Temple Antoiniste de Jemeppe (FB Belgicana)
Le 1er temple antoiniste, à Jemeppe sur Meuse...
source: FaceBook Belgicana
Le 1er temple antoiniste, à Jemeppe sur Meuse...
source: FaceBook Belgicana
Sur mon bureau deux livres voisinent. L'un s'intitule : « Antoine le Guérisseur et l'antoinisme, d'après des documents inédits », par Pierre Debouxhtay (lib. Fernand Gothier, à Liége) : c'est l'étude très fouillée d'un phénomène religieux qui, dans la Belgique d'il y a trente ans, fit grand bruit, et dont vingt-sept temples en Belgique, quinze en France, attestent le rayonnement. L'autre a pour titre : « La physionomie d'une voyante » ; il est signé Jean des Rochères (éditions du Foyer, à Paris). La « voyante », c'est sainte Bernadette : Jean des Rochères dessine avec amour la mystique figure ; et tout en même temps sa dialectique très précise déduit, du portrait même qu'il nous donne, certaines conséquences apologétiques. Si vous songer à ce que fut Bernadette, si vous vous rappelez la ténacité avec laquelle les partisans de l'antoinisme fermèrent leurs oreilles aux condamnations prononcées par l'Eglise, et si vous réfléchissez que l'un et l'autre thème nous mettent en contact avec la notion de miracle, vous constaterez sans doute que le hasard qui sous mes yeux les juxtapose ne laissent pas d'être suggestif. Une lumière fit jaillir du rapprochement de ces deux livres, comme de certaines suggestions d'idées.
En fait, rien n'est plus intéressant comme confrontation entre le chapitre de M. Pierre Debouxhtay sur les « guérisons et autres faits paranormaux » attestés par les historiens de l’antoinisme, et le chapitre de M. Jean des Rochères, qui a pour titre : La valeur apologétique des miracles de Lourdes ».
Deux religions sont en présence : la chrétienne et l'antoiniste. Deux catégories de guérisons « curieuses et instantanées » – pour reprendre les mots de la revue spirite de Liége : « Messager » – se présentent à notre étude. La religion antoiniste, d'après M. Debouxhtay, considéra longtemps que le recours au contrôle de la science « constituerait un obstacle à la foi », – à cette foi qui chez les patients est nécessaire pour conquérir la guérison. Un jour pourtant, nous dit-il, « les antoinistes se décidèrent à faire constater certaines guérisons « miraculeuses ». C'était en 1910, lorsqu'ils s'efforcèrent d'obtenir pour leur culte la reconnaissance légale. A la requête adressée au Ministre, les adeptes joignirent des certificats, dont quelques-uns contrôlés par les médecins eux-mêmes. En quoi consistait ce contrôle des médecins ? Il nous est malheureusement impossible de le dire, ces certificats n'ayant pas été conservés dans les archives du ministère. L'abbé Bourguet, curé de Saint-Antoine, à Liége, dont le presbytère était voisin du temple antoiniste de Hors-Château, pouvait d'autre part écrire, dans la brochure qu'il publiait vers la fin de la Grande Guerre : « On ne saurait trop le dire : il n'existe aucun cas de guérison bien caractérisée d'une maladie organique à l'actif de Louis Antoine » ; et M. Debouxhtay, tout en ajoutant très loyalement la liste des guérisons, telle qu'elle fut publiée dans les diverses livraisons du périodique antoiniste l'« Unitif » entre 1911 et 1914, croit devoir mettre en relief cette remarque de M. l'abbé Bourguet. Se tournant vers Lourdes, M. Debouxhtay aperçoit à côté de la Grotte, « un bureau de constatation où des savants compétents peuvent soumettre à un examen minutieux les malades, avant et après la guérison » ; il observe qu'à Jemeppe, où le Père Antoine exerçait son office de guérisseur, un tel bureau n'existait pas.
Il y a sur le bureau de Lourdes dans le livre de M. Jean des Rochères, quelques lignes bien significatives de M le chanoine Bertrin : « Le Bureau des constatations devient, par prudence, de plus en plus difficile. C'est de plus en plus, par exemple, qu'il écarte les guérisons des maladies nerveuses, l'origine de ces maladies pouvant prêter au doute... Evidemment ce n'est pas le nombre des maladies nerveuses qui a fléchi, ni apparemment celui des guérisons dont elles sont l'objet. C'est la manière d'enregistrer ces guérisons suspectes qui est devenue de plus en plus rigoureuse et sagement défiante. Et déjà, il y a plus de quarante ans, le docteur Boissarie se montrait, à Lourdes, spécialement préoccupé « de ne pas assimiler aux miracles certaines guérisons, surprenantes peut-être, mais que les médecins voient partout se réaliser dans les hôpitaux ou ailleurs, sans l'intervention d'aucune cause surnaturelle. »
M. Jean des Rochères, commentant ces paroles, déclare avec insistance que « l'atmosphère de certains pèlerinages dans telles conditions données, peut être, pour des névroses sans lésion organique, le choc bienfaisant, capable de provoquer l'amélioration de l'état morbide ou même sa totale disparition », et qu'on ne peut, en pareils cas, parler de miracles. Et cette réserve initiale accroît l'autorité des pages où M. Jean des Rochères souligne la portée surnaturelle des guérisons des maladies organiques, et des guérisons des tumeurs ou des plaies, et la valeur des méthodes par lesquelles à Lourdes ces miracles sont constatés. Comment lui refuserait-on, même, le droit d'affirmer que de tels miracles, obtenus plus de soixante-dix ans durant, à la suite des visions de Bernadette, suffiraient à prouver la sincérité de la sainte et la réalité de ses visions ?
Celle qui, dans sa prière à Jésus, s'intitulait « la pauvre mendiante » fut la confidente et l'auxiliaire terrestre de cette initiative d'au delà qui, d'année en année, dans la piscine et dans le triomphal cortège qui porte l'Hostie, multiplie les grâces merveilleuses : la gratitude chrétienne va vers Bernadette, après s'être agenouillée devant celle dont elle fut la messagère. Mais l'Eglise veille rigoureusement au contrôle scientifique des faits de Lourdes : elle ne redoute pas, elle, comme l'antoinisme a paru le redouter, que l'intervention vigilante de la science médicale soit un obstacle aux guérisons ; elle lui fait appel, au contraire, pour donner à la gratitude des fidèles une robuste assise et lui imprimer un nouvel élan.
Georges GOYAU,
de l'Académie Française.
La Libre Belgique, 26 novembre 1934 (source : Belgicapress)
La mort de M. Antoine,
dit le Guérisseur.
On nous écrit, jeudi soir :
Nous nous sommes rendus à Jemeppe, la grande localité industrielle qui s'étend le long de la Meuse entre le fleuve et la montagne vis-à-vis de Seraing. Une grande animation y régnait. Tous les trams venant de Liége arrivaient bondés et la circulation augmentait sans cesse dès qu'on approchait de la station qui se trouve sur la ligne de Liége à Huy. C'est au delà de la gare et du passage à niveau que se trouve le temple antoiniste, ou le Père, pour employer l'expression courante là-bas, est exposé. Tout le long du chemin, des camelots vendent des cartes postales illustrées représentant M. Antoine en buste.
Il a absolument la tête d'un pope et c'est évidemment son séjour en Russie – nous le signalerons tantôt – qui lui aura donné l'idée de se ménager cet extérieur. Les cheveux longs, un peu ondulés, blanchissent assez fortement, séparés au milieu de la tête par une raie et tombant sur les épaules. La barbe, les moustaches cachent complètement le bas du visage. La barbe est taillée en gros favoris que relient les poils du menton. Elle ne pend pas sur la poitrine et est coupée en carré à la ligne des épaules. Il porte une soutanelle étroitement fermée jusqu'au cou par une rangée de petits boutons.
Mais la foule au milieu de laquelle circulent une nuée d'estropiés et de mendiants, hommes et femmes se pressent autour du temple englobé au milieu de petites habitations proprettes qui sont la propriété du défunt. Le temple a l'architecture d'une chapelle, avec un clocheton terminé par un paratonnerre. On entre par une porte donnant sur une ruelle montante. Très haut, encastrée dans la muraille de briques, une pierre bleue portant ces mots : « 1905. Les Vignerons du Seigneur ». Les Vignerons du Seigneur était le titre que portait la société spirite, fondée par M. Antoine à ses débuts.
Il faut attendre son tour, on ne laisse pénétrer que par groupes. Le public est surtout composé de curieux. Un assez grand nombre de femmes sont vêtues de deuil ; il faut noter qu'il est de tradition dans le pays que lorsque l'on va voir un mort, on s'habille autant que possible en noir.
Nous pénétrons enfin. L'intérieur ressemble à une sorte de grand hall. Il est éclaire au fond et vers la façade par des fenêtres en ogive et sur les côtés par des panneaux de verre mat au milieu desquels se détache une espèce de roue aux rayons de couleurs différentes. De trois côtés à hauteur d'un premier étage, courent des galeries où des chaises sont empilées. Tout le long des murs : des porte-manteaux. Au fond de l'édifice, la tribune constituée par une galerie aussi, a mais plus basse et à claire voie qui communique avec les appartements de M. Antoine d'où il sortait car il ne mettait pas le pied sur le pavé du temple. Au milieu de cette galerie pend un écusson noir où brille un arbre en métal argenté portant au milieu des branches les mots : « culte antoiniste » et en-dessous cette inscription : « L'arbre de la science de la vue du mal ». (sic)
Derrière la galerie-tribune, un immense tableau noir, annonçant qu'il y a séance tous Les dimanches à 10 heures et relatant quelques considérations d'ordre moral. De la voûte tombent des lampes électriques.
C'est au milieu de ce froid décor que repose le corps. Il est étendu sur une chaise longue drapée de noir et un léger voile le recouvre. Il est revêtu de sa soutanelle. La figure est cireuse, les joues un peu creusées et c'est le dernier jour où l'on pourra le voir paraît-il, car la décomposition se fait sentir. Les bras sont placés le long du corps et les mains longues, presque bleues déjà, reposent ouvertes sur les genoux. Les pieds sont chaussés et montrent la semelle des souliers.
Autour et par gradation, quelques lauriers en boule. Pas un cierge, pas une fleur. Devant le corps, un guéridon avec un plateau où de rares personnes déposent leur carte. Des adeptes – des étrangers – dans le costume spécial des Antoinistes, la longue redingote noire fermée jusqu'au menton par la rangée des petits boutons, veillent debout le cadavre, avec quelques dames portant le grand deuil, moins le voile.
La foule stationne quelques instants. Il y a des femmes d'ouvriers portant des jeunes enfants qui se mettent à pleurer. C'est alors un moment de désarroi et un subalterne vêtu comme un domestique de grande maison, cravate blanche, frac de drap bleu avec grands boutons de métal, intervient.
Nous sortons par la porte de la façade principale s'ouvrant sur une autre rue. Dans le temple même, une fontaine avec trois gobelets d'étain retenus par une chaînette appelle encore notre attention. Plusieurs visiteurs y sont occupés. Nous lisons sur une plaque d'émail cet avis : « Cette fontaine n'a d'autre destination que de désaltérer ceux qui viennent dans ce temple. En faire un autre usage est un manque de foi qui porterait plutôt obstacle à la guérison. Votre foi en l'opération du Père, seule, vous guérira ».
M. Antoine, en tant que « guérisseur », avait eu quelques mésaventures au tribunal de Liége, à propos de l'exercice illégal de l'art de la médecine, il était devenu prudent.
Enfin nous sommes dehors. La façade du temple est quelconque de ce côté. Un grand pignon de pierres sur lequel s'ouvrent à droite et à gauche de la porte et au-dessus trois étroites fenêtres ogivales et deux lucarnes. En-dessous de la corniche les mots : « Culte Antoiniste ».
Nous nous rendons alors, au coin des deux rues, au bureau du culte où nous sommes reçus par des dames adeptes. C'est un bureau ordinaire, meublé de chêne et qui semble bien organisé. Il y a machine à écrire, étalage de brochures. On nous présente l'enseignement révélé par « Antoine le généreux », car c'est ce nom que les adeptes du défunt lui donnèrent à dater du jour où il leur dit qu'il leur transmettrait son pouvoir. Il a jugé mieux de leurs préférer sa femme. Le volume coûte 2 fr. 50.
On nous dit les derniers moments. Lundi matin, M. Antoine se sentait très faible. Il voulut néanmoins paraître, mais il ne sut pas étendre les bras et c'est Mme Antoine qui dut le remplacer. Il s'est « désincarné », dans la nuit. Ce mot dans la langue antoiniste veut dire mourir.
Il avait 66 ans. Antoine était son nom et Louis son prénom. C'était un ouvrier, né à Mons-Crotteux, un village des environs, de parents pauvres. Il était le cadet de sa famille qui comptait 11 enfants. II débuta à 12 ans dans la mine, accompagnant son père et un frère qui étaient également mineurs. Ne voulant plus descendre dans la fosse, il devint ouvrier métallurgiste.
A 24 ans, il quitta la Belgique pour aller travailler en Allemagne où il séjourna pendant 5 ans. Deux ans plus tard, il va en Russie, non loin de Varsovie et y accomplit un nouveau terme de 5 années, puis il s'installa définitivement en Belgique, à Jemeppe. Dans l'intervalle de son séjour en Allemagne, il était revenu au pays pour se marier. Il eut un fils qui mourut à l'âge de 20 ans. Pendant leur séjour à l'étranger les époux Antoine avaient amassé une petite fortune qu'ils convertirent en partie en immeubles.
M. Antoine a toujours vécu très simplement et très sobrement. Il était végétarien et ne prenait ni viande, ni œufs, ni beurre, ni lait, rien qui provint de l'animal.
Il professa la religion catholique jusqu'à l'âge de 42 ans, puis il s'appliqua à la pratique du spiritisme et continua jusqu'en 1906, date à laquelle il créa « le nouveau spiritualisme ».
M. Antoine savait à peine lire et écrire. Nous eussions voulu rencontrer Mme Antoine, mais notre demande souleva des hésitations et nous n'insistâmes pas.
– Ce n'est pas qu'elle soit si affectée, nous dit-on, elle comprend sa mission, mais...
Mme Antoine a six ans de moins que son mari. Elle a les cheveux blancs. Sa figure, autant que nous ayons pu en juger par un portrait, est intelligente. Elle porte naturellement l'uniforme antoiniste : une sorte de long peignoir avec manches largement évasées et sur les cheveux un bonnet en crêpe tuyauté.
Nous avons dit que M. Antoine débuta dans sa carrière de « guérisseur » par le spiritisme. Il fonda à Jemeppe le cercle des « Vignerons du Seigneur » dont l'inscription reste encastrée dans le mur extérieur de son temple. Mais il se fatigua bientôt de causer avec les morts et annonça par prospectus qu'on trouverait chez lui, le soulagement de toutes les afflictions morales et physiques. Il renonça aux évocations et se fit excommunier par les véritables spirites.
Les clients ne manquèrent pas, mais s'étant aperçu que pour attirer la confiance il fallait droguer, il porta son dévolu sur une spécialité pharmaceutique qui si elle ne faisait pas de bien ne pouvait faire de mal et délivra des prescriptions fixant la dose à prendre suivant les individus. La justice intervint et le « guérisseur » fut condamné à deux fois 26 francs d'amende.
Il abandonna la spécialité en question et fit annoncer qu'il avait le pouvoir de magnétiser l'eau qu'on lui apportait. De tous côtés, on accourut chez lui avec flacons et bouteilles, dans lesquelles il envoyait avec force gesticulations une soi-disant charge de fluide qui devait amener la guérison de toutes les maladies.
Mais à tous ces exercices, M. Antoine se fatiguait. Il distribua alors des petits papiers qui avaient prétendument la propriété de magnétiser un verre d'eau. On les emportait et l'opération se faisait à domicile.
Entretemps, le « guérisseur », avait élaboré une théorie vague de la Foi et des fluides. Le nouveau culte cherchait à se lancer. M. Antoine distinguait les bons et les mauvais fluides et maniait les bons pour guérir les personnes qui avaient la foi, foi en ses théories nouvelles bien entendu. Il fit alors l'imposition des mains, ce qu'on a appelé des passes individuelles. Les séances dominicales sont fondées et des disciples s'amènent.
Cela devient encore une fois, trop fatiguant. M. Antoine avait construit son temple et il trouva les passes collectives, C'était la dernière manière et voici comment un assistant raconte la scène.
C'est dimanche. Il est 10 heures. Les fidèles et les curieux occupent les bancs du temple, face à la tribune. Au pied de celle-ci assis à une table, se trouve un adepte. Il se lève :
– Notre bon Père va venir. Avant d'opérer, il se recueille dans la prière. Respectez ce moment solennel. Ranimez votre foi, car tous ceux qui ont de la foi seront guéris ou soulagés. »
Une porte s'ouvre sur le palier où se trouve la tribune. M. Antoine sort de ses appartements, l'air inspiré ; son regard est perdu dans l'au-delà. Il élève majestueusement les mains, étend les bras, remue les doigts pour laisser écouler sur l'assistance, tout le fluide qu'il a emmagasiné. Il ferme les yeux et rentre lentement sans avoir prononcé une parole.
L'adepte se lève de nouveau :
– L'opération est terminée. Les personnes qui ont la foi sont guéries ou soulagées. »
La séance est finie et l'on fait entrer d'autres spectateurs pour la réédition de la même cérémonie (à la ligne). Comment expliquer l'affluence !
Des malades qui se sont adressés inutilement aux médecins et auxquels le moindre espoir fait tenter l'expérience !
Une réclame intensive qui s'étend aux villes d'eaux étrangères où l'on va chercher à recouvrer la santé !
La presse antireligieuse raillant Lourdes mais vantant les prétendues guérisons du spirite jemeppois.
Les médecins sont écartés du lit des Antoinistes. Consulter un médecin est pour eux, un manque de foi. Combien de fois cette crédulité a-t-elle entrainé la mort.
La doctrine antoiniste est un tissu d'incohérences, de contradictions, de divagations, etc. Il n'y a pour lui aucune différence entre le bien et le mal. « Ne croyons pas en Dieu, dit-il, dans un chapitre de sa révélation, dictée à un sténographe, n'espérons jamais rien de lui, sachons que nous sommes Dieu nous-mêmes ».
Nous avons quitté cet endroit pris d'une immense pitié pour de telles aberrations. Répétons que la saine population des bords de la Meuse, ne s'est pas laissée prendre dans les filets de l'antoinisme. On nous l'a répété encore tout le long du chemin :
– Ici, Antoine n'est pas connu. Tous ceux qui vont chez lui ne sont pas du pays. Il aura beaucoup de monde à son enterrement. On annonce des milliers de personnes. Tant mieux, cela fait aller le commerce.
La semaine prochaine Antoine sera déjà entré dans l'oubli et d'ici à peu de temps, il est probable que l'antoinisme l'y suivra.
M. Antoine avait fait quelquefois annoncer sa fin prochaine.
Les malades s'empressaient d'accourir, mais M. Antoine ne mourait pas. Cette fois, il n'a pas informé qu'il allait quitter sérieusement cette terre.
Un jour un de ses adeptes lui avait demandé :
– Maître, que deviendront vos disciples quand l'humanité vous aura perdu ?
M. Antoine répliqua :
– La mort, c'est la vie, elle ne peut m'éloigner de vous, elle ne m'empêchera pas d'approcher tous ceux qui ont confiance en moi, au contraire.
Avant de mourir, M. Antoine avait pris ses mesures comme nous l'apprend l'avis de faire part de son décès :
Frère,
Le conseil d'administration du Culte antoiniste porte à votre connaissance que le Père vient de se désincarner aujourd'hui, mardi matin, 25 juin. Avant de quitter son corps Il tenu à revoir une dernière fois ses adeptes pour leur dire que Mère Le remplacera dans sa mission, qu'Elle suivra toujours son exemple. Il n'y a donc rien de changé. Le Père sera toujours avec nous. Mère montera à la tribune pour les opérations générales, les quatre premiers jours de la semaine à dix heures.
L'enterrement du Père aura lieu dimanche prochain 30 juin à 3 heures.
Comme il est dit, il n'y aura donc rien de changé. M. Antoine mort est remplacé par Mme Antoine.
M. Antoine était donc peu connu à Jemeppe et dans les environs. Il ne sortait plus depuis plusieurs années et ses adeptes ne se recrutaient pas dans la contrée, mais dans le Centre et le Borinage notamment, à Bruxelles même, où existe dans une rue du quartier Louise, in temple antoiniste, présidé par un officier retraité, en France, en Allemagne et jusqu'en Autriche.
Le Patriote, 30 juin 1912 (source : Belgicapress)
CHRONIQUE JUDICIAIRE
CREDULITE
– On se trouve devant un monument de crédulité, disait M. le substitut Coart en son réquisitoire. On connaissait les esprits frappeurs. Il s'agit ici d'esprits tapeurs !
Le 30 juillet, Mme Marguerite R..., épouse L..., et sa sœur, Mme Marie R..., d'Ans, allant faire une course à Mons-Crotteux, rencontrèrent une femme inconnue qui les aborda et leur demanda un renseignement. Après les avoir dévisagées, elle dit à brûle-pourpoint à l'une d'elles :
– Vous êtes malade.
– Oui, répondit Mme Marie R...
– Si vous voulez, dans trois semaines vous serez guérie, riposta l'inconnue.
Mme L... intervint pour dire qu'elle avait un petit-fils également malade depuis près de trois ans et qu'elle serait heureuse si on pouvait lui rendre la santé.
La femme promit aussi de le guérir.
Elle donna son adresse par écrit. C'était Marie G..., veuve P..., 59 ans, ménagère, à Jemeppe. Elle fixa rendez-vous chez elle pour le vendredi suivant (parce que, – affirmait-elle, – le vendredi était le meilleur jour !).
Les deux sœurs s'y rendirent. La guérisseuse s'était fait apporter une chemise de l'enfant, afin de se rendre compte de quels mauvais esprits « le travaillaient ».
Cette femme leur avait parlé du père Antoine, de spiritisme. Elle annonçait qu'elle dirait des prières, qu'elle ferait une neuvaine. Elle racontait également d'étonnantes guérisons obtenues par son intervention.
Marie G... dit aux visiteurs que ce serait elle qui se rendrait chez elles le lundi suivant.
On devait, au cours de cette visite, lui remettre une somme de 90 francs : une des dames, 50 francs ; l'autre, 40 francs.
Elle apporta, dans ce but, deux enveloppes, sur lesquelles elle avait inscrit les sommes à y déposer. L'argent fut inséré dans les enveloppes.
Puis, en présence des dames R..., du père et de la mère de l'enfant malade, la guérisseuse commença ses opérations.
Après avoir écarté les assistants, car, disait-elle, les esprits devaient l'entourer, elle intercala les enveloppes dans un grand livre de prières, où elles disparaissaient complètement, puis s'absorba dans ses méditations et ses prières. A plusieurs reprises, elle tourna les feuillets du livre. La cérémonie terminée, elle plaça les enveloppes sous un pot à fleurs, défendit d'y toucher et annonça qu'elle viendrait les reprendre elle-même pour continuer les opérations et chasser définitivement les esprits. Elle avait, d'ailleurs, annoncé que « l'affaire marchait bien ».
Une des dames R... eut, néanmoins, des soupçons. Certains gestes de la guérisseuse lui avaient paru suspects lorsqu'elle feuilletait le livre de prières.
Mais sa sœur lui présenta de sévères observations quand elle manifesta ses soupçons et lui dit :
– Vous êtes une sotte !...
Toujours est-il que les soupçons étaient éveillés et que l'on toucha aux deux enveloppes, que chacune en reporta une chez soi, qu'on les examina à la lumière pour en découvrir le contenu.
Marie G... ne s'étant pas présentée au jour fixé par elle, on les ouvrit. Etait-ce cette main sacrilège portée sur les enveloppes qui rompit le charme ? Etait-ce une juste punition des esprits irrités ? Toujours est-il que, dans les enveloppes, on trouva un morceau de journal, au lieu des billets de banque !...
Les gens mal intentionnés prétendent que Marie G... avait, en lisant dans le livre, en feuilletant les pages, en s'absorbant dans ses méditations, substitué deux autres enveloppes aux enveloppes contenant l'argent.
– C'étaient les honoraires des esprits !... estime le ministère public, M. le substitut Coart.
Nous allions oublier de dire que Marie G... avait écrit aux R... deux lettres. Dans l'une, elle estimait que la chemise – avec trous – de l'enfant qu'on lui avait confiée était insuffisante. Et elle réclamait 20 francs.
Les esprits ne voulaient pas se laisser expulser et réclamaient un petit supplément !...
Dans la seconde lettre, Marie G... écrivait que « l'ouvrage était fort, qu'il y avait deux esprit, à combattre ». Elle annonçait sa visite avec un jour de retard. Elle arriva, en effet. Une des dames R... lui conta qu'elle avait disposé des 50 francs à l'insu de son mari, que celui-ci était très mécontent, etc.
Marie G... le prit de haut. Elle restitua aussitôt les 50 francs, mais elle ajouta qu'elle ne s'occuperait plus d'elle, la vit-elle mourir devant elle.
Elle annonça qu'elle reviendrait le lendemain.
Mais le charme était rompu. La police avait été prévenue, et, lorsque Marie G... se présenta, elle fut mise en état d'arrestation.
Elle tenta de déchirer les enveloppes contenant les morceaux de journaux. Le policier fut obligé de lui saisir le poignet pour l'en empêcher.
Marie G... dénie tout cela. Les 90 francs lui ont été remis, non pas sur sa promesse de chasser les esprits et de guérir les malades, mais en prêt pour acheter un poêle. Elle a remboursé 50 francs le lendemain du jour convenu et se rendait chez R... pour rembourser le solde, soit 40 francs, lorsque la police est intervenue.
Cette version est controuvée par cette circonstance que, lorsqu'elle fut arrêtée, elle n'était porteuse que de quelques francs.
Il a été également question d'une corde à cinq nœuds que la prévenue avait donnée à la mère de l'enfant malade et qu'elle devait se passer autour du corps.
Le ministère public a rappelé que Marie G... avait eu une existence bien remplie. Depuis la loi d'amnistie, elle a déjà été condamnée deux fois.
Me Mourquin a présenté la défense de la prévenue. Il a plaidé que Marie G... avait agi de bonne foi, avec une conviction profonde en l'efficacité des moyens employés.
Le Tribunal – juge unique, M. Goossens – a estimé que l'escroquerie était établie. Il a condamné la prévenue à trois mois de prison et à 300 francs d'amende.
La Meuse, 10 septembre 1922 (source : Belgicapress)
Curieuse Cérémonie Mystique à Hellemmes
ELLE SE DEROULERA A L’OCCASION DE L’INAUGU-
RATION D’UN TEMPLE DU CULTE ANTOINISTE
Un temple nouveau vient d'être achevé à Hellemmes. Très simple avec sa façade de briques rouges et blanches, il se dresse rue Jean-Bart, en plein quartier populaire, à deux pas de la Grand'Route de Lille à Tournai, à un quart d'heure de marche de notre capitale des Flandres.
Devant cette bâtisse étrange, portant comme indication ces trois mots énigmatiques gravés dans la pierre blanche « 1925 – Culte Antoiniste », le profane s'arrête indécis... Que peut bien être cette église Nouvelle ? Quel culte y pratique-t-on ?
Combien dans nos régions ignorent encore, en effet, qu'il est en Belgique, dans les environs de Liége et Verviers, en France, à Caudry... oui, à Caudry !... à Paris, à Lyon, à Tours, à Vichy, à Vervins, des milliers et des milliers d'adeptes au culte du Père Antoine, Antoine le Dieu Antoine le Guérisseur, à qui des foules de malades, de névroses, sont allés demander assistance, dans un faubourg de Liége, ou à l'instar de Raspoutine, le Dieu vivant faisait ses miracles voici quelque 12 ans ?
Un nouveau Jésus-Christ
Antoine le Père était un simple ouvrier mineur, catholique pratiquant et modèle de piété. Il vivait dans une humble maison à Jemeppe-sur-Meuse, près de Liége. Il n'avait reçu qu'une instruction tout à fait élémentaire. Or, un beau jour, il se mit à prêcher, à enseigner les principes d'une haute philosophie. Vénérable aux longs cheveux, à barbe de patriarche, les foules crédules se portèrent vers lui. C'était en 1906. Une nouvelle religion venait de naître ! Antoine prêcha la Foi. Il guérit des malades... par suggestion. Son prestige augmenta... Aux yeux des disciples un nouveau Dieu était descendu sur terre. Mais, comme l'autre, il ne devait pas tarder à quitter notre monde de désolation.
En 1912 il se « désincarnait », mais son enseignement resta, professé et perpétué par sa femme – car il était marié ! – La mère Antoine lui succéda à la tête du nouveau culte… C'est elle, âgée aujourd'hui de 75 ans, qui est « papesse » de la nouvelle religion – C'est elle qui représente sur terre le vénérable nouveau Dieu !
C'est vers elle que se tournent les milliers de croyants. N'est-elle pas en communication constante avec son saint époux ?
Le Culte Antoiniste
Quels sont exactement les principes du culte Antoiniste ? Qui pourrait le dire, à moins d'avoir reçu la grande Révélation ?
Quant à moi, j'avoue n'avoir rien compris de ses formules obscures et compliquées. Antoine dit : « Aimez vos ennemis ! – Notre Religion est celle de l'Amour, du Désintéressement et de la Conscience ».
Toutes les religions en disent autant...
Lisez cependant ses principes, ses commandements et comprenez si vous pouvez ! « Si vous m'aimez, dit Antoine, par l'organe de sa femme, de la Mère Antoine, vous ne l'enseignerez à personne. Puisque vous savez que je ne réside qu'au sein de l'homme, vous ne pouvez témoigner qu'il existe une suprême bonté, alors que du prochain vous m'isolez ! »
Le dogme Antoiniste comprend dix principes dans le genre de celui-ci. C'est avec ces principes qu'Antoine fit des milliers d'adeptes, c'est avec la révélation de ce dogme qu'il fit, paraît-il, des miracles !... et ceci en plein vingtième siècle...
La guerre a passé... 15-20 années se sont écoulées... le culte Antoiniste a subsisté... Il construit de nouveaux temples... A Hellemmes, aux portes de Lille. Il a ses fervents, ses fanatiques... Les souvenir du Père Antoine est évoqué. Des têtes s'inclinent avec humilité… Pauvre Humanité !!!
L'« Opération générale »
Hier, donc, les Antoinistes inauguraient à Hellemmes un nouveau temple.
La grande solennité était prévue pour 10 heures. Dès le début de la matinée trois trains spéciaux avaient amené de Belgique des milliers d'adeptes, foule pittoresque et hétéroclite s'il en fut, composée de jeunes, de vieux, de campagnards, de citadins. Dans cette foule on remarquait les « fervents », les « fanatiques », qui avaient revêtu le costume de l'ordre : les hommes, le chapeau haut de forme à bords plats, la redingote boutonnée jusqu'au col du clergyman anglais ; les femmes, le bonnet noir à double feston orné du voile de même couleur, tombant sur un manteau noir plissé.
Dix heures du matin. Quand nous arrivons la foule est massée dans la rue trop étroite devant le temple. Elle s'écrase silencieusement. Toutes les lèvres s'agitent. De toute évidence c'est le Père Antoine qu'on invoque dans les prières. Il n'y a que la Foi qui sauve… La Foi va-t-elle faire des miracles ?
La grande solennité s'appelle chez les Antoinistes l'« opération générale ». C'est aujourd'hui, jour d'« opération générale » ! La Mère Antoine est là. Beaucoup d'adeptes, sinon tous, sont venus pour recevoir la grâce du Père. Seront-ils exaucés ? Attendons pour juger.
« Donnons notre pensée au Père ! »
Les portes du temple s'ouvrent. La foule s'écrase et pénètre péniblement... résignée... Nous sommes trop loin de l'entrée… impossible d'avancer... Nous n'y perdrons rien... La foule est si dense en effet, que l'« opération générale » se déroulera en plein air. Le Père Antoine est si bon qu'il ne manquera pas, comme à nos semblables, de nous faire bénéficier de sa grâce sanctifiante...
Le premier service étant terminé, la porte s'ouvre nouveau...
LIRE LA SUITE EN DEUXIEME PAGE
La cérémonie Antoiniste
SUITE DE LA PREMIERE PAGE
Les pasteurs, prêtres ou pères (comme on veut) sortent... L'un d'eux tient haut et ferme une pancarte en tôle repoussée portant ces mots « L'arbre de la Science de la Vue et du Mal »... (Que veut bien dire tout cela ?)
Un silence de mort plane sur la foule. On entendrait une mouche voler !
Un prêtre, pasteur ou père, s'avance et prononce ces mots :
« Chers frères… La Mère Antoine vient consacrer son temple au nom du Père ! » Trois coups de sonnette retentissent, puis l'officiant ajoute :
« Donnons notre pensée au Père et chacun de nous obtiendra satisfaction, selon se foi en lui ! »
Toutes les têtes s'inclinent...
Voici la Mère qui s'avance. C'est une vieille femme octogénaire, aux cheveux blancs, séparés en bandeaux par une large raie. Elle a le regard fixe et vitreux d'un être détaché des choses d'ici-bas. La voix de l'officiant retentit impérieuse :
« Mes frères, le moment solennel approche. Pensons bien tous au Père !... »
La Mère étend les mains, fait de larges gestes cabalistiques, bénit la foule.
Comme les adeptes nous pensons au Père. Oui, mais, beaucoup !... Comme Sœur Anne, nous ne voyons rien venir !...
Ceux qui ont la Foi seront-ils exaucés, c'est peu probables !... Voici, en effet, qu'on lit les 10 principes... Rien d'anormal ne s'est produit !...
Principe ? Voulez-vous savoir ce qu'est un principe ? En voici un. Dites-moi si vous avez compris.
« Ne croyez pas en celui qui vous parle de moi, dont l'intention serait de vous convertir, si vous respectez toute croyance et celui qui n'en a pas, vous savez, malgré votre ignorance, plus qu'il ne pourrait vous dire ».
La cérémonie est terminée, de même que l'« opération générale ». Le temple est inauguré. Tout le monde est content, même le Père Antoine qui doit se réjouir là-haut de l'effet produit par sa profonde doctrine. Tout le monde se retire et va déguster en paix les provisions apportées dans les volumineux paniers.
En nous retirant nous ne pouvons qu'évoquer cette pensée d'un philosophe du siècle dernier :
« Respectons toute croyance, même le doute, aucun dogme n'est au-dessus de la tolérance et de la bonté ! »
Nous ne pouvons cependant nous empêcher de nous dire aussi : Une telle comédie est-elle digne de notre siècle ? »
Marcel POLVENT.
L'Egalité de Roubaix-Tourcoing, 28 septembre 1925 (source : bn-r.cd-script.fr)
נְצֹר לְשׁוֹנְךָ מֵרָע; וּשְׂפָתֶיךָ, מִדַּבֵּר מִרְמָה
סוּר מֵרָע, וַעֲשֵׂה-טוֹב; בַּקֵּשׁ שָׁלוֹם וְרָדְפֵהוּ
Préserve ta langue du mal, et tes lèvres des paroles trompeuses ;
Éloigne-toi du mal, et fais le bien ; recherche et poursuis la paix.
Les versets 14 et 15 forment la base du paragraphe final de la amida (tefillat Haʿamida « prière [récitée] debout », ensemble de bénédictions occupant une place centrale dans les offices de prière du judaïsme).
Louis Antoine a appris un temps de la trompette, peut-être sous la direction de Gustave Baivy :
La dénomination retenue par l'autorité communale en 1876 évoque l'existence du corps de musique dit à l'époque ''Les fanfares de Jemeppe' 'qui avait fixé son local dans cette rue. Cette société à été fondée par M. Gustave Baivy qui avait entrepris, dès 1865, de réunir un groupe d'ouvrier des laminoirs de Lexhy dans la tourelle (aujourd'hui disparue) du château de Courtejoie (rue de Lexhy) pour leur enseigner l'art musical.
Pendant la fin du 19è siècle et le début du 20è siècle, la fanfare de Jemeppe a porté le renom artistique de notre région tant à l'étranger qu'en Belgique !
source : Jean-Marie Rouveroy sur le groupe FaceBook Jemeppe-sur-Meuse d'hier à aujourd'hui
Le bâtiment en bas à gauche est l'ancienne salle des fanfares.
Il est maintenant le local de la société Confiserie à l'ancienne.
La salle des fanfares (FB Jemeppe-sur-Meuse d'hier à aujourd'hui).
Dans une salle, une conférence contradictoire sera organisé par le journal de Gustave Gony, Le Flambeau, sur l'Antoinisme, après une polémique ardente avec le pasteur évangéliste de Lize-Seraing. Des conférences spirites y avaient également lieu (en 1892 notamment par Félix Paulsen).
Appelé aussi la Royale Fanfare de Jemeppe, des Bals d'été y étaient organisés, avec le jardin illuminé ou encore des Bals de réveillon, mais aussi des expositions (colombophiles, canines...). Le casino change de propriétaire en 1939 et devient un temps le Casino Guy, puis et revendu en 1942.
Elle deviendra l'école de musique intercommunale de Jemeppe.
La Meuse, 21 mai 1938
Contes et Variétés
Le Coin des Paradoxes
DE L'EGALITE
Quant à l'érection du temple antoiniste, dont il fut ici rendu compte, avec une mesure que ne gardèrent peut-être point tous nos confrères (il était, en vérité, un peu trop facile de railler. Ici, l'on s'empressa, sur l'ironie, inévitable et légitime, de mettre le manteau de quelques considérations sérieuses et courtoises) à cette érection du temple antoiniste, j'eus la bonne fortune d'assister...
Ai-je parlé ci-dessus d'égalité ? Eh ! bien, si égalité il y a, ne redoutons point de dire que certains de nos contemporains sont les égaux de leurs frères préhistoriques, de ceux qui croyaient aux pouvoirs des incantations, des sortilèges, des sacrifices... Ne redoutons point de dire qu'il est des Parisiens de mil neuf cent treize, égaux de leurs frères noirs, qui s'en remettent au « griot » de leur tribu de faire pleuvoir ou de guérir les malades ; égaux de leurs frères de l'extrémité de la Finlande, les Ostiaks, et de leurs frères des régions encore presque sauvages du Caucase, les Ossètes, lesquels, Ostiaks et Ossètes, attribuent à leurs sorciers des pouvoirs tout pareils à ceux que ces Parisiens adorent en le Père Antoine...
Que l'on me pourra dire que ces zélés de l'Antoinisme ont le cœur plein d'une ferveur que ne peuvent point connaitre les nègres, les Ostiaks, les Ossètes... Mais de quel droit mépriserons-nous la foi de ces peuplades arriérées ? N'ont-elles point, elles aussi, la créance profonde qu'une imploration élevée en toute sincérité pourra faire descendre le miracle de leur Dieu sur la prairie trop sèche ou sur le malade ? Je ne vois point qu'il y ait de différence entre le rite qu'exécutent les sorciers Shamans qui sont les guérisseurs des Ossètes et des Ostiaks, et le rite qu'accomplit la Mère Antoine, l'autre matin, du haut de la petite tribune de son temple... Mais l'Antoinisme n'est pas seulement curateur de plaies physiques, il l'est aussi, m'a confié un frère, de plaies morales. Il apporte avec lui l'amour entre les hommes, la paix, la bonté...
La paix, la bonté, l'amour entre les hommes !... Alors, ah ! si l'Antoinisme réussit authentiquement ce miracle, ce n'est plus rire qu'il faut, mais nous jeter tous à genoux et adorer le Père désincarné, le fondateur du culte nouveau, car, d'entre tous les dieux qui nous aient été successivement proposés depuis que la surface terrestre se refroidit assez pour qu'y pût vivre l'homme, ce dieu-là, le premier, n'aura pas raté la plus folle, la plus invraisemblable et la plus miraculeuse des besognes !
ANDRE ARNYVELDE.
La Petite République, 7 novembre 1913