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conscience

Le spiritisme et la poésie permettent d'accéder à la conscience

Publié le par antoiniste

    Miss Lily Dougall se vit ainsi présenter une "communication" émanent d'un personnage purement imaginaire d'un de ses romans...
Maurice Colinon, Faux prophètes et sectes d'aujourd'hui, p.78

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CHAPITRE QUATRE
La personnalité de Léopold

Léopold est-il vraiment Joseph Balsamo comme il le prétend ? Ou bien, sans avoir rien de commun que de superficielles analogies avec le fameux thaumaturge du XVIII siècle, est-il du moins un individu réel, distinct et indépendant de Mlle Smith ? Ou enfin ne serait-il qu’une pseudo-réalité, une sorte de modification allotropique d’Hélène elle-même, un produit de son imagination subliminale comme nos créations oniriques et les rôles que l’on suggère à un sujet hypnotisé ?

De ces trois suppositions, c’est la dernière qui, à mes yeux, est certainement la vraie, tandis qu’aux yeux de Mlle Smith elle est certainement fausse. Il serait difficile d’imaginer un plus profond désaccord, et l’on devine que nous avons de la peine à nous entendre sur ce point. C’est toujours moi qui finis par avoir le dessous. Je cède, pour deux raisons. D’abord par politesse, et puis parce qu’au fond je comprends parfaitement Hélène et qu’en me mettant à sa place, je penserais exactement comme elle. Étant donné son entourage et ses expériences personnelles, il est impossible qu’elle ne croie pas à l’existence objective, distincte, de cet être mystérieux qui intervient constamment dans sa vie d’une façon sensible et quasi matérielle, ne laissant de prise à aucun doute. Il se présente à ses regards doué d’une corporéité égale à celle des autres gens et cachant les objets situés derrière lui comme un individu en chair et en os [1]. Il parle à ses oreilles, le plus ordinairement à gauche, d’une voix caractéristique qui paraît venir d’une distance variable, quelquefois de deux mètres environ, souvent de beaucoup plus loin. Il secoue la table sur laquelle elle a posé ses mains immobiles, ou lui donne des crampes dans le bras, s’empare de son poignet et écrit par sa main en tenant la plume autrement quelle, et avec une écriture toute différente de la sienne. Il l’endort à son insu, et elle apprend avec étonnement au réveil qu’il a gesticulé avec ses bras, et parlé par sa bouche d’une grosse voix d’homme, à l’accent italien, n’ayant rien de commun avec son clair et joli timbre de voix féminine.

De plus, il n’est pas toujours là. Tant s’en faut qu’il réponde chaque fois aux appels d’Hélène et soit à sa merci. Bien au contraire : sa conduite, ses manifestations, ses allées et venues sont imprévisibles et témoignent d’un être autonome, doué de libre arbitre, souvent occupé ailleurs ou absent pour ses propres affaires qui ne lui permettent pas de se tenir constamment à la disposition de Mlle Smith. Quelquefois, il reste des semaines sans se révéler, malgré qu’elle le désire et l’invoque. Puis, tout à coup, il se manifeste quand elle s’y attend le moins. Il lui tient des discours, pour elle-même ou à l’adresse d’autres personnes, comme elle n’aurait pas l’idée d’en faire, et lui dicte des poésies dont elle serait incapable. Il répond à ses questions orales ou mentales, converse et discute avec elle. Comme un sage ami, un Mentor raisonnable et voyant les choses de haut, il lui donne des avis, des conseils, des ordres même, parfois directement opposés à ses désirs et contre lesquels elle regimbe. Il la console, l’exhorte, la calme, l’encourage et la réprimande ; il prend vis-à-vis d’elle la défense de gens qu’elle n’aime point et soutient des causes qui lui sont antipathiques. On ne saurait, en un mot, concevoir un être plus indépendant et plus différent de Mlle Smith elle-même, ayant un caractère plus personnel, une individualité plus marquée et une existence réelle plus certaine.

Ce qui fortifie encore Hélène dans sa conviction, c’est l’assentiment non seulement des personnes de sa famille, mais encore d’autres gens cultivés qui, ayant eu beaucoup de séances avec elle, ne mettent point en doute l’existence objective et séparée de Léopold. Il y en a qui croient si solidement à la réalité de cet être supérieur, invisible pour eux, qu’ils vont jusqu’à l’invoquer en l’absence de Mlle Smith. Naturellement, ils obtiennent des réponses, par la table ou autrement, et cela amène parfois des complications imprévues lorsqu’elle vient à l’apprendre. Car bien qu’elle admette théoriquement - et que Léopold ait souvent déclaré lui-même - qu’il étend sa surveillance et sa protection très au loin, sur d’autres groupes spirites et plus spécialement sur tous les amis et connaissances d’Hélène, il se trouve qu’en pratique et en fait ni lui ni elle ne reconnaissent volontiers, dans les cas particuliers, l’authenticité de ces prétendues communications de Léopold obtenues en l’absence de son médium de prédilection. C’est généralement quelque esprit trompeur qui a dû se manifester à sa place en ces occasions-là. Ces dénégations n’empêchent point, d’ailleurs, les gens convaincus de continuer à croire à la toute-présence de ce bon génie, et d’apprendre à leurs enfants à le révérer, voire même à lui adresser leurs prières. Il ne faut pas oublier que le spiritisme est une religion. Cela explique également la considération mitigée qui entoure souvent les médiums, comme les prêtres. Il arrive que, sans se priver le moins du monde d’en médire dès que l’on croit avoir des griefs contre eux, on leur prodigue, d’autre part, les mêmes marques de respect qu’à ce que l’humanité a produit de plus sublime. J’ai connu tel salon où, sur le meuble central et bien en vue, à la place d’honneur, deux photographies se faisaient pendant dans des cadres de choix ; d’un côté une tête de Christ d’un grand maître, de l’autre le portrait... de Mlle Hélène Smith. Chez d’autres croyants d’aspirations moins idéales mais plus pratiques, on ne conclut pas une affaire, on ne prend pas une décision grave, sans avoir consulté Léopold par l’intermédiaire d’Hélène, et les cas ne se comptent plus où il a fourni un renseignement important, évité une grosse perte d’argent, donné une prescription médicale efficace, etc.

On conçoit que tous les succès obtenus par Léopold, et la vénération mystique que beaucoup de personnes infiniment estimables lui témoignent, doivent contribuer pour leur part à entretenir la foi d’Hélène en son tout-puissant protecteur. C’est en vain que, contre cette assurance absolue, on chercherait à faire valoir les arguties de la psychologie contemporaine. L’exemple des fictions du rêve, les analogies tirées de l’hypnotisme et de la psychopathologie, les considérations sur la désagrégation mentale, la division de la conscience et la formation de personnalités secondes, toutes ces subtilités alambiquées de nos savants modernes viendraient se briser comme verre sur ce roc inébranlable de la certitude immédiate. Aussi bien n’entreprendrai-je point de combattre une proposition qui a incontestablement l’évidence sensible pour elle, et qui résout toutes les difficultés de la façon la plus aisée et la plus conforme au sens commun.

Cependant, comme il faut bien que chacun vive et exerce son petit métier, je demande l’humble permission de faire momentanément comme si Léopold n’existait pas en dehors de Mlle Smith, et de tenter de reconstituer sa genèse possible dans la vie mentale de cette dernière - uniquement par hypothèse et à titre d’exercice psychologique. D’ailleurs, les lecteurs qui se sentent peu de goût pour ce genre de compositions académiques n’ont qu’à sauter par-dessus ce chapitre.

I. PSYCHOGENÈSE DE LÉOPOLD

Ce qui ne facilite pas la description du développement de Léopold, c’est qu’il a une double origine, apparente et réelle, comme les nerfs crâniens qui donnent tant de tablature aux étudiants en anatomie. Son origine apparente, je veux dire le moment où il s’est extérieurement séparé de la personnalité d’Hélène et manifesté comme un « esprit » indépendant, est relativement claire et bien marquée ; mais son origine réelle, profondément enfouie dans les couches les plus intimes de la personnalité d’Hélène et inextricablement confondue avec elles, présente de grandes obscurités et ne peut être fixée que d’une façon très conjecturale. Occupons-nous d’abord de l’origine apparente ou de la première apparition de Léopold aux séances.

On comprend qu’une fois initiée au spiritisme et plongée dans un courant d’idées où la réconfortante doctrine des Esprits guides ou protecteurs tient une place importante, Mlle Smith n’ait pas tardé à posséder, comme tout bon médium, un désincarné spécialement attaché à sa personne. Elle en eut même deux successivement, à savoir Victor Hugo et Cagliostro. Il ne s’agit pas là d’un simple changement de nom du guide d’Hélène, qui se serait d’abord présenté sous l’aspect et le vocable du grand poète, puis aurait adopté ensuite ceux de l’illustre thaumaturge, mais ce sont bien, au début du moins, deux personnalités différentes, voire même hostiles, dont l’une a peu à peu supplanté l’autre (tout en absorbant quelques-uns de ses caractères) à la suite d’une lutte dont la trace se retrouve dans les procès-verbaux fort incomplets des séances de l’époque. Ainsi peut-on distinguer trois phases dans la psychogenèse du guide de Mlle Smith : une phase initiale de cinq mois, où V. Hugo règne seul ; une phase de transition d’environ un an, où l’on voit la protection de V. Hugo impuissante à défendre Hélène et son groupe spirite contre les invasions d’un intrus nommé Léopold, qui réclame et manifeste une autorité croissante sur le médium en vertu de mystérieuses relations au cours d’une existence antérieure ; enfin, la période actuelle, qui dure depuis six ans, où V. Hugo ne figure plus et qu’on peut dater approximativement du moment où il a été révélé que Léopold n’est qu’un nom d’emprunt sous lequel se cache en réalité la grande personnalité de Joseph Balsamo.

Je ne trouve aucun fait digne de mention dans la première phase, où V. Hugo, qu’on a vu apparaître comme guide de Mlle Smith dès le 1er avril 1892 (voir plus haut, p. 52), ne joue qu’un rôle assez nul. Sur la seconde phase, en revanche, il convient de citer quelques extraits des procès-verbaux du groupe N. pour mettre en lumière le singulier caractère avec lequel Léopold s’y manifesta dès le début :

    26 août 1892. Un esprit s’annonce sous le nom de Léopold. Il vient pour Mlle Smith et paraît vouloir avoir une grande autorité sur elle. Elle le voit au bout de quelques instants, il paraît âgé de trente-cinq ans environ et est tout habillé de noir. L’expression de son visage est plutôt bonne et, aux quelques questions que nous lui adressons, nous comprenons qu’il l’a connue dans une autre existence et qu’il ne voudrait pas qu’elle s’attachât de coeur à quelqu’un ici-bas... Mlle Smith distingue son guide V. Hugo. Elle est heureuse de son arrivée et s’adresse à lui pour qu’il la protège en prévision des obsessions de ce nouvel esprit. Il lui répond qu’elle n’a rien à craindre, qu’il sera toujours là. Elle est joyeuse d’être ainsi gardée et protégée par lui, et sent qu’elle ne doit rien craindre.

    2 septembre. ... Léopold vient aussi, mais Mlle Smith ne craint rien, car son guide [V. Hugo] est là qui la protège.

    23 septembre. ... Soirée peu heureuse. Un esprit s’annonce. C’est Léopold. Il nous dit tout de suite : Je suis seul ici, je veux être le maître ce soir. Nous sommes très contrariés et n’attendons rien de bon de lui. Il cherche, comme il l’avait déjà fait une fois, à endormir Mlle Smith, qui a une peine inouïe à lutter contre ce sommeil. Elle sort de table, espérant par ce moyen l’éloigner et qu’il laissera la place à d’autres. Elle revient au bout de dix minutes, mais il est toujours là et n’a pas l’air de vouloir abandonner la partie. Plus nous lui parlons et plus nous avons l’air de ne point le craindre, plus il secoue la table pour nous montrer que lui non plus ne nous craint pas. Nous appelons nos amis [spirituels] à notre aide... [Ils prennent momentanément la place de Léopold, mais bientôt] de nouveau Léopold est revenu, nous luttons avec lui, nous voulons qu’il s’éloigne, mais ni la douceur ni les paroles dures ne le font fléchir ; devant cet entêtement, nous comprenons que tous nos efforts seront inutiles, et nous nous décidons à lever la séance.

    3 octobre. ... [Manifestation des esprits favoris du groupe qui déclarent] qu’ils n’ont pu venir comme ils l’auraient désiré, entravés qu’ils ont été par l’esprit Léopold qui cherche à s’introduire parmi nous, et que nous voudrions repousser autant que possible, persuadés qu’il ne vient pas dans un bon but, d’après la manière peu convenable dont il s’annonce. Je ne sais si nous arriverons à l’éloigner, mais nous craignons beaucoup qu’il ne nous gêne et retarde notre avancement.

    7 octobre. ... Léopold s’annonce. Nous cherchons à le raisonner, nous ne voulons pas lui interdire de venir, mais ce que nous lui demandons, c’est qu’il vienne en ami comme tous, et non pas en Maître comme il l’exprime. Ii n’est pas satisfait, paraît y mettre beaucoup de malice, et nous parle avec un sans-façon qui nous démonte. Espérons qu’il arrivera à de meilleurs sentiments. Il se fait voir, se promène autour de la table, nous envoie à chacun un salut avec la main, et se retire pour laisser de nouveau la place à d’autres...

    14 octobre. [Après un quart d’heure d’attente immobile et silencieuse dans l’obscurité, autour de la table, on interpelle Mlle Smith et on la secoue vainement.] Elle est endormie. D’après le conseil des personnes présentes, nous la laissons dormir, puis au bout de quelques minutes, la table se soulève, un esprit s’annonce, c’est Victor Hugo ; nous lui demandons s’il a quelque chose à nous dire, il répond que oui et épelle : Éveillez-la, ne la laissez jamais dormir. Nous nous empressons de le faire, nous sommes, du reste, inquiets de ce sommeil ; nous avons beaucoup de peine à l’éveiller.

    6 janvier 1893. Après vingt minutes d’attente, arrive Léopold, qui, comme d’habitude, endort quelques instants le médium, nous taquine et empêche nos amis [désincarnés] de venir à la table. Il nous contrarie dans tout ce que nous lui demandons et va contre tous nos désirs. En présence de cette rancune, les assistants regrettent les mouvements de mauvaise humeur qu’ils ont eus contre lui, et déplorent de les payer aussi cher. On ne réussit qu’avec peine à réveiller le médium.

    Février 1893. Dans l’une des séances de ce mois, il arriva une chose remarquable : c’est notre médium à qui l’esprit Léopold, très irrité ce jour-là, enleva deux fois de suite sa chaise en l’emportant à l’autre extrémité de la chambre, pendant que Mlle Smith tombait lourdement sur le plancher. Ne s’attendant nullement à cette mauvaise farce, Mlle Smith tomba si malheureusement sur un genou qu’elle en souffrit pendant plusieurs jours et avait de la peine à marcher. Nous avons dû lever la séance, nous n’étions pas tranquilles. Pourquoi cette animosité ? ...

Ce mot d’animosité résume assez bien, en effet, la conduite et les sentiments que Léopold paraît avoir eus vis-à-vis du groupe N., au rebours de son placide rival H. Hugo. Les souvenirs personnels des assistants que j’ai pu interroger confirment la physionomie essentielle de ces deux figures. Hugo est un protecteur anodin, au ton paterne et fadasse dont les bons conseils revêtent volontiers la forme des vers de mirliton et des devises de caramels [2]. Caractère effacé en somme, et bien éclipsé par celui tout opposé de l’arrogant Léopold, qui prend un singulier plaisir au rôle de trouble-fête, vindicatif et jaloux, empêchant la venue des désincarnés désirés du groupe, endormant le médium ou le précipitant à terre, lui défendant de donner son coeur à d’autres, et désorganisant les séances autant qu’il est en lui. C’est à quoi il semble avoir fort bien réussi, car les réunions du groupe N. prirent fin au commencement de l’été ; puis vient une interruption de six mois après laquelle je retrouve Mlle Smith inaugurant le 12 décembre une nouvelle série de séances dans un tout autre groupe spirite organisé par M. le professeur Cuendet. Ici, V. Hugo ne reparaît plus que très rarement, et jamais avec le rôle de guide, lequel rôle est attribué d’emblée et sans conteste à Léopold dont l’identité véritable (Cagliostro) n’est un secret pour personne dans ce nouveau milieu. C’est donc dans le courant de 1893, à une époque impossible à préciser faute de documents, que se termina la rivalité de ces deux personnages par le triomphe complet du second.

Il résulte de ce qui précède que l’apparition de Léopold dans les séances du groupe N. fut un phénomène manifeste de contraste, d’hostilité, d’antagonisme à l’endroit de ce groupe. Rien, par conséquent, ne nous éclairerait mieux sur la vraie nature de Léopold et la tendance émotionnelle qui l’a inspiré que de connaître exactement les dispositions et l’atmosphère qui régnaient dans ce groupe. Il est difficile et délicat de se prononcer sur l’esprit complexe d’un milieu dont on n’a pas fait partie et sur lequel on ne possède que des indices clairsemés et pas toujours très concordants. Voici toutefois ce qui me paraît certain.

Le groupe N., beaucoup plus nombreux qu’il ne convient à des séances de ce genre, renfermait des éléments assez divers. À côté de personnes graves et convaincues, il y avait ordinairement là quelques étudiants qui prenaient pension chez l’une des dames du groupe, et qui ne paraissent pas avoir senti tout le sérieux des réunions spirites. Cet âge est sans pitié, et la profonde signification des séances obscures échappe souvent à son intelligence superficielle et badine. Dans ces conditions, Mlle Smith devait inévitablement éprouver deux impressions contraires. D’une part, elle se sentait admirée, choyée, fêtée comme le médium hors pair qu’elle était et sur qui reposait l’existence même du groupe ; d’autre part, ses instincts secrets de haute dignité personnelle ne pouvaient qu’être froissés des familiarités auxquelles elle était exposée dans ce milieu trop mélangé. Je regarde les deux guides rivaux et successifs d’Hélène comme l’expression de ce double sentiment. Si elle avait été élevée à l’américaine ou que sa texture fût d’un grain moins fin, le flirtage des séances n’eût sans doute fait que donner plus de chaleur et d’éclat à V. Hugo ; au lieu de cela, il souleva les colères victorieuses de Léopold dans une nature d’une grande fierté native, extrêmement chatouilleuse sur le point d’honneur, et dont l’éducation plutôt sévère et rigide avait encore exalté le sens du respect de soi. Après une lutte d’un an entre ces deux personnifications de tendances émotionnelles opposées, la seconde l’emporta définitivement comme on l’a vu, et Mlle Smith se retira du groupe N., qui se trouva dissous du même coup.

On aperçoit maintenant l’idée que je me fais de Léopold. Il représente, à mon avis, chez Mlle Smith, la synthèse, la quintessence et l’épanouissement d’autre part - des ressorts les plus cachés de l’organisme psychophysiologique. Il jaillit de cette sphère profonde et mystérieuse où plongent les dernières racines de notre être individuel, par où nous tenons à l’espèce elle-même et peut-être à l’absolu, et d’où sourdent confusément nos instincts de conservation physique et morale, nos sentiments relatifs aux sexes, la pudeur de l’âme et celle des sens, tout ce qu’il y a de plus obscur, de plus intime et de moins raisonné dans l’individu. Quand Hélène se trouve dans un milieu, je ne dirai pas dangereux, mais où elle risque simplement, comme dans le groupe N., de se laisser aller à quelque inclination contraire à ses aspirations fondamentales, c’est alors que Léopold surgit soudain, parlant en maître, revendiquant la possession du médium tout pour lui, et ne voulant qu’elle s’attache à quelqu’un ici-bas. On reconnaît bien là l’auteur de cette voix « qui n’est pas celle de la conscience » [3], mais qui a toujours empêché jusqu’ici Mlle Smith de lier sa destinée à celle de quelqu’un qui ne serait pas parfaitement à sa hauteur. Et on y reconnaît également ce même principe de protection et de préservation qui agissait déjà au temps de sa jeunesse, dans les automatismes téléologiques surgissant à l’occasion de certains chocs émotifs dont j’ai parlé p. 42.

Mais par ces considérations nous nous trouvons être remontés déjà fort au-delà de l’origine apparente de Léopold dans la séance du 26 août 1892, vers son origine réelle bien plus ancienne. Celle-ci paraît dater d’une grande frayeur qu’Hélène eut au cours de sa dixième année. Comme elle traversait la plaine de Plainpalais en revenant de l’école, elle fut assaillie par un gros chien qui se dressa contre elle en aboyant. On se représente la terreur de la pauvre enfant, qui fut heureusement délivrée par un personnage vêtu d’une grande robe foncée à larges manches avec une croix blanche sur la poitrine, lequel se trouva là tout à coup et comme par miracle, chassa le chien, et disparut soudain avant qu’elle eût pu le remercier. Or, d’après Léopold, ce personnage ne serait autre que lui-même qui apparut pour la première fois à Hélène en cette occasion et la sauva en faisant peur au chien.

    Cette explication a été donnée par Léopold, le 6 octobre 1895, dans une séance où Hélène venait d’avoir en somnambulisme la répétition de cette scène de frayeur, avec cris déchirants, gestes de lutte et de défense, tentatives de fuite, etc. À l’état de veille, elle se rappelle très bien cet épisode de son enfance, mais n’y fait pas intervenir Léopold et croit que ce fut un curé ou un religieux quelconque qui, passant par là par hasard, se porta à son secours et chassa l’animal. Ses parents ont également le souvenir de cet incident, qu’elle leur raconta un jour en rentrant très émotionnée de l’école et à la suite duquel elle ne put de longtemps rencontrer un chien dans la rue sans être reprise d’effroi et se cacher dans la robe de sa mère. Elle a toujours conservé une aversion instinctive pour les chiens.

Il ne semble pas à première vue que, dans cette aventure, la sphère des sentiments de pudeur ait dû être spécialement en jeu ; mais si l’on songe que toutes les émotions intenses se tiennent, qu’il s’agit, en somme, d’une sorte d’attentat, et que la puissance désagrégeante des chocs physiques et moraux chez les individus prédisposés est un fait aujourd’hui banal, on ne fera pas difficulté de souscrire à l’affirmation de Léopold, en la prenant, il est vrai, en un autre sens que lui, et de voir dans cet épisode la première origine de la division de conscience et des manifestations hypnoïdes de Mlle Smith. Quant à savoir si le personnage en robe était un passant réel accouru au secours de l’enfant, et dont l’image, gravée à jamais dans sa mémoire à la faveur de l’émotion, s’est plus tard reproduite dans toutes les circonstances analogues et a fini par faire corps avec Léopold ; ou si ce fut déjà alors une vision imaginative, accompagnant quelque vigoureux déploiement automatique d’énergie musculaire par lequel la petite fille réussit à se débarrasser du chien, c’est ce qui n’est pas possible ; la première hypothèse me paraît toutefois la plus naturelle et la plus simple.

On a vu (p. 48) qu’après ce premier incident, les choses en restèrent là pendant quatre ans, jusqu’au moment où la puberté vint favoriser le développement des visions orientales. Ici, Léopold, auquel nous devons ces renseignements, n’est plus tout à fait d’accord avec lui-même, car tantôt il dit que c’est lui qui donnait ces visions de l’Inde à Mlle Smith, tantôt qu’elles se produisaient d’elles-mêmes comme des réminiscences d’une vie antérieure ; cependant, le fait qu’il en avait connaissance, et s’en souvient en gros, semble bien indiquer qu’il était pour quelque chose dans leur apparition, conformément à sa première thèse, ce qui appuie l’idée d’une connexion intime entre ces rêveries subconscientes et la sphère psychique profonde à laquelle j’ai fait allusion. À côté de ces visions diverses, Léopold a clairement reparu sous la forme du protecteur à robe brune dans nombre de circonstances où cette sphère était plus directement intéressée. Je n’en citerai que deux exemples, l’un très ancien, l’autre tout récent.

    Un jour qu’Hélène était allée consulter le docteur au sujet de sa dysménorrhée, celui-ci, qui la connaissait depuis longtemps et était presque un ami de la famille, se permit de cueillir un innocent baiser sur la fraîche joue de la jeune fille. Il ne s’attendait pas à l’explosion indignée que cette familiarité provoqua chez Mlle Smith, à qui il dut se hâter de faire des excuses méritées. Ce qui nous intéresse ici, c’est que, sous le coup de l’émotion, elle vit apparaître dans l’angle de la chambre son défenseur en robe brune, qui ne la quitta plus jusqu’à ce qu’elle fût rentrée chez elle.

    Il n’y a pas longtemps, ce même protecteur, toujours dans le même costume, l’a accompagnée plusieurs jours de suite pendant qu’elle traversait une promenade peu fréquentée qui se trouve sur sa route lorsqu’elle va à son bureau. Un soir, aussi, il lui apparut à l’entrée de cette promenade avec l’attitude de lui barrer le chemin, et l’obligea à faire un détour pour regagner son domicile. Mlle Smith a l’impression, et divers indices donnent à penser qu’elle ne se trompe pas, que c’est pour lui éviter une vue ou une rencontre dangereuse que Léopold, à la robe brune, lui apparaît ainsi dans des conditions toujours parfaitement déterminées. C’est à la distance constante d’une dizaine de mètres qu’il surgit devant elle, marchant ou plutôt glissant à reculons, en silence, à mesure qu’elle avance vers lui, et l’attirant en fascinant ses regards de façon à l’empêcher de les détourner à droite ou à gauche, jusqu’à ce qu’elle ait franchi le passage périlleux. On notera que, tandis que Léopold en d’autres circonstances, par exemple aux séances, se montre à elle dans les costumes les plus variés et parle de tout au monde, c’est toujours sous son aspect hiératique en quelque sorte, muet et vêtu de sa grande robe foncée, qu’il lui apparaît dans les occasions de la vie réelle où elle est exposée aux émotions de danger spéciales à son sexe, comme il lui apparut la première fois lors de la frayeur de sa dixième année.

Les indications que je viens de donner justifient, je pense, suffisamment mon opinion, que l’origine réelle et primordiale de Léopold se trouve dans cette sphère délicate et profonde où l’on a tant de fois rencontré les racines des phénomènes hypnoïdes, et à laquelle les plus illustres visionnaires, tels qu’un Swedenborg [4], semblent devoir en bonne partie non point sans doute le contenu intellectuel et vivant, mais la forme imaginative, l’enveloppe hallucinatoire et matérielle, de leur génie. Un double problème subsiste toutefois dans le cas de Mlle Smith. Pourquoi ces sentiments instinctifs, ces tendances émotionnelles, qui existent chez tout le monde et poussent chez beaucoup des diverticules subconscients et hypnoïdes, ont-ils chez elle abouti à un produit aussi complexe et aussi perfectionné que l’est la personnalité de Léopold, et pourquoi, en second lieu, cette personnalité croit-elle être Joseph Balsamo ?

Je réponds d’emblée que ces deux points sont à mes yeux un pur effet d’autosuggestion. Pour ce qui est du premier, à savoir que la vie subconsciente se condense en une personnalité d’apparence indépendante et distincte du moi ordinaire, possédant son caractère à elle et se révélant par des procédés automatiques, le simple fait de s’occuper de spiritisme et de se livrer à des exercices médiumiques suffit à le produire. Ce n’est pas là une hypothèse ou une affirmation en l’air, c’est une vérité empirique, la constatation d’une réalité, une loi psychologique induite d’exemples concrets et qui, par conséquent, constitue l’explication suffisante, et seule plausible jusqu’à preuve du contraire, des autres cas particuliers auxquels sa formule est applicable. Prenez un individu ayant dans sa subconscience des souvenirs, des scrupules, des tendances affectives, des idées à coefficient émotionnel plus ou moins intense ; mettez-lui en tête, je ne dis pas des convictions, mais simplement des préoccupations spirites, puis attelez-le à une table ou à un crayon : pour peu qu’il soit du tempérament impressionnable, suggestible, désagrégeable que le public appelle la faculté médianimique, il ne se passera pas longtemps avant que ses éléments subliminaux se groupent, s’ordonnent, se compénètrent suivant la forme « personnelle » à laquelle tend toute conscience [5], et se traduisent au-dehors en communications qui ont l’air de venir directement des désincarnés. J’ai publié [6] dernièrement deux exemples typiques de ce processus, où il n’y a pas plus d’esprits au sens spirite du mot que dans le fait de se rappeler son nom ou son adresse, et je ne reviens pas sur cette démonstration.

Appliquée au cas de Mlle Smith, cette loi consiste à dire que Léopold n’existait pas nécessairement (il n’y en a d’ailleurs aucun indice) à titre de sous-personnalité distincte avant qu’Hélène s’occupât de spiritisme. C’est aux séances du groupe N., par réaction émotionnelle contre certaines influences, comme on l’a vu, qu’il s’est peu à peu formé, en s’enrichissant des souvenirs de même tonalité, jusqu’à devenir un être en apparence indépendant, se révélant par la table, manifestant une volonté propre et une tournure de pensée à lui, se rappelant les incidents antérieurs analogues de la vie d’Hélène et se donnant les gants d’y être déjà intervenu. Une fois constitué, ce second Moi ne fera, cela va sans dire, que croître, embellir, et se développer en tous sens en s’assimilant une foule de nouvelles données à la faveur de l’état de suggestibilité qui accompagne l’exercice de la médiumité, tandis que dans le passé il ne pourra s’agréger, et ne reconnaîtra comme lui appartenant que les éléments de même ordre que lui, les faits subconscients issus de la même sphère fondamentale et teintés des mêmes dispositions. Sans le spiritisme et l’autohypnotisation des séances, Léopold ne se fût vraisemblablement jamais personnalisé, mais serait resté à l’état nébuleux, disséminé, incohérent, de vagues rêveries subliminales et de phénomènes automatiques égrenés.

Quant au second problème, celui d’expliquer pourquoi cette sous-personnalité une fois constituée s’est crue Cagliostro plutôt que de prendre tel autre nom célèbre ou de rester simplement l’ange gardien anonyme de Mlle Smith, cela demanderait une connaissance très complète des mille incidents extérieurs qui ont enveloppé Hélène au début de sa médiumité et ont pu la suggestionner involontairement. Or, je n’ai réussi à récolter sur ce sujet que des indications laissant beaucoup à désirer, de sorte qu’il est loisible à chacun de déclarer que l’origine purement psychologique de cette personnification n’est pas clairement établie et de préférer, si bon lui semble, une intervention réelle de Joseph Balsamo désincarné à mon hypothèse de l’autosuggestion. Voici, toutefois, les points de faits que je puis avancer à l’appui de cette dernière, sans parler d’autres considérations méthodologiques.

    L’esprit autoritaire et jaloux, ennemi évident du groupe N., qui se manifesta le 26 août 1892 sous le nom de Léopold [7] ne révéla son identité de Cagliostro que quelque temps plus tard, dans les circonstances suivantes.

    Une des personnes les plus assidues aux réunions du groupe N. était une dame B., depuis longtemps adonnée au spiritisme et qui avait assisté précédemment à de nombreuses séances chez M. et Mlle Badel, un couple d’amateurs très convaincus actuellement défunts, dont le salon et la table ronde ont tenu une place fort honorable dans l’histoire de l’occultisme genevois. (Je n’en parle que par ouï-dire.) Or, je tiens de Mme B. que l’un des désincarnés qui se manifestait le plus souvent aux séances de M. et Mme Badel, lorsqu’elle y assistait, était précisément Joseph Balsamo. Il n’y a, en effet, pas de figures dans l’histoire qui se prêtent mieux à ces retours posthumes au milieu des mystères du guéridon que celle de l’énigmatique Sicilien, surtout depuis qu’Alexandre Dumas lui a redoré de la façon éclatante que l’on sait son blason d’hypnotiseur avant la lettre et son auréole de grand Cophte illuministe.

    Non contente des réunions officielles du groupe N., Mme B. invitait souvent Hélène chez elle, pour des séances intimes dont on ne tenait pas procès-verbal. C’est à l’une de celles-ci qu’Hélène ayant eu la vision de Léopold qui lui désignait une carafe avec une baguette, Mme B. pensa soudain à un épisode célèbre de la vie de Cagliostro et, après la séance, elle sortit d’un tiroir et montra à Mlle Smith une gravure détachée d’une édition illustrée de Dumas, représentant la fameuse scène de la carafe entre Balsamo et la Dauphine au château de Taverney [8]. Elle émit en même temps l’idée que l’esprit qui se manifestait par la table sous les mains d’Hélène était sûrement Balsamo, comme précédemment à la table de M. et Mme Badel, et elle s’étonna qu’on lui eût donné le nom de Léopold, à quoi Hélène répondit que c’était lui-même qui s’était appelé comme cela. Mme B., continuant ses déductions, dit à Mlle Smith qu’elle avait peut-être déjà été le médium du grand magicien, par conséquent Lorenza Feliciani, dans une vie antérieure. Hélène accepta volontiers cette idée, et se considéra pendant quelques semaines comme la réincarnation de Lorenza, jusqu’au jour où une dame de sa connaissance lui fit observer que cela n’était pas possible, Lorenza Feliciani n’ayant jamais vécu que dans l’imagination et les romans d’Alexandre Dumas ( !). Ainsi dépossédée de son antériorité présumée, Hélène ne tarda pas à être déclarée Marie-Antoinette par la table. Quant à Léopold, peu de temps après que Mme B. l’eût ainsi identifié hypothétiquement avec Cagliostro, il confirma lui-même cette supposition dans une séance du groupe N. en dictant par la table que son vrai nom était Joseph Balsamo.

    Il reste deux points obscurs et impossibles à élucider dans cette généalogie. D’abord qu’était cette vision d’Hélène où Léopold lui montrait une carafe avec une baguette ? Si elle représentait réellement la scène du château de Taverney, on pourrait en conclure que Léopold avait bel et bien la conscience nette d’être Cagliostro avant que Mme B. en émît l’idée, et que cette vision était un moyen détourné de se faire reconnaître ; mais cela ne prouverait point qu’il n’eût puisé cette conscience dans quelque suggestion antérieure inconnue de nous. Mais cette vision se rapportait-elle bien à cette scène célèbre, ou n’était-elle pas tout autre chose ? II faut renoncer à le savoir ; ni les souvenirs de Mme B., ni surtout ceux d’Hélène, qui ne conserve jamais longtemps la mémoire exacte de ses séances même éveillées, ne permettant plus de trancher cette question.

    Ensuite, d’où vient ce nom de Léopold et pourquoi Cagliostro s’en serait-il affublé au lieu de se présenter ouvertement comme chez M. et Mme Badel et à tant d’autres tables spirites ? Nul ne le sait. Il n’y a, à ma connaissance, dans l’entourage de Mlle Smith, personne portant ce prénom et de qui il aurait pu provenir. M. Cuendet, partant de l’idée que c’est bien un pseudonyme intentionnellement adopté par le vrai Joseph Balsamo pour pouvoir, à l’occasion, revendiquer son identité tout en la dissimulant aux séances de Mlle Smith, a fait l’ingénieuse hypothèse que le choix de ce nom de guerre [ou plutôt de table !] a été déterminé par sa construction symétrique sur les trois fameuses initiales L :.P :. D qui représentaient la devise des Illuminés (lilia pedibus destrue), et qu’Alexandre Dumas a inscrites à la fois en tête d’un de ses chapitres les plus impressifs [9] et sur la poitrine de Joseph Balsamo qui en est la figure centrale. Je ne demande pas mieux ; en admettant que la seconde personnalité d’Hélène se soit crue Cagliostro avant la suggestion de Mme B. dont j’ai parlé tout à l’heure, et avant même de se manifester pour la première fois sous le nom de Léopold, il serait psychologiquement très plausible que, par le jeu capricieux des associations d’idées, l’imagination subconsciente d’Hélène ait, en effet, passé de l’image fascinante du fameux Cagliostro au souvenir du chapitre où Dumas le dévoile dans son essence, puis aux trois lettres en vedette qui couronnent ce prestigieux chapitre, et de là, enfin, au seul prénom connu dont ces lettres soient pour ainsi dire les piliers.

    D’autre part, Hélène affirme catégoriquement, et sa mère aussi, qu’elle n’a jamais lu ni même vu les Mémoires d’un médecin avant l’époque où se révéla Léopold-Cagliostro. Quant à interroger Léopold lui-même, cela n’avance guère la question. Les premières fois que je le questionnai à ce sujet, il répondit que ce nom était un pseudonyme purement arbitraire dont il n’y avait pas à rechercher une explication raisonnée. Plus tard (séance du 28 février 1897), comme M. Cuendet lui faisait part de son hypothèse, il l’accepta aussitôt et par des gestes d’approbation énergique félicita l’auteur d’avoir enfin deviné la vérité. Mais cette adhésion se prouve rien, car c’est un trait saillant chez Léopold (qu’il partage avec la plupart des personnalités subliminales) que, ne sachant pas dire grand-chose de lui-même quand on lui demande des renseignements précis sur un sujet quelconque, il acquiesce d’autant plus vite à tout ce qui, dans ce qu’on lui propose, peut flatter son amour-propre et cadrer avec sa nature ou son rôle. De plus, interrogé à nouveau sur l’origine de son nom dans une séance beaucoup plus récente (12 février 1899), il paraît n’avoir plus aucune souvenance de l’hypothèse de M. Cuendet, et explique qu’il a pris comme pseudonyme le prénom d’un de ses amis du siècle dernier, qui lui était très cher, et qui faisait partie de la maison d’Autriche bien qu’il n’ait joué aucun rôle historique ; impossible de lui faire préciser davantage. Il est au total évident qu’il ne sait pas lui-même au juste pourquoi il se sert, et signe ses messages, du prénom de Léopold plutôt que de tout autre, ni même pourquoi il a adopté et conserve un pseudonyme bien inutile puisque sa prétendue identité n’est un secret pour personne depuis six ou sept ans qu’il a pris soin de la divulguer.

    En résumé, Mme B., qui est d’ailleurs spirite convaincue et profonde admiratrice des facultés médianimiques de Mlle Smith, a l’impression « d’avoir bien été pour quelque chose », par ses remarques et suppositions, dans le fait que Léopold s’est donné pour Joseph Balsamo et qu’Hélène s’est d’abord crue Lorenza Feliciani, puis plus tard Marie-Antoinette. C’est également à Mme B., qui parlait volontiers de Victor Hugo, que remonterait suivant d’autres témoins le nom du premier guide temporaire de Mlle Smith.

Une chose reste certaine, c’est que, sauf l’affirmation vague d’avoir déjà connu Hélène dans une existence antérieure [10], Léopold n’a point prétendu être Cagliostro ni donné aucune raison de penser qu’il le fût, avant la réunion où Mme B., qui était accoutumée de vieille date aux manifestations de ce personnage, en énonça la supposition et montra à Mlle Smith immédiatement après la séance (à un moment donc où elle est dans la règle encore extrêmement suggestible) une gravure des oeuvres de Dumas représentant Balsamo et la Dauphine. À partir de ce jour, en revanche, Léopold ne cessa d’affirmer cette qualité, et réalisa progressivement les caractères de ce rôle d’une façon très remarquable, comme on va le voir.
P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Notes :
[1] C’est surtout lors de ses apparitions en plein air que Léopold a l’aspect d’un individu ordinaire dans le milieu ambiant. Dans la maison, il fait habituellement partie de quelque vision plus étendue qui se substitue à la chambre où se trouve Hélène, en sorte qu’on ne peut pas dire qu’elle voie Léopold se détacher sur les meubles ou la paroi comme une personne réelle.
[2] Voici deux exemples de ces dictées typtologiques adressées par V. Hugo à Mlle Smith et conservées dans les procès-verbaux du groupe N. :
    9 décembre 1892. - L’amour, divine essence, insondable mystère.
    Ne le repousse point, c’est le ciel sur la terre.
    19 février 1893. - L’amour, la charité, seront ta vie entière ;
    Jouis et fais jouir, mais n’en sois jamais fière.
[3] Voir la lettre citée p. 45.
[4] Voir Lehmann, Aberglaube und Zauberei, übers, v. Petersen, Stuttgart, 1898, p. 217.
[5] W. James, « Thought Tends to Personal Form », Principles of Psychology, New York, 1890, t. I, p. 225 sq.
[6] « Genèse de quelques prétendus messages spirites », Revue philosophique, t. XLVlI, p. 144 (février 1899).
[7] Suivant les souvenirs vacillants de divers témoins, Léopold se serait déjà manifesté une première fois, peu de jours avant la date ci-dessus, dans une séance d’Hélène tenue avec quelques personnes du groupe N., mais en dehors des réunions régulières de ce groupe, et sans procès-verbal.
[8] Alexandre Dumas, Mémoires d’un médecin. Joseph Balsamo, chap. XV.
[9] Loc. cit. Introduction, chap. II.
[10] Cette affirmation même est évidemment le résultat d’une suggestion extérieure ; voyez p. 89, le procès-verbal de la séance du 26 août 1892. Quand on sait comment se font les questions et les réponses aux séances spirites, il ne saurait y avoir de doute que ce sont les assistants eux-mêmes qui, pour s’expliquer le caractère dominateur et jaloux de ce nouvel esprit, lui ont demandé s’il aurait peut-être déjà connu Hélène dans quelque existence antérieure. Comme de juste, Léopold s’est hâté de souscrire à une supposition qui fournissait de son caractère essentiel (découlant de ses origines psychologiques réelles) une si excellente légitimation, et si conforme aux idées spirites ambiantes.

Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900. source : Gallica

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    En 1992, Judith Ravel de Berlin  voulut concurrencer J.Z. Knight. Elle tint plusieurs séminaires et festivals à Salzburg durant lesquels elle clama être la messagère de l'Esprit de Ramtha. La cour suprême autrichienne reconnut les droits de copyright de J.Z. Knight et a ordonné à Judy Ravel d'abandonner ses prétentions d'être en contact avec Ramtha.
    Knight avait sécurisé ses droits de copyright aux USA dans les années 1970 après avoir proclamé que Ramtha lui avait dit qu'elle était la seule médium ayant droit à avoir accès à lui. La cour condamna aussi Ravel à payer 800 dollars de dommages-intérêts. Les avocats de J.Z. Knight en demandaient des milliers de plus.
source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ramtha


    On dit aussi que la poésie permet d'accéder à la conscience :
    La poésie est ainsi appelée à remplacer la philosophie comme voie d'accès vers la vérité intérieure à l'immédiateté de la conscience à elle-même. Mais cette voie d'accès a une part de magie. Le mot n'est pas un simple sens, il exerce un pouvoir magique sur la conscience. « Ce sera une belle époque que celle où on ne lira plus rien d'autres que de belles compositions - les œuvres d'art littéraires. » Autre fragment de Novalis significatif de cette sacralisation de l'art et de la poésie :
    " La disposition pour la poésie a beaucoup en commun avec la disposition pour le mysticisme. Il s'agit d'une disposition pour tout ce qui est particulier, personnel, inconnu, mystérieux, pour ce qui est à révéler, pour le contingent nécessaire. Elle présente l'imprésentable. Elle voit l'invisible, sent le non-sensible.... Le poète est insensé au sens vrai du terme - c'est la raison pour laquelle tout se rencontre en lui. Il représente au sens le plus propre du terme le sujet-objet - l'âme et le monde. D'où le caractère infini d'un bon poème, son éternité. "
source : http://www.lettres-et-arts.net/arts/66-introduction_la_signification_philosophique_de_l_art

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Le cerveau mystique

Publié le par antoiniste

Le cerveau mystique

    * Isabelle Raynauld, 2006, 52 min 15 s



Documentaire qui explore les états de grâce vécus par les mystiques et les personnes en état de méditation. Une occasion d’accéder au cœur du chapitre le plus récent de la recherche scientifique portant sur ce phénomène. Des carmélites et des moines bouddhistes ont accepté de se prêter à l’expérience : le film présente les travaux exploratoires d’une équipe de l’Université de Montréal.

source : http://www.onf.ca/film/cerveau_mystique/

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Alfred Geiger Moses (Jewish Science) - Silence

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    Silence is the divine manner of manifestation. God reveals Himself to the listening ear of faith in complete stillness. IN SIlence, we find God and commune with the Spirit of all flesh. Be still and in the holy awe know that God exists. To know God means to cast off the coils of sensuous life and to enter the realm of spiritual thought. Casting off the bonds of mortal mind, we enter the SIlence of the inner soul and dwell on the thought of the Infinite and Eternal.

Alfred Geiger Moses, Jewish Science (1920), p.135
in Ellen M. Umansky, From Christian Science to Jewish Science
Spiritual Healing and American Jews
, p.49
Oxford University Press, Oxford, New York, 2005

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Eduard von Hartmann - Philosophie de l'inconscient

Publié le par antoiniste

Hartmann (Eduard de), philosophe né à Berlin le 23 février 1842, mort en 1916. Fils d'un général d'artillerie, il eut peu de goût pour les études classiques, mais étudia avec succès les mathématiques et la physique, avec intérêt les auteurs grecs, surtout Sophocle et Thucydide, et, en 1858, sortit du gymnase après de brillants examens. II fit son volontariat dans les dragons de la garde, et passa ensuite trois ans à l'école d'artillerie de Berlin, fréquentant pendant ce temps la meilleure société, se plaisant surtout au commerce des femmes. II était premier lieutenant, en 1864, lorsque sa mauvaise santé le força à quitter le service. Il se livra d'abord à la musique et à la peinture, mais les abandonna bientôt pour la philosophie. Dès 1858, il avait commencé à écrire ses réflexions. Son grand ouvrage fut conçu en 1863. Retiré à Grosslichterfelde, près de Berlin, il y travailla dès 1864. En 1867, il se fit recevoir docteur à l'université de Rostock. Mais il ne fréquentait pas les cours ni les professeurs; c'est à ses études personnelles et à quelques amis médecins, surtout à Flemming, qu'il dut le développement de son esprit.

Dès lors, il a publié un grand nombre d'écrits sur des sujets de philosophie, d'esthétique, de religion. Le principal de beaucoup est la Philosophie de l'Inconscient. Cet ouvrage est divisé en deux parties, dont l'une a pour titre : la Phénoménologie, l'autre la Métaphysique de l'Inconscient, division qui marque assez bien celle de la doctrine. Cette doctrine (la première partie) est expérimentale, et prétend être scientifique; peut-être même est-ce la première ambition de Hartmann, que d'avoir essayé d'unir étroitement la philosophie et la science, l'une étant considérée comme le complément nécessaire de l'autre. L'autre partie du système est purement métaphysique, et a pour objet des spéculations analogues à celles de Schelling ou de Schopenhauer, sur la nature et la fin de l'univers, sur le bonheur, le néant, l'être, les principes suprêmes.

La vie corporelle nous oblige à recourir à l'inconscient. Celui-ci est conçu soit comme volonté, soit comme idée. L'organisme ne peut être expliqué suffisamment comme en mécanisme (Philosophie mécanique). Il est une société d'organismes individuels, c'est-à-dire, d'un bout à l'autre, une activité. Il en est de même de ses fonctions. L'inconscient apparaît dans l'instinct, dont il explique la clairvoyance, la plasticité. Le réflexe doit être conçu comme une réaction de l'instinct. et suppose lui-même une finalité intérieure. Comment comprendre, sans elle, la finalité évidente, la promptitude, la variété infinie des mouvements réflexes? Le réflexe est en effet le type de l'acte du système nerveux, et nos fonctions les plus hautes tombent sous sa définition. Le mouvement volontaire lui-même ne s'expliquerait pas sans des réflexes qui mettent en mouvement avec une rapidité et une précision parfaites une multitude de fibres inconnues à la conscience. A tous ses degrés, le réflexe a une face subjective inséparable de la face objective, des éléments de volonté et d'idée inséparable du mouvement. La même finalité inconsciente se retrouve dans les actes curateurs de l'organisme, inexplicables mécaniquement, sans une vertu curative spontanée. Il en est de même des actes formateurs, ceux par exemple qui dépendent de la nutrition; nulle explication mécaniste ne rendra compte de la formation des tissus. Sans doute la plupart du temps l'activité inconsciente a confié son oeuvre à un mécanisme ; mais le mécanisme lui-même la manifeste. Il y a dans chaque organisme une providence intérieure, que notre conscience ne connaît pas et qui veille toujours. C'est elle qu'il faut entendre dans ce mot de Schopenhauer, que Hartmann a choisi pour épigraphe de ce premier livre :

    « Chaque être se présente à nous comme son oeuvre propre; mais on ne comprend pas le langage de la nature, parce qu'il est trop simple. »

Cet inconscient, qui a créé l'organisme, y a partout établi la subordination et l'unité. Chaque centre nerveux est à la fois dépendant et actif : actif pour la besogne qui lui est propre et à laquelle il suffit ; dépendant pour les fonctions supérieures pour lesquelles un centre supérieur lui commande.

L'inconscient est aussi partout dans la vie de l'esprit. Il suffit, pour le reconnaître, d'analyser les instincts humains, la coquetterie, la pudeur, l'amour maternel, l'amour. Ce sont autant de volontés inconscientes de leur but, au service de l'inconscient. Le type de cette activité, à la fois intelligente et aveugle, c'est l'amour, par lequel l'inconscient mobilise toutes les forces de l'individu en vue d'un but supérieur à l'individu même : la conservation de l'espèce. L'amour est la grande tromperie de la nature, que Schopenhauer déjà avait aperçue. L'activité inconsciente se trahit, lorsqu'elle accomplit son acte, par le plaisir et la douleur. La sensibilité consciente n'est que l'écho des satisfactions ou des contrariétés d'une activité inconsciente. Les plaisirs et les douleurs sont donc identiques dans leur fond. Ainsi s'expliquent des caractères autrement inexplicables. Il arrive que nous avons du plaisir à des actes dont l'idée nous rebutait : n'est-ce pas la preuve que la conscience ne connaît pas les fins de l'inconscient? Si notre sensibilité est si mystérieuse, c'est que nos plaisirs et nos peines sont surtout déterminés par des idées et des désirs inconscients. Si la réflexion réussit parfois à y pénétrer, c'est que l'inconscient a aussi sa logique, distincte, mais semblable à celle de l'esprit conscient. Mieux encore que dans les sensations, l'inconscient se révèle dans la manière dont l'âme réagit contre elles; c'est le caractère. Cette réaction a tout à fait le type de l'action réflexe ou des mouvements réflexes de l'instinct. De là la résistance, l'immutabilité du caractère. Tout ce que peut contre lui l'habitude ou l'exercice, c'est de développer plus spécialement certaines de ses tendances. Par suite la moralité ne descend point dans ses profondeurs.

    « La nature en elle-même n'est ni bonne ni mauvaise [...]. Le bien et le mal n'existent pas pour elle, mais seulement pour la volonté-consciente de l'individu. »

Par l'inconscient, la vie intellectuelle tient aussi de très près au caractère. Elle y tient d'abord dans tout ce qui concerne l'art. La perception-esthétique est la réaction spontanée de l'âme contre les impressions sensibles. L'inspiration de l'oeuvre d'art appartient à l'inconscient, qui suggère à l'artiste ses associations d'idées et d'images. La beauté est un besoin de la nature, besoin universel qui est dans tous les êtres vivants; elle est le désir de l'inconscient même. Il y a dans la beauté une logique; c'est une idée inconsciente, plus ou moins parente de notre pensée. La même logique, inexplicable pour les mécanistes, se retrouve dans les lois de la formation et du développement et du langage : ce sont les effets

    « d'un esprit qui soumet le développement du langage aux mêmes lois, dans ses périodes de floraison comme de développement ».

L'inconscient agit enfin dans la pensée discursive ou abstraite. Les lois de l'esprit sont a priori parce qu'elles sont les lois des choses, l'oeuvre d'un esprit universel. Les procédés de la connaissance appartiennent à l'inconscient; c'est à lui qu'appartient l'induction, à lui aussi l'action créatrice de la pensée.

    « Ce n'est qu'après coup que les raisons sont recherchées pour la conscience, lorsque le jugement est déjà arrêté. »

La perception extérieure enfin doit à l'inconscient ses éléments essentiels : l'espace qui n'est pas, comme le croit Kant, purement subjectif, mais qui est une fonction de l'idée inconsciente; les qualités des diverses sensations, qui sont l'oeuvre de lois psychologiques inconnues, mais certaines, qu'on ne petit attribuer qu'à l'inconscient.

Tel est le rôle de l'inconscient dans la vie humaine tout ce qui est activité spontanée, et il n'est rien qui au fond ne se résolve dans une telle activité, lui appartient. Cette théorie a le mérite, pour la physiologie, de montrer les lacunes du mécanisme, et par suite, de le forcer à devenir plus exact, plus complet; pour la psychologie, de délimiter la part de l'inconnu, de l'instinctif en nous, et de mesurer ainsi l'importance des idées abstraite, et de leurs lois; elle tend a rendre la morale plus concrète; elle donne enfin à l'esthétique une idée féconde, que Schopenhauer avait déjà développée, il est vrai, mais avec une méthode moins rigoureuse, trop intuitive et trop personnelle.

La Métaphysique de l'inconscient examine en eux-mêmes les principes que la Phénoménologie a étudiés dans leurs effets. L'inconscient, sous ses deux formes, volonté et idée, est le principe actif que nous avons trouvé dans toutes les manifestations de la vie. Ce principe appartient à la conscience. A-t-on le droit de le considérer comme réel, et de le transformer en une force agissant dans le monde? La pensée est elle-même l'oeuvre du monde, analogue à lui, et leurs lois sont communes : le principe que l'expérience intime nous fait connaître appartient donc bien à l'univers. ll s'agit seulement de le débarrasser des formes qui sont particulières à l'humain. Ces formes tiennent toutes à la conscience. Nous n'avons le droit de considérer la volonté et l'idée comme principes métaphysiques qu'à la condition d'admettre qu'ils ne se connaissent pas.

Comment expliquer l'apparition de la conscience? Elle résulte de la lutte de forces opposées. Partout où il y a des forces distinctes, il peut y avoir conscience. Peut-être existe-t-il une conscience des atomes. Il y a une conscience des cellules vivantes, du protoplasmes. La conscience n'a pas de degrés, elle est ou elle n'est pas. Sa richesse, son étendue tiennent à son objet. Elles dépendent des conditions physiologiques, de la facilité de communication entre les cellules nerveuses. L'être le plus pauvre, la matière, n'est donc pas inconscient et inerte. On ne peut concevoir les atomes que comme des centres de force. Or, toute force, toute action est une volonté et une fin, par suite une idée. Ainsi est rétablie l'unité de l'être sans que la science ait à en souffrir. Par suite, il n'y a pas de solution de continuité métaphysique entre la matière et la vie et la vie peut spontanément sortir de la matière. La vie produit l'individu, suivant les quatre lois d'unité suivantes :

    1° unité d'espace ou de forme;

    2° de temps ou d'action;

    3° de cause ;

    4° de fin.

Les individus se perfectionnent en enfermant dans ces unités une multiplicité sans cesse croissante. Ils se développent suivant des lois externes et internes, l'action extérieure, l'hérédité, l'inconscient surtout, qui tend à enfermer en chacun d'eux la plus grande somme possible de vie, luttant pour cela contre les lois de la matière. Ainsi s'expliquent les individus dans leur diversité. Leurs ressemblances s'expliquent en partie par les lois de l'évolution, l'adaptation, la sélection naturelle, l'hérédité, mais aussi par la finalité de l'inconscient, qui demeure la cause principale, inventrice et directrice. L'inconscient ne se divise ni dans les individus ni dans les espèces. L'harmonie de tous les actes de la nature prouve l'unité de la force qui les accomplit. L'inconscient est l'âme universelle, l'un-tout. Inconscient, il n'est pas aveugle, il a la sagesse absolue. Le monde qu'il crée est le meilleur possible (Leibniz, Optimisme).

Pourtant la souffrance y domine infiniment la joie. Hartmann analyse alors l'espérance du bonheur, sous toutes sa formes; bonheur individuel, bonheur de l'espèce, bonheur dans une autre vie. Sous toutes ses formes, cette espérance est illusoire. A mesure que l'humanité fait des progrès, elle souffre davantage. Un jour viendra où sa souffrance sera telle, et l'illusion de ses espérances si visible, qu'elle aspirera elle-même à sa délivrance, et que la volonté renoncera à la vie. Ce renoncement ne sera pas le suicide individuel de Schopenhauer, révolte enfantine et inutile de l'humain qui n'a su comprendre ni quelles sont les forces qu'il a contre lui, ni celles dont il dispose, mais le renoncement de l'humanité tout entière, résultat de pénibles efforts et d'un progrès séculaire. Le devoir pour nous n'est pas le suicide, mais le progrès dans tous les ordres de la vie; le progrès augmente la souffrance, découvre l'illusion et prépare le renoncement. Quel peut donc être le plan du monde et le but de l'inconscient créateur? Si l'inconscient veut la vie, comment les êtres vivants peuvent-ils vouloir le néant, et quelle sera la fin de cette lutte? Hartmann répond à cette question par l'examen des Derniers Principes. Le principe des choses n'est pas l'idée, comme l'a cru Hegel. Admettre dans l'idée un élément illogique, c'est en réalité reconnaître l'existence d'un autre principe que l'idée? Le principe suprême n'est pas davantage la volonté de Schopenhauer. Donner pour fondement à sa philosophie une volonté aveugle, c'est choisir un principe trop étroit, incapable d'expliquer la logique et la fécondité de l'univers. Le principe suprême de comprendre les deux principes, comme ses attributs. Ils sont, du reste, inséparables dans l'univers.

    « L'idée détermine l'essence, la volonté l'existence [...]. L'entendement donne la mesure à la volonté infinie, sans limites. »

La volonté et l'idée ont la même essence, cherchent à s'unir.

    « L'état de la volonté est une éternelle aspiration vers un contenu qui ne peut lui être donné que par l'idée. »

La volonté et idée s'unissent comme le principe masculin et le féminin. L'idée vierge se sacrifie pour sauver la volonté de sa souffrance. Mais leur rapport est celui du fini à l'infini, et la souffrance ne peut être calmée. Une fois que la volonté est entrée dans l'existence, elle s'est condamnée à la servitude du vouloir. Elle ne saurait être affranchie que par l'excès même de sa souffrance. Le jour ou le vouloir saura renoncer à lui-même, la volonté retournera à la puissance pure, à l'absolue liberté. Elle pourra dès lors recommencer à chercher l'être. La probabilité de sa renaissance sera 1/2. Mais si n mondes ont existé déjà, si le vouloir est sorti n fois de la volonté, la probabilité est réduite à 1/2n. Cela suffit à légitimer notre effort pour le progrès. Ainsi, par l'introduction d'un élément logique, le pessimisme de Schopenhauer est ici achevé d'une façon plus systématique. Mais si le raisonnement est plus rigoureux, l'intuition est moins riche. Il n'y a pas dans le livre de Hartmann la plénitude de la pensée, la beauté du style, qui feront vivre le Monde comme Volonté et Représentation. (Cramaussel).

   
Les principaux ouvrages de Hartmann sont : Die Philosophie des Unbewussten (Berlin, 1869; 2e édit., 1882. trad. en français par Nolen).- Ueber die dialektische Methode (1868). - Schellings positive Philosophie als Einheit von Hegel und Schopenhauer (1869). - Gesammelte philosophische Abhandlungen (1872). - Erlœuterungen zur  Metaphysik des Unbewussten (1874). - Neukantianismus und Hegelianismus (1874); etc.

source : http://www.cosmovisions.com/Hartmann.htm

Plusieurs de ses oeuvres en allemand, ou en français sont à télécharger sur gallica.fr et archive.org

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Brenda Lee - Emotions (1960)

Publié le par antoiniste

(Mel Tillis - Ramsey Kearney)
Recorded August 16, 1960
Produced by Owen Bradley
Originally released January 12, 1961



Emotion, what are you doin'
Oh, don't you know
Don't you know you'll be my ruin
You've got me crying, crying again
When will you let this heartache end

Emotion, you get me upset
Why make me remember
What I want to forget
I've been lonely, lonely too long
Emotions, please leave me alone

You worry my days
Yes, you torture my nights
Never a dream, no, those old dreams
Never turn out right

Emotion, ah, give me a break
Let me forget that I made a mistake
Oh, can't you see what you're doing to me
Emotions, please set me free

You worry my days
Oh, you torture my nights
Never a dream, no, those dreams
Never turn out right

Emotion, ah, give me a break
Oh, let me forget that I made a mistake
Oh, can't you see what you're doing to me
Emotions, please set me free

 

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Enki et Ninhursag, à l'origine de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal

Publié le par antoiniste

Enki et Ninhursag, à l'origine de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du MalEnki et Ninhursag est un mythe sumérien, mettant en scène deux grandes divinités, Enki maître de la sagesse, le porteur d'eau, et sa parèdre  Ninhursag  appelée aussi Damkina. Le récit se passe sur l'île de Dilmun, l'actuel Bahreïn, qui entretient durant la haute Antiquité d'intenses relations avec la Mésopotamie. Ce mythe raconte comme Enki a fait de cette contrée, au départ désertique, une région disposant d'abondantes ressources pour le bonheur de Sumer.

Le dieu y construit d'abord un puits, vraisemblablement un puits aérien, pour faire apparaître l'eau douce là où il n'y en a pas, nécessaire à la vie, et donc au développement des plantes.

Après cela, il couche avec son épouse Ninhursag, qui en neuf jours, met au monde Ninsar, la maîtresse des légumes.

Puis Enki couche ensuite avec Ninsar, qui met au monde en neuf mois Nin-Kur, divinité des plantes destinées au filage, de même une autre fille, Uttu, déesse du filage, sera donnée à Enki. Ainsi, le filage, activité importante de la civilisation, peut apparaître à Dilmun après l'apparition des plantes destinées au filage.

Le récit comporte une lacune alors que Enki poursuit cette dernière.

Puis Enki ne pouvant contrôler son désir, prit Uttu pour s'accoupler avec elle, contre son gré. Elle ne résista pas mais alla se plaindre à Ninhursag, qui sortit les graines d'Enki du ventre d'Uttu et les transforma en plantes. Là où les graines ont été plantées, au bout de 9 jours il poussa huit plantes fortes et luxuriantes, les premières plantes crées par la déesse de la terre.

A la vue de ces belles plantes, Enki, par curiosité et appétit mangea avidement les huit plantes.

Ninhursarg furieuse et outrée du comportement d'Enki, décida de le punir et de se séparer de lui. Elle le réprimanda et le laissa seul, avec huit organes malades. Les organes étaient en train de mourir, et Enki dépérissait et souffrait, mais aucun dieu ne pouvait le guérir sauf Ninhursag qui s'était retirée. La perte d'Enki était insupportable à son frère Enlil, mais un renard vint le consoler et lui promit de trouver Ninhursag pour guérir Enki.

Ninhursarg embrassa tendrement Enki, et lui retira la maladie à chacune des huit parties malades, et fit de chaque plante mangée un moyen de soigner plutôt que de faire du mal, et libéra la maladie en faisant naitre huit divinités, une pour chaque organe. Parmi les huit organes il y a notamment la côte, d'où va naitre une déesse appelée Ninti, dont le nom signifie à la fois la dame de la côte, et celle qui donne la vie.

Une fois Enki guéri, il se réconcilia avec Ninhursag, et ils redevinrent amoureux.

Ce mythe a donc montré le seigneur Enki en tant que créateur de la civilisation, il est avec Ninmah sa sœur, le créateur du genre humain, son nom En-ki signifie seigneur de la terre, il le reçut de son père Anu, roi de Nibiru, auparavant il s'appelle Ea et il a l'avantage de trouver les solutions aux problèmes que rencontrent les an-nun-ka-hi, (ceux qui vinrent du ciel) et il enseigna principalement les arts, la médecine et les sciences de l'irrigation aux hommes, son rôle traditionnel dans la mythologie mésopotamienne.

C'est aussi un mythe qui parle du cycle des saisons au travers des relations entre Enki et Ninhursag, qui sont le maître de l'eau et la déesse de la terre. Quoiqu'on soit là déjà dans le vaste domaine de l'interprétation.

source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Enki_et_Ninhursag

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Maxence van der Meersch - Invasion 14 - Maladie de l'âme

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    Et la haine est une maladie de l'âme qui l'empoisonne.

Maxence van der Meersch, Invasion 14, p.333
Editions Albin Michel, Paris, 1946

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Le théâtre de la vie

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En Inde, la tribu des Dongria Kondh vit le scénario du film "Avatar"

lundi 15 février 2010 par Zone-7
(Source : Le Monde)

La tribu des Dongria Kondh vit loin des studios d’Hollywood. Ses 8 000 membres logent dans de petites maisons en boue séchée, recouvertes de feuilles de palmier, sans électricité ni télévision, reclus dans une montagne de la région de l’Orissa, au fin fond de l’est de l’Inde. Leur histoire ressemble pourtant à s’y méprendre au scénario d’Avatar, le film réalisé par l’américain James Cameron, et qui bat chaque semaine des records au box-office mondial.

Comme la tribu des Na’vi qui, dans le film, tente désespérément d’empêcher les humains d’exploiter les ressources minières de leur terre sacrée, les Dongria Kondh sont menacés d’expropriation par une compagnie britannique, Vedanta Resources, qui veut exploiter la bauxite de leur montagne.

"Le drame d’Avatar - si l’on fait abstraction des lémuriens multicolores, des chevaux à longue trompe et des guerriers androïdes - se joue aujourd’hui sur les collines de Niyamgiri en Orissa", explique Stephen Corry, directeur de l’organisation non gouvernementale (ONG) Survival International, qui défend les peuples indigènes.

Lundi 8 février, l’ONG a publié dans Variety, un magazine américain consacré à l’industrie du spectacle, un appel à James Cameron pour venir en aide à la petite tribu de l’est de l’Inde. "Avatar est une fiction... bien réelle. En Inde, la tribu des Dongria Kondh lutte pour défendre sa terre. (...) Nous avons vu votre film. Maintenant, visionnez le nôtre", lui demande l’ONG.

En Orissa, les collines de Niyamgiri sont vénérées comme des temples car elles abriteraient, selon les croyances des Dongria Kondh, l’esprit du dieu Niyam Raja. Chaque jour, les habitants font des prières devant de petites statuettes en bois posées le long des sentiers de terre, avec, à leurs pieds, des fruits en guise d’offrandes, ou des animaux sacrifiés.

Pour le géant minier britannique Vedanta Resources, détenu par Anil Agarwal, un milliardaire indien, ces collines abritent surtout un gisement de bauxite d’une qualité exceptionnelle. Une usine a déjà été construite au pied des collines pour transformer la bauxite en aluminium. Mais elle attend toujours l’ouverture de la mine pour fonctionner à 100 % de ses capacités. 120 familles de la tribu des Dongria Kondh, qui ont accepté d’être embauchées, vivent désormais dans des maisons en ciment.

Vedanta Resources leur a promis des infrastructures médicales, des écoles et des terres pour se reconvertir à l’agriculture. Nombreux sont les enfants de la tribu à être victimes de sous-nutrition, et à peine 5 % de la population sait lire ou écrire.

Disparition des forêts

Mais, d’après un rapport publié mardi 9 février, par l’ONG Amnesty International, l’usine inaugurée par Vedanta Resources en 2006 aurait déjà commencé à polluer les cours d’eau, menaçant la santé des habitants. "Nous avions l’habitude de nous baigner dans la rivière. Mais, désormais, j’ai peur d’y emmener mes enfants. Mes deux fils se plaignent de démangeaisons", a témoigné l’une des habitantes auprès des auteurs du rapport.

Les ONG locales craignent aussi la disparition des forêts denses qui servent de "garde-manger" aux Dongria Kondh. Les habitants vivent de la cueillette et vont chercher dans l’épaisse végétation qui les entoure, des plantes médicinales. L’institut indien de la faune et de la flore a mis en garde contre les dommages irréversibles sur l’environnement qu’entraînerait le creusement d’une mine.

Vendredi 5 février, l’Eglise d’Angleterre a annoncé qu’elle se retirait du capital de Vedanta Resources - où sa participation était de 6 millions de dollars (4,4 millions d’euros) - au motif que l’entreprise ne répondait pas à ses attentes en matière de "respect des droits de l’homme". Deux ans plus tôt, c’est le fonds souverain norvégien qui s’était désengagé de son capital pour les mêmes motifs.

Les ONG locales dénoncent les menaces et intimidations dont sont victimes les membres de la tribu pour quitter leurs terres. En dépit de ces critiques, l’entreprise a rappelé, mardi 9 février, qu’elle investirait 10 millions de dollars dans la protection de la colline, et qu’elle "stimulerait l’économie des communautés locales" grâce à l’ouverture de la mine. Le projet, qui a obtenu le feu vert de la Cour suprême indienne en août 2008, devrait commencer dans quelques mois. La tribu des Dongria Kondh semble plus proche de l’extinction que du happy end d’Avatar.

source : http://newsoftomorrow.org/spip.php?article7402


    Au théâtre, elle s'émeut jusqu'aux larmes devant la misère ou le malheur qui l'agacerait au contraire dans la réalité, tant celle-ci lui répugne. Elle paie peut-être bien cher la satisfaction d'assister à un spectacle navrant mais mensonger et dans la vie elle passerait à côté de situations analogues sans parfois les remarquer ; nous ferions ici plutôt l'opposé et donnerions même de l'argent pour nous épargner cette vue ; je le répète, l'intelligence ne sait supporter la réalité.
La Révélation, L'arbre de la science de la vie du bien, p.174

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Eric-Emmanuel Schmitt - La part de l'autre - Nul n'est méchant volontairement

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    Alors que tant de mal se fait sur cette planète, personne n'aspire au mal. Nul n'est méchant volontairement, même le plus grand rompeur de promesses, le pire des assassins ou le dictateur le plus sanguinaire. Chacun croit agir bien, en tout cas en fonction de ce qu'il appelle le bien, et ce bien s'avère ne pas être le bien des autres, s'il provoque douleur, chagrin et ruine, c'est par voie de conséquence, cela n'a pas été voulu. Tous les salauds ont les mains propres. Moi qui ai été nonne-visiteuse dans les prisons de Prusse, je peux le confirmer : le salaud se regarde tranquillement dans la glace, il s'aime, il s'admire, il se justifie, il a l'impression - tant qu'il n'est pas mis en échec - de triompher des difficultés qui arrêtent les autres ; il n'est pas loin de se prendre pour un héros.
[...]
    Je crois qu'il existe deux sortes de monstres sur cette terre : ceux qui ne pensent qu'à eux, ceux qui ne pensent qu'aux autres. Autrement dit, les salauds égoïstes et les salauds altruistes. [...] Les salauds altruistes provoquent des ravages supérieurs car rien ne les arrête, ni le plaisir, ni la satiété, ni l'argent ni la gloire. Pourquoi ? Parce que les salauds altruistes ne pensent qu'aux autres, ils dépassent le cadre de la malfaisance privée, ils font de grandes carrières publiques. Mussolini, Franco ou Staline se sentent investis d'une mission, ils n'agissent à leurs yeux que pour le bien commun, ils sont persuadés de bien faire en supprimant les libertés, en emprisonnant les opposants, voire en les fusillant. Ils ne voient plus la part de l'autre. Ils essuient leurs mains pleines de sang dans le chiffon de leur idéal, ils maintiennent leur regard fixé sur l'horizon de l'avenir, incapables de voir les hommes à hauteur d'homme, ils annoncent à leus sujets des temps meilleurs en leur faisant vivre le pire. Et rien, rien jamais ne les contredira. Car ils ont raison à l'avance. Ils savent. Ce ne sont pas leurs idées qui tuent, ais le rapport qu'ils entretiennent avec leurs idées : la certitude.
    Un homme certain, c'est un homme armé. Un homme certain que l'on contredit, c'est dans l'instant un assassin. Il tue le doute. Sa persuasion lui donne le pouvoir de nier sans débat ni regret. Il pense avec un lance-flammes. Il affirme au canon.
    La plus haute nuisance n'a donc rien à voir avec l'intelligence ou la bêtise. un idiot qui doute est moins dangereux qu'un imbécile qui sait. Tout le monde se trompe, le génie comme le demeuré, et ce n'est pas l'erreur qui est dangereuse mais le fanatisme de celui qui croit qu'il ne se trompe pas. Les salauds altruistes qui se dotent d'une doctrine, d'un système d'explication ou d'un foi en eux-mêmes peuvent emporter l'humanité très loin dans leur fureur de pureté. Qui veut faire l'ange fait la bête.

Eric-Emmanuel Schmitt, La part de l'autre, p.459-461
Le Livre de Poche, Paris, 2001

Nota bene : Nous sommes ici dans la biographie uchronique d'Adolf H., c'est-à-dire, la biographie d'Adolf Hitler si il avait été accepté au concours d'entrée des Beaux-Arts de Vienne. C'est la raison pour laquelle la lettre ne mentionne pas, parmi les salauds altruistes, le Führer Adolf Hitler, puisque par la magie de la littérature, il n'existe pas. (cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Part_de_l%27autre)
    "[La vérité] nous apparaît bien claire, mais nous ne la possédons que lorsque nous ne prétendons pas l'avoir. Disons que la vérité c'est Dieu et que Dieu c'est la vérité." 'La Révélation, L'importance de la pensée, p.23).

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Le secret médical

Publié le par antoiniste

    La notion de secret [médical] est rendue complexe à cause de deux obligations contradictoires. D'après le Code de  déontologie, le secret médical n'est pas opposable au patient lui-même : l'article 35 stipule en effet que le médecin doit donner au patient "une information loyale, claire et appropriée". Malheureusement, ce même article, dans l'alinéa suivant, dit aussi que "dans l'intérêt du malade et pour des raisons légitimes que la praticien apprécie en conscience, [le médecin peut tenir celui-ci] dans l'ignorance d'un diagnostique ou d'un pronostic graves"... Il énonce donc explicitement qu'un médecin est a priori mieux à même de juger de l'intérêt d'un citoyen que ce citoyen lui-même - donc de décider ou non de lui révéler ce qu'il sait - dès lors que ce citoyen s'est confié à lui. Cette latitude laissée au médecin d'apprécier "en conscience" ce qu'il va dire ou on dénature profondément la notion de secret médical, puisque le médecin est ainsi présenté comme ayant une autorité morale supérieure à celle du premier intéressé.
[...]
    L'obligation d'informer la famille et les proches n'est en principe prévue par le Code de déontologie médicale que dans les cas suivants : malade hors d'état d'exprimer sa volonté (article 36), mineur ou incapable majeur (article 42), acte portant atteinte à 'intégrité corporelle (article 41). En dehors de ces cas précis, le médecin est cependant autorisé à taire "en conscience" au patient la vérité sur son état et, simultanément, à enfreindre le secret médical en révélant cet état à la famille. L'article 35, par ses deux alinéas contradictoire, autorise finalement le médecin à faire... ce qu'il veut ! Cette liberté exorbitante présuppose que le médecin sache toujours ce qu'il convient de faire. Or, rien n'est moins sûr. A mon sens, un praticien qui tait l'existence d'une maladie mortelle à un patient et l'annonce à son conjoint commet dans tous les cas une grave erreur. En cachant la vérité au malade, il empêche toute communication franche et directe de celui-ci avec son entourage.
[...]
    Même si aujourd'hui la règle consiste à donner au patient tous les éléments sur son état, à l'accompagner moralement et à le faire participer aux décisions le concernant, cette attitude de franchise et de partage n'est pas - il s'en faut de beaucoup - une généralité dans la profession médicale française.

Martin Winckler, C'est grave docteur ?,
Ce que disent les patients, ce qu'entendent les médecins, p.50-51, p.55, p.49
Editions de La Martinière, Paris, 2002

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