pauvre homme. Il a reçu quelques dons ; ne faut-il pas boire et manger ? Il est végétarien sans nul doute, il se contente d'œufs, de lard et de saindoux. Il glisse rapidement, et non sans embarras paraît-il, sur les effusions de ses fidèles suivantes Et il résume sa doctrine en ces mots : « Je recommande la pratique du bien. Je ne me permets de rien imposer ; je laisse chacun, même dans mon entourage immédiat, libre de vivre et d'agir à sa guise... »

CONCLUSION QUI NE CONCLUT PAS

    La Cour d'Appel a statué. Elle ne retient contre le P. Dor que l'accusation d'exercice illégale de la médecine, et confirme, sur ce point, l'arrêt du tribunal de Charleroi. Le Messie est donc libre ; il peut continuer de travailler, en paix, au « perfectionnement moral de l'humanité ». Pourvu qu'il s'abstienne de prescrire du thé Chambard, des ingurgitations sucrées, des clystères salés, il peut prêcher la foi en sa personne et chanter les louanges du dorisme. Peut-être – car cette folle histoire ne va pas sans quelque mélancolie – peut-être est-il de bonne foi, et verra-t-il se presser, sous son geste emphatique, les pauvres gens en quête d'une croyance ou d'une consolation Je m'incline devant ces douleurs qui cherchent une espérance, et marchent vers la plus faible lueur entrevue dans la nuit. Mais le P. Dor n'enlève rien à mon scepticisme. Je me vois mal à ses pieds, dans la chambre banale où le dépeint son interviewer, parmi un bureau américain, un poêle émaillé, une plante d'ornement. Je me croirais égaré dans un décor de vaudeville...

                                                        Julien FLAMENT.

Le Vingtième Siècle, 14 juin 1917 (source : Belgicapress)

Voir les commentaires

Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 30 novembre 1916)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 30 novembre 1916)(Belgicapress)

LE PÈRE DOR
EN CORRECTIONNELLE

LES ALÉAS DE LA DIVINITÉ

Audience du 29 novembre (matin)

    Une foule énorme se pressait, dès 6 heures du matin, devant les portes, encore closes, du Palais de Justice. Avec une patience toute doriste, les nombreux adeptes se sont empaquetés comme de véritables sardines dans l'auditoire de la 5° chambre, où la chaleur était vraiment insupportable.
    Deux femmes s'y sont trouvées mal et ont eu une syncope.
    Aussitôt emportées et soignées, elles ont ensuite repris leurs sens et... leur place dans cette atmosphère surchauffée.
    L'entrée du prévenu ne suscite aucune curiosité outrée.
    L'audience est ouverte à 9h. 30. M. le Président donne la parole à Me Lucien Lebeau.
    L'honorable avocat déclare qu'avant de continuer son argumentation il verse au dossier deux lettres dont l'une concerne les dommages et intérêts qu'aurait pu toucher éventuellement le Père Dor lors de son procès contre « Le Rappel ».
    Il voulut les verser au profit de l'Ecole des Estropiés.
    Les gens qui consultaient le Père Dor avaient une confiance dans ce dernier et ils exagéraient parfois leur confiance : c'est ce que le prévenu leur reprochait parfois.
    La foi ne connaît pas des limites strictes. Si l'intention est bonne, le procédé est licite.
    Me Lebeau en arrive à la vente des brochures et des livres.
    Cette vente était faite par les adeptes et de leur plein gré.
    Qu'a-t-il retiré de cette vente ? A-t-on le droit de discuter les bénéfices du Père Dor ?
    On n'a pas le droit de vérifier ces bénéfices, car puisqu'il est établi qu'il y a exercice de culte, le pouvoir judiciaire n'a pas le droit d'intervenir et de vérifier les comptes ; c'est contraire à l'esprit de l'article 16 de la Constitution.
    Me Bonehill a dit qu'à son entrée à l'Ecole morale M. Dor n'avait qu'une somme d'environ 15.000 francs. Cela est faux car, en outre de cette somme, il possédait en banque un dépôt d'une somme de 5000 fr.
    Il a ensuite remis son commerce contre le paiement d'une somme de 7500 francs.
    Avec quelques autres sommes qu'il possédait encore on arrive à un total de 27.000 francs.
    Cet homme, au lieu de faire fortune, vend plutôt ses propriétés et retire de la Banque des sommes qu'il y avait mis en dépôt.
    Le volume « Christ parle à nouveau » lui revenait à 70 centimes. Il n'y a eu qu'une édition. Cet ouvrage a été tiré à 10.000 exemplaires.
    Il en a été vendu 5050 à raison de 2 fr. 50 le volume d'où un bénéfice de 9000 francs depuis l'année 1913.
    Il a fait éditer 2000 brochures « Ere Nouvelle ». Ces brochures lui coûtaient environ 50 centimes, d'où un bénéfice de 1400 francs.
    Bref, le bénéfice total réalisé sur ces différentes brochures vendues se montent à 36,000 francs.
    L'actif de M. Dor est donc de 51,000 francs.
    Tous ses capitaux sont immobilisés dans des bâtiments, sauf un dépôt de 12.000 frs à la Banque.
    M. Dor ne veut pas que son capital grossisse et s'il devait en être ainsi, il verserait le surplus à une œuvre telle que celle de l'Ecole des Estropriés.
    Me Bonehill fait un signe de dénégation.
    Me Lebeau donne lecture d'une lettre datée du 23 février 1914.
    Me Bonehill. – Un mois après la descente du Parquet
    Me Lebeau. – Cette lettre conserve toute sa valeur car elle prévoyait simplement le paiement d'une rente viagère à l'épouse de M. Dor.
    Ce projet fut abandonné et cet argent servit à construire l'immeuble de Roux.
    Il y a certainement eu intention, de la part de M. Dor un projet sérieux de céder son immeuble de Roux, à l'Ecole des Estropiés, ainsi qu'en témoigne une lettre écrite par M. Pastur à M. Dor.
    M. Pastur regrette de ne pouvoir envisager l'offre et ce, en raison des événements actuels.
    Me Bonehill. – A quelle date cette lettre fut-elle écrite ?
    Me Lebeau. – En juin 1916, M. Dor n'a plus actuellement aucun capital, ses capitaux sont épuisés.
    M. Dor a dû remettre un tronc à l'école morale au moment où il devait comparaître en justice.
    Les bâtiments de Roux ont une apparence très grande et si M. Dor avait été un escroc, il n'eut pas donné des dimensions grandioses à son temple.
    Ces bâtiments sont difficiles à vendre car ils ne conviennent pas à tout genre d'exploitation.
    Il n'y a aucune hypothèque sur ces bâtiments ; voilà encore une preuve de l'honnêteté de M. Dor.
    Celui-ci a emprunté de l'argent pour faire construire et au lieu de les hypothéquer il augmente l'importance des bâtiments.
    Est-ce l'œuvre d'un escroc que de donner des garanties à ses créanciers ?
    Non, et à supposer que ce soit un escroc, le tribunal se trouverait en présence de questions insolubles. En voilà assez avec les escroqueries générales.
    L'intention frauduleuse n'existe pas et les actes de M. Dor ont été conciliés avec ses principes qui sont des plus purs.
    Me Lebeau montre au tribunal l'humble tronc qui était déposé au temple. Il n'y avait pas de richesses cachées, ainsi que l'a affirmé M. le Procureur du Roi.
    Le Dorisme est bien un phénomène religieux. Il faut laisser tranquille M. Dor.
    En provoquant ce débat, on empiète dans le domaine privé, car en reconnaissant le caractère religieux, le tribunal devra juger d'après l'article 14 de la Constitution.
    Le Père Dor a des ennemis qu'il ne connaît pas.
    Il habite une petite commune où il attaqua le culte catholique et même certaines tendances socialistes.
    Dans certaines familles, il y a des conversions au dorisme. Il est fatal que des membres de ces familles voyant d'un mauvais œil ces conversions en veulent à M. Dor.
    Mme Boulvin, cette antoiniste, adepte d'une religion qui attaque le Dorisme, est venue déposer contre le prévenu avec cette manie qui caractérise les gens qui pensent différemment.
    Tout le monde ne voit pas de la même façon.
    Il y en a qui sont malicieux, d'autres mystiques.
    Certains témoins ont déposé d'une façon erronée.
    A la suite des interrogatoires faits par les gendarmes ceux-ci ont mis dans la bouche de certaines personnes des mots qu'elles n'ont pas prononcés.
    Les mots « passes magnétiques » n'ont jamais été prononcés, par exemple, et s'ils ont été consignés dans un procès-verbal, c'est le fait des gendarmes eux-mêmes.
    Le tribunal devra puiser des renseignements dans les principes de M. Dor et pas ailleurs.
    Les plaintes des époux Chartier et de Mme Delisée sont l'œuvre de gens intéressés.
    A qui a-t-on à faire ? Pirson ne connaissait pas Mme Delisée avant cette affaire. Elle sort de Bruxelles où on se cache mieux que dans un bois. C'est une divorcée. A priori, on ne peut avoir aucune espèce de confiance dans le témoignage de cette dame.
    Me Lebeau discute alors le ménage Chartier.
    Mme Chartier lorsqu'elle est entrée à l'école morale était atteinte de nombreuses affections.
    C'était, dit l'honorable avocat, parce que cette dame, ancienne charcutière, avait mangé trop de sa marchandise. (Hilarité prolongée).
    M. Chartier a prononcé un discours de reconnaissance à l'adresse de M. Dor.
    Ce discours a été reproduit dans la brochure « L'ère nouvelle ».
    Une série de témoins ont déclaré que Mme Chartier et son mari avaient voué à M. Dor, une grande reconnaissance, car ce dernier les avait guéris, en les engageant vers la sobriété et le végétarisme.
    En faisant étalage de leur petite fortune, les époux Chartier ont fait certains dons à l'Ecole Morale, mais y a-t-il manœuvre frauduleuse ? Non.
    M. Chartier qui était assez corpulent, avait chaud lorsqu'il se trouvait dans le temple ; il a fait placer un ventilateur sous lequel il s'asseyait aux jours des réunions pour bien montrer qu'il en était le donateur.
    Quant aux casiers, ils ont été offerts pour y remiser les livres. Quel est le profit qu'en a retiré M. Dor ? Aucun ?
    Quant à la vente des brochures, elle a été faite par prosélytisme.
    M. Dor n'aimait pas beaucoup les Chartier, car le mari était très vaniteux et la femme, qui donnait les tickets, se permettait de donner elle-même des conseils hygiéniques.
    Quand M. Dor partit pour Bruxelles, ils ne le surent que quelques jours après et encore par une tierce personne.
    Ils en eurent leur vanité blessée ; cette vanité tua leur foi. Ils furent déshypnotisés.
    Il y a dans le dossier deux pièces capitales ; ce sont les plaintes des époux Chartier et de Mme Delisée.
    C'est Me Bonehill qui a rédigé ces plaintes, celles-ci ont été très bien rédigées.
    Après une véritable instruction contradictoire, car au préalable Me Bonehill avait sommé M. Dor de rembourser les sommes données par ses clients.
    Me Lebeau répondit lui-même et énuméra les sommes que son client avait reçues de Mme Delisée sans cependant les avoir sollicitées.
    M. Dor déclarait alors que son ancienne adepte pouvait reprendre tout ce qu'elle avait donné.
    Quant aux brochures, les époux Chartier et Mme Delisée les ont achetées et vendues de leur plein gré.
    La plainte rédigée par Me Bonehill était donc complète car elle l'a été après la lettre écrite par Me Lebeau qui répondait point par point aux allégations des époux Chartier et de Mme Delisée.
    Toute la plainte de ceux-ci, est de croyants qui ne croient plus, ainsi qu'en témoigne la déposition que fit M. Chartier devant M. le Juge Vandam.
    Le plaignant Chartier et Mme Delisée quelques jours après leur audition par M. le juge Vandam, écrivent à celui-ci : « J'ai oublié de vous dire que j'ai été hypnotisé. » C'est pourquoi Me Bonehill dans sa plaidoirie a été excessivement sobre sur l'hypnotisme.
    Cet hypnotisme est une invention mensongère.
    Jusqu'au jour de l'audience, qui avait été hypnotisé ? le mari, uniquement. C'est la femme qui donne, elle on ne l'hypnotise pas, on procède à cette opération sur le mari qui ne paie pas. (Rires).
    Il est vrai qu'à l'audience l'épouse Chartier a déclaré qu'elle-même avait été hypnotisée.
    Cette ultime déclaration a du lui être suggérée.
    M. Dor a voulu rembourser et ce n'est pas là le geste d'un escroc.
    Concernant la plainte de M. Chartier, c'est la fille de Mme Chartier qui l'a suggérée.
    Me Lebeau discute la vie privée de certaines personnes.
    M. le Président engage Me Lebeau à ne pas continuer à fouiller la vie privée des témoins.
    M. le Procureur du Roi proteste à son tour.
    Me Morichar. – Je démontrerai à M. le Procureur Roi qu'il a parlé de la même façon lors de son réquisitoire.
    M. Mahaux. – Je n'ai avancé aucune parole de mauvais goût.
    Me Lebeau. – Mme Delisée avait prétendu que M. Dor l'avait engagée à quitter Bruxelles. Or, à l'audience, elle a reconnu que c'était elle qui en avait manifesté le désir.
    Mme Delisée faisait partie d'une société de spiritisme. Elle avait, malgré son âge, des tendances passionnées. Après une vie orageuse, elle avait rêvé de vivre d'une façon plus calme et elle a trouvé, dans le Dorisme, des félicités inconnues. Elle a offert ses services.
    M. Dor commençait alors ses séances dans sa grande salle ; il avait besoin de personnel et il a agréé les services de Mme Delisée qui lui offrit continuellement de l'argent.
    Mme Delisée prétend maintenant qu'elle n'en pouvait rien, qu'elle était hypnotisée. C'est évidemment une manœuvre de la dernière heure.
    Quand Mme Delisée offrit à M. Dor le chauffage central c'était évidemment dans le but de le dédommager des frais que nécessitait son entretien.
    Mme Delisée était en réalité le secrétaire du Père Dor et elle en était fière, car elle faisait la figure d'un personnage important très considéré par les adeptes.
    Cette femme avait un sentiment humain et un prosélytisme réel.
    Elle se livrait au colportage des brochures d'une façon assidue.
    Elle avait le désir de se faire de l'Ecole Morale un asile de vieillesse ; mais lorsque M. Dor partit pour Bruxelles, elle vit s'écrouler tout ce beau rêve, d'où sa vengeance.
    Pourquoi M. Dor n'a-t-il pas emmené avec lui Mme Délisée ? Précisément parce que cette dernière était une cause de discorde dans le ménage des époux Dor. L'origine de la construction de la petite maison se trouve encore justifiée par ce fait.
    Toutefois M. Dor voulait remplir ses devoirs moraux envers Mme Delisée ; il lui aurait permis d'habiter une maison construite près de l'Ecole Morale l'éloignant ainsi de son ménage.
    Mme Delisée a provoqué cette discussion et si ce scandale rejaillit aujourd'hui sur elle c'est sa faute.
    Elle a voulu accuser M. Dor de sentiments humains à son égard en communiquant une lettre, dans laquelle il l'appelle Ma chère petite Marie et parle d'Amour avec un grand A.
    Cette femme importunait M. Dor avec des démonstrations qu'il ne pouvait tolérer. Le scandale, c'est Mme Delisée elle-même qui l'a créé.
    Dans la plainte, il n'y a pas d'autres griefs que ceux énumérés et rencontrés jusqu'ici.

    Il n'y a pas eu comme dans la plainte des époux Chartier la menace de douleurs physiques.
    Or, à l'audience, elle a affirmé que M. Dor lui avait dit que la paralysie la guettait, ceci est faux, archi-faux. M. Dor n'a jamais voulu accepter de l'argent de la part de Mme Delisée : c'est celle-ci qui lui en offrait continuellement.
    M. Dor, importuné, finit par lui dire : « Si vous avez de l'argent en trop, donnez-le à l'Ecole des Estropiés. »
    Qu'il y ait une expertise, cela démontrera que les sommes versées par Mme Delisée ont été employées à la construction de la maison qu'elle a habitée.
    Mme Delisée n'a pas cessé de mentir depuis le commencement pour essayer de mieux porter préjudice à M. Dor.
    Il est 11 h. 45. M. le Président prie Me Lebeau d'abréger, car l'audience du matin ne sera levée que si Me Morichar a terminé sa plaidoirie, l'audience de l'après-midi étant réservée aux répliques.
    M. Mahaux. – Le débat ne peut pas s'éterniser.
    Me Lebeau va s'efforcer d'abréger.
    Mme Delisée est une comédienne.
    Me Bonehill.- Vous l'avez formée.
    Me Lebeau. – On ne forme plus à cet âge. Elle a inventé quantité d'arguments qu'elle n'avait pas présenté d'abord, même à son avocat.
    M. Dor a voulu restituer, on n'a pas accepté.
    On a fait appel à beaucoup de témoins qui ont déposé dans un sens de dénigrement.
    Me Lebeau demande au tribunal qu'il accorde la parole à Me Morichar. Il reprendra ensuite la parole pour terminer sa propre plaidoirie.
    Me Morichar (mouvement d'attention) rend hommage aux divers orateurs qui, avant lui, ont pris la parole.
    Me Lebeau, dit-il, a démontré péremptoirement l'inconstitutionnalité des poursuites.
    L'honorable avocat discute la prévention d'attentat à la pudeur, celle qui atteindrait le plus cruellement le prévenu s'il était condamné de ce chef.
    Ou bien ces attentats à la pudeur sont commis sur des mineures ou bien ils sont commis sur des majeures.
    Dans le premier cas, il y a des constatations matérielles.
    Ici pas. Mme Delisée a fait citer trois témoins dont les déclarations n'ont rien appris de nouveau.
    Le Ministère public a essayé de créer alors un atmosphère d'impudicité.
    Des témoins sont venus dire que le Père Dor avait voulu les faire déshabiller. C'est absolument grotesque. Tous ces témoins du reste ont été confondus.
    On a entendu Mme Chartier qui a affirmé que le Père Dor avait frotté sa barbe contre sa figure.
    Le témoignage de la fille de la femme Chartier a été fait sur un ton et avec un langage ordurier. On aurait dit qu'elle regrettait de ne pas avoir été, elle-même, l'objet d'un attentat à la pudeur.
    Le tribunal lui-même n'y a pas cru. Qu'il l'abandonne donc complètement. On reste en présence d'un seul témoignage : c'est celui de Mme Délisée à la fois plaignante, témoin et partie civile.
    Cette dame après être devenue une adepte du Dorisme, est devenue ensuite une passionnée d'un amour un peu moins mystique et plus sensuel. Qu'on se rappelle la déposition des témoins qui ont dit au tribunal les confidences que leur avait faites cette femme.
    Eh bien ! des personnes comme Mme Delisée sont dangereuses et peuvent en arriver à tramer les pires complots contre un personnage qu'elles veulent perdre.
    L'honorable défenseur s'incline avec admiration devant les Doristes qui sont venus en audience publique, affirmer ce qu'ils savent et proclamer les tares physiques dont ils étaient atteints.

    Ces gens sont très honnêtes et très sincères. Pourquoi mettre en doute la sincérité de leurs témoignages lorsqu'ils affirment leur foi dans la doctrine du Père Dor et l'honorabilité de ce dernier ? Faut-il vouer ces témoignages au mépris public ? Non, car si ces témoins avaient été à charge au lieu d'être à décharge, on les eut entendus avec beaucoup plus de sympathie.
    Ces témoins mentent, a-t-on dit, parce qu'ils ont dû communiquer au père Dor le texte de leur témoignage avant de le faire devant le tribunal.
    Cela n'est pas vrai pour tous les témoins.
    Mme Delisée a été entendue comme témoin à charge. Or, elle se porte partie-civile et, partant, n'aurait pas dû être entendue comme témoin.
    Supprimez son témoignage, je supprime tous mes témoins et le prévenu sortira d'ici acquitté. (Rires).
    Le premier attentat s'est commis en mars 1914. Mme Delisée a eu l'occasion de s'adresser trois fois à la justice.
    Ce n'est plus une jeune fille, une ingénue, c'est une femme qui a vécu, qui a vu le monde.
    Votre conviction est la mienne, elle n'a pas été hypnotisée un instant et loin de l'être elle s'est efforcée de s'emparer du cœur du Père Dor et de se l'accaparer.
    En octobre 1915, cinq mois après avoir quitté le Père Dor, Mme Delisée ne parle pas de l'attentat à la pudeur dans la plainte qu'elle formule par le canal de Me Bonehill.
    Comment, on avait blessé Mme Delisée dans ce qu'une femme a de plus cher : l'honneur, et elle n'en dit rien. Mais, lorsque, en juin 1916, elle parle pour la première fois des attentats, elle prend les devants et, comme on ne manquera pas de la qualifier de passionnée, elle se dit qu'elle va accuser M. Dor d'attentat à la pudeur.
    C'est d'autant plus probable que Mme Delisée après deux attentats s'en est offert un troisième. (Hilarité.)
    Au premier attentat, il y aurait eu commencement d'exécution.
    Au second il n'y aurait eu davantage aucune exécution.
    Enfin au troisième, le fait aurait été consommé et le Père Dor aurait dit : « J'ai vaincu la passion charnelle. »
    Rien n'est venu prouver cela.
    Dira-t-on que M. Dor est un satyre ? – Non, voyez son passé, car s'il y avait une vraisemblance, c'est cent attentats qui auraient été commis, en égard à la quantité de personnes qui lui rendent visite. Mais encore, pour qu'il y ait attentat à la pudeur, il faut qu'il y ait des violences physiques.
    Rien de pareil n'a été constaté.
    Me Morichar en appel à la jurisprudence, pour prouver les bien fondé de sa démonstration.
    On se trouve donc en présence d'un seul témoignage qui suffirait s'il s'agissait de celui d'une femme désintéressée et non de celui d'une femme malade, comme c'est le cas de Mme Delisée.
    Sous l'égide de cette figure symbolique de la justice, le tribunal rendra un jugement de droiture.
    Me Lebeau a plaidé la liberté du culte garanti par cette constitution pour le respect de laquelle nous avons tant combattu.
    Dans une superbe péroraison, Me Moorichar demande au tribunal de rendre un jugement de droit et de se poser en défenseur de la liberté de conscience.
    On dira que ce n'est pas la guerre au Dorisme que l'on aura fait, mais bien au charlatan, il n'en a pas été moins discuté ici les idées du Dorisme.
    Il y a dans cette cause des cas isolés, il y a des excès de zèle qui ont été commis, des fautes qui ont été commises, mais ce qu'il faut voir, c'est l'affaire dans son ensemble.
    Ce qu'il faut voir, c'est, si le prévenu est sincère, si, réellement il a voulu soulager les douleurs morales.
    A Saint-Gilles, il y a cinq paroisses qui ont été construites grâce aux oboles des fidèles.
    Est-ce pour cela que nous ne nous inclinons pas devant la probité des prêtres.
    Dans la religion catholique, des fidèles ne viennent-ils pas consulter les prêtres au sujet de certaines maladies ? Si, n'est-ce pas.
    Me Morichar énumère la série de saints que l'on va prier pour guérir tels ou tels maux.
    Le jugement sera que M. Dor est sincère et vous l'acquitterez.
    L'audience, levée à 1 heure, sera reprise l'après-midi, à 3 heures.
    La sortie du Palais est extrêmement houleuse.
    Le public attend avec impatience que le Père Dor paraisse, mais il sera déçu, car celui-ci prend son repas de midi au Palais.
    Les doristes commentent avec une grande satisfaction les plaidoiries de Mes Lebeau et Morichar qui, d'après eux, détermineront le tribunal à acquitter le fondateur de l'Ecole morale.

                                         RASAM.

    Nous donnerons dans notre numéro de demain le compte-rendu de l'audience de l'après-midi.

La Région de Charleroi, 30 novembre 1916 (source : Belgicapress)

Voir les commentaires

Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 1er décembre 1916)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 1er décembre 1916)(Belgicapress)

LE PÈRE DOR
EN CORRECTIONNELLE

LES ALÉAS DE LA DIVINITÉ

Audience du 29 novembre (après-midi)

    Il y a la même affluence de monde qu'à l'audience du matin.
    A 3 heures 20, l'audience est reprise. Me Lebeau continue sa plaidoirie. M. Dor est donc prévenu de l'art illégal de guérir. Les pandectes belges expliquent bien que pour exercer cet art, il faut ausculter les malades.
    Il y a cette petite opération individuelle qui est bien anodine.
    Il s'agit d'un homme qui indistinctement à tous les malades prescrit le même traitement : se guérir de leurs vices d'abord et alors ils seront guéris de leurs maux physiques. M. Dor n'est pas médecin il ne pratique pas l'hypnotisme.
    Il s'agit de savoir si le dossier établit que M. Dor se livrait à des passes magnétiques.
    Les moyens employés par M. Dor ne sont pas ceux employés par le magnétiseur. M. Dor a, comme tout le monde, des notions qu'il a puisées dans les livres.
    Me Gerard. – Le zouave Jacob ne pratiquait pas le magnétisme.
    Me Ledeau. – Si le corps judiciaire veut trancher cette question, il doit se faire aider par les lumières de médecins.
    M. Dor n'ordonnait rien ; on oppose à M. Dor quelques petits faits.
    Ceux-ci ne peuvent être retenus, car ils sont en contradiction avec les déclarations des Doristes et avec les principes de M. Dor, lui-même.
    Il y a d'abord le cas Beauvois. Son système consiste à guérir les maux physiques par la médication de l'âme.
    Comment veut-on, dès lors, qu'il ait ordonné des lavements à l'eau salée.
    Mme Beauvois était une malheureuse qui allait mourir d'un cancer à l'estomac.
    Cette personne est morte d'inanition à la suite de ce cancer.
    M. Dor se borna à lui donner des conseils moraux et à conseiller de boire de l'eau sucrée.
    M. Beauvois et sa fille étaient hostiles au Père Dor, d'où leur déposition intéressée : il y a là un petit drame de famille.
    Mme Beauvois n'était pas la Doriste fanatique qu'on a dit.
    Cette personne n'avait plus la force d'aller chez Dor ; elle était alitée. Qui dès lors faisait ces injections à l'eau salée. Etait-ce le mari et la fille qui devaient s'opposer à ce que les lavements fussent opérés.
    La question du thé Chambard est aussi du domaine de la légende.
    Elle a été inventée par les Chartier qui avaient créé un petit cercle de gens qui voulaient perdre le Père Dor.
    Ces témoignages sont suspects, c'est un témoignage tendancieux dont le tribunal se défiera.
    Richard est un hernieux qui a été opéré 4 ans après avoir consulté M. Dor.
    Or, Richard a déclaré lui-même que lorsque sur les conseils de M. Dor il ôta son bandage, il souffrit horriblement, est-il possible qu'il ait pu souffrir pendant 4 ans ? Non, cet homme, aujourd'hui décédé, mentait et ce qu'il y a de vrai c'est qu'il lui est survenu une nouvelle hernie.
    C'est donc cette dernière qui le fit souffrir et non l'ancienne.
    Celle-ci avait été guérie à la suite d'une consultation du Père Dor.
    Richard a cru et il s'en est bien trouvé.
    Il n'y a chez M. Dor aucun fanatisme et il n'ordonnait aucun médicament. Le problème à résoudre est le suivant : M. Dor pratique-t-il l'art de guérir par la Doctrine qui tend à établir que le mal physique est guéri par la mise en pratique de ses principes qui recommandent d'abord de se guérir de ses maux moraux.
    Dans toutes les religions, il y a une question d'hygiène ; c'est ainsi, que chez les mahométans, il y a des ablutions qui sont imposées.
    Le conflit entre la morale et l'hygiène est sérieux, chez les carmélites, les bains sont interdits.
    Oserait-on défendre la flagellation prescrite par des communautés religieuses. Les trappistes ne se lavent pas. Pouvez-vous leur en faire un grief ?
    M. Dor est un végétarien, pouvez-vous le lui reprocher ? Non.
    Le régime végétarien est un excellent régime recommandé par des autorités médicales.
    M. le Procureur du roi nous a dépeint le cortège des Doristes défiant à la barre, avec un teint pâle, des traits émaciés.
    Ce teint pâle prouve que ces gens ont souffert énormément.
    Le régime végétarien ne donne évidemment pas la force brutale que procure le régime carné qui, lui, fait plus rapidement sauter la machine.
    On a aussi dit que M. Dor est un criminel qui avait ordonné à des enfants un régime contraire à leur bonne santé.
    M. Dor dit qu'avec la confiance et la foi, le régime produira de bons résultats.
    M. Mahaux. – Est-ce l'enfant de 4 mois qui doit avoir la foi ?
    Me Lebeau. – Non, c'est la mère.
    M. Mahaux. – Ah ! (Hilarité.)
    Me Lebeau. – M. Dor est parfois maladroit pour s'expliquer.
   Il m'a envoyé des mamans avec leurs bébés pour me prouver que le régime Doriste avait donné de bons résultats.
    Y a-t-il eu des bébés morts. Y a-t-il eu des plaintes ?
    Me Gérard. – Les morts ne parlent plus, il y a des cercueils qui devraient s'ouvrir (mouvement).
    Me Lebeau. – Vous ne pouvez pas faire des suppositions d'avoir de telles doctrines, c'est le droit des Doristes.
    Actuellement la médecine s'oriente de plus en plus vers le non interventionnisme, c'est-à-dire vers l'exclusion du médicament.
    Pourquoi au cours d'une maladie ordonne-t-on de cesser d'ingurgiter certains médicaments pris jusqu'alors ? c'est qu'on a reconnu l'effet néfaste de ce médicament.
    D'après certain docteur, on peut guérir l'appendicite sans devoir recourir à l'opération qui était de mode.
    Me Lebeau se demande si M. le Président de la Société de Médecine avait bien le droit de faire poursuivre de son propre gré sans l'assentiment de ses collègues.
    Me Gérard. – Il y a eu ratification, à la suite d'une assemblée de médecins.
    Me Lebeau. – Ce n'est pas un beau geste de la part des médecins, de réclamer une somme de 10.000 fr. Ils eussent plutôt dû demander condamnation, pour le principe.
    Le geste eut été plus beau. Quant à M. Dor, il n'a pas pratiqué l'art illégal de guérir, mais seulement recommande à ses adeptes de se guérir de leurs maux moraux, de leurs imperfections.
    Je souhaite aux docteurs d'être entouré un jour d'un cortège d'admirateurs comme ceux qui ont ici accompagné M. Dor.
    Celui-ci n'a pas dénigré les docteurs, mais il a affirmé qu'ils étaient inutiles. Il n'y a pas eu de concurrence déloyale.
    Je suis au bout de ma tâche ; je demande l'acquittement de M. Dor que j'ai défendu avec une conviction que j'ai rarement eue.
    L'idéaliste va droit devant lui. A un moment donné il se réveille voyant autour de lui une foule grossière comme celle qui a organisé des manifestations dans le genre de celle qu'on a vue dernièrement. Je suis allé vers lui et je l'ai défendu avec chaleur.
    Le bon droit n'est jamais du côté des foules. M. Dor est un homme sincère et désintéressé.
    J'ai dit.
    Me Gérard sera bref, il engage le tribunal à examiner la note juridique qui lui a été remise.
    Me Lebeau, dans une brillante plaidoirie, nous a exposé les doctrines des diverses religions.
    Il est resté trop longtemps dans les sphères élevées et a craint de prendre pied sur le sol pour rencontrer les diverses préventions mises à charge de M. Dor.
    Celui-ci a bien semblé petit vis-à-vis de Bouddha dont a parlé Me Lebeau.
    Le Christ d'il y a vingt siècles n'était pas un trafiquant, il ne se faisait pas suivre d'une pléiade d'apôtres qui vendaient des brochures.
    Leur bonne parole suffisait. Jésus n'avait pas de comptoir dans son temple et on l'a vu dans ce temple un fouet à la main en chasser les trafiquants. Vous, M. Dor, vous avez fait de bonnes petites affaires avec la margarine. (Hilarité.)
    Quand vous vous êtes retiré à Uccle, ce n'était pas pour vous retirer des affaires, mais bien pour les continuer et vous avez fait une réclame pour votre boutique.
    La foule ne jette pas des cailloux à la tête d'un personnage qui se dépense au bien-être des malheureux.
    Me Lebeau. – Le Christ a aussi été outragé et flagellé.
    Me Gérard. – On a eu tort, mais ce n'était pas la même chose.
    Le peuple en conspuant le Père Dora voulu venger les innombrables victimes du dorisme. Il n'y a personne d'avisé, même en Angleterre, qui voudraient laisser exercer pareille doctrine lorsqu'elle constitut un délit.
    Supposons qu'un illuminé informe le public que chaque soir, dans un local qu'il désigne, il donnera des conseils et des prescriptions dans le but d'éloigner d'eux la présence de docteurs et de les guérir sans devoir recourir à l'emploi des médicaments.
    Viendriez-vous, à la barre, plaider la bonne foi de cet illuminé qui est un danger social ?
    Me Lebeau. – Oui.
    Me Gerard. – Allons donc, c'est pour démasquer cet imposteur que la Société médicale s'est constituée partie civile.
    Le dorisme c'est de l'antoinisme déguisé.
    Le Père Antoine a été condamné. Dor, lui, avait pris ses précautions et voulait échapper aux mailles de la justice.
    On lit dans son nouveau livre des retouches assez importantes à la page 4, il écrit : qu'il est préférable de guérir l'âme que le corps.
    Il en est de même au sujet d'autres passages où il y a des restrictions très adroites visant la guérison de certaines maladies par le régime de la propreté ou le régime végétarien.
    Devant le malade, le consultant, se restait toujours le tronc.
    Si Dor avait accepté la somme de 10.000 francs lui offerte par un sieur Delcroix, c'eut été trop criard.
    Me Lebeau a dit que si M. Dor était un charlatan, il eut inscrit au bas de la première page : guérison certaine, concurrence impossible.
    Mais il était trop rusé pour écrire de telles phrases, c'était pour lui la guillotine.
    Parlant de la fête des morts qu'on célèbre à la Toussaint, Me Gérard s'indigne qu'à côté de celle célébrée par le culte catholique, le Père Dor s'est aussi évertué à la célébrer de son côté !
    Charlatan et indigne comédien, s'exclame l'honorable avocat.
    Me Lebean. – C'est un procès à tendance que vous faites.
    Me Gérard. – Les malheureux adeptes que Dor appellent ses enfants, sont venus témoigner, ils n'avaient garde d'accuser leur père (rires), pas plus qu'un apôtre n'accuse son Dieu.
    Me Gérard conclut :
    « Abandonnez, Dor, votre métier de guérisseur et retournez à l'atelier exercer le métier que vous n'auriez jamais dû abandonner.
    Me Gérard demande condamnation.
    Me Bonehill prenant la parole dit, que M. Lebeau a parlé de diverses religions mais, il a omis de donner la définition du mot religion.
    L'honorable avocat dit que l'idée de Dieu est inséparable de celle de religion. Or, Dieu n'est qu'un mot, et le prévenu n'était pas à même de créer une religion.
    Il s'est lui-même reconnu le Christ réincarné et il l'écrit dans son livre.
    Me Lebeau. – Ne parlons pas de religion.
    M. le Président. – Vous avez vous même attiré vos adversaires sur ce terrain.
    Me Bonehill explique de quelle façon s'exerce le culte antoiniste, dont les cérémonies ont été plagiées par Dor.
    Il n'était pas capable de fonder une religion ; dès lors, il n'y avait pas de culte.
    Jetons donc une bonne foi par-dessus bord l'article 14 de la Constitution.
    Il nous était absolument indifférent qu'il fondât une religion, mais ce que nous lui reprochons c'est de s'être enrichi à nos dépens.
    Me Lebeau s'est évertué à plaider le désintéressement de Dor.
    Il a remboursé une somme de quelque mille francs qu'on lui avait prêtée.
    Me Lebeau. – Donnée.
    Me Bonnehill… prêtée, mais il a fait ce que tout homme quelque peu honnête aurait fait. Des déclarations de Delcroix et Muylaerts, il faut se délier, car ce sont des adeptes très fervents.
    Il y a aussi l'affaire de la vente de la margarine. Il y ici un perdant : c'est la déclaration de M. Romain concernant la vente d'un terrain. Vous n'avez pas la dignité de rembourser à Mme Delisée les 17.000 francs que vous reconnaissez détenir.
    Me Lebeau. – Nous n'avons pas d'argent.
    Me Bonehill. – Dor était d'après Me Lebeau la maladresse réincarnée. A la veille des débats il publie une affiche où il se raille de la magistrature.
    Conclusion : Dor n'est pas un escroc d'envergure, c'est un escroc de bas étage ; Me Morichar est tombé de Wilmart à Dor. (Hilarité.)
    Votre crédulité n'est pas incurable. Le jour de la Toussaint vous magnifiez les Ames des soldats tombés pour la patrie : la fin de la séance fut odieuse.
    Dor dit que sa patrie était le monde entier et il a ajouté qu'on ne devait pas être exclusivement patriote pour détendre son pays.
    Dans sa plaidoirie, Me Lebeau a dit que Dor était désintéressé et que son intention était de ce purifier les mains en voulant verser de l'argent dans la caisse de I'Ecole des Estropiés.
    C'était facile de prendre l'argent de Mme Délisée pour le verser à l'œuvre de l'Ecole des Estropiés !
    Me Lebeau a dit que Mme Délisée était une épave, une divorcée. J'ai ici le jugement de divorce prononcé aux torts du mari. Vous auriez pu le dire. Sur quoi vous basez-vous pour dire que Mme Délisée a eu une vie orageuse ? Vous ne l'avez pas dit. Vous avez aussi parlé de ces bons petits bourgeois, les époux Chartier.
    Vous avez dit que Dor n'aimait pas ces gens. Et bien, il n'est pas propre d'accepter de l'argent de la part des gens qu'on n'aime pas.
    Dans ma plainte, tout n'y figure pas ainsi que vous l'avez prétendu.
    Avez-vous prouvé que cette femme était venue de Bruxelles de son plein gré ? Non, Mme Delisée a été amenée à Dor par cette rabatteuse qui a nom de Broset.
    Me Lebeau n'a pas parlé de lettres que son client écrivait à Mme Delisée, lorsque celle-ci se trouvait dans les Ardennes où elle se livrait au colportage des brochures.
    Est-ce que cette lettre a été écrite ?
    Me Lebeau. – Oui, mais amour était écrit avec un grand A.
    Me Bonehill. – Vous mettez des majuscules à tous les substantifs (rires prolongés).
    Quant aux sommes qui ont été déboursées pour le chauffage, vous savez que vous avez reçu de Mme Delisée une somme de 4,000 francs et vous n'avez payé a M. Dufrasne qu'une somme de 3,600 francs. Après cela, Mme Dor écrit à Mme Delisée qu'elle a chauffé gratuitement cette dernière.
    Ceci est trop fort, Mme Delisée a été chauffée avec sa chaufferie (rires).
    C'est de la facétie.
    J'ai dit.
    Me Mahaux réplique à son tour et estime que tout a été dit par les éminents avocats de la partie civile.
    La longue plaidoirie de Me Lebeau et les efforts qu'il a faits pour détruire la base de mon réquisitoire ont été vains.
    On a voulu faire des rapprochements entre de modestes ouvriers de Mons Crotteux et Bouddha.
    L'honorable organe de la loi met en contradiction l'intellectualité des éminents défenseurs du prévenu et de la mare stagnante dans laquelle croupit ce dernier.
    Défions nous, dit M. Mahaux du Dorisme qui habilement ont doré Mes Lebeau et Morichar. (Rires).
    Dans le dorisme, il n'y a pas de discipline : Dor est, à la fois, le pape et le vicaire. Un culte n'est considéré comme professé que lorsqu'il se manifeste par des rythmes solennels et publics.
    Que se passe-t-il à Roux ?
    C'est une longue suite de personnes qui attendent leur tour d'être introduites près de Dor.
    Après cette formalité ces gens se retirent non sans avoir passé devant le tronc comme on le sait.
    Qu'y a-t-il là de solennel et de public ? Rien, absolument rien.
    Il y a bien un rythme... public peut-être, mais non solennel le jour de la Toussaint où le propriétaire de l'endroit prononce un discours saugrenu.
    Le prévenu a purement et simplement fondé un système de morale. Me Lebeau n'est pas parvenu à prouver que ce style ampoulé étant de Dor lui-même, on a fait justice de son soi-disant désintéressement.
    N'a-t-il pas voué une haine féroce à M. Romain qui a refusé de remettre au prévenu une partie de son bénéfice provenant de la vente de margarine ? Abordant l'examen de l'argument invoqué par la défense, à savoir que le Dorisme devait être protégé, en vertu de l'article 14 de la constitution, qui garantit le libre exercice des cultes.
    De quel culte, s'agit-il, ici ?
    Pensez, Messieurs, que la loi a laissé aux tribunaux le soin d'apprécier si des manifestations religieuses peuvent être élevées à la hauteur d'un culte.
    Les pratiques du Dorisme ne sont pas d'un culte, mais bien de la superstition.
    Un dernier argument qui est décisif : c'est l'aveu de Dor lui-même.
    Le 2 juin, le prévenu envoyait à « La Région » de Charleroi, un droit de réponse dans lequel il disait qu'il n'existe pas de Dorisme, car à l'Ecole Morale, il n'y a ni religion, ni secte, ni société, ni rien qui puisse porter un nom. Le Père Dor dit toujours comme Jésus : « Je ne suis pas revenu pour apporter la paix sur la terre, mais l'épée, car sans la destruction de toute idée religieuse, l'accord des uns avec les autres est impossible. »
    Voilà ce que le prévenu écrivait lui-même ; il nie qu'il existe la moindre idée de religion et il nie qu'il y ait des Doristes.
    Sera-t-il permis à n'importe qui d'exercer l'art de guérir pour commettre des escroqueries.
    Nous nous trouvons en présence d'un escroc fort habile, retors, qui ne craint pas de s'attaquer à une sexagénaire.
    Je pense qu'il sortira d'ici flétri par une condamnation et qu'il paiera ainsi la mort prématurée à laquelle il a, par ses odieuses prescriptions, condamné beaucoup de petits enfants. (Mouvement).
    M. Mahaux donne lecture de ses conclusions motivées et M. le Président donne la parole à Me Lucien Lebeau.
    Celui-ci déclare qu'il ne rencontrera qu'une objection : celle affirmant que le Dorisme n'est pas une religion.
    On a pris la définition du mot religion dans un Larousse. Ces définitions n'ont aucune valeur.
    L'honorable avocat versera aux débats un livre publié par une sommité en la matière.
    On a fait état d'une lettre de M. Dor dans laquelle il reconnait lui-même que le Dorisme n'est pas une religion.
    Et bien, malgré M. Dor lui-même, le Dorisme est une religion.
    Si on avait interrogé Mahomet sur le point de savoir s'il avait fondé une religion, il eut protesté et aurait répondu : « Non, je suis seulement le prophète et je mets simplement en pratique une morale qui m'a été révélée.
    Il faut être moral pour éviter la désincarnation ainsi que le proclame le Bouddhisme. Le Dorisme existe malgré M. Dor.
    M. Dor a suscité chez les Doristes des sentiments religieux : il n'y a donc pas de religion méprisable et méprisée.
    Peu importe les formes extérieures que revêt le Dorisme, il y a culte et à l'insu de M. Dor, lui-même.
    L'article 14 protège les cultes à quelque titre que ce soit contrairement à ce qu'a prétendu M. le procureur du Roi.
    Le Dorisme a poussé les adeptes à poser des actes honnêtes et consciencieux.
    La liberté de conscience est ce que nous avons de plus cher.
    Ceux qui voient conduire à Lourdes des malheureux qui meurent en cours de route, voient dans ce fait une manifestation divine s'ils sont croyants ou une odieuse chose s'ils sont mécréants.
    Prenez garde, Messieurs, les persécutés d'aujourd'hui peuvent être les persécuteurs de demain.
    Un seul moyen d'éviter cela, c'est de rendre un jugement d'acquittement.
    Cet homme façonne des braves gens ; laissez-le continuer ; nous en avons fortement besoin.
    Les débats sont clos. L'affaire est mise en délibéré il sera statué à l'audience du 16 décembre prochain.
    A 6 heures 40, Pierre Dor quitte le Palais de justice, entouré d'une demi-douzaine s'agents de police.
    Un nombreux public lui fait escorte, en le conspuant fortement.
    Ce sont aussi des bordées de coups de sifflet.
    Ce cortège pittoresque s'achemine vers la Ville-Basse et le prévenu quitte la ville de Charleroi où il ne reviendra plus avant le 16 décembre prochain pour entendre la lecture du jugement qui interviendra.
                                                                 RASAM.

La Région de Charleroi, 1er décembre 1916 (source : Belgicapress)

Voir les commentaires

Le Père Dor en correctionnelle - Les aléas de la divinité (La Région de Charleroi, 19 novembre 1916)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Le Père Dor en correctionnelle - Les aléas de la divinité (La Région de Charleroi, 19 novembre 1916)(Belgicapress)

 Chronique des Tribunaux
Tribunal correctionnel de Charleroi
Audience du 17 novembre
Le Père Dor en Correctionnelle
LES ALÉAS DE LA DIVINITÉ

Audience de l'après-midi

    L'audience du matin terminée, la foule stationne longtemps sur le boulevard Audent, attendant la sortie du Messie du XX° siècle qui en avait pris quelque peu pour... son rhume pendant trois heures qui ont dû lui paraître interminables.
    La curiosité du populo fut déçue car Pierre Dor ne parut pas et festoya, à la végétarienne, sans doute, dans une salle attenant à celle des débats.
    Il aura été fort peu désireux d'être à nouveau l'objet des manifestations de sympathie... à rebours organisées en son honneur les journées précédentes et il a cru bon de respirer quelques heures de plus l'atmosphère plus clémente du temple de Dame Thémis.
    Stoïquement, du reste, nombre de curieux, j'allais écrire passionnés, firent comme le Père Dor et restèrent au Palais pour « retenir » leur place !
    Peu avant l'ouverture des débats, le petit père s'avança vers ses adeptes et leur dit : « Mes enfants, je n'irai pas à Roux lundi, mais seulement la semaine suivante. »
    Ouf ! voilà une semaine de fluide... au diable.

*
*   *

    L'audience est reprise à 3 heures 15 et la parole as donnée à Me Lucien Lebeau, premier défenseur du prévenu.
    Me Lebeau dit, qu'il s'en voudrait, au début de sa plaidoirie, de ne pas rendre hommage à Messieurs les membres du siège, pour l'impartialité dont ils ont fait preuve depuis l'ouverture des débats.
    Le Parquet a poursuivi sur la plainte des Chartier et de Mme Delisée. Le prévenu s'en félicite. On escomptait un scandale et finalement on a abouti à l'accouchement d'une souris ; à l'Ecole Morale, tout s'est passé correctement.
    L'honorable avocat rend hommage enfin aux belles plaidoiries de ses deux adversaires.
    Celle de Me Bonehill a été particulièrement brillante.
    J'ai cru, dit Me Lebeau, distinguer dans cette manière de tuer le Christ et l'Antechrist l'idée de provoquer la passion religieuse dans le cœur des magistrats.
    Ces moyens n'ont pas abouti et vous rendrez, messieurs, votre jugement dans le calme de votre conscience.
    Le Dorisme est un phénomène d'ordre religieux.
    J'entends que le Dorisme est une manifestation de l'instinct religieux. Ce culte pousse l'homme à rechercher son origine. Au domaine religieux appartient ce phénomène de la conversion.
    Voici comment la conversion se réalise : un homme vise à gagner beaucoup d'argent et croit que c'est là le bonheur ; à un certain moment, à la suite de la mort d'un enfant, cet homme est ébranlé dans sa conviction d'avoir voulu atteindre un bonheur illusoire.
    Alors ses désirs du second plan passe au premier plan.
    Ce problème est admirablement résolu par l'éminent historien Tolstoï dans son livre intitulé « Résurrection ».
    Les adeptes Doristes sont des gens qui ont soufferts moralement ; ils se sont adressés à M. Dor qui leur dit qu'ils s'étaient trompés de route en courant après un bonheur illusoire.
    On se guérit de la souffrance en se dématérialisant. Il faut tuer ses passions et lorsqu'on a tué ces dernières : on éprouve une grande satisfaction. Les conversions des doristes sont à la fois d'ordre moral et religieux.
    Leur conversion morale a été suscitée par leur croyance. Cette foi leur donne la sensation qu'ils ont trouvé le bonheur.
    Ces gens se sentent délivrés d'une vie antérieure, comme le prisonnier de guerre qui rentre dans sa patrie.
    La Doctrine Doriste est une petite religion nouvelle, créée par M. Dor.
    Si le fait s'était passé en Angleterre, M. Dor n'aurait pas eu besoin de s'expliquer.
    En Angleterre, à tout instant, un illuminé crée une religion.
    Si au lieu de juger M. Dor vous auriez eu à juger un rebouteux, verriez-vous des gens qui s'émouvraient jusqu'au délire ? Non, vous verriez quelques témoins qui déposeraient avec calme et sans enthousiasme exagéré.
    Or, ce n'est pas cela ; c'est autre chose ; la reconnaissance des adeptes du Père Dor revêt un caractère de reconnaissance exaltée.
    M. Dor les a initiés à une doctrine qui pour eux, est la lumière. Physiquement, ils sont guéris.
    Me Bonehill. – Ils sont morts.
    Me Lebeau. – Ils sont morts de leur ancienne vie.
    A leurs yeux, M. Dor est le professeur de la doctrine qui provoque l'extase. L'action du ministère public se brise contre l'article 14 de la Constitution lequel vise la liberté du culte.
    Pouvez-vous décider que le culte Doriste leurre un amas d'imbéciles ?
    Les adeptes considèrent le culte Doriste come la religion véritable et non comme des billevesées.
    Bien plus, en frappant M. Dor, en l'emprisonnant vous trapperiez cette petite église dans la personne de son chef.
    Des gens sains consultent journellement M. Dor et on vous demande de condamner ce dernier, parce qu'il a fondé cette église.
    La corps judiciaire n'a pas le droit de dire cela et doit s'incliner devant lui comme devant un fait.
    Supposez que dans un avenir éloigné on traduise devant les tribunaux tous les prêtres et qu'on les condamne comme imposteurs, mais ce serait atteindre le culte lui-même.
    Avoir fait un tel effort pour s'élever et retomber alors à plat, ce serait pour les adeptes la désillusion la plus complète.
    Si cette croyance était nuisible à l'ordre public, on admettrait mais les théories morales du Père Dor sont louables.
    Il faut laisser en paix les Doristes, qui sont de braves gens qui ont trouvé le bonheur dans la pratique des doctrines du Dorisme.
    Supposez que vous condamniez M. Dor et que les adeptes ne s'inclinent pas, ce sera alors M. Dor que grandira et ses adeptes le considèreront comme un martyr et l'en vénéreront davantage.
    Ce serait de la persécution religieuse et nous savons par l'histoire que la persécution n'a jamais servi qu'à faire grandir l'enthousiasme des adeptes.
    Le tribunal hésite et se demande si M. Dor n'est pas un imposteur. M. Dor a-t-il l'obligation de prouver qu'il est sincère ? Non. C'est un problème moral et non juridique, il est insoluble.
     Quand direz-vous qu'un homme est sincère ou non ?
    Vous ne le pouvez et jusqu'à preuve du contraire, M. Dor doit être considéré comme sincère.
    Quand quelqu'un ouvre une église et crée un culte, il n'a de compte à rendre à personne. Il est commode de dire que M. Dor dit des extravagances, mais la foi ne se démontre pas et les affirmations de M. Dor ne sont pas une preuve contre lui. Mahomet a dit un jour qu'il avait vu l'ange Gabriel.
    On lui a d'abord ri au nez, mais Mahomet a néanmoins fondé une grande religion. Cette doctrine est-elle si obscure qu'on veuille bien le croire ? Non.
    Ses disciples affirment qu'il est le Christ réincarné, M. Dor croit à la réincarnation des âmes et il est certain qu'il est profondément imbu des doctrines du Christ.
    Vous avez affaire à un homme qui est passionné. La croyance sincère de M. Dor, qu'il est le Christ réincarné, ne doit donc pas faire sourire.
    Me Lebeau parle du bouddhisme qui est né à une époque à laquelle il y avait un affaissement moral.
    L'honorable avocat donne lecture des quatre vérités du culte de Bouddha.
    Les passions rendent malheureux. Pour être heureux il faut donc renoncer aux passions, cause des souffrances.
    Le bouddhisme ressemble au dorisme.
    Le régime végétarien est également imposé et ce uniquement pour éviter qu'on ne mange un de ses frères. (Rires.)
    M. le Procureur a raillé le passage du livre « Le Christ parle à nouveau » qui dit qu'il faut toujours s'avouer coupable, mais cela est vrai car le mal est en vous.
    Me Bonehill. – Si vous nous parlier du désintéressement du bouddhisme.
    Me Lebeau. – Le bouddhisme est désintéressé.
    Me Bonehill. – Il est inconciliable alors avec le dorisme.
    Me Lebeau. – Cette doctrine a produit de bons résultats, les adeptes du Dorisme sont des gens qui se sont corrigés de leurs défauts.
    C'est aux fruits qu'on doit juger l'arbre.
    Vous pouvez souhaiter qu'il ait embrassé une autre doctrine, mais vous ne pouvez leur contester le droit d'être doristes ; ce serait contraire à l'esprit de la constitution.
    M. Dor donne l'impression d'un rêveur ou d'un contemplatif.
    Vous avez entendu Zoé Fermeuse, l'ancienne femme de charge de M. Dor ; cette femme a affirmé que M. Dor suivait le même régime que celui qu'il impose à ses adeptes.
    Ce n'est que depuis quelques temps, que M. Dor prend des œufs et ce à cause des circonstances présentes.
    M. Dor vivait cloîtré à la manière d'un ermite, il est arrivé à puiser une grande force morale.
    A ce moment de la plaidoirie de Me Lebeau, Pierre Dor est très abattu, il soupire longuement quand son défenseur parle de ses enfants, dont l'ainé fréquente les cours de l'Université du Travail et se destine à l'électricité.
    Dor n'a donc pas une fortune permettant d'entrevoir pour ses enfants des positions brillantes.
    M. Dor est d'origine ouvrière et il met ses principes en concordance avec ses actes.
    Me Lebeau donne lecture de différents passages du livre : « Christ parle à nouveau », et se demande où on voit là-dedans un style empirique.
    N'est-ce pas une manière familière de dire les choses. Est-il extraordinaire qu'un artisan ait écrit cela ?
    Non, ce sont là des paroles qui ne sont pas banales.
    Dire que la vie telle que la comprennent beaucoup de personnes ne sont que des illusions qui cachent bien des peines n'est pas une pensée banale c'est toute la théorie de Platon.
    Me Lebeau s'arrête là et affirme que l'ouvrage du Père Dor est consciencieusement pensé et écrit.
    Il tire la conclusion que bien que l'auteur n'ait pas le talent d'écrire, arrive à dire des choses vraies et pense ce qu'il dit ; c'est ainsi qu'on peut voir des orateurs élégants laisser leur auditoire indifférent, tandis que des plébéiens, prononçant des discours dans un langage frustre, soulevaient littéralement leur auditoire.
    Un incident se produit, une dame tombe en syncope. On réclame un docteur. On sourit et on semble désigner le père Dor, capable de ranimer cette femme qui peut-être est une de ses adeptes.
    On a dit que le Père Dor n'était pas l'auteur de ses livres et de ses brochures, je verse aux débats les brouillons livrés par le Père Dor.
    Me Bonehill. – Sont-ils enregistrés ? (Rires.)
    Me Lebeau. – Vous n'avez pas fait la preuve que M. Dor était un plagiaire.
    Me Bonehill. – La voilà...
    Me Morichar. – Oui, dix pages sur trois cents.
    Me Lebeau. – Il y a bien quelques passages plagiés, mais le Père Dor le signale et l'encadre.
    Du reste, M. Dor veut toujours perfectionner son œuvre et c'est ainsi qu'il a écrit plus d'un livre.
    S'il avait voulu exploiter la crédulité humaine, il se serait uniquement attaché à vendre un seul livre.
    Me Lebeau invoque l'exemple de Molière.
    M. le Président. – Molière était un génie.
    Me Lebeau. – Et malgré cela il a plagié. Victor Hugo a aussi été accusé de plagiat. Donc pour se résumer à cet égard, ces livres sont de lui et prouve sa sincérité. M. Dor prêche le désintéressement. Est-il désintéressé ? Oui et il est parvenu à avoir des preuves écrites de son désintéressement.
    Vous connaissez son passé, il a commencé par être ouvrier et comme tel possède des certificats d'honnêteté et de moralité. Il gagnait bien sa vie. Qu'est-ce qui l'a incité à quitter l'usine ? C'est un accident.
    A l'âge de 33 ans il s'est installé épicier et un peu plus tard restaurateur à Jemeppe-sur-Meuse, où il gagnait largement sa vie. Il abandonna ce commerce lucratif, vendit ses maisons pour une somme de 18,000 francs.
    Dans son compte de banque arrêté au 30 juin 1906, on remarque qu'il versait régulièrement, fin de chaque mois des sommes relativement importantes provenant de bénéfices réalisés dans son commerce. C'est alors qu'il a été l'objet d'une cause morale et il s'est aperçu à ce moment la cause de ses maux.
    Il alla chez le Père Antoine avec qui il tomba en désaccord. Il rencontra un industriel liégeois qui le décida de l'accompagner en Russie. Il y fit des guérisons et c'est ainsi que la police et les docteurs eux-mêmes firent des propositions à M. Dor de travailler sous leur responsabilité, ce à quoi il refusa.
    Comme conséquence de son refus, il dut quitter la Russie et c'est ainsi qu'en 1909 il vint à Roux, où il fonda le culte Doriste.
    Un Liégeois en reconnaissance des services lui rendus par le Père Dor, offrit à celui-ci des fonds en vue de la création de l'Ecole Morale.
    Le Père Dor remboursa cette somme deux ans après, alors que le Liégeois de le demandait pas.
    Ceci est décisif, dit Me Lebeau, le désintéressement complet de M. Pierre Dor.
    Le solde, soit 3.00 fr., fut remboursé par une cession de créance. L'acte fut passé devant notaire.
    Si cet industriel n'a pas été cité comme témoin, c'est parce qu'il est actuellement en Russie où il a ses intérêts.
    J'ai démontré qu'il posait un acte qui ne peut s'expliquer que par un désintéressement complet.
    Un autre fait : M. Dor se mit en rapport avec la célèbre fabrique de margarine Vanderbergh's Limited.
    M. Romain se mit à vendre la margarine « Bra » avec d'importants bénéfices.
    Comme M. Dor juger cette margarine excellente, il conseilla à la firme de la dénommer « margarine du Père Dor ».
    On crut alors que c'était une affaire d'or et que Pierre Dor en retirait gros bénéfices.
    Le dépositaire se brouilla avec le Père Dor et fut remplacé par M. Servaes.
    Il y eut procès dans lequel intervint personnellement M. Dor qui favorisa de sa déposition l'adversaire de son protégé.
    Le Père Dor n'a touché aucun bénéfice de la société ; mais l'opinion publique colportait le bruit que le Père Dor touchait des bénéfices du dépositaire.
    Or, dans une correspondance échangée entre Monsieur Romain et M. Dor, le premier proposa de laisser tout le bénéfice au profit de l'Ecole morale, qu'il se contenterait, lui, de son bénéfice de restaurateur.
    Dor refusa catégoriquement : nouvelle preuve de son désintéressement.
    Il est 6 h. 30 ; Me Lebeau interrompt sa plaidoirie qu'il continuera à l'audience de mercredi prochain.
    Armons-nous de patience, car l'honorable défenseur annonce qu'il en a encore pour 3 heures.
    Me Morichar prendra ensuite la parole ; puis viendront les répliques. Il y a dès lors lieu de supposer que cette affaire ne sera terminée que mercredi soir pour autant que le tribunal siège l'après-midi.
    La semaine... Doriste est terminée. Pierre Dor s'est acheminé vers la Ville-Basse.
    Une foule énorme lui a fait escorte en lançant à son adresse quantité de quolibets wallons, tous au plus plaisants.
    Pour l'instant, on ne parle plus de la guerre ni des chômeurs, c'est l'affaire du Père Dor qui fait l'objet de toutes les conversations. On discute les chances d'acquittement ou les dangers d'une condamnation. On joue même au jurisconsulte et certains veulent ouvrir des paris ! L'argent est rare, aussi parie-t-on deux demis contre un.
    Dans le but d'orienter certains parieurs... de demis, nous donnerons dans notre numéro de demain, différentes opinions sur cette cause qui passionne tant l'opinion publique.                                                RASAM.

La Région de Charleroi, 19 novembre 1916 (source : Belgicapress)

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 > >>