Eklablog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

eternite

La pleine conscience

Publié le par antoiniste

    La pleine conscience (parfois également appelée attention juste, samma sati en sanscrit) est une expression dérivée de l’enseignement de Gautama Bouddha et désignant la conscience vigilante de ses propres pensées, actions et motivations. Elle joue un rôle primordial dans le bouddhisme où il est affirmé que la pleine conscience est un facteur essentiel pour la libération (Bodhi ou éveil spirituel).

source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pleine_conscience

Voir les commentaires

Emile Zola, Comment on meurt - Jean-Louis Lacour

Publié le par antoiniste

    Jean-Louis Lacour a soixante-dix ans. Il est né à La Courteille, un hameau de cent cinquante habitants, perdu dans un pays de loups. En sa vie, il est allé une seule fois à Angers, qui se trouve à quinze lieues; mais il était si jeune qu’il ne se souvient plus. Il a eu trois enfants, deux fils, Antoine et Joseph, et une fille, Catherine. Celle-ci s’est mariée ; puis, son mari est mort, et elle est revenue chez son père, avec un petit de douze ans, Jacquinet. La famille vit sur cinq ou six arpents, juste assez de terre pour manger du pain et ne pas aller tout nu. Quand ils boivent un verre de vin, ils l’ont sué.
    La Courteille est au fond d’un vallon, avec des bois de tous les côtés, qui l’enferment et la cachent. Il n’y a pas d’église, la commune est trop pauvre. C’est le curé des Cormiers qui vient dire la messe; et, comme on compte deux bonnes lieues de chemin, il ne vient que tous les quinze jours. Les maisons, une vingtaine de masures branlantes, sont jetées le long de la grand-route. Des poules grattent le fumier devant les portes. Lorsqu’un étranger passe, les femmes allongent la tête, tandis que les enfants, en train de se vautrer au soleil, se sauvent au milieu des bandes d’oies effarées.
    Jamais Jean-Louis n’a été malade. Il est grand et noueux comme un chêne. Le soleil l’a séché, a cuit et fendu sa peau; et il a pris la couleur, la rudesse et le calme des arbres. En vieillissant, il a perdu sa langue. Il ne parle plus, trouvant ça inutile. D’un pas long et entêté, il marche, avec la force paisible des boeufs.
    L’année dernière, il était encore plus vigoureux que ses fils, il réservait pour lui les grosses besognes, silencieux dans son champ, qui semblait le connaître et trembler. Mais, un jour, voici deux mois, ses membres ont craqué tout d’un coup; et il est resté deux heures en travers d’un sillon, ainsi qu’un tronc abattu. Le lendemain, il a voulu se remettre au travail; seulement, ses bras s’en étaient allés, la terre ne lui obéissait plus. Ses fils hochent la tête. Sa fille tâche de le retenir à la maison. Il s’obstine, et on le fait accompagner par Jacquinet, pour que l’enfant crie, si le grand-père tombe.
— Que fais-tu là, paresseux? demande Jean-Louis au gamin, qui ne le quitte pas. À ton âge, je gagnais mon pain.
— Grand-père, je vous garde, répond l’enfant.
    Ce mot donne une secousse au vieillard. Il n’ajoute rien. Le soir, il se couche et ne se relève plus. Quand les fils et la fille vont aux champs, le lendemain, ils entrent voir le père, qu’ils n’entendent pas remuer. Ils le trouvent étendu sur son lit, les yeux ouverts, avec un air de réfléchir. Il a la peau si dure et si tannée, qu’on ne peut pas savoir seulement la couleur de sa maladie.
— Eh bien ? père, ça ne va donc pas ?
    Il grogne, il dit non de la tête.
— Alors, vous ne venez pas, nous partons sans vous ?
    Oui, il leur fait signe de partir sans lui. On a commencé la moisson, tous les bras sont nécessaires. Peut-être bien que, si l’on perdait une matinée, un orage brusque emporterait les gerbes. Jacquinet lui-même suit sa mère et ses oncles. Le père Lacour reste seul. Le soir, quand les enfants reviennent, il est à la même place, toujours sur le dos, les yeux ouverts, avec son air de réfléchir.
— Alors, père, ça ne va pas mieux ?
    Non, ça ne va pas mieux. Il grogne, il branle la tête. Qu’est-ce qu’on pourrait bien lui faire ? Catherine a l’idée de mettre bouillir du vin avec des herbes; mais c’est trop fort, ça manque de le tuer. Joseph dit qu’on verra le lendemain, et tout le monde se couche.
    Le lendemain, avant de partir pour la moisson, les fils et la fille restent un instant debout devant le lit. Décidément, le vieux est malade. Jamais il n’a vécu comme ça sur le dos. On devrait peut-être bien tout de même faire venir le médecin. L’ennui, c’est qu’il faut aller à Rougemont; six lieues pour aller, six lieues pour revenir, ça fait douze. On perdra tout un jour. Le vieux, qui écoute les enfants, s’agite et semble se fâcher. Il n’a pas besoin de médecin, ça ne sert à rien et ça coûte.
— Vous ne voulez pas ? demande Antoine. Alors, nous partons travailler ?
    Sans doute, qu’ils partent travailler. Ils ne le soulageraient pas, bien sûr, en restant là. La terre a plus besoin d’être soignée que lui. Et trois jours se passent, les enfants vont chaque matin aux champs, Jean-Louis ne bouge point, tout seul, buvant à une cruche quand il a soif. Il est comme un de ces vieux chevaux qui tombent de fatigue dans un coin, et qu’on laisse mourir. Il a travaillé soixante ans, il peut bien s’en aller, puisqu’il n’est plus bon à rien, qu’à tenir de la place et à gêner le monde.
    Les enfants eux-mêmes n’ont pas une grande douleur. La terre les a résignés à ces choses; ils sont trop près d’elle, pour lui en vouloir de reprendre le vieux. Un coup d’oeil le matin, un coup d’oeil le soir, ils ne peuvent pas faire davantage. Si le père s’en relevait tout de même, ça prouverait qu’il est rudement bâti. S’il meurt, c’est qu’il avait la mort dans le corps; et tout le monde sait que, lorsqu’on a la mort dans le corps, rien ne l’en déloge, pas plus les signes de croix que les médicaments. Une vache encore, ça se soigne.
    Jean-Louis, le soir, interroge d’un regard les enfants sur la moisson. Quand il les entend compter les gerbes, se féliciter du beau temps qui favorise la besogne, il a une joie dans les yeux. Une fois encore, on parle d’aller chercher le médecin; mais le vieux s’emporte, et l’on craint de le tuer plus vite, si on le contrarie. Il fait seulement demander le garde champêtre, un ancien camarade. Le père Nicolas est son aîné, car il a eu soixante-quinze ans à la Chandeleur. Lui, reste droit comme un peuplier. Il vient et s’assoit près de Jean-Louis, d’un air sérieux. Jean-Louis qui ne peut plus parler, le regarde de ses petits yeux pâlis. Le père Nicolas le regarde aussi, n’ayant rien à lui dire. Et ces deux vieillards restent face à face pendant une heure, sans prononcer une parole, heureux de se voir, se rappelant sans doute des choses, bien loin, dans leurs jours d’autrefois. C’est ce soir-là que les enfants, au retour de la moisson, trouvent Jean-Louis, mort, étendu sur le dos, raide et les yeux en l’air.
    Oui, le vieux est mort, sans remuer un membre. Il a soufflé son dernier souffle droit devant lui, une haleine de plus dans la vaste campagne. Comme les bêtes qui se cachent et se résignent, il n’a pas même dérangé un voisin, il a fait sa petite affaire tout seul.
— Le père est mort, dit Joseph, en appelant les autres.
    Et tous, Antoine, Catherine, Jacquinet, répètent :
— Le père est mort.
    Ça ne les étonne pas. Jacquinet allonge curieusement le cou, la femme tire son mouchoir, les deux garçons marchent sans rien dire, la face grave et blêmie sous le hâle. Il a tout de même joliment duré, il était solide, le vieux père! Cette idée console les enfants, ils sont fiers de la solidité de la famille.
    La nuit, on veille le père jusqu’à onze heures, puis tout le monde cède au sommeil; et Jean-Louis dort seul encore, avec son visage fermé qui semble toujours réfléchir.
    Dès le petit jour, Joseph part pour les Cormiers, afin d’avertir le curé. Cependant, comme il y a encore des gerbes à rentrer, Antoine et Catherine s’en vont tout de même aux champs le matin, en laissant le corps à la garde de Jacquinet. Le petit s’ennuie avec le vieux, qui ne remue seulement pas, et il sort par moments sur la route, lance des pierres aux moineaux, regarde un colporteur étalant des foulards devant deux voisines; puis, quand il se souvient du grand-père, il rentre vite, s’assure qu’il n’a point bougé, et s’échappe de nouveau pour voir deux chiens se battre.
    Comme la porte reste ouverte, les poules entrent, se promènent tranquillement, en fouillant à coups de bec le sol battu. Un coq rouge se dresse sur ses pattes, allonge le cou, arrondit son oeil de braise, inquiet de ce corps dont il ne s’explique pas la présence; c’est un coq prudent et sagace, qui sait sans doute que le vieux n’a pas l’habitude de rester au lit après le soleil levé; et il finit par jeter son cri sonore de clairon, chantant la mort du vieux, tandis que les poules ressortent une à une, en gloussant et en piquant la terre.
    Le curé des Cormiers ne peut venir qu’à cinq heures. Depuis le matin, on entend le charron qui scie du sapin et enfonce des clous. Ceux qui ignorent la nouvelle, disent : « Tiens ! c’est donc que Jean-Louis est mort », parce que les gens de La Courteille connaissent bien ces bruits-là.
    Antoine et Catherine sont revenus, la moisson est terminée; ils ne peuvent pas dire qu’ils sont mécontents, car, depuis dix ans, le grain n’a pas été si beau.
    Toute la famille attend le curé, on s’occupe pour prendre patience : Catherine met la soupe au feu, Joseph tire de l’eau, on envoie Jacquinet voir si le trou a été fait au cimetière. Enfin, à six heures seulement, le curé arrive. Il est dans une carriole, avec un gamin qui lui sert de clerc. Il descend devant la porte des Lacour, sort d’un journal son étole et son surplis; puis, il s’habille, en disant :
— Dépêchons-nous, il faut que je sois rentré à sept heures.
    Pourtant, personne ne se presse. On est obligé d’aller chercher les deux voisins qui doivent porter le défunt sur la vieille civière de bois noir. Comme on va partir enfin, Jacquinet accourt et crie que le trou n’est pas fini, mais qu’on peut venir tout de même.
    Alors, le prêtre marche le premier, en lisant du latin dans un livre. Le petit clerc qui le suit tient un vieux bénitier de cuivre bossué, dans lequel trempe un goupillon. C’est seulement au milieu du village qu’un autre enfant sort de la grange où l’on dit la messe tous les quinze jours, et prend la tête du cortège, avec une croix emmanchée au bout d’un bâton. La famille est derrière le corps; peu à peu, tous les gens du village se joignent à elle; une queue de galopins, nu-tête, débraillés, sans souliers, ferme la marche.
    Le cimetière se trouve à l’autre bout de La Courteille. Aussi les deux voisins lâchent-ils la civière à trois reprises; ils soufflent, pendant que le convoi s’arrête; et l’on repart. On entend le piétinement des sabots sur la terre dure. Quand on arrive, le trou, en effet, n’est pas terminé; le fossoyeur est encore dedans, et on le voit qui s’enfonce, puis qui reparaît, régulièrement, à chaque pelletée de terre.
    Une simple haie entoure le cimetière. Des ronces ont poussé, où les gamins viennent, les soirs de septembre, manger des mûres. C’est un jardin en rase campagne. Au fond, il y a des groseilliers énormes; un poirier, dans un coin, a grandi comme un chêne ; une courte allée de tilleuls, au milieu, fait un ombrage, sous lequel les vieux en été fument leur pipe. Le soleil brûle, des sauterelles s’effarent, des mouches d’or ronflent dans le frisson de la chaleur. Le silence est tout frémissant de vie, la sève de cette terre grasse coule avec le sang rouge des coquelicots.
    On a posé le cercueil près du trou. Le gamin qui porte la croix vient la planter aux pieds du mort, pendant que le prêtre, debout à la tête, continue de lire du latin dans son livre. Mais les assistants s’intéressent surtout au travail du fossoyeur. Ils entourent la fosse, suivent la pelle des yeux ; et, quand ils se retournent, le curé s’en est allé avec les deux enfants; il n’y a plus là que la famille, qui attend d’un air de patience.
    Enfin, la fosse est creusée.
— C’est assez profond, va! crie l’un des paysans qui ont porté le corps.
    Et tout le monde aide pour descendre le cercueil. Le père Lacour sera bien, dans ce trou. Il connaît la terre, et la terre le connaît. Ils feront bon ménage ensemble. Voici près de soixante ans qu’elle lui a donné ce rendez-vous, le jour où il l’a entamée de son premier coup de pioche. Leurs tendresses devaient finir par là, la terre devait le prendre et le garder. Et quel bon repos! Il entendra seulement les pattes légères des oiseaux plier les brins d’herbe. Personne ne marchera sur sa tête, il restera des années chez lui, sans qu’on le dérange. C’est la mort ensoleillée, le sommeil sans fin dans la paix des campagnes.
    Les enfants se sont approchés. Catherine, Antoine, Joseph ramassent une poignée de terre et la jettent sur le vieux. Jacquinet, qui a cueilli des coquelicots, jette aussi son bouquet. Puis, la famille rentre manger la soupe, les bêtes reviennent des champs, le soleil se couche. Une nuit chaude endort le village.

Emile Zola, Comment on meurt, chapitre V
source : www.leboucher.com

Voir les commentaires

Emile Zola, Comment on meurt - Charlot Morisseau

Publié le par antoiniste

    Janvier a été dur. Pas de travail, pas de pain et pas de feu à la maison. Les Morisseau ont crevé la misère. La femme est blanchisseuse, le mari est maçon. Ils habitent aux Batignolles, rue Cardinet, dans une maison noire, qui empoisonne le quartier. Leur chambre, au cinquième, est si délabrée, que la pluie entre par les fentes du plafond. Encore ne se plaindraient-ils pas, si leur petit Charlot, un gamin de dix ans, n’avait besoin d’une bonne nourriture pour devenir un homme.
    L’enfant est chétif, un rien le met sur le flanc. Lorsqu’il allait à l’école, s’il s’appliquait en voulant tout apprendre d’un coup, il revenait malade. Avec ça, très intelligent, un crapaud trop gentil,
qui a une conversation au-dessus de son âge. Les jours où ils n’ont pas de pain à lui donner, les parents pleurent comme des bêtes. D’autant plus que les enfants meurent ainsi que des mouches du haut en bas de la maison, tant c’est malsain.
    On casse la glace dans les rues. Même le père a pu se faire embaucher ; il déblaie les ruisseaux à coups de pioche, et le soir il rapporte quarante sous. En attendant que la bâtisse reprenne, c’est toujours de quoi ne pas mourir de faim.
Mais, un jour, l’homme en rentrant trouve Charlot couché. La mère ne sait ce qu’il a. Elle l’avait envoyé à Courcelles, chez sa tante, qui est fripière, voir s’il ne trouverait pas une veste plus chaude que sa blouse de toile, dans laquelle il grelotte. Sa tante n’avait que de vieux paletots d’homme trop larges, et le petit est rentré tout frissonnant, l’air ivre, comme s’il avait bu. Maintenant, il est très rouge sur l’oreiller, il dit des bêtises, il croit qu’il joue aux billes et il chante des chansons.
    La mère a pendu un lambeau de châle devant la fenêtre, pour boucher un carreau cassé; en haut, il ne reste que deux vitres libres, qui laissent pénétrer le gris livide du ciel. La misère a vidé la commode, tout le linge est au Mont-de-Piété. Un soir, on a vendu une table et deux chaises. Charlot couchait par terre ; mais, depuis qu’il est malade, on lui a donné le lit, et encore y est-il très mal, car on a porté poignée à poignée la laine du matelas chez une brocanteuse, des demi-livres à la fois, pour quatre ou cinq sous. À cette heure, ce sont le père et la mère qui couchent dans un coin, sur une paillasse dont les chiens ne voudraient pas.
    Cependant, tous deux regardent Charlot sauter dans le lit. Qu’a-t-il donc, ce mioche, à battre la campagne ? Peut-être bien qu’une bête l’a mordu ou qu’on lui a fait boire quelque chose de mauvais. Une voisine, Mme Bonnet, est entrée; et, après avoir flairé le petit, elle prétend que c’est un froid et chaud. Elle s’y connaît, elle a perdu son mari dans une maladie pareille.
    La mère pleure en serrant Charlot entre ses bras. Le père sort comme un fou et court chercher un médecin. Il en ramène un, très grand, l’air pincé, qui écoute dans le dos de l’enfant, lui tape sur la poitrine, sans dire une parole. Puis, il faut que Mme Bonnet aille prendre chez elle un crayon et du papier, pour qu’il puisse écrire son ordonnance. Quand il se retire, toujours muet, la mère l’interroge d’une voix étranglée :
— Qu’est-ce que c’est, monsieur ?
— Une pleurésie, répond-il d’un ton bref, sans explication.
    Puis, il demande à son tour :
— Êtes-vous inscrits au bureau de bienfaisance ?
— Non, monsieur… Nous étions à notre aise, l’été dernier. C’est l’hiver qui nous a tués.
— Tant pis ! tant pis !
    Et il promet de revenir. Mme Bonnet prête vingt sous pour aller chez le pharmacien. Avec les quarante sous de Morisseau, on a acheté deux livres de boeuf, du charbon de terre et de la chandelle. Cette première nuit se passe bien. On entretient le feu. Le malade, comme endormi par la grosse chaleur, ne cause plus. Ses petites mains brûlent. En le voyant écrasé sous la fièvre, les parents se tranquillisent; et, le lendemain, ils restent hébétés, repris d’épouvante, lorsque le médecin hoche la tête devant le lit, avec la grimace d’un homme qui n’a plus d’espoir.
    Pendant cinq jours, aucun changement ne se produit. Charlot dort, assommé sur l’oreiller. Dans la chambre, la misère qui souffle plus fort, semble entrer avec le vent, par les trous de la toiture et de la fenêtre. Le deuxième soir, on a vendu la dernière chemise de la mère; le troisième, il a fallu retirer encore des poignées de laine, sous le malade, pour payer le pharmacien. Puis, tout a manqué, il n’y a plus rien eu.
    Morisseau casse toujours la glace; seulement, ses quarante sous ne suffisent pas. Comme ce froid rigoureux peut tuer Charlot, il souhaite le dégel, tout en le redoutant. Quand il part au travail, il est heureux de voir les rues blanches; puis, il songe au petit qui agonise là-haut, et il demande ardemment un rayon de soleil, une tiédeur de printemps balayant la neige. S’ils étaient seulement inscrits au bureau de bienfaisance, ils auraient le médecin et les remèdes pour rien. La mère s’est présentée à la mairie, mais on lui a répondu que les demandes étaient trop nombreuses, qu’elle devait attendre. Pourtant, elle a obtenu quelques bons de pain ; une dame charitable lui a donné cinq francs. Ensuite, la misère a recommencé.
    Le cinquième jour, Morisseau apporte sa dernière pièce de quarante sous. Le dégel est venu, on l’a remercié. Alors, c’est la fin de tout : le poêle reste froid, le pain manque, on ne descend plus les ordonnances chez le pharmacien. Dans la chambre ruisselante d’humidité, le père et la mère grelottent, en face du petit qui râle. Mme Bonnet n’entre plus les voir, parce qu’elle est sensible et que ça lui fait trop de peine. Les gens de la maison passent vite devant leur porte. Par moments, la mère, prise d’une crise de larmes, se jette sur le lit, embrasse l’enfant, comme pour le soulager et le guérir. Le père, imbécile, reste des heures devant la fenêtre, soulevant le vieux châle, regardant le dégel ruisseler, l’eau tomber des toits, à grosses gouttes, et noircir la rue. Peut-être ça fait-il du bien à Charlot.
    Un matin, le médecin déclare qu’il ne reviendra pas. L’enfant est perdu.
— C’est ce temps humide qui l’a achevé, dit-il.
    Morisseau montre le poing au ciel. Tous les temps font donc crever le pauvre monde ! Il gelait, et cela ne valait rien; il dégèle, et cela est pis encore. Si la femme voulait, ils allumeraient un boisseau de charbon, ils s’en iraient tous les trois ensemble. Ce serait plus vite fini.
    Pourtant, la mère est retournée à la mairie ; on a promis de leur envoyer des secours, et ils attendent. Quelle affreuse journée ! Un froid noir tombe du plafond; dans un coin, la pluie coule; il faut mettre un seau, pour recevoir les gouttes. Depuis la veille, ils n’ont rien mangé, l’enfant a bu seulement une tasse de tisane, que la concierge a montée. Le père, assis devant la table, la tête dans les mains, demeure stupide, les oreilles bourdonnantes. À chaque bruit de pas, la mère court à la porte, croit que ce sont enfin les secours promis. Six heures sonnent, rien n’est venu. Le crépuscule est boueux, lent et sinistre comme une agonie.
    Brusquement, dans la nuit qui augmente, Charlot balbutie des paroles entrecoupées :
— Maman… maman…
    La mère s’approche, reçoit au visage un souffle fort. Et elle n’entend plus rien ; elle distingue vaguement l’enfant, la tête renversée, le cou raidi. Elle crie, affolée, suppliante :
— De la lumière ! vite, de la lumière !… Mon Charlot, parle-moi!
    Il n’y a plus de chandelle. Dans sa hâte, elle frotte des allumettes, les casse entre ses doigts. Puis, de ses mains tremblantes, elle tâte le visage de l’enfant.
— Ah ! mon Dieu ! il est mort !… Dis donc, Morisseau, il est mort !
    Le père lève la tête, aveuglé par les ténèbres.
— Eh bien ! que veux-tu ? il est mort… Ça vaut mieux.
    Aux sanglots de la mère, Mme Bonnet s’est décidée à paraître avec sa lampe. Alors, comme les deux femmes arrangent proprement Charlot, on frappe : ce sont les secours qui arrivent, dix francs, des bons de pain et de viande. Morisseau rit d’un air imbécile, en disant qu’ils manquent toujours le train, au bureau de bienfaisance.
    Et quel pauvre cadavre d’enfant, maigre, léger comme une plume! On aurait couché sur le matelas un moineau tué par la neige et ramassé dans la rue, qu’il ne ferait pas un tas plus petit.
    Pourtant, Mme Bonnet, qui est redevenue très obligeante, explique que ça ne ressuscitera pas Charlot, de jeûner à côté de lui. Elle offre d’aller chercher du pain et de la viande, en ajoutant qu’elle rapportera aussi de la chandelle. Ils la laissent faire. Quand elle rentre, elle met la table, sert des saucisses toutes chaudes. Et les Morisseau, affamés, mangent gloutonnement près du mort, dont on aperçoit dans l’ombre la petite figure blanche. Le poêle ronfle, on est très bien. Par moments, les yeux de la mère se mouillent. De grosses larmes tombent sur son pain. Comme Charlot aurait chaud ! comme il mangerait volontiers de la saucisse !
    Mme Bonnet veut veiller à toute force. Vers une heure, lorsque Morisseau a fini par s’endormir, la tête posée sur le pied du lit, les deux femmes font du café. Une autre voisine, une couturière de dix-huit ans, est invitée; et elle apporte un fond de bouteille d'eau-de-vie, pour payer quelque chose. Alors, les trois femmes boivent leur café à petits coups, en parlant tout bas, en se contant des histoires de morts extraordinaires; peu à peu, leurs voix s’élèvent, leurs cancans s’élargissent, elles causent de la maison, du quartier, d’un crime qu’on a commis rue Nollet. Et, parfois, la mère se lève, vient regarder Charlot, comme pour s’assurer qu’il n’a pas remué.
    La déclaration n’ayant pas été faite le soir, il leur faut garder le petit le lendemain, toute la journée. Ils n’ont qu’une chambre, ils vivent avec Charlot, mangent et dorment avec lui. Par instants, ils l’oublient; puis, quand ils le retrouvent, c’est comme s’ils le perdaient une fois encore.
    Enfin, le surlendemain, on apporte la bière, pas plus grande qu’une boîte à joujoux, quatre planches mal rabotées, fournies gratuitement par l’administration, sur le certificat d’indigence. Et, en route! on se rend à l’église en courant. Derrière Charlot, il y a le père avec deux camarades rencontrés en chemin, puis la mère, Mme Bonnet et l’autre voisine, la couturière. Ce monde patauge dans la crotte jusqu’à mi-jambe. Il ne pleut pas, mais le brouillard est si mouillé qu’il trempe les vêtements. À l’église, on expédie la cérémonie. Et la course reprend sur le pavé gras.
    Le cimetière est au diable, en dehors des fortifications. On descend l’avenue de Saint-Ouen, on passe la barrière, enfin on arrive. C’est un vaste enclos, un terrain vague, fermé de murailles blanches. Des herbes y poussent, la terre remuée fait des bosses, tandis qu’au fond il y a une rangée d’arbres maigres, salissant le ciel de leurs branches noires.
    Lentement, le convoi avance dans la terre molle. Maintenant, il pleut; et il faut attendre sous l’averse un vieux prêtre, qui se décide à sortir d’une petite chapelle. Charlot va dormir au fond de la fosse commune. Le champ est semé de croix renversées par le vent, de couronnes pourries par la pluie, un champ de misère et de deuil, dévasté, piétiné, suant cet encombrement de cadavres qu’entassent la faim et le froid des faubourgs.
    C’est fini. La terre coule, Charlot est au fond du trou, et les parents s’en vont, sans avoir pu s’agenouiller, dans la boue liquide où ils enfoncent. Dehors, comme il pleut toujours, Morisseau, qui a encore trois francs sur les dix francs du bureau de bienfaisance, invite les camarades et les voisines à prendre quelque chose, chez un marchand de vin. On s’attable, on boit deux litres, on mange un morceau de fromage de Brie. Puis, les camarades, à leur tour, paient deux autres litres. Quand la société rentre dans Paris, elle est très gaie.

Emile Zola, Comment on meurt, chapitre IV
source : www.leboucher.com

Voir les commentaires

Guérison à distance

Publié le par antoiniste

    Répondons, enfin, que maints magnétiseurs, certainement, ont obtenu les mêmes phénomènes et que tous les magnétiseurs, certainement encore, peuvent les obtenir en s'y appliquant, en le voulant. A preuve, deux exemples, également authentiques ; le premier recueilli pendant notre séjour à Genève en 1906, le second pris chez nous-même.
    Voici le premier : Une jeune fille de Genève, fort gravement malade, fut transportée à l'hôpital ; après quelques jours de soins, les docteurs la déclarèrent incurable et fixèrent peur sa mort un délai restreint. Instruite de cet état de choses, une personne des plus honorables de Genève eut l'idée d'écrire à M. Antoine, magnétiseur, domicilié en Belgique, réputé pour des guérisons à distance. Ce magnétiseur, qui ne connaissait pas son correspondant et pas davantage la malade, répondit à cette lettre, indiquant dans sa réponse tout ce qui allait se passer, y compris la guérison. Tout ce qu'il avait annoncé arriva, et au bout d'un temps très court, la malade sortait de l'hôpital parfaitement guérie. Or, encore une fois, magnétiseur, magnétisée à distance et correspondant ne se connaissaient pas du tout, ne s'étaient jamais vus et la malade ignorait jusqu'à l'exictence du magnétiseur.
Martin, L. (de Genève), Magnétisme humain en face de l'hypnotisme, l'action curative à distance, 1907, p.138
source : gallica

    Ils guérissait à distance. Bien des malades furent soulagés pour lui avoir expliqué leurs maux par écrit. Antoine recevait chaque jour plus de deux cents lettres et télégrammes. Il se les faisait lire par l'un ou l'autre de ses disciples et il se recueillait en songeant à ces malades qui avaient écrit, il leur envoyait sa pensée à travers l'espace. Ensuite les lettres n'étaient pas jetées. Il y en avait trop, on ne pouvait les garder, mais Antoine veillait à ce qu'elles fussent brûlées avec tout le respect dû à la souffrance et à la foi de leurs auteurs.
Robert Vivier, Délivrez-nous du mal, p.272

Voir les commentaires

Marcel Moreau - L'avoir et ses gigantismes factices

Publié le par antoiniste

    Le retard pris par la nature humaine sur l'ordre naturel est proprement effarant. Le corps fait ce qu'il peut : de moins en moins, mais l'esprit ne fait pas ce qu'il pourrait. L'esprit de l'homme s'est séparé des folies enfouies. Il n'est plus qu'apparence de bontés, de violences. Il semble condamné à nourrir la seule démensure à laquelle l'autorise ce monde fini : celle de l'avoir, et ses gigantismes factices. Il est perdu pour la démesure de l'être, et ses chefs-d'oeuvre incorruptibles. Rationalité et science ont coupé court à l'unique démesure qui vaille. Nous sommes faits comme des rats. Nous sommes des rats et devons être traités comme tels, par raticides.

Marcel Moreau, Monstre, p.229
Luneau Ascot Editeurs, Paris, 1986

Voir les commentaires

La Révélation, L'existence de Dieu est la négation de la matière & l'existence de celle-ci la négation de celle de Dieu (p.166-67)

Publié le par antoiniste

La Révélation, L'existence de Dieu est la négation de la matière & l'existence de celle-ci la négation de celle de Dieu (p.166-67)

 

    Dieu dans sa bonté permettrait-Il de nous imposer la matière que pour aller à Lui, puisque c'est de ce fardeau que découlent toutes nos souffrances ? Ne donnerait-Il pas sujet de Le haïr plutôt que de L'aimer ? Si elle existe, elle ne peut venir que de Dieu. Il est alors l'auteur de tout ce qui nous afflige. Mais pourrait-il surgir d'une bonté infinie, la moindre parcelle de mal ? Dieu peut-Il avoir fait une telle action, créer la matière qui nous accable ? Soyons plus catégoriques : si la matière existe, Dieu ne peut exister.

La Révélation, L'existence de Dieu est la négation de la matière & l'existence de celle-ci la négation de celle de Dieu, p.166-67

Voir les commentaires

La Révélation, L'existence de Dieu est la négation de la matière & l'existence de celle-ci la négation de celle de Dieu (p.165-66)

Publié le par antoiniste

La Révélation, L'existence de Dieu est la négation de la matière & l'existence de celle-ci la négation de celle de Dieu (p.165-66)

    S[i l'homme] était purement matériel, pourrait-il exister en lui le moindre atome d'imperfection ? Oserions-nous lui demander de quoi il est composé, car il ne peut être pur s'il se dit imparfait ? C'est la preuve qu'il y a en nous bien autre chose que de simples organes.

La Révélation, L'existence de Dieu est la négation de la matière & l'existence de celle-ci la négation de celle de Dieu, p.165-66

Voir les commentaires

Jean Rostand - Nous ne savons pas si l’homme est une fleur ou une chaise

Publié le par antoiniste

Le biologiste Jean Rostand (1894-1977) déclare dans une interview que « nous ne savons pas si l’homme est une fleur ou une chaise » et s’explique de ce propos provocateur : la chaise est potentiellement éternelle dès lors qu’elle est traitée avec soin et réparée régulièrement. La fleur, au contraire, porte déjà en elle le programme de sa propre destruction. Dans les deux cas, les hommes peuvent espérer découvrir un jour l’immortalité physique : un entretien, c’est en général affaire de technique et de discipline ; un programme, ça peut sans doute s’altérer au niveau du gène. Mais, pour Rostand, « le plus urgent est d’y voir plus clair afin de savoir dans laquelle des deux directions travailler ».

Au soir de sa vie, Rostand se dira persuadé que « si l’on avait consacré aux recherches en biologie toutes les sommes consacrées aux budgets militaires de tous les pays, la question de l’immortalité ou au moins de la jouvence éternelle serait déjà réglée ».

source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Immortalit%C3%A9

Voir les commentaires

J.H.Rosny, La mort de la terre - Prophétie ?

Publié le par antoiniste

    Depuis cinq cents siècles, les hommes n'occupaient plus, sur la planète, que des îlots dérisoires. L'ombre de la déchéance avait de loin précédé les catastrophes. A des époques fort anciennes, aux premiers siècles de l'ère radio-active, on signale déjà la décroissance des eaux : maints savants prédisent que l'Humanité périra par la sécheresse. Mais quel effet ces prédictions pouvaient-elles produire sur des peuples qui voyaient des glaciers couvrir leurs montagnes, des rivières sans nombre arroser leurs sites, d'immenses mers battre leurs continents ? Pourtant, l'eau décroissait lentement, sûrement, absorbée par la terre et volatilisée dans le firmament (1). Puis, vinrent les fortes catastrophes. On vit d'extraordinaires remaniements du sol ; parfois, des tremblements de terre, en un seul jour, détruisaient dix ou vingt villes et des centaines de villages : de nouvelles chaînes de montagnes se formèrent, deux fois plus hautes que les antiques massifs des Alpes, des Andes ou de l'Himalaya ; l'eau tarissait de siècle en siècle. Ces énormes phénomènes s'aggravèrent encore. A la surface du soleil, des métamorphoses se décelaient qui, d'après des lois mal élucidées, retentirent sur notre pauvre globe. Il y eut un lamentable enchaînement de catastrophes : d'une part, elles haussèrent les hautes montagnes jusqu'à vingt-cinq et trente mille mètres ; d'autre part, elles firent disparaître d'immenses quantités d'eau.

(1) Dans les hautes régions atmosphériques, la vapeur d'eau fut de tout temps décomposée, par les rayons ultra-violets, en oxygène et en hydrogène : l'hydrogène s'échappait dans l'étendue interstellaire.

J.H.Rosny, La mort de la terre, p.19 (1912)
source : archive.org

Voir les commentaires

Voltaire - La résurrection

Publié le par antoiniste

    "Je vois bien, dit-elle à l’oiseau, que vous êtes le phénix dont on m’avait tant parlé. Je suis prête à mourir d’étonnement et de joie. Je ne croyais point à la résurrection ; mais mon bonheur m’en a convaincue. — La résurrection, madame, lui dit le phénix, est la chose du monde la plus simple. Il n’est pas plus surprenant de naître deux fois qu’une. Tout est résurrection dans ce monde ; les chenilles ressuscitent en papillons ; un noyau mis en terre ressuscite en arbre ; tous les animaux ensevelis dans la terre ressuscitent en herbes, en plantes, et nourrissent d’autres animaux dont ils font bientôt une partie de la substance : toutes les particules qui composaient les corps sont changées en différents êtres. Il est vrai que je suis le seul à qui le puissant Orosmade ait fait la grâce de ressusciter dans sa propre nature. "

Voltaire, La Princesse de Babylone
Chapitre  IV
source : Wikisource

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>