imagination de la matiere
La Révélation, Des diverses directions de la vie et du bonheur (p.39)
Nous voyons tous le monde différemment - Le plus proche village
Mon grand-père avait coutume de dire : " La vie est étonnamment brève. Dans mon souvenir elle se ramasse aujourd'hui sur elle-même si serrée que je comprends à peine qu'un jeune homme puisse se décider à partir à cheval pour le plus proche village sans craindre que - tout accident écarté - une existence ordinaire et se déroulant sans heurts ne suffise pas, de bien loin, même pour cette promenade. "
Franz Kafka, La métamorphose et autres nouvelles
10 - Le plus proche village, p.151
Folio, Paris
Marcel Moreau, Julie ou la dissolution (p.23)
La beauté de Julie s'est installée tout de suite aux quatre coins de la pièce, devenue silencieuse et inutile. Son oeil, d'une somptuosité hagarde, s'est placé au centre du groupe. Il prenait naissance au chat, mais sans aboutir à aucune forme connue. Ses lueurs, d'une eau rare, semblaient tourner sur elles-mêmes, en passant du vert au gris, puis au bleu, sous les cils sombres. C'est un fragment révulsé de la nuit. Un oeil d'anti-pietà : il pouvait se river indéfiniment sur je ne sais quel phallus dressé et liturgique, pour ne s'en détacher que crevé. Je dis tout cela, mais je maintiens qu'il est indescriptible.
Marcel Moreau, Julie ou la dissolution, p.23
Editions Labor, Espace Nord, Bruxelles, 2003
Liesbeth List & Ramses Shaffy - Pastorale
Pastorale
Lennaert Nijgh / Boudewijn de Groot
Mijn hemelblauw met gouden hallen,
mijn wolkentorens, ijskristallen.
Kometen, manen en planeten,
aah alles draait om mij.
En door de witte wolkenpoort
tot diep onder de golven boort
mijn vuur, mijn liefde zich in de aarde.
En bij het water speelt een kind
en alle schelpen die het vindt
gaan blinken als ik lach.
Ik hou van je warmte op mijn gezicht,
ik hou van de koperen kleur van je licht.
Ik geef je water in mijn hand
en schelpen uit het zoute zand.
Ik heb je lief, zo lief.
Ik scheur de rotsen met mijn stralen,
verdroog de meren in de dalen.
En onweersluchten doe ik vluchten
aah als de regen valt.
Verberg je ogen in mijn hand
voordat mijn glimlach ze verbrandt,
mijn vuur, mijn liefde, mijn gouden ogen.
Het is beter als je nog wat wacht,
want even later komt de nacht
en schijnt de koele maan.
De nacht is te koud, de maan te grijs.
Toe neem me toch mee naar je hemelpaleis.
Daar wil ik zijn alleen met jou
en stralen in het hemelblauw.
Ik heb je lief, zo lief.
Als ik de aarde ga verwarmen,
laat ik haar leven in mijn armen.
Van sterren weefde
ik het verre aah, het Noorderlicht.
Maar soms ben ik als kokend lood,
ik ben het leven en de dood,
in vuur, in liefde, in alle tijd.
Mijn kind, ik troost je, kijk omhoog,
vandaag span ik mijn regenboog.
Die is alleen voor jou.
Nee nooit sta ik een seconde stil.
Geen mens kan mij dwingen wanneer ik niet wil.
Geen leven dat ik niet begon.
Je kunt niet houden van de zon.
Ik wil liever branden, neem me mee,
wanneer je vanavond gaat slapen in zee
en vliegen langs jouw hemelbaan,
ik wil niet meer bij jou vandaan.
Ik heb je lief, zo lief.
Ik heb je lief, zo lief.
Ik heb je lief, zo lief.
Ik heb je lief, zo lief.
Ik heb je lief, zo lief.
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Pastorale
Lennaert Nijgh / Boudewijn de Groot
Mon ciel bleu avec des halos d'or,
mes tours nuageuses, de cristaux de glace.
Des comètes, des lunes et des planètes,
aah tout tourne autour de moi.
Et par les nuages blancs entr'ouverts
jusque sous les vagues
mon feu, mon amour est sur la terre.
Et près de l'eau un enfant joue
et tous les coquillages, qui volent
brillent par mon sourire.
J'aime ta chaleur sur mon visage,
J'aime le cuivre de ta lumière.
Je te donne l'eau de ma main
et les coquillages du sable salé.
Je t'aime, je t'aime tant.
Je déchire les rochers avec mes rayons,
dessèche les lacs dans les vallées.
Et les éclairs, je fais voler
aah pendant que la pluie tombe.
Masque-toi les yeux dans ma main
avant que mon sourire ne te les brûle,
mon feu, mon amour, mes yeux dorés.
Il est préférable de regarder encore
Car plus tard, la nuit vient
et brille la lune froide.
La nuit est trop froide, la lune trop grise.
Emmene-moi dans ton palais céleste.
Je veux être seul avec toi,
et les rayons dans le ciel bleu.
Je t'aime, je t'aime tant.
Tant que je chauffe la terre,
Je la laisse exister dans mes bras.
D'étoiles tisser
et le ver aah, la lumière du Nord.
Mais parfois, je suis tel du plomb en ébullition,
Je suis la vie et la mort,
dans le feu, dans l'amour, dans tous les temps.
Mon enfant, j'ai confiance, regarde, lève les yeux
Aujourd'hui je tends mon arc-en-ciel.
Ceci est pour toi seul.
Non, je ne reste pas une seconde encore.
Nul ne peut m'obliger si je ne le veux pas.
Nul vie que je ne puisse permettre.
Tu ne peut aimer le soleil.
Je préférerais brûler, emmène-moi,
quand tu ira dormir ce soir dans la mer
et voler le long de ton orbite céleste,
Je ne veux plus être loin de toi.
Je t'aime, je t'aime tant.
Je t'aime, je t'aime tant.
Je t'aime, je t'aime tant.
Je t'aime, je t'aime tant.
Je t'aime, je t'aime tant.
La Révélation, L'intelligence et la foi (p.35-36)
Nous n'effectuons notre progrès qu'en surmontant la matière. Si elle existait, pourrions-nous la surmonter ? Impossible de surmonter une chose qui existe réellement.
La Révélation, L'intelligence et la foi, p.35-36
Jean-Jacques Rousseau - Pygmalion et Galathée
J'allais tomber à ses pieds !... délire effréné !... fatal égarement ! - Mais que de charmes !... O Galathée !... Vénus même est moins belle que vous... Vanité... faiblesse humaine... je ne puis me lasser d'admirer mon ouvrage... je m'enivre d'amour propre... je m'adore dans ce que j'ai fait... non... rien de si beau ne partu dans la nature - Quoi ! tant de beautés sortent de mes mains !... Quoi !... Pygmalion... tes mains heureuses... - je vois un défaut... ce vêtement jaloux dérobe trop aux regards le soupçon des charmes qu'il recèle... ils doivent être mieux annoncés.
Il prend son maillet a son ciseau, puis s'avançant lentement, il monte, en hésitant, les gradins de la statue qu'il semble n'oser toucher : enfin, le ciseau déjà levé, il s'arrête.
Quel tremblement...! Quel trouble... ! Je tiens le ciseau d'un main mal assurée... je ne puis... je n'ose... je gâterai tout...
Il s'encourage et enfin présentant son ciseau, il en donne un coup : saisi d'effroi, il le laisse tomber, en poussant un grand cri.
Dieux !... Je sens la chair palpitante... et repousser le ciseau.
Il descend, tremblant et confus.
Vaine terreur !... Fol aveuglement ! - non... Je n'y toucherais point... non... cette puissance inconnue... cet effroi respectueux...
Il s'interrompt et considère de nouveau la statue.
Eh !... que veux-tu changer ?... regarde... quels nouveaux charmes veux-tu lui donner ?... ah ! c'est sa perfection qui fait son défaut... Divine Galathée... moins parfaire, il ne te manquerait rien - rien !
Tendrement, après un instant de silence.
Il te manque une âme... ta figure ne peut s'en passer.
Il se fait un moment et reprend avec plus d'attendrissement encore.
Que l'âme faite pour animer un tel corps doit être belle !
Jean-Jacques Rousseau - Pygmalion, scène lyrique (1878)
source : archive.org
Etgar Keret - Un trou dans le mur
Alors il compris enfin que rien de tout ce que l'ange avait dit n'était vrai, que ce n'était même pas un ange, mais un simple menteur avec des ailes.
Etgar Keret, Crise d'asthme, p.43
Babel, Actes Sud, 2002
Bossuet - je doute quelque fois si je dors ou si je veille
Qu'est ce donc que ma substance, ô grand Dieu ? J'entre dans la vie pour en sortir bientôt, je viens me montrer comme les autres; après il faudra disparaître. Tout nous appelle à la mort : la nature, comme si elle étoit presque envieuse du bien qu'elle nous a fait, nous déclare souvent et nous fait signifier qu'elle ne peut pas nous laisser long-temps ce peu de matière qu'elle nous prête, qui ne doit pas demeurer dans les mêmes mains, et qui doit être éternellement dans le commerce: elle en a besoin pour d'autres formes, elle la redemande pour d'autres ouvrages. Cette recrue continuelle du genre humain, je veux dire les enfans qui naissent; à mesure qu'ils croissent et qu'ils s'avancent, semblent nous pousser de l'épaule, et nous dire : Retirez-vous, c'est maintenant notre tour. Ainsi, comme nous en voyons passer d'autres devant nous, d'autres nous verront passer, qui doivent à leurs successeurs le même spectacle. O Dieu ! encore une fois, qu'est-ce que de nous ? Si je jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! si je la retourne en arrière, quelle suite effroyable où je ne suis plus ! et que j'occupe peu de place dans cet abîme immense du temps ! je ne suis rien; un si petit intervale n'est pas capable de me distinguer du néant : on ne m'a envoyé que pour faire nombre; encore n'avoit-on que faire de moi, et la pièce n'en auroit pas été moins jouée, quand je serois demeuré derrière le théâtre.
Encore si nous voulons discuter les choses dans une considération plus subtile, ce n'est pas toute l'étendue de notre vie qui nous distingue du néant; et vous savez, Chrétiens, qu'il n'y a jamais qu'un moment qui nous en sépare. Maintenant nous en tenons un; maintenant il périt, et avec lui nous péririons tous, si promptement, et sans perdre de temps nous n'en saisissions un autre semblable; jusqu'à ce qu'enfin il en viendra un auquel nous ne pourrons arriver, quelqu'effort que nous fassions pour nous y étendre; et alors nous tomberons tout-à-coup manque de soutien. O fragile appui de notre être ! ô fondement ruineux de notre substance ! In imagine pertransit homo (Psaumes XXXVIII,7). Ah! l'homme passe vraiment de même qu'une ombre, ou de même qu'une image en figure; et comme lui-même n'est rien de solide, il ne poursuit aussi que des choses vaines, l'image du bien et non le bien même : aussi est-il in imagine, sed et frustra conturbatur.
Que la place, que nous occupons en ce monde, est petite! si petite certainement et si peu considérable, que je doute quelquefois avec Arnobe, si je dors ou si je veille : Vigilemus aliquando, an ipsum vigilare, quod dicitur, somni sit perpetui portio (Advers. Gent. lib. II, sub. init.). Je ne sais si ce que j'appelle veiller, n'est peut être pas une partie un peu plus excitée d'un sommeil profond; et si je vois des choses réelles, ou si je suis seulement troublé par des fantaisies et par de vains simulacres.
Prœterit figura hujus mundi (I Cortinthiens VII, 31) : « La figure de ce monde passe, et ma substance n'est rien devant Dieu :» Et substantia mea tanquam nihilum antete (Psaumes XXXVIII, 6). Je suis emporté si rapidement, qu'il me semble que tout me fuit et que tout m'échappe. Tout fuit en effet, Messieurs; et pendant que nous sommes ici assemblés, et que nous croyons être immobiles, chacun avance son chemin, chacun s'éloigne sans y penser de son plus proche voisin, puisque chacun marche insensiblement à la dernière séparation : Ecce mensurabiles posuisti dies meos (Psaumes XXXVIII, 6).
Jacques Bénigne Bossuet, Chef-d'oeuvre oratoire, ou, Choix de sermons panégyriques et oraisons funèbres (1662)
Sermon sur la Mort, Premier point, p.11
source : GoogleBooks
La Révélation, L'Arbre de la science de la vue du bien (p.185)
Le siège de toutes nos sensations est l'intelligence : Le cerveau, nos sens lui servent d'intermédiaire ; c'est par eux qu'elle nous dirige matériellement, qu'elle fait ses découvertes scientifiques. Disons donc que nos cinq sens sont les attributs de l'intelligence, de notre âme imparfaite, âme de la matière, opposée à la réalité.
La Révélation, L'Arbre de la science de la vue du bien, p.185