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Lettre ouverte au ministère de l'Instruction publique (La Wallonie, 21 mars 1936)(Belgicapress)

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Lettre ouverte au ministère de l'Instruction publique (La Wallonie, 21 mars 1936)(Belgicapress)LETTRE OUVERTE
au Ministère de l'Instruction publique

Censure ?
Ostracisme ?
Intolérance ?

    On sait que, annuellement, le Ministère de l'Instruction publique subsidie les bibliothèques publiques, communales ou libres, qui satisfont aux prescriptions de la loi du 17 octobre 1921 et aux arrêtés royaux qui en découlent.
    Les bénéficiaires des subventions de l'Administration des Bibliothèques publiques ont la faculté, pour la partie principale du subside, d'établir un choix d'ouvrages à acquérir chez le libraire à leur convenance.
    Il est seulement recommandé aux bibliothécaires de réserver une notable partie du subside à l'acquisition d'ouvrages d'auteurs belges.
    Ajoutons que le choix, la sélection établie par le bibliothécaire doit, avant l'acquisition, être soumis à l'approbation de l'administration intéressée On ne peut que se féliciter de constater la sollicitude du Ministère de l'Instruction publique pour les auteurs belges, écrivains, poètes, ou romanciers.
    Cependant, il arrive que dans son appréciation l'Administration ne fait pas toujours preuve de logique.
    Nous pourrions citer de nombreux cas où des livres d'écrivains de renom furent rayés, d'un beau trait rouge et anonyme, des listes proposées par certains bibliothécaires.
    Nous avons sous les yeux un cas typique que nous ne voudrions pas manquer de signaler.
    Un bibliothécaire de la région liégeoise, voulant faire place dans ses collections à deux récents ouvrages de deux romanciers de chez nous, avait proposé l'acquisition de « Délivrez-nous du mal », le beau livre de Robert Vivier. A côté de ce titre, nous avons lu « Les hommes bleus », de Maurice Marcinel.
    Or, le beau trait rouge, aussi anonyme que par le passé, barrait sévèrement les deux titres que nous venons de citer ! Pourquoi ?
    Seraient-ce là des lectures subversives ? L'homme au crayon rouge, préposé au Ministère de l'Instruction à la garde ou à la protection de nous ne savons quel patrimoine intellectuel et spirituel, a-t-il craint pour la quiétude de nos âmes et la rectitude de nos pensées ?
    L'homme au crayon fatidique a-t-il seulement voulu atteindre deux écrivains liégeois ? Possible, mais dans ce cas ce serait d'un ostracisme odieux !
    Serait-ce que Robert Vivier, professeur consciencieux parfait « honnête homme », écrivain de talent, lauréat du Prix du Centenaire, aurait commis un crime en écrivant un livre vivant sur l'Antoinisme, sur Antoine le Guérisseur. Car le livre « Délivrez-nous du mal », consacré à l'antoinisme dont il fait revivre histoire touchante sinon émouvante, contient de nombreuses pages de toute beauté. Ce livre a reçu de toute la critique belge et française, un accueil des plus élogieux.
    René Lalou, dans les « Nouvelles Littéraires », lui a consacré un de ses feuilletons « Le livre de la semaine » où il l'a signalé, à un public choisi, comme une œuvre marquante du moment.
    Et c'est ce livre qu'un fonctionnaire anonyme raye impitoyablement d'une liste où il est de règle de faire un large accueil aux auteurs belges.
    Le fait de consacrer sa plume à faire le récit d'une belle tranche d'histoire liégeoise, de parler de l'évolution d'une secte religieuse, aurait-il valu à l'homme probe, à l'écrivain modeste qu'est Robert Vivier, les foudres d'un rond de cuir sans responsabilité ? Ce n'est sans doute pas au seul fait qu'il est question dans ce livre, d'antoinisme, que l'ouvrage a été mis à l'index ? Ce serait d'une intolérance révoltante.
    Et pourquoi Maurice Marcinel connait-il les honneurs du rigorisme du monsieur au crayon rouge ?
    Les lecteurs de ce journal n'ont plus à apprendre à connaître Marcinel. Connaissant son talent de romancier, ils n'en seront que plus surpris de le voir rangé dans les auteurs qui n'ont pas reçu l'agrément du monsieur qui manie le beau crayon rouge avec un discernement aussi louable (!)
    « Les hommes bleus » de M. Marcinel est une œuvre attachante, une page de vie sociale, où l'on perçoit sans interruption la note sentimentale qui s'attache à tous les incidents de la vie du peuple : Socialisme, Religion chrétienne, Amour, tels sont les thèmes qui se développent, s'harmonisent dans l'œuvre humaine du romancier, de l'excellent conteur qu'est Marcinel.
    On voudrait savoir si ce sont les opinions politiques de l'auteur, opinions qui n'ont rien à voir ici, qui lui valent cet interdit.
    Si le livre de Marcinel contient de nombreuses pages qui plaident pour le socialisme, on veut encore croire que ce n'est pas à ce titre qu'il a été écarté.
    Sinon, nous pourrons reparler d'intolérance mesquine, tout autant que pour le livre de Robert Vivier.
    Nous nous sommes demandés, enfin, si l'un ou l'autre de ces livres ne comptait pas certaines pages d'un réalisme trop accentué ?
    Eh bien, la question ne doit pas se poser car, dans la même proposition d'achat nous trouvons par exemple, exempt du trait fatidique, le Roman de François Villon de Francis Carco qui n'a pas été spécialement écrit pour les pensionnats de demoiselle.
    Alors ? Pourquoi ces deux livres ne seraient-ils pas dignes d'être acquis pour nos bibliothèques publiques aux frais du ministère de l'Instruction publiques. Car, pour les biffer d'une liste constituée en vue d'acquisition, il faut qu'il y ait des raisons sérieuses ! Le fonctionnaire qui a procédé à ces « expulsions », doit avoir reçu des instructions, doit agir en vertu de certains pouvoirs d'appréciation. On voudrait savoir. On voudrait savoir car, enfin, ce que l'on a fait, dans le cas présent, pour les deux auteurs cités, on peut le renouveler, tout aussi arbitrairement contre d'autres auteurs.
    Et s'il y a encore, dans l'esprit de certains, de bons et de mauvais livres encore faudrait-il nous dire, comment, à l'administration des Bibliothèques Publiques on appréciera.
    Mais, au fond, nous avons peut-être bien tort de nous alarmer.
    N'est-ce pas le même « fonctionnaire » qui, à une autre occasion, mais dans les mêmes circonstances, supprimait dans une même liste, le « Joyau de la Mitre » de Maurice des Ombiaux en laissant subsister un livre comme « Le rideau rouge », de Nicolas Ségur.
    Néanmoins, nous pensons qu'il faut tout de même signaler de pareilles situations où, à l'insu de tous, on met en veilleuse, pour des raisons inavouées les œuvres d'excellents écrivains ?
    Signalé à tous ceux qui sont placés pour obtenir que des œuvres de l'esprit bénéficient, dans nos bibliothèques publiques d'une place égale, sans distinction de tendances, d'objet ni d'origine.
                                                                     D. DEGHAYE.

La Wallonie, 21 mars 1936 (source : Belgicapress)

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Acte de mariage Robert Vivier et Zénitta Klupta, 24 juin 1922 (consultation.archives.hauts-de-seine.net)

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Acte de mariage Robert Vivier et Zénitta Klupta, 24 juin 1922 (consultation.archives.hauts-de-seine.net)

Robert Vivier a dédicacé son livre Délivrez-nous du mal à sa femme Zénitta Vivier, née Klupta.

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Écrivains liégeois : Robert Vivier (La Wallonie, 4 avril 1936)(Belgicapress)

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Écrivains liégeois Robert Vivier (La Wallonie, 4 avril 1936)(Belgicapress)

LA RÈGLE DE VERRE
OU
LA MESURE des LIVRES NOUVEAUX

ÉCRIVAINS LIÉGEOIS

    Robert Vivier vient d'écrire un grand livre. Nous emploierions le mot de chef-d'œuvre si le ton de la première partie avait pu être soutenu dans les deux autres ; mais la seconde, notamment, est une chute, qui fait trop apparaître l'application et le désir – ou le besoin – de fidélité au document. C'est, à n'en pas douter, le sujet qui en est cause. Quant au troisième compartiment, il est, dans son intention de glose et sa mémoire du développement de l'antoinisme profond aussi bien qu'extérieur, rituel, si spécial et méticuleux ! C'est pourtant ici que nous trouvons, parmi bien d'autres, le portrait le plus vrai et plus émouvant après celui de Louis Antoine et celui de son épouse : celui du professeur Delcroix. Nous pouvons l'assurer l'ayant longtemps connu.
    Ce qui porte notre préférence à la première partie du livre, c'est sa coloration, sa poésie, sa belle transposition de la vérité des lieux, des circonstances et des saisons, son émotion profonde et savamment conduite, – d'un style simple et parfait, de la plus harmonieuse nudité. Tout cela vous prend et vous conquiert dès la seconde page :
    « L'enfant connut le chaud, le froid, le bruit et le silence, les couleurs du jour et de la nuit, dans la cuisine dallée et dans la chambre à coucher base de plafond, cuisante en été sous la toiture. Il s'émerveilla d'un chat roux et blanc qui dormait au soleil, et de la blancheur des « jattes », où la mère versait le café et où Martin et les enfants trempaient leurs tartines. L'hiver, il était bon de se tenir tous ensemble auprès de l'âtre chaud, qui jetait de grandes lueurs par toute la cuisine. On entendait péter les pommes de terre qui cuisaient sous la cendre. Au printemps dès que le vent était moins sec, la mère poussait le bambin dehors lui fourrant dans la main une croûte de pain et une pomme :
    « – Allez jouer, il fait si beau. Il y a du soleil.
    Car les mères wallonnes disent vous à leurs enfants. C'est comme une caresse timide.
    Dehors, c'était le ciel bleu, le jardin. A la belle saison, on voyait des giroflées du réséda, des pois de senteur. Les plants des haricots montaient le long des perches où s'enroulaient leurs vrilles et portaient des fleurs blanches et rouges, comme des papillons. Un bourdon murmurait dans l'air, et le petit Louis essayait de chanter comme le bourdon, à lèvres closes. Une fourmi l'intéressait, puis deux, puis trois. Ce qu'il y en avait des fourmis... Elles marchaient toutes très vite, chacune fort occupée à son affaire, et n'avaient pas l'air de se connaître.
    « Mais l'essieu d'un tombereau criait sur le chemin, et les gosses couraient hors du jardin pour voir qui passait. Louis trébuchait derrière, pleurant pour qu'on l'attendit. Alors sa douce sœur Marie-Josèphe venait le prendre par la main et le ramenait dans le jardinet :
    « – Louis, venez ! Allons regarder dans le puits...
    « Elle retenait son petit corps contre la margelle. Penchés tous deux, ils voyaient danser le rond clair du ciel et, si l'on observait très longtemps, deux menues figures tout au fond : Louis et Marie-Josèphe ! Puis la fillette laissait descendre le seau au bout de sa longue chaîne. Au moment où le seau touchait les figures, tout s'effaçait.
    « Ces choses intéressaient prodigieusement le petit garçon. Qu'est-ce que c'était que ces deux figures ? On aurait dit que c'était eux et ce n'était pas eux. Ils étaient à l'envers comme s'ils allaient tomber dans le ciel, mais ils n'y tombaient jamais. Puis le seau venait et il n'y avait plus rien. Alors Louis regardait en l'air, et le ciel n'était plus en bas, mais en haut comme toujours. Ainsi le petit garçon pensait. S'il de demandait à Marie-Josèphe, elle le traitait de « sot » mais ne savait rien expliquer.
    « Il y avait beaucoup de questions à poser, sur les bêtes, sur les plantes, sur les étoiles et la lune. Il interrogeait la maman. Celle-ci ne l'appelait pas « sot ». Elle hochait la tête et répondait :
    « – C'est le bon Dieu.
    « En prononçant ces mots elle devenait grave, et l'on aurait dit que sa figure se fermait. »
    Et voici Antoine chez Cockerill :
    « Il fut employé comme marteleur, c'est-à-dire qu'à l'aide d'une longue et lourde pince, il maintenait et tournait le lingot incandescent sur lequel descendaient par à-coups l'énorme pilon d'acier. Le bloc chauffé à blanc devenait rose, puis rouge. Les contacts de la pince y marquaient des taches sombres, aussitôt effacées, et le pilon en faisait jaillir constamment des étincelles blanches, vertes et bleues. Cela éblouissait les yeux et brûlait le visage. Nus jusqu'à la ceinture, les marteleurs attentifs commandaient de la voix la manœuvre du pilon. Et peu à peu, sous les coups assénés d'en haut, le bloc tout d'abord si dur se faisait malléable. Comme s'il avait été un être vivant, il obéissait, il changeait de forme. C'est le feu tout-puissant qui amollit la dureté du métal. L'humble marteleur admirait cette puissance du feu.
    « Longuement, tandis qu'il surveillait le lingot, assourdi par le bruit du marteau-pilon, attentif à ramener la masse de métal à l'aide de ses tenailles, à l'empêcher d'échapper au marteau salutaire, il réfléchissait que la vie humaine, elle aussi, est un chose qui doit être redressée, maintenue à force d'attention, de clairvoyance. Mais maintenir suffit pas... Quel est le feu qui agit sur l'homme, qui défait en lui la rigidité du mal, qui permet à la vie mal formée de se refondre et de guérir ? Il sentait en lui ce désir et cette puissance d'agir, ce feu qui défait le mal, mais il n'aurait su dire quelle en était la source et qui l'avait allumé. »
    Parmi les épisodes les plus touchants et suggérés avec le plus de délicatesse, on retiendra celui au cours duquel Antoine s'unit à Catherine Collon, qui sera plus tard la Mère du culte :
    « Ils s'assirent sur un talus, au bord des labours. L'herbe n'était pas mouillée, vraiment, et la terre était à peine humide, douce à toucher. D'ici l'on pouvait voir toute la vallée, et en face les hauteurs et les bois. Déjà le crépuscule s'approchait, montant de partout, descendant aussi du ciel proche, ou couraient des nuages mous et mobiles.
    « Dans le soir qui tombait, connaissaient-ils encore leurs visages ? Mais il importait peu de voir. Quand l'homme écrasa les lèvres de la jeune fille, elle eut un sourd gémissement, et se laissa aller sur l'herbe. L'homme sentait sous lui ce corps de fille, doux et indistinct, qui se débattait à peine, et l'environnait de chaleur et d'ombre...
    « Beaucoup plus tard, ils redescendirent le chemin.
    « Entourée de son bras, elle lui abandonnait son poids charnel, dont il avait désormais la charge en ce monde ».
    L'œuvre offre à tous un intense intérêt, bien souvent pathétique. S'inspirant de notre contrée, animant notre population ouvrière d'autrefois, relatant la belle, la bonne et curieuse vie d'Antoine le Guérisseur que nous avons connu, écrite en outre par l'un des nôtres, elle s'impose à l'attention – puis à l'admiration de tous les Liégeois. Autre référence : elle est refusée par notre Ministère des Beaux-Arts, service des Bibliothèques, où l'on n'accueille généralement que poncifs et rebuts.

                                                                                                     Maurice MARCINEL

La Wallonie, 4 avril 1936 (source : Belgicapress)

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Louis Antoine au fond de la mine (Le Peuple, 20 janvier 1936)(Belgicapress)

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Louis Antoine au fond de la mine (Le Peuple, 20 janvier 1936)(Belgicapress)

Louis Antoine au fond de la mine
Episode de la vie d’Antoine le Guérisseur

    Robert Vivier publie, ces jours-ci, aux Editions Grasset, à Paris, une vie romancée du Père Antoine, présentée sous le titre : « Délivrez-nous du mal ».
    De ce livre étonnant de vérité par son affabulation même, nous détachons ce passage qui nous montre le jeune Louis Antoine travaillant au fond d'un charbonnage, au pays de Liége.

*
*     *

    C'était un étrange monde que la mine. On y était entre hommes, et souvent seul, en tête à tête avec le travail, peut-être avec le danger, – car savait-on jamais ce qui pourrait arriver dans cette nuit étouffante et chaude, au bout des galeries basses, tournantes, que peuplait le bruit actif et angoissé des pics et où dansait de-ci de-là la flamme d'une lanterne ?
    En ce temps-là, les mineurs s'éclairaient de chandelles de suif, « chandelles à la graisse », comme on disait dans le pays. Seule compagne de l'ouvrier, faible souvenir du jour, de la lumière rayonnante d'en haut, la lamponette éclairait vaguement les épaisseurs noires, faisait jaillir de l'ombre un rail, un bout de solive, une aspérité des parois ténébreuses. Un courant d'air pouvait l'éteindre, et l'on se trouverait tout à fait seul, guettant le signe humain du pic dans la taille voisine. Et il y avait aussi les gaz, forces sournoises qui guettaient la flamme sous le verre poissé de la lampe.
    Louis fut d'abord un « gamin », qui aidait son père et son frère Eloi, emmenant les pierres du déblai, apportant les bois d'étayage, puis un « hiercheur » poussant la benne pleine et ramenant en sifflant la benne vide. Il y avait d'autres gamins, de plus jeunes même, car à l'époque il n'était pas rare qu'on truquât l'état-civil pour que des garçons de dix ans descendissent à la mine comme s'ils en avaient eu douze. A la pause, quand on se rassemblait à un carrefour de galeries pour casser la croûte, les gamins se tenaient ensemble et écoutaient les adultes parler du travail, rappeler quelque accident d'autrefois, ou bien faire allusion à des choses d'en haut, très lointaines : le jardin, la santé des enfants, une histoire de jeu de cartes ou de cabaret. Parfois les petits se faisaient des farces et se battaient. Mais la plupart du temps ils étaient trop fatigués et il s'agissait de profiter du repos, parce que le porion allait venir et crier en frappant dans ses mains :
    – Allons, les hommes !
    Quand la cage remontait les mineurs après la journée, il était étonnant de retrouver l'air pur, le ciel immense, les maisons, l'herbe. Quelle douceur dans les soirs de la fin de l'été... On sentait sa fatigue en soi, elle vous faisait comprendre l'existence du corps. Tandis que les mineurs rentraient au village, c'était la fatigue qui leur donnait ce pas régulier, ce balancement, et qui continuait à les unir, les mettant à part des gens qu'ils croisaient. Bien plus que leurs sarraux, leurs chapeaux de cuir et leurs figures noires où brillaient les yeux, c'était cette lassitude, ce poids des membres, qui les faisaient ceux de dessous la terre, ceux pour qui le mouvement de l'outil au bout du bras est la seule étincelle de vie au long des heures sans couleur. A côté d'un tel sort, n'est-ce pas une bénédiction que de passer ses journées sous le ciel du bon Dieu, comme le charron, le laboureur, les maçons, le cantonnier ou les rouliers qui conduisent des chariots sur les routes, assis sur le timon, le fouet à l'épaule ? Pour tous ces gens-là il y a du beau temps et de la pluie, il y a des oiseaux dans les arbres, un chat sur un seuil.
    Louis faisait courageusement sa besogne, comme les autres, mieux que les autres peut-être. Il éprouvait cette fierté spéciale du mineur, qui lui vient de savoir que nul au monde n'a un métier aussi dur que le sien, et que pourtant il s'en tire, qu'il recommence chaque jour.
    Cependant le garçon grandissait. Il avait maintenant de larges épaules, un air d'homme, et le travail lui donnait des muscles solides comme des cordes. Il était devenu « haveur », c'est-à-dire qu'il taillait la veine. Couché sur le côté, s'appuyant sur le coude et la hanche, il détachait de la pointe du pic des blocs de houille. C'était un travail difficile, parce que l'espace manquait pour l'élan du bras. Le charbon détaché roulait le long de son corps, et il le repoussait du genou et du pied vers le bas de la taille. Ainsi pendant des heures. La bouche remplie de poussière de charbon qu'il devait cracher, ayant soif, le torse ruisselant, il haletait dans cet air moite où les narines s'inquiétaient de humer l'odeur du gaz. Pour toute compagnie la petite lampe, calée à côté de soi et qu'il fallait déplacer quand le travail avançait, – et puis un peu plus loin, en bas et en haut, lorsqu'on s'arrêtait pour souffler, le tapotement assourdi des pics des autres hommes de l'équipe. Il ne fallait pas souffler longtemps, parce que l'ingénieur voulait ses dix mètres d'avancement, minimum, et coûte que coûte le nombre de chariots devait être atteint. Au moindre arrêt dans le havage, les bennes vides s'accumulaient dans la galerie.
    Si bien qu'il arriva un jour où le jeune homme se demanda : « Est-ce une vie, cela ? » Il y a comme cela des idées qu'on n'a jamais eues, mais qui, lorsqu'elles vous sont venues une fois, ne s'en vont plus. N'y avait-il pas mieux à faire pour lui que de ramper et souffrir sous la terre, écouter si la roche ne bouge pas, s'il n'y a pas de craquements dans le bois ! Il aurait été bon de continuer à s'instruire : celui qui sait s'élève dans le monde, il rend service à tous et arrive à donner aux siens plus de bonheur. Mais à présent il partait avant le jour, rentrait à la nuit (en hiver, bien après la nuit close), et, une fois à la maison, après s'être lavé des pieds à la tête et avoir mangé, il n'avait plus le courage de lire une ligne. Il oubliait même ce qu'il avait appris à l'école.
    Depuis deux ans il travaillait à la mine, et qu'est-ce qu'il n'avait devant lui sinon de continuer jusqu'à ce qu'il ne fût plus bon à rien ? Il commençait la vie, et c'était comme si elle eût été près d'être finie. Il avait déjà telles manières des vieux ouvriers : chiquer (une habitude qu'on prend parce qu'il est défendu de fumer dans la taille, à cause du gaz), cracher de côté, remonter des deux mains la culotte sans bretelles. Les autres mineurs de son âge étaient fiers de prendre de telles manières, qui faisaient d'eux des hommes. Ils aimaient aussi jurer, à blasphémer, comme des adultes à « dire des crasses ». C'était parce qu'ils n'imaginaient même pas un autre sort. Mais lui ne pouvait se contenter à si bon compte. Il comprenait que ce n'était pas là la vie qu'il lui fallait. Tout change. Les fils ne sont pas les pères. Et si même son frère Eloi allait à la mine, ainsi que son parrain Louis Thiry, est-ce que Jean-Joseph y alla lui ? Louis n'était pas pire que Jean-Joseph.
    Un de ses camarades de Mons travaillait à Seraing chez Cockerill. Il le rencontra un dimanche. Ils allèrent boire « une goutte » ensemble au cabaret de la Nanette, près de l'église. Et là, dans un coin, tandis que les habitués du dimanche jouaient aux cartes, l'ami lui parla longuement de son travail à l'atelier de chaudronnerie. Naturellement il y avait la route à faire, une heure et demie deux fois par jour, et le soir en remontant. Cela pouvait être dur, surtout l'hiver, par mauvais temps. Mais tout de même c'était une besogne d'hommes, on voyait le soleil et la figure des gens. On ne pouvait pas comparer cela à la mine.
    Le soleil du dimanche (le seul que Louis vit jamais) se glissait par la petite fenêtre sur le dallage du cabaret. Un pinson sautillait mélancoliquement dans sa cage. On le distinguait à peine derrière les barreaux, car la cage était toute petite. L'oiseau s'agitait là-dedans et s'agiterait jusqu'à la mort sans rien avoir d'autre, comme Louis Antoine s'il continuait à descendre à la houillère. Et comme on lui avait crevé les yeux, suivant la coutume, pour qu'il pût mieux chanter, il était lui aussi privé de lumière, comme les mineurs.
    Quand Louis rentra à la maison, Tatène était seule, à peler des pommes de terre. De temps en temps, une grosse pomme en tombant faisait sonner le fond du seau. Alentour, c'était le silence des fins de dimanche. Un accordéon jouait. On avait le cœur doux et triste. Le dimanche, le court dimanche, allait finir. Antoine s'était assis sur une chaise de paille. Il faisait déjà sombre dans la cuisine.
    – Qu'avez-vous, notre Louis ? dit la mère. Vous ne racontez rien.
    C'est alors qu'il se décida.
    – J'étouffe dans la mine, maman. Je ne veux plus y aller.
     Bien-aimé Seigneur, que dites-vous là, mn'éfant ?
    Elle s'était arrêtée et le regardait.
    C'était Louis, son préféré. Elle se souvint qu'elle avait rêvé pour lui une autre vie que les autres, parce que c'était son dernier. Et maintenant voilà qu'il voulait partir, sans doute à cause de ce rêve qu'elle avait fait pour lui. Mais elle était sage et prudente. Tatène, – la vie lui avait appris à être prudente. Combien gagnait-on, là-bas, à Cockerill ? Elle supputait tout : et les gros salaires de la mine, et le fait qu'ici il travaillait avec son père et son frère, tandis que là c'était loin, dans un autre village. Tout était à considérer.
    Le jeune homme aussi hésitait. Il est toujours difficile de changer, d'inventer sa vie. Ici il y avait les habitudes, tout un arrangement qui vous menait : on n'avait qu'à se laisser conduire. C'était dur, certes, mais le pli était pris.
    Il alla se coucher, et le lendemain il se leva et alla à la mine comme de coutume.
    Il travaillait seul dans une taille fort étroite. Son père et son frère étaient un peu plus loin. Il entendait leurs coups de pic, mais ne voyait pas leurs lampes. Tout en creusant, il songeait. L'idée de Cockerill ne le quittait pas. Une idée, c'est fort : cela chemine en vous. Il voyait la longue route pierreuse qui descend à Seraing par Hollogne et Jemeppe, le pont sur la Meuse, les grands ateliers de Cockerill, toujours retentissants du bruit des métaux, comme une ville immense. Ce monde étranger l'attirait. Mais les yeux de Tatène étaient sur son cœur, et il se sentait retenu comme si l'inquiétude de sa mère avait été logée dans sa poitrine ainsi qu'un vrai poids. Il s'arrêta de frapper et se recueillit élevant sa pensée à Dieu comme il ne l'avait jamais fait jusque-là, – non plus avec les mots d'une prière, mais dans une interrogation muette et anxieuse comme si Dieu allait lui dire, ici même au fond de la terre où il était si seul, ce qu'il avait à faire en toute certitude.
    Brusquement, sans qu'il y eût eu le moindre courant d'air, sa lampe à côté de lui s'éteignit, et il se trouva dans l'obscurité complète.
    En même temps il eut une impression extraordinaire, comme si c'était à travers son corps que le courant d'air eût passé.
    Cette lampe, éteinte au moment précis où il demandait, c'était un mot, une réponse. La compagne du mineur, à sa manière de lampe, venait de dire : « Non ».
    Il y eut une lumière, deux lumières. La voix de Martin haletait :
    – Qu'y a-t-il donc, Louis ?
    Les autres étaient là, avertis on ne sait comment. Ils s'étonnaient. Ils ne comprenaient pas pourquoi seule la lampe de Louis s'était éteinte. Il n'y avait pas de gaz pourtant... Chacun avait l'impression qu'il venait de se passer quelque chose d'étrange.
    – Père, dit Louis, cela veut dire que je ne dois plus descendre à la mine.
    Et il raconta tout : son désir, son incertitude, sa prière et puis tout à coup, sans cause apparente, cette lampe qui s'éteint.
    – Il doit y avoir une raison à cela. Les choses ne viennent pas ainsi, sans raison.
    Ce fut le père qui raconta l'histoire à la maison, le soir. Tout le monde fut d'accord : Louis ne devait plus descendre à la mine. D'ailleurs, l'un de ses frères, déjà, n'avait pas pris le métier du père... Que savons-nous, petits hommes ? Il y a des signes contre lesquels il vaut mieux ne pas aller.
    Louis ne mit plus le pied sur les marches de fer qui montaient à la « recette ». Il n'alla plus prendre sa lampe à la lampisterie, tandis que la cloche appelle les hommes à la descente. Il ne s'accroupit plus dans la cage qui se met à glisser vers le fond même de la terre, il ne suivit plus le long des « bouveaux » étouffants, la file des dos voûtés qu'éclairent vaguement les lampes balancées. Il n'entendit plus, pendant des heures, des pics frapper, la houille s'effondrer et les hommes souffler et gémir. Mais il n'oublia jamais tout cela.

Le Peuple, 20 janvier 1936 (source : Belgicapress)

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Délivrez-nous du mal - Une vie d'Antoine le Guérisseur, par Robert Vivier (La Nation Belge, 5 février 1936)(Belgicapress)

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Délivrez-nous du mal - Une vie d'Antoine le Guérisseur, par Robert Vivier (La Nation Belge, 5 février 1936)(Belgicapress)DELIVREZ-NOUS DU MAL

Une vie d’Antoine le Guérisseur, par Robert Vivier

    M. Robert Vivier est parmi nos romanciers l'un de ceux qui attirent le plus l'attention. Après Non. son roman de début, Folle qui s'ennuie lui valut le prix Albert. Après qu'il eut failli avoir le prix du populisme.
    Malgré le prix dont se recommande cet « isme » nous nous demandons si ce dernier est viable ? En tant, bien entendu, que genre délimité, classé. Cette étiquette qu'on a mise un peu arbitrairement, à la suite d'un de ces engouements subits comme il y en aurait tant à classer dans une Histoire des Caprices Littéraires si quelqu'un s'avisait de l'écrire un jour, est en train de pâlir... Car si le « populisme » est vieux comme le roman lui-même, dès lors qu'ayant laissé les milieux aristocratiques et grand bourgeois il s'est occupé des humbles gens, on ne le voit pas comme un compartiment bien défini, étanche, évoluant en vase clos tirant tout de lui, ramenant tout à lui, n'ayant d'autre fin que lui. Il amènerait forcément un rétrécissement du champ visuel de l'écrivain, lui faisant négliger l'homme pour un homme déterminé, limité par des frontières sociales comme le héros du roman régionaliste est borné par les frontières de sa petite, trop petite patrie. Or, ayant eu l'occasion dernièrement, à propos d'Hubert Krains, d'aborder la querelle du régionalisme nous repoussâmes pour notre auteur la qualification de régionaliste dans le sens péjoratif qu'on y attache le plus souvent. Car pour être régionaux au sens purement géographique, ces romans n'en sont pas moins largement humains. On pourrait même dire que presque tous les romans sont régionalistes alors qu'il en est bien peu qui du milieu, du décor, des actes et des mobiles qui commandent les actes, s'élèvent à l'homme. C'est celui-ci, cette image de nous-mêmes que nous cherchons en fin de compte. Il nous est assez indifférent, après tout, de le trouver dans notre classe ou dans notre habitat. Pourvu que nous le trouvions.
    Nous avons lieu de croire cependant qu'avec Folle qui s'ennuie M. Robert Vivier avait bien voulu faire un roman populiste. Qu'ayant été assez adroit pour cacher ce qu'il y avait dans le choix de son sujet et de ses personnages de systématique, ayant montré assez d'art pour masquer derrière son œuvre son intention, nous n'avions point à le quereller là-dessus. Ceci pour dire que nous le querellerons encore moins à propos de son nouveau roman : Délivres-nous du mal, qui paraît chez Grasset. Cependant c'est M. Andre Thérive qui passe pour le chef de l'école du populisme et qui, après avoir lui-même mis en scène dans un de ses romans, Sans Ame, un milieu d'Antoinistes français, suggéra à M. Robert Vivier d'écrire la vie du Père Antoine qui forme le sujet du présent livre. « Comme cet humble avait grand cœur, explique l'auteur lui-même, il voua son temps et ses forces à ceux qui avaient besoin de lui. Le problème de la souffrance, tant physique que morale, l'amena à remettre tout l'univers en question. » Tout l'univers en question ! Ah ! sommes-nous loin de ces piètres limites où nous enferme un genre littéraire, ou une altitude d'esprit, un goût, un caprice. Aussi nous avons dit assez là-dessus. Et nous n'avons plus qu'à admirer avec quelle pénétration psychologique aiguë, avec quel don de l'introspection, avec quel art de l'analyse Robert Vivier reconstitue un Antoine le Guérisseur qui n'est peut-être pas dans chaque détail la reproduction fidèle de son modèle, mais qui pose avec une lucidité parfaite et une sympathie aussi, faute de laquelle un roman ne saurait vivre, la question si passionnante du thaumaturge et de la thaumaturgie.
    Comme le savant et le sociologue le romancier peut se pencher sur certains phénomènes avec cette objectivité qui réclame même ses droits dans ce que nous pensons être le domaine de la déraison. Il les étudie par le dedans et il arrive ainsi à fournir l'explication pour ne pas dire la justification de faits qui confondent le bon sens. Terrain fécond en ce que nous sommes en plein mystère, aux confins où l'intelligence s'irrite de ne plus rien comprendre mais vers où nous attire un instinct profond. Nous devons bien l'avouer, la science dont nous étions si sûrs voici vingt ans, a subi bien des assauts. Les théories les plus éprouvées pour ne parler que de la microbienne en dernière instance, se sont vu infliger des démentis cinglants et ont été remplacés par des thèses diamétralement opposées. Et comme il n'y a rien de nouveau sous le soleil, aux yeux des sceptiques la science fait aujourd'hui figure d'une mode où repassent toujours les mêmes modèles. Et pas plus tard qu'hier, un de nos amis médecins nous avouait sans ambages que la médecine était la chose au monde à laquelle il croyait le moins, assuré d'autre part que la divination des thaumaturges et des rebouteux était plus près du secret des guérisons que toute la science du professeur le plus réputé...
    Mais laissons ce paradoxe malgré la part de vérité qu'il pourrait contenir et tenons-nous en au livre de M. Vivier. Il l'a divisé en trois parties : L'Histoire d'un homme, Le Don de Guérir et Le Père dans son Temple dont la première nous a paru la plus intéressante. Pour la raison qu'elle tient exclusivement du roman sans aucun mélange clinique. Nous oserions presque dire, y dût-on voir un démenti de ce que nous affirmions plus haut, pour sa saveur « populiste ». Avec une justesse dans la description, une minutie dans le détail dont aucun cependant ne paraît importun et qui nous confondent, l'auteur étudie l'éclosion et la formation de son personnage dans le milieu où il est appelé à récolter ses adhérents, à fonder ce qu'on a appelé son église. Milieu de mineurs dans la banlieue de Liége que M. Vivier dessine, si on peut dire, d'un crayon sûr, sans rien omettre, mais sans aucune de ces lourdes surcharges dont un naturalisme agressif ne nous eut pas fait grâce. « – Allez jouer, il fait si beau », disait sa maman au petit Louis Antoine. « Car les mères wallonnes disent vous à leurs enfants. C'est comme une caresse timide », observe l'auteur. Le petit Louis interrogeait sur tout et sa mère répondait : « C'est le bon Dieu. Ainsi l'enfant grandit dans une atmosphère à la fois enjouée et grave. Ecolier, il apprenait avec une étonnante facilité. Il écoutait avec avidité l'instituteur vanter la science et combattre la superstition, cependant que l'oncle Eloi, évoquant son grand-oncle à lui, mort à cent sept ans, affirmait avec solennité qu'il n'y aurait plus jamais de centenaires à Mons-Crotteux ni à Flémalle parce qu'il y avait trop d'inventions et trop de médecins. Au sortir de l'école, Louis descend à la mine. Quand il y a tant d'autres métiers à la face du ciel ! Comme si le ciel répondait à son interrogation muette sa lampe s'éteint... Devenu chaudronnier la conscription l'appelle. Il n'est pas fâché de voir du pays, étant envoyé en garnison à Bruges. L'aumônier lui reproche seulement de trop aimer les livres. Rappelé sous les armes pendant la guerre de 70, au cours d'un exercice, son fusil s'étant trouvé chargé par une fatalité inexplicable, il tue un compagnon. C'est l'épreuve qui, toute sa vie, pèsera sur lui. Son idylle avec Catherine, son mariage. Son départ pour l'Allemagne où il y a pénurie de bons ouvriers, puis pour la Russie. Mais les faits, menus faits quotidiens interrompus par un drame, ne valent que par leur réaction sur cette nature renfermée et réfléchie, honnête et droite, « qui ne blâmait point autrui, comprenant que chacun avait son goût et s'amusât à sa manière ». Et déjà le troublait la prescience d'un étrange pouvoir qui lui faisait refuser par honnêteté, de jouer aux cartes avec ses camarades. « Car il ne tenait pas à profiter du gain d'autrui. L'argent c'est le travail et nul n'en a de trop. »
    Jusqu'ici, tout le monde peut donner son adhésion non seulement à l'homme mais à sa beauté morale. Dès que nous abordons la seconde partie du livre, cette sympathie se rétracte et n'est plus que de la curiosité. Non point qu'on doute de la sincérité d'Antoine. Mais notre scepticisme a trop beau jeu devant la puérilité et le côté ridicule des séances de tables tournantes et de spiritisme assez grossier ou verse maintenant notre héros. Que telle ait été la voie où Antoine trouva enfin la révélation de lui-même est historiquement possible. La mort de son fils, mystère devant lequel la science montre une lamentable carence, par le contre-coup qu'elle provoqua au plus profond de lui, y aida d'ailleurs considérablement. Mais nous nous en excusons auprès de l'auteur, autant nous sommes saisis par la puissance de guérir qui, à certaine séance, se manifeste chez Antoine et qui nous donne vraiment la sensation du mystère, autant les pratiques spirites nous apparaissent vides et pauvres et nous leur refusons notre audience tout net. D'où certain malaise provoqué par la dualité qu'il n'était pas possible à l'auteur d'écarter dès lors qu'il « romançait » véritablement la vie d'Antoine et qui déforce ce qu'il y a dans le personnage de pathétique et de bouleversant. Par exemple à force d'art et porté comme par le fluide même que répandait le thaumaturge, le romancier retrouvera dans la troisième partie et, surtout, dans la fin de son livre, cette sérénité où Antoine, dégagé de ses propres contingences, rejoint enfin ce degré de sublimation où le voient ses fidèles. Il y a dans ces pages un accent d'autant plus émouvant, un climat dont le paroxysme se maintient avec d'autant plus d'aisance, que l'auteur ne cesse d'user des moyens les plus simples. M. Robert Vivier possède le don du lyrisme intérieur. Le don essentiel du romancier.

                                         Charles BERNARD.

La Nation Belge, 5 février 1936 (source : Belgicapress)

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Robert Vivier (Commune, revue de l'AEAR, 1er jan 1936)

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Robert Vivier (Commune, revue de l'Ass.des écrivains et des artistes révolutionnaires, 1er jan 1936)

DÉLIVREZ-NOUS DU MAL (Antoine le Guérisseur), par Robert Vivier (Grasset).

    Pour ceux – et je pense qu'ils sont nombreux qui sont peu ou aucunement initiés à l'antoinisme, l'ouvrage de M. Robert Vivier apportera les notions complémentaires nécessaires et leur apprendra avec profit ce qu'est ce culte antoiniste, véritable religion en marge du catholicisme, comment il fut créé, quelles en furent les origines et quelle fut surtout la personnalité de son fondateur, ce Louis Antoine, surnommé par la suite le Guérisseur.
    Ouvrier belge, des environs de Liége, Antoine se servit de son fluide, de son pouvoir magnétique pour guérir certains malades et fonder une secte religieuse basée uniquement sur la guérison des maux. Il réussit à acquérir un nombre suffisant d'adeptes pour construire un Temple. Il y en a aujourd'hui quarante, dont deux à Paris. Le processus par lequel passa Antoine au cours de son existence nous est relaté fort bien par M. Vivier. Conçu sous forme de vie romancée, l'ouvrage se lit avec facilité.
    On pourrait seulement reprocher à l'auteur de n'avoir pas su – ou pas voulu – prendre parti. Cette vie d'Antoine, il nous la raconte en effet sans commentaire aucun, sans que l'auteur intervienne en quelque façon au cours du récit. A aucun endroit, on ne trouve trace de quelque scepticisme, d'ironie voilée, d'objections à certains faits, de réserves plus ou moins justifiées. Par exemple, M. Vivier nous rend compte de la séance de spiritisme au cours de laquelle le guéridon s'agite et où des voix se font entendre sans qu'il exprime le moindre doute sur la réalité de l'expérience. Plus tard, il n'essayera pas d'entrer dans la pensée d'Antoine. Nous ne connaissons le héros du livre que par l'extérieur, c'est-à-dire par ses faits et gestes, mais son état d'âme intérieur nous reste complètement étranger. Antoine était-il aussi convaincu, sincère, désintéressé qu'on veut bien nous le montrer ? A la fin de sa vie, devenu grand-prêtre d'une nouvelle Eglise, il avait bâti un temple où se pressait la masse des fidèles et recueillait des oboles. Tout cela n'est pas sans amener quelques réserves, je veux dire sans que nous mettions en doute la pureté du « saint ». On eut admis de la part de M. Vivier moins d'objectivité envers la figure dont il retraçait la vie.
    Enfin mais là l'auteur n'est plus en cause on regrette que la question sociale ne se soit posée à Antoine, ancien ouvrier de la mine, à aucun moment. On en vient à penser que voilà une vie presque aussi inutile que d'autres, puisqu'elle ne fut qu'au service de quelques-uns et non de l'humanité entière, puisque de la bouche d'Antoine n'est sortie aucune parole pour flétrir la société capitaliste, les possédants, cette minorité qui gouverne le monde et tient sous sa férule la masse de ceux qui travaillent et produisent. Avec le pouvoir que possédait Antoine, peut-être eût-ce été à guérir le monde, et non une poignée de malades, qu'il eût travaillé.

                                                                              Manuel LELIS.

Commune, revue de l'AEAR, 1er janvier 1936

    Organe officiel de l'AEAR (Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires), la revue Commune — proche également du Parti communiste français — tenta de définir ce que pouvaient être, en France, la culture et la littérature prolétariennes.

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Robert Viviert - Délivrez-nous du mal (L'Astrosophie, mai 1936)

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Robert Viviert - Délivrez-nous du mal (L'Astrosophie, mai 1936)

Délivrez-nous du Mal
Robert VIVIER
(Editions Bernard Grasset, Paris - 18 francs)

    Ce livre est une biographie du Père Antoine le Guérisseur, fondateur du culte des Antoinistes, une branche du mouvement spirite. Tout honneur à l'auteur ! Il avait une tâche ingrate : décrire une vie à la fois simple et remarquable, en gardant le ton naturel et pourtant en faisant valoir des pouvoirs presque miraculeux qui se sont développés dans un pauvre ouvrier par les méthodes spirites. Il ne sied pas ici de discuter les méthodes Antoinistes, l'hypothèse spirite, ni la nature de la guérison spirituelle. Les faits parlent. Dans son traitement du Père Antoine, écrit comme un roman de grande envergure, M. Vivier nous a montré que la bonté simple et la beauté d'esprit suffisent à rendre un être digne de devenir un messager du Guérisseur de Nazareth. Plus de 300.000 Belges et Français suivent, de nos jours, l'enseignement simple et spirituel du Père Antoine.

L'Astrosophie, mai 1936

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Marcel Thiry - Robert Vivier et la rencontre d'autrui (1994)

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     Vivier a puisé dans la petite histoire contemporaine de sa terre wallonne le sujet de son grand roman, Délivrez-nous du mal, large monographie d'un ouvrier guérisseur et prophète, le Père Antoine, et de la secte antoiniste. Non seulement il y échappe au souci dominant de cette couleur locale qui avait été, pendant une génération dans son pays, la ressource des conteurs régionalistes, mais il parvient à transposer la langue de ses personnages de façon qu'ils parlent un français pur, tout en laissant entendre comme à l'arrière-plan l'intonation d'un terroir, tantôt par un vouvoiement un peu insolite, tantôt par telle construction toute correcte, mais plus familière au pays liégeois, surtout par ce don de faire reconnaître ou deviner une fidèle ressemblance, épurée, au langage des simples. Et c'est d'ailleurs de la même habilité à concilier le respect de la langue avec la vérité de la vie qu'usera Vivier quand il fera parler les soldats de la première guerre : son réalisme, plus réel que celui de Barbusse, ne prête à ses personnages aucun vocabulaire spécial qui aurait proliféré dans les tranchées ; mais quelque chose d'intimement adapté à leurs habitudes d'expression les fait entendre au naturel, en même temps qu'une discrète purification — où l'on sent un grand respect pour eux — exhausse insensiblement leurs propos jusqu'au mode du français le plus simplement classique.

Robert Vivier et la rencontre d'autrui par Marcel THIRY (p.180)

Bulletin de l'Académie royale de langue et de littérature françaises
Tome LXXII — Nos 1-2 (1994)

Source : https://www.arllfb.be/bulletin/bulletinsnumerises/bulletin_1994_lxxii_01_02.pdf

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Boekbespreking (Dietsche Warande en Belfort. Jaargang 1936)

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Boekbespreking
Robert, Vivier: Délivrez-nous du Mal, Antoine le Guérisseur. Bernard Grasset. Paris.

Een geromanceerde levensbeschrijving van onzen landgenoot Louis Antoine, stichter van het Antoïnisme, in de omstreken van Luik in 1845 geboren. Eerst mijnwerker zooals zijn vader, ging hij na zijn dienstplicht, werk zoeken in Polen en Duitschland, huwde, en vestigde zich in 1875 te Jemeppes. Hij was een goede Katholiek, alom geacht voor zijn goedheid en eerlijkheid. Doch in de jaren 80 leerde hij het spiritisme kennen, werd een vurig aanhanger van de nieuwe leer, en stichtte weldra een spiritische kring ‘les Vignerons du Seigneur’. Voortaan werd zijn leven gewijd aan het oproepen der geesten, maar vooral aan de genezing der zieken. Er scheen een kracht van hem uit te gaan, en weldra gingen heele drommen troost en gezondheid bij hem zoeken. Hij preekte nu ook een nieuwen godsdienst, zonderling mengsel van spiritisme en katholicisme, vooral gesteund op de liefde, en samengesteld uit enkele verheven gedachten, ongelooflijke kinderachtigheden. Hij werd als een profeet vereerd, niet alleen door arbeiders, maar zelfs door intellectueelen. Sedert zijn dood in 1912, wordt hij bijna vergoddelijkt. In 1922 telde de Antoinistengodsdienst 16 tempels in België; nu zijn er ingsgelijks te Parijs en in andere Fransche steden, duizenden aanhangers.
    Het boek van Robert Vivier, alhoewel een weinig lang, is interessant om lezen, want het beschrijft goed de persoonlijkheid van Louis Antoine, de langzame evolutie van zijn gedachte, en den verrassenden bijval van zijn leering. Het is daarbij goed geschreven.
    L.D. [Louisa Duykers]
Dietsche Warande en Belfort. Jaargang 1936 [p. 636]

source : https://www.dbnl.org/tekst/_die004193601_01/_die004193601_01_0095.php

Traduction :
Revue littéraire
Robert, Vivier : Délivrez-nous du Mal, Antoine le Guérisseur. Bernard Grasset. Paris.

Une biographie détaillée de notre compatriote Louis Antoine, fondateur de l'antoinisme, né dans la région liégeoise en 1845. D'abord mineur comme son père, après son service militaire, il est parti chercher du travail en Pologne et en Allemagne, s'est marié et s'est installé à Jemeppes en 1875. C'était un bon catholique, largement considéré pour sa bonté et son honnêteté. Mais dans les années 80, il fait connaissance avec le spiritisme, devient un ardent défenseur de la nouvelle doctrine et fonde bientôt un cercle spirituel "les Vignerons du Seigneur". Dès lors, sa vie est consacrée à l'évocation des esprits, mais surtout à la guérison des malades. Une force semblait émaner de lui, et bientôt une multitude de personnes commença à chercher chez lui le réconfort et la santé. Il prêche désormais une nouvelle religion, un mélange excentrique de spiritisme et de catholicisme, basé avant tout sur l'amour, et composé de quelques nobles pensées, d'une incroyable puérilité. Il était vénéré comme un prophète, non seulement par les ouvriers, mais aussi par les intellectuels. Depuis sa mort en 1912, il a été presque déifié. En 1922, la religion d'Antoine comptait 16 temples en Belgique ; aujourd'hui, des milliers d'adeptes sont présents à Paris et dans d'autres villes françaises.
    Le livre de Robert Vivier, bien qu'un peu long, est intéressant à lire, car il décrit bien la personnalité de Louis Antoine, la lente évolution de sa pensée, et le caractère surprenant de son enseignement. Il est par ailleurs bien écrit.
    L.D. [Louisa Duykers]
Dietsche Warande en Belfort. Année 1936 [p. 636]

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Antoine le Guérisseur (Le Jour, 9 février 1936)

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Antoine le Guérisseur (Le Jour, 9 février 1936)

Antoine le Guérisseur
UN PROPHÈTE AU PAYS DE LIÉGE

    Il ne faut pas confondre les antoinistes avec les antoniens. Les antoniens sont une secte fondée en Suisse, au début du dix-neuvième siècle, par un certain Antoine Unternoehrer, d'origine protestante. Cette secte ne pratique aucun culte et ne reconnait d'autre loi que la conscience individuelle. Les antoinistes sont les adeptes de Louis Antoine, ancien ouvrier du pays de Liége, né dans la confession catholique, devenu guérisseur et thaumaturge, et qui, après s'être livré à la pratique du spiritisme, prit figure de prophète dans les premières années de ce siècle. Le père Antoine, comme l'appelaient ses disciples, est mort en 1912. Les deux religions différentes portent également le nom d'Antoinisme.
    M. André Thérive, on s'en souvient, a décrit des milieux d'antoinistes français dans son roman « Sans Ame » (1), l'un des essais de psychologie populaire les plus profonds qui aient paru depuis la guerre.
    C'est encore M. Thérive qui persuada Robert Vivier d'écrire la Vie du père Antoine, qui vient de paraitre, sous ce titre « Délivrez-nous du Mal » (2).
    L'ouvrage n'est pas sans rappeler, littérairement, « La Vie d'un Simple », de Guillaumin. Il procède du même naturalisme honnête et se distingue par les mêmes vertus : soumission à l'objet, modestie du ton, émotion contenue et diffuse. Cet art scrupuleux fuit les lumières vives comme s'il pensait que, là où commence l'éclat, finit la sincérité. La grandeur du respect que l'auteur éprouve à l'égard des menus faits prête à chaque détail, en dehors de sa signification propre, une sorte d'orgueil d'humilité.
    Le danger de cette manière, c'est que le gris sur gris accable à la longue. A cela l'écrivain répondra : « Mon sujet est tel lui-même ». Ce sont, en effet, les destins asservis, les milieux pauvres et résignés, que cette esthétique un peu dolente, un peu morne choisit de préférence pour thème à ses peintures.
    Notez cependant qu'ici une lueur couve dans les fumées et les poussières du charbon : aux enfances sages et pieuses d'Antoine, à son apprentissage dans la mine, à son temps de caserne, à son mariage avec Catherine, à l'époque de ses voyages et de ses métiers divers (ouvrier métallurgiste, concierge, encaisseur, marchand de légumes) succèdent les années qu'on peut appeler sacerdotales.
    L'un des rares mérites de cette étude réside précisément dans la sûreté avec laquelle l'auteur nous fait passer par degrés insensibles de la période effacée à la période illuminée. Les tableaux réalistes de la campagne wallonne, les traits de mœurs empruntés à la vie des petites gens s'entrelacent à l'histoire toute intérieure d'une vocation religieuse, puis à celle, non moins étrange, d'une prédication et de la formation d'une secte.
    L'antoinisme réunit aujourd'hui une foule d'adeptes que d'aucuns, qui exagèrent peut-être un peu, évaluent au nombre de 300.000. La religion compte, en Belgique, une quarantaine de temples. Il y a deux temples antoinistes à Paris. On en trouve encore à Vichy, à Nice, à Monaco, à Tours, à Nantes, à Lyon, à Valenciennes.
    Si l'on met de côté certains caractères extérieurs qui lui sont particuliers (liturgie, cérémonial, costume des desservants, calendrier des fêtes, etc.), l'antoinisme présente, au fond, des analogies curieuses avec la christian science, voire avec les méthodes du pharmacien Coué. Ici et là, même principe : celui de la « guérison par l'esprit », comme dit Stéfan Zweig.
    Mais ce qu'il y a d'émouvant dans l'antoinisme, c'est l'humilité de ses origines. Il a pris source dans la conscience pure d'un simple, et de là s'est élevé, je n'ose pas dire avec prétention, mais avec une confiance naïve, jusqu'à devenir un corps de doctrine.
    C'est le mouvement inverse des religions établies. Celles-ci se penchent du haut de la chaire sur leurs ouailles. L'organisation séculaire du culte, sa grandeur, sa gloire, ne sont pas, quelquefois, sans mettre une distance énorme entre l'officiant et les fidèles, entre le consolateur et les affligés, Alors, au sein même du troupeau, Il arrive qu'un nouveau prophète se lève, il parle à ses frères de plain-pied, confondu qu'il est dans leurs rangs pressés, dans l'odeur âcre et sainte d'une sueur commune, et les malheureux l'écoutent, et l'hérésie fleurit.

                                                          François PORCHÉ.

(1) et (2) Grasset, éditeur.

 

Le Jour, 9 février 1936

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