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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le bruxellois, 5 avril 1917)

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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le bruxellois, 5 avril 1917)PALAIS DE JUSTICE
COUR D'APPEL DE BRUXELLES
Le Procès Dor
(Fin de l'audience de mardi)

    Le rapporteur analyse très longuement les divers témoignages. Il fait connaître la déposition de Mme Délisee à l'audience, les manœuvres dont cette personne prétend avoir été victime pour en arriver à débourser en faveur de Dor des sommes très importantes. — On sait que le tribunal de Charleroi a accordé 17,000 fr. de dommages et intérêts à Mme Delisée. — Il s'agissait notamment d'achat d'un stock important de brochures, de placement d'un parquet du chauffage central, etc.
    « Dor insistait auprès de moi qui étais sa loque » pour que je me dépouille de mon argent. Vous comptez trop, ne cessait-il de cire. » Dor possédait même un testament en sa faveur de cette adepte.
    Après la descente du parquet ce document fut déchiré.
    Le tribunal de première instance tâcha de se rendre compte si des attentats à la pudeur avaient réellement été commis par Dor. Mme Delisée ne put convaincre les juges à cet égard.
    Il parait que non contents du culte doniste, Mme Delisée était théosophe à Bruxelles et y évoquait les esprits.
    Les manœuvres de Dor furent assez caractéristiques pour que le tribunal retint la prévention d'escroquerie.
    De même pour les époux Ch.... qui ont versé de nombreuses sommes à Dor et lui payaient notamment de grandes quantités de charbon.
    M. le conseiller fait connaître de même les témoignages favorables à Dor, l'interminable séquelle des adeptes illuminés qu'il traîna devant le tribunal.
    Puis vient la lecture du long jugement qui clotura le premier acte du calvaire du Christ.
    La prévention d'exercice illégal de l'art de guérir est prouvée par ses paroles et par ses actes. Il n'a ni titre ni diplôme et assure la guerison à ses clients par la transmission de son fluide, par des lavements, l'absorption d'eau non bouillie.
    Les escroqueries sont établies aussi, car il se faisait passer pour le Christ réincarné ; ses réserves elles-mêmes constituent des manœuvres qui ont dû impressionner les esprits simples, ses poses hiératiques, ses titres de guérisseur, de stimulateur de vertus lui ont valu de s'approprier indûment le bien d'autrui.
    En conséquence Dor fut condamné aux diverses peines de prison et d'amende que nous avons fait connaître antérieurement.
    A 12 h. et demi la lecture du rapport est terminée et M. le président passe à l'
                                                   Audition des témoins.
    Eugénie Thonus
, adepte du Père Dor, habite St-Gilles.
    Me Lebeau. — Quelle est la cause de votre trouble lors de votre comparution à Charleroi ?
    R. — j'étais malade à causa de la grande chaleur qui régnait dans la salle et énervée à la suite des trois heures passées dans la salle d'attente.
    D. — Vous n'étiez pas hypnotisée par le Père Dor ?
    R. — Non.
    M. le président. — Et lorsque vous vous êtes écriée : « Sauvez-moi ! », est-ce lui que vous invoquiez ?
    R. — Non, tout le monde. Lui d'abord puisque c'est mon sauveur (!) mais aussi tous ceux qui auraient pu m'assister, me secourir.
    Me Lebeau. — J'insiste surtout pour bien faire voir qu'il n'y avait pas d'hypnotisme de la part de Dor.
    Me Simons, substitut du procureur général. — Je n'attribue pas la moindre importance à cet incident.
    D. — N'aviez-vous pas versé 100 fr. à l'œuvre du P. Dor ? Cet argent vous a-t-il été restitué ?
    R. — Oui, Mme Delisée me la remis.
    D. — Cela a-t-il eu lieu après les premières poursuites dit parquet.
    R. — Je ne m'en souviens pas.
    D. — Mme Delisée montrait-elle beaucoup d'affection pour le Père Dor ?
    — Oui, beaucoup. Elle parlait constamment de lui. Sans lui, disait-elle, elle ne se faisait aucun bien. Souvent elle s'écriait : « O mon cher petit père, comme je vous aime. (Rires.) Si jamais il me mettait hors de chez lui, je crois que j'en mourrais. »
    M. le président. — Pourriez-vous me dire quel genre d'amour elle professait pour l'inculpé.
    R. — Elle était fort légère dans ses paroles.
    D. — Oui, mais, l'aimait-elle d'un amour charnel ?
    R. — Je ne saurais vous le dire.
    Me Bonnehil. — Vous avez dit tout le contraire lors de l'instruction.
    D. — Comment aimiez-vous l'inculpé ?
    R. — Je l'aimais comme sauveur, mais non comme homme, pour les conseils moraux qu'il me donnait.
    Me Gérard. — La déclaration que vous venez de faire ne vous a-t-elle pas été suggéras par l'inculpé ? Ne l'avez-vous pas écrite à l'avance ?
    R. — Rien ne m'a été demandé. J'ai écrit ma déclaration de mon plein gré.
    Me Gérard. — Comme les autres témoins ?
    R. — Je l'ignore.
    Louis van den E…, 31 ans, de Couillet, déclare avoir été guérie d'un asthme par l'inculpé.
    D. — Vous a-t-il prescrit des médicaments ?
    R. — Non. Il a travaillé seulement à mon perfectionnement moral.
    D. — Avez-vous vendu des brochures du Père Dor ?
    R. — Oui. Une société avait été formée par nous pour propager ses œuvres. J'ai moi-même souscrit 100 fr. pour cela.
    D. — Une souscription a été ouverte pour l'œuvre du Père chez Romain. Qui en a eu l'idée ?
    R. — C'est moi.
    D. — On a rendu une partie des souscriptions ?
    R. — Oui plus de la moitié. C'est moi qui en tenais la comptabilité.
    D. — La brochure « L'ère nouvelle » comprenait-elle seulement les sermons du Père Dor ? A-t-elle été éditée avant ou après la rupture de Dor avec Mme Delisée ?
    R. — Avant.
    Me Gérard. — Vous avez écrit votre déposition à la demande de Dor ?
    R. — Je l'ai écrite spontanément de moi-même en réponse aux bruits infâmes qui couraient sur P. Dor.
    — Quelle sorte de bruits ? Touchant la moralité ?
    R. — Oui.
    Alice Pouille, 55 ans, dit qu'elle a connu le P. Dor chez le Père Antoine. Elle a mieux aimé aller chez Dor qui habitait plus près.
    M. le président. — Leur religion était autre. Le 1er c'est St Jean-Baptiste ; Dor c'est le Christ. (Rires.)
    D. — Alliez-vous souvent chez Dor ?
    R. — Tous les quinze jours. Il a même été question que j'aille passer les vacances chez Mme Delisée.
    D. — Que pensez-vous de cette dame ?
    R. — C'était jadis une croyante. Mais comme elle était légère et variable, elle a changé.
    Me Bonnehill. — La doctrine du Père ne vous oblige-t-elle pas de vous dire coupable de fautes que vous n'avez pas commises ?
    R. - ?!?...
    Me Lebeau, protestant. — Vous interprétez mal la doctrine du Père Dor.
    L'audition des témoins de ce matin est terminée.
    M. le substitut du procureur-général. — Il a été fait allusion tout à l'heure à des sollicitations, faites à Charleroi par le prévenu pour obtenir des adeptes des témoignages favorables. Une enquête a été faite par le parquet de Charleroi... je dépose le dossier sur le bureau de la Cour.
    L'ordre du jour est établi ensuite.
    Demain mercredi audition des témoins, puis interrogation du P. Dor. Les plaidoiries des parties civiles doivent être finies demain.
    Mardi prochain, réquisitoire et plaidoiries de la défense. (B.)

Le bruxellois, 5 avril 1917

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Fr. Jean et Sr. Jeanne Lovinfosse (Temple d'Hellemmes)

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Fr. Lovinfosse (Temple d'Hellemmes)    Dans chaque bibliothèque des temples français, on trouve une douzaine de classeurs dont les feuillets sont parfois reliés. Appelés les Tomes, ils sont mis à la disposition des adeptes costumés. Ces bulletins ont été rassemblés vers 1945 par trois adeptes : le couple Jeannin, qui a vécu auprès de la compagne de Louis Antoine, aidé par M. Lovinfosse. Ils rassemblent des pensée s de Louis Antoine qui n'ont pas été reprises dans ses oeuvres, mais ils contiennent surtout des lettre dictées par la 'Mère' ou des avis qu'elle a donnés à propos de certaines questions. C'est pour cela qu'on connaît ces textes sous le nom de "Pensées de Mère".
Régis Dericquebourg, Les Antoinistes (p.62)

 

Fr. Jean Lovinfosse (Temple d'Hellemmes)    Frère Jean Lovinfosse (ici à droite) assisté de sa femme Jeanne (fille de Frère Galliez, tout premier desservants du temple de Lille) furent parmi les premiers desservants du Temple de Lille, consacré par un délégué du Collège des Desservants au Nom du Père le 10 novembre 1946. C'est à ce titre qu'il prie, dans cette carte postale du Temple d'Hellemmes, un frère de participer à la réunion du Conseil et de la Cultuelle.


    On en sait pas beaucoup plus dans la littérature. Le nom de famille Lovinfosse est belge et plus particulièrement liégeois. Sœur Sylviane se rappelle que sa mère lui avait raconté que c'était la Mère qui avait marié frère et sœur Lovinfosse, très certainement à Jemeppe. Après avoir été desservant à Hellemmes, quand celui-ci a été bombardé pendant la Deuxième guerre mondiale, ils ont été desservants au temple de Lille.

Fr. Lovinfosse (Temple d'Hellemmes)

Fr. Jean et Sr.Jeanne Lovinfosse (Temple d'Hellemmes)

Procession à Hellemmes (Le Grand écho du Nord de la France, 26 juin 1933)

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Un Messie devant la Cour d'Appel de Bruxelles (Le XXe siècle, 22 avril 1917)

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Un Messie devant la Cour d'Appel de Bruxelles (Le XXe siècle, 22 avril 1917)SPECTACLE DE SEMAINE SAINTE

UN MESSIE
devant la Cour d'Appel de Bruxelles

    Fidèle à la tradition — qui veut pour la fin du Carême des spectacles graves et des concerts spirituels, — la Cour d'appel de Bruxelles a commencé, le lundi saint, l'examen de l'affaire du Père Dor, dit le « Christ de Roux. » Nous en résumons, d'après les journaux bruxellois, le très authentique compte rendu.
    Le Père Dor est l'élève et le neveu du Père Antoine, dont Jemeppe-sur-Meuse devint le Sinaï ; c'est là que, du haut du terril, fut promulgué la loi de l'« Arbre de la Conscience » ; c'est là que, aux grands jours de l'Antoinisme, pèlerinaient des théories d'adeptes, les hommes en longue redingote et funèbre haut-de-forme, les femmes en voile de veuve.
    Le P. Dor est l'Elysée du cet Elie ; mais il ne fait pas à feu son oncle, et à sa tante qui continue « les affaires », une concurrence déloyale. Il s'est établi à Roux, dans le Borinage, et s'est voué « au bien » de ses semblables.

LE MESSIE

    Le Père Dor est de haute taille, abondamment barbu et chevelu ; des fils d'argent se mêlent à sa noire crinières. II est prosaïquement vêtu d'une redingote et d'un pardessus, coiffé d'un feutre à larges bords. Sa femme l'accompagne, petite et toute de noir vêtue. Le couple prédestiné s'installe au banc des avocats et, fort de l'autorisation des défenseurs persiste à s'y prélasser. Le banc des accusés reste vide.
    Le Père Dor appelle d'un jugement prononcé contre lui à Charleroi le 17 décembre dernier. Le tribunal correctionnel l'a condamné à 100 florins d'amende pour exercice illégal de l'art de guérir ; à 200 francs d'amende, à 8 mois et 400 francs, à onze peines de huit jours, à un mois et 25 francs d'amende pour divers faits d'escroquerie. Il le condamnait en outre à 500 francs de dommages et intérêts en faveur de la Société de Médecins de Charleroi, et 17.000 francs en faveur de Mme Delisée, naguère fidèle à toute épreuve, aujourd'hui principale plaignante.

LE « TEMPLE DE LA MORALE »

    Ainsi s'appelait le lieu où le Père Dor rendait ses oracles ; le temple de Roux avait, à Uccle, une succursale achalandée. L'enseignement du Messie borain n'avait, cependant, rien de bien original. Dans les dossiers de l'enquête, dans les déclarations de l'accusé ou des témoins, il est question, en termes vagues, d'Amour et de Justice, quelques témoins du beau sexe affirment qu'en ce qui les concerne, le P. Dor écrivait « amour » sans majuscule. Hâtons-nous d'ajouter que, sur ces faits, l'enquête n'a rien apporté de probant
    L'« Ecole de la Morale » prêchait surtout la foi au P. Dor. Pour guérir les malades qui recouraient à ses lumières, le « Messie » se contentait d'habitude de passes magnétiques, de regards lourds d'effluves. Plus prosaïquement, il lui arriva d'enlever à des hernieux leur bandage — non leur hernie, — de proscrire le lait du régime de petits enfants ; il alla jusqu'à prescrire du Thé Chambard, des lavements salés, des potions sucrées. Ce sont ces ordonnances que l'accusation considère comme exercice illégal de la médecine. Ces clystères et ces juleps nous semblent, d'ailleurs, n'avoir que des rapports assez éloignés avec la Justice, l'Amour et le « Temple de la Morale ».

OU IL EST QUESTION DE TRONCS,
D'ASSIETTES, DE BOUTONS
            ET DE LITTERATURE

    Le P. Dor ne réclamait, de ses adeptes, aucune rétribution. Dans la candeur de ses débuts, il s'était contenté d'appendre, aux colonnes du Temple, des troncs humblement solliciteurs. Aux gros sous des fidèles, des sceptiques — ou des malades que le Messie n'avait pas soulagés — mêlèrent des boutons de culottes. Le P. Dor dépendit les troncs et les remplaça par des assiettes, qu'il couvait d'un œil vigilant. Mais ces offrandes, volontaires n'étaient que la menue monnaie du Temple de la Morale.
   
Une adepte du « Messie » versa, pour ses œuvres, une somme de cent francs, qui lui a d'ailleurs été restituée. Une autre fut guérie d'un asthme rebelle par le Père Dor, lequel se contenta pourtant de travailler à son perfectionnement moral. (De là à faire passer tous les asthmatiques pour des gens qui ont un fichu caractère, il n'y a qu'un pas.)
    Revenons à nos moutons, à ceux plutôt que tondit le P. Dor. L'asthmatique guérie forma une société, ouvrit une souscription pour, propager les œuvres du « Père ». Cette brochure au titre prometteur, l'Ere nouvelle, serait d'ailleurs une assez maladroite compilation, un « horrible mélange » où maint auteur aurait, avec peine, reconnu son bien.
    Mais tels adeptes — peut-être le P. Dor leur avait-il prodigué son fluide, son amour et sa justice — tels adeptes ne s'en tirèrent à si bon compte.

PAQUET, CHAUFFAGE CENTRAL ET TESTAMENT

    Mme Delisée, qui plaide aujourd'hui contre le Messie, fut de ses plus fidèles croyantes. « O mon cher petit père, s'écriait-elle, comme je vous aime ! Si jamais il me mettait hors de chez lui, je crois que j'en mourrais ! »
    L'infaillible presciences du P. Dor prévit-elle ce décès ? Toujours est-il que Mme Delisée dota le « Temple de la Morale » d'un parquet neuf et du chauffage central. Elle acheta un lot considérable de brochures — dont coût, au total, vingt mille francs environ. Puis, elle rédigea, en faveur du Prophète, un testament en bonne et due forme ; elle habitait une maison qu'elle s'était fait bâtir en style dorique ? à l'ombre du « Temple de la Morale ».
    Hélas ! les yeux de Mme Delisée s'ouvrirent un beau jour, à des clartés qui n'étaient plus celles de la foi au Messie de Roux. Elle vit, elle sut, elle ne crut plus, elle était désabusée. Elle réclame aujourd'hui au P. Dor le remboursement de ses avances, le coût du parquet neuf et du chauffage central ; Le testament, elle l'a déchiré sur l'ordre exprès du Père, éclairé par la descente d'un Parquet, où les soins diligents de Mme Delisée n'avaient, cette fois, rien à voir.

COUP DE THEATRE

     M. le conseiller Smits a terminé la lecture d'un interminable rapport ; des adeptes ont témoigné d'une foi inébranlée ; certains avocats ont fait, devant le tribunal, les gestes rituels, les passes, magnétiques que le P. Dor employait pour guérir ses malades ; M. Eeckman qui préside assisté des conseillers Dassesse et Smits, interroge l'accusé. Le Messie secoue sa longue chevelure, caresse sa barbe et répond, avec un savoureux accent « borègne ».
    Il n'a pas exercé l'art de guérir. Il est remonté à la cause morale des maux qui nous accablent, supprimant ainsi la source des maladies. Il n'a donné que des conseils ; ceux qui les suivirent s'en trouvèrent bien. Il a prêché l'énergie, la confiance ; ceux qui eurent la foi s'en retournèrent guéris. On l'appelait le Christ ? Pouvait-il empêcher cela ? II laissait faire ; et d'ailleurs...
    Le P. Dor se recueille ; il monte les degrés qui le séparent de la Cour, il étend la main : « Et d'ailleurs, je suis le Christ ; oui, je le suis, non pas le faux, mais le vrai ! »
    L'auditoire frémit ; mais le plafond ne s'effondre pas sur la tête du tribunal ; les murs demeurent impassibles. Le président ne s'émeut pas. Il prend acte de l'affirmation et termine l'interrogatoire. La parole est aux avocats des parties civiles.
    Plaidant pour la Société des Médecins de l'arrondissement de Charleroi, Me Gérard, dit que Dor, simple ouvrier ajusteur, ignorant et illettré, a représenté les médecins comme mus uniquement par l'esprit de lucre. Dans plusieurs cas, ses, prescriptions ont été nuisibles aux malades qui s'adressaient à lui. Sous prétexte de fluide, d'hygiène et de conseils moraux, il a porté préjudice à des médecins honorables ; plus que du dommage matériel, c'est du dommage moral que la Société de Médecine demande réparation.
    Me Bonnehill défend les intérêts de Mme Delisée. Il représenta le P. Dor comme un être cupide, comme un imposteur. Il qualifie l'enseignement de la Morale, de la Justice et de l'Amour de « sinistre et ridicule comédie ». Tout naturellement, il évoque le souvenir de Molière, qui prit parfois son bien dans les œuvres des autres. Car Me Bonnehill n'épargne même pas la littérature du P. Dor. Il fait, de ses œuvres prophétiques, des plagiats non seulement impudents, mais, malhabiles.

*
*  *

    L'affaire en est là ; le tribunal s'est ajourné. Le « Christ de Houx » a été invité à revenir devant la Cour d'appel, après les fêtes de Pâques. Nous conterons en son temps, la suite de ses aventures.
                                                 Julien FLAMENT

Le XXe siècle, 22 avril 1917

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Palais de Justice - Le Christ au prétoire (Le bruxellois, 4 avril 1917)

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Palais de Justice - Le Christ au prétoire (Le bruxellois, 4 avril 1917)PALAIS DE JUSTICE

    COUR D'APPEL DE BRUXELLES. — Le Christ au prétoire. — C'est ce lundi saint que commence le procès d'appel de celui que des naïfs ont appelé le Christ du temps présent.
    Les débats se déroulent dans la vaste salle d'audience de la 6e chambre des appels correctionnels. M. Eeckman préside assisté de MM. les conseillers Dassesse et Smits. M. Raphaël Simons, substitut du procureur général, le sociologue démocrate chrétien tombeur de l'abbé Pottier... pardon, de l'abbé Formose, occupe le siège du ministère public. Cela nous promet sans doute une joute économico-philosophico-religieuse entre Me Lebeau, le porte parole du Christ et M. le substitut, organe de la Loi, défenseur de la société.
    Mais voici le Christ. Mais est-ce bien le Christ ? On m'appelle ainsi, dit-il, à qui veut l'entendre. Mais lui-même est trop madré pour se donner à lui-même ce titre.
    Le Père Dor ne croit d'ailleurs ni au Christ, ni au diable. II faut croire en moi, dit-il à ses adeptes ; avoir confiance en moi ; c'est moi qui vous insufflerai mon « fluide » et ainsi vous sauverai, vous guérirai.
    Il arrive accompagné de sa femme, modestement habillée tout de noir. Pierre Dor est beaucoup plus grand qu'elle ; barbu et chevelu, il a déjà pas mal de fils d'argent dans sa barbe qui dut être jadis du plus beau jais. Sa redingote noire disparaît sous un vaste paletot ; il confie à sa femme un chapeau à larges bords. C'est le type classique du Moujick. Il a pas mal de fervents adeptes. On les désigne du doigt dans la salle. Telle dame prétend avoir été guérie radicalement par le Père. Elle était à l'agonie. On est allé implorer le Père, le Père l'a ressuscitée. Il y a quelques fervents de Roux arrivés ce matin par le même train que les avocats de Charleroi ; il y en a surtout d'Uccle où le Temple de la Morale du père Dor fait en ce moment à St-Job une concurrence redoutable aux églises des cultes reconnus.
    Mais tandis que le Parquet de Charleroi pourchasse Dor, celui de Bruxelles le laisse opérer en paix. C'est peut-être pour ne pas lui faire de la réclame inutile, d'autres disent que c'est parce que notre Parquet serait surchargé par les poursuites contre les accapareurs et autres malfaiteurs qui si impunément profitent et abusent de la guerre ! Le père Dor et sa femme s'installent crânement au banc des avocats. Les gardes bourgeois veulent les faire reculer dans l'enceinte du public. Peine inutile. « Nous sommes ici avec l'autorisation de Mtre Morichar, nous y resterons. »
    Le banc des avocats est garni. A la défense Mtre Lebeau et Mtre Morichar. Au banc de la partie civile Mtre Vermoesen, avoué, se constitue pour la Société de Médecine. Mtre Gérard plaidera pour cette société. Mtre Bonnehil se constitue partie civile au nom de Mme Delisée, une petite vieille dame qui s'installe à côté de son avocat.
    A 9 h. 15 la Cour fait son entrée. Dor s'installe au banc des prévenus. Il décline ses noms, résidence, donne comme profession celle d'auteur.
    La parole est ensuite donnée à M. le Conseiller Smits qui fait le rapport de cette affaire.
    L'honorable conseiller rappelle d'abord les condamnations prononcées contre Dor à Charleroi, le 17 décembre dernier.
    Le prévenu encourut 100 florins d'amende pour exercice illégal de l'art guérir, 200 fr. d'amende pour les faits d'escroquerie concernant les époux Chantier, 8 mois et 400 fr. pour les faits d'escroquerie reprochés par Mme Delisée, onze peines de 8 jours pour onze autres faits, un mois et 26 francs pour les escroqueries dont se plaint, l'épouse Spronck. Il fut condamné en sus à 500 fr. de dommages et intérêts en faveur de la Société de Médecine de Charleroi et 17,000 fr. en faveur de Mme Delisée. Dor fut acquitté pour les préventions d'attentat à la pudeur libellées dans l'acte primitif de poursuite.
    M. Smits lit ensuite les diverses pièces de la procédure : les plaintes contre Dor, ses interrogatoires, les dépositions des témoins.
    M. le conseiller-rapporteur choisit dans les énormes dossiers qu'il a devant lui les pièces relatant les faits les plus caractéristiques de l'inculpé. Il décrit sa manière d'opérer, ses passes, les procédés qu'il emploie habituellement pour suggestionner ses clients.
    Dor s'en tient à quelques banalités, il enseigne l'Amour, la Justice. Certains clients entendirent la chose de manière très différente. L'une des fidèles déclare « être venue chez Dor pour voir le Christ. Je n'ai pas été peu surprise, ait-elle, quand il m'a passé la main dans le corsage, puis sur les cuisses, et quand il m'a affirmé que j'avais le fluide d'amour. Ce n'est pas pour apprendre cela que j'allais à l'Ecole Morale. »
    Il entrait dans les détails les plus crus pour enseigner la vertu dans le sens où il l'entendait et manquait rarement de parler de choses équivoques ou qu'au moins certains adeptes interprétaient d'une manière... particulière.
    Plus d'un détail — impossible de reproduire dans un compte rendu destiné à passer sous tous les yeux, provoque l'hilarité de la Cour, hilarité que partagent d'ailleurs tous les avocats à la barre.
    Dor dans ses interrogatoires par la police, par le juge d'instruction, s'est d'ailleurs toujours défendu avec énergie contre toutes les imputations de ce genre. Il a prêché la vertu, la confiance, la foi en son fluide.
    Ce fluide a-t-il suggestionné ses adeptes ?
    C'est indéniable à entendre l'interminable série de témoins dont M. le rapporteur fait connaître les dépositions.
    Ce sont les femmes surtout qui ont prétendu ressentir les bienfaits des incantations de Dor.
    Ici se place un incident entre avocats. Ils s'avancent vers la Cour et reproduisent les gestes, la levée des bras que pratique l'inculpé. Dor qui aurait pu personnellement donner une répétition devant la Cour se tient coi à son banc.
    Dor ne demandait rien pour ses cures.
    Mtre Lebeau. — Il inscrivait même en tête de ses brochures qu'aucune rémunération n'était réclamée.
    Mtre Bonnehil. — C'est un désintéressé ! c'est entendu ! (Rires.) Nous démontrerons le contraire.
    M. Smits, rapporteur. — Il ne demandait rien, mais il se trouvait un tronc à son temple. Un jour il demanda à un de ses adeptes d'y verser cent francs. De plus, il vendait ses brochures et tous achetaient. Les uns par curiosité, les autres parce que ce n'était pas cher, d'autres enfin « par honnêteté », disent-ils.
    L'audience est levée à 1 heure.
    L'après-midi n'était pas annoncée, aussi y a-t-il moins de monde que le matin. L'audience reprend à 3 h. 10. M. le Conseiller-rapporteur poursuit son exposé général qui est clôturé à 3 h. Il en vient alors aux trois faits d'escroquerie qui ont été retenus à charge de l'inculpé. Les faits Solms, Chartier et Delisée. (B.)

Le bruxellois, 4 avril 1917

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Le Père Dor parle au ''Bruxellois'' / Au Palais (Le Bruxellois, 14 avril 1917)

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Le Père Dor parle au ''Bruxellois'' / Au Palais (Le bruxellois, 14 avril 1917)LE PERE DOR
parle au “Bruxellois„

    Ce qu'il pense et ce qu'il dit dans l'intimité.

    Sur la lisière de Saint-Job, dans un endroit pittoresquement écarté, rue du Moulin, 234, ou pour mieux dire « Drève », — car c'en est une dans toute l'acception du mot, — se dresse une modeste maison basse, construite plutôt en profondeur qu'en hauteur, et dont l'architecture un peu spéciale frappe tout de suite le regard. Sur une sorte de porte cochère, toute pimpante de fraîche peinture, se détache, à hauteur d'homme, une enseigne, qui porte en belles lettres bien lisibles : « Ecole Morale » avec, en dessous, la mention : Le Père reçoit le jeudi de 7 à 2 heures. D'autres indications de jours de la semaine sont supprimées au moyen d'une simple bande de papier blanc collée dessus...
    C'est là, — dans son sanctuaire, — que le « Père » nous reçoit, — le « Père » tout court, car son pontificat ne semble pas trop volontiers s'encombrer d'une désignation familiale plus précise. On longe le bâtiment dans toute sa longueur, pour pénétrer, dans le fond, sur la gauche, dans une salle, qui a plus d'un prétoire de justice de paix, que d'un temple ou d'une salle d'école. De nombreux bancs sans dossiers, simples, mais confortables, s'alignent là. Dans le fond, au centre, en plein mur, se détache une photo au charbon, presque grandeur nature, représentant le « Père » Dor qui, d'un geste accueillant et protecteur encourage une femme éplorée, qui se traîne, suppliante, à ses pieds. Cela rappelle un peu, — oh ! très vaguement, — le fameux tableau figurant le Christ accueillant d'un geste plein de mansuétude et d'indulgence, Madeleine repentie, se prosternant devant lui... En face de la petite porte donnant accès dans la salle de réunions, dans un coin, se dresse un petit pupitre devant lequel trône une brave dame, dans laquelle, du premier coup d'œil, on reconnaît une fervente adepte. Elle est préposée à la vente des « ouvrages » du Père, dont le prix, — 2 fr. 50 le volume — est affiché bien visiblement sur les murs.
    On nous annonce au Père Dor qui vient au devant de nous et, comme il y a là deux dames venues pour le consulter, nous dit, chose toute naturelle : — Les dames d'abord, n'est-ce pas, Monsieur ?...
    On est talon-rouge dans le temple du Père !..
    Mais cela ne semble pas traîner chez lui. C'est en cinq sec que les visiteurs sont expédiés. Ils ne font en quelque sorte qu'entrer et sortir, dans une petite pièce meublée uniquement d'un bureau américain à tambour en chêne vernis, très modern-style, d'un petit poêle fantaisie et d'une plante d'ornement.
    Pas de chaises... C'est un ustensile mobilier superflu aux yeux du « Père », car il pourrait inciter aux trop longues stations dans son « salon » de réception... Or, si jamais le précepte bureaucratique « Soyez bref ! », trouve son application, c'est bien chez le « Père ».
    Pour « Le Bruxellois » le Père Dor veut bien faire une exception. Il prolonge l'entretien pendant une bonne heure et, dame ! force lui est bien d'aller chercher deux sièges...
    — C'est la première fois depuis longtemps, que des chaises entrent ici ! observe-t-il en souriant. Toutes mes réceptions se font « debout ».
    D'abord extrêmement réservé, le « Père », ayant sans doute l'intuition qu'aucun fluide hostile n'émane de nous ne tarde pas à se livrer tout entier, et, en une aimable causerie, il nous expose tout au long son histoire, d'un bout à l'autre. On la connaît suffisamment par les comptes rendus des débats du procès de Charleroi et par ce qui s'est dit jusqu'ici à son sujet dans le prétoire de la 3e Chambre des Appels correctionnels de Bruxelles. Inutile donc d'y revenir.
    Ce qui était plus intéressant pour l'instant, à la veille de la reprise des débats et du jugement de la Cour, c'était de fixer la mentalité présente du « Christ » de Roux et de recueillir ses pensées intimes.
    Le « Père », dont le visage, au cours de la conversation se transforme, se rajeunit en quelque sorte, reflétant une parfaite sérénité d'âme, se laisse doucement aller aux confidences. Sa voix est égale, dégagée de toute passion, même fugitive ; il n'y a que dans ses yeux bleus qui s'allument par moments une flamme de jeunesse, très vive, et c'est cette flamme là qui, peut-être, est pour beaucoup, dans l'influence que le « Père » exerce dans certains milieux, et surtout sur l'élément féminin. (Se rappeler le moine Raspoutine et son influence sur les grandes dames russes.).
    Le « Père » affirme surtout et par dessus tout son « désintéressement » et il cite, à l'appui de ses affirmations, de nombreux faits qui, selon lui le prouvent irréfutablement.
    — Mais, faisons-nous observer, le public, non sans quelque raison, se demande comment se concilie ce « désintéressement » avec les quêtes, la présence d'un tronc, dans votre salle de réunion, et la vente de vos brochures.
    — Mon Dieu, Monsieur, nous réplique le « Père », il faut bien récupérer ses frais ; il faut bien vivre aussi... Et comment ferais-je pour manger ?
    La vie est très chère... J'ai des frais généraux et les impressions me coûtent ; il y a la typographie et le papier... Je cherche à récupérer, non à gagner.
Et puis, mon tronc, si j'étais intéressé, je ne l'aurais pas placé dans la salle de réunion, en une place où personne ne voit ce qui est donné, mais bien ici même, sous mes yeux, dans la petite pièce où nous sommes... D'ailleurs, j'ai fait placer un avis au-dessus de ce tronc et il est explicite, il me semble... (Cet avis, dont nous avons pris copie, en prenant congé du Père, est conçu dans les termes suivants) :
                      AVIS TRES IMPORTANT
    LE PERE prévient que toute personne qui déposerait (sic) dans le tronc, dans le but d'obtenir satisfaction à une demande quelconque, commet par cet acte une infraction à la loi du désintéressement ; c'est en un mot : Douter du Père que de croire qu'avec de l'argent on pourrait acheter soit sa guéri son, soit la chance, etc., etc. (sic).
    Sur le trône même qui est de dimensions respectables, figure la mention : « Pour les frais généraux de l'Ecole ».
    — Mais, faisons-nous remarquer, le public sceptique peut fort bien croire que ce tronc n'est là que pour la façade et que vous pouvez recevoir, de la main à la main, et « entre quatz'yeux », comme on dit vulgairement, les offrandes les plus diverses et plus ou moins importantes ?... Avec un sourire désabusé le Père réfute l'argument par ces simples mots ;
    — Alors, à quoi bon ce tronc ?...
    Au fait, rien n'empêche le « Père » de se passer de ce tronc, qu'il n'a d'ailleurs installé que depuis le mois de juin 1916 à Roux et ensuite, en octobre de la même année, à St-Job, lors de son installation dans son nouveau « Temple ».
    — Je suis venu ici pour ma santé, nous dit-il. Je n'aurais plus eu longtemps à vivre si j'étais resté là-bas... Ici, au moins, je respire le grand air, je puis me promener en plein bois... Ça me fait du bien... J'exècre la ville et je n'y vais que lorsque j'y suis forcé...
    — Comme maintenant, M. Dor ? insinuons-nous.
    Le « Père » sourit, avec le même sourire désabusé.
    — Voyez-vous, ce qui me chagrine, ce qui me fait de la peine, c'est que la plupart des gens me critiquent et me jugent sans absolument rien connaître, ni de ma personne, ni de mes principes, ni de mes préceptes. Je recommande le bien, mais je n'en impose pas la pratique. J'en fais ressortir la nécessité, mais je ne cherche pas à forcer les gens à agir contre leur naturel. Il en est ainsi au point de vie moral comme au point de vue matériel. Tenez, ainsi moi qui suis végétarien convaincu et fervent, qui mange tout au plus quelques œufs, un peu de saindoux sur le pain et quelques rares tranches de lard, — (hé ! hé ! cher « Père », le saindoux et le lard, pour un végétarien, cela donne à réfléchir !) — j'ai deux fils, l'un de 20 ans, qui termine ses études d'électricien, à Charleroi, et l'autre de 16 ans, qui habite avec moi à Saint-Job, qui est très intelligent, mais qui n'aime pas du tout l'étude, ces deux fils mangent, eux, de la viande, et « goulûment » (sic) même, lorsqu'ils en ont l'occasion. Et je ne leur dis rien ; je ne leur impose pas mes principes végétariens... Il ne faut jamais forcer quelqu'un à faire quelque chose qui ne lui dit pas. C'est pourquoi je n'oblige pas mon plus jeune fils à étudier, puisque l'étude lui répugne. Il n'a qu'à chercher sa voie... Je ne force jamais à rien et ceux qui viennent à moi, c'est qu'ils le veulent bien...
    — Autrement dit, Monsieur Dor, vous prêchez en quelque sorte à des convaincus ; vous enfoncez, comme l'on dit, des « portes ouvertes » ?..
    Sans répondre directement à cette question, — et « qui ne dit mot consent » dit le proverbe, — le « Père » continue :
    — Je ne me suis jamais posé, en guérisseur... Si j'ai opéré des guérisons, c'est malgré moi... Et à ce point de vue là seul, la justice peut m'atteindre, car il est indéniable que j'ai opéré des guérisons. Mais est-ce là un bien grand crime ?.. Beaucoup de personnes, beaucoup, qui étaient ou qui se disaient souffrantes, sont venues à moi. Elles m'ont touché, elles ont embrassé mes pieds, mes genoux, — eh bien, c'est du fanatisme, du fanatisme pur... Et si elles se sont trouvées soulagées, comme elles l'ont proclamés, c'est encore sous l'effet de ce fanatisme et de la SUGGESTION qui en découle...
    Je vois cela à Roux, où je me rends une fois chaque semaine et où je reçois, dans une seule tournée 1,500 visiteurs... Et à ce propos, permettez-moi de faire ressortir que, si j'étais l'homme intéressé qu'on veut voir en moi, si j'en tirais un profit, eh bien ! je ne me contenterais pas d'aller une fois à Roux, j'irais deux et même trois fois par semaine et cela me ferait chaque fois 1,500 « clients » (sic) de plus !...
    Après avoir effleuré la question des « escroqueries » reprochées au Père Dor, — matière qu'il nous est impossible d'apprécier ni de juger actuellement, la justice étant saisie des faits et les avocats du « Père » étant là pour prendre sa défense, — nous abordons la question « féminine ».
    C'est là un sujet que le « Père » n'aime pas trop à aborder, un terrain glissant sur lequel il semble ne s'engager qu'avec hésitation. Nous respectons ses scrupules.
    — Voyez-vous, nous dit-il, il est de ces choses que l'on ne PEUT pas dire. Les femmes sont d'un caractère qu'il est souvent impossible de définir... Je sais... Mme Delisée, Mme Chartier... Que voulez-vous, si je devais dire ce qu'il en est réellement, je trahirais le secret d'une confession, — (le « Père » allait peut-être dire : d'un aveu). Non, je ne puis pas, je ne puis pas !... Il est de ces questions d'amour-propres froissés, de dépits, qu'il vaut mieux ne pas mettre sur le tapis... Ah ! si l'on savait, si I'on savait!... Mais je ne dirai rien à ce sujet, on me fait assez dite de choses inexistantes, on place dans ma bouche assez de réflexions que je n'ai pas faites, et ce dans des « interviews » qui n'ont jamais eu lieu, comme par exemple celui tout récent d'un journal illustré, « Le Temps Présent », que je me tiens sur mes gardes. Cela me décourage de parler...
    Sur une question précise relative à l'opinion du « Père » en ce qui concerne les relations sexuelles, il nous expose ainsi sa théorie :
    — J'estime que c'est une parfaite utopie que de vouloir réunir les deux sexes, lorsqu'il s'agit d'enfants et de jeunes gens, dans une promiscuité complète, en tablant sur une réserve de leur part ou en escomptant la possibilité de voir l'instinct ne pas s'éveiller... C'est une chose naturelle ; pour beaucoup, le rapprochement sexuel est un besoin, et en ce qui me concerne, je suis loin de le condamner, de le réprouver. Je n'ai aucune raison de te désapprouver, ni aucune raison de le recommander, et j'estime qu'il faut laisser, dans cet ordre d'idées chacun libre d'agir selon ses inclinations, ses dispositions, en un mot selon son instinct...
    Après quelques brefs échanges de vues sur les diverses croyances, le « Père », que de nombreux fidèles des deux sexes attendent déjà dans la salle, ajoute, en matière de conclusion :
    — Voyez-vous, on ne peut, on ne doit pas me condamner, pour autre chose que pour une légère infraction à la loi sur l'exercice illégal de l'art de guérir. Mais c'est là peu de chose. Si l'on me condamne tout de même, eh bien, que voulez-vous, j'irai en prison avec la même placidité que celle que vous me voyez en ce moment... Mais alors, il viendra un jour, tôt ou tard, soit de mon vivant, soit après ma mort, où l'on reconnaîtra que j'aurai été victime d'une grande injustice !... »
    Sur ces mots, nous prenons congé du Père et, en nous éloignant nous entrevoyons, dans le modeste logis du « Christ », la silhouette fort affairée au nettoyage, de sa « compagne », dont il avait vanté à plusieurs reprises, au cours de notre conversation, les grands mérites de « ménagère modèle » !

                                  Robert Fleurus.

 

PALAIS DE JUSTICE
COUR D'APPEL DE BRUXELLES

Le Procès Dor 
(Suite.)

Audience de l'après-midi.

    L'audience est reprise à 3 h. ½.
    Ne parlons pas de blasphème. Le Christ pardonne à Dor. (Rires.)
    Père Dor, le Christ, serait un homme comme un autre dont la morale était excellente, mais avait pourtant quelques imperfections. Quoi de singulier dès lors que Dor s'imagine faire mieux. Il a une conviction comme d'autres illuminés en ont eu. La sincérité est indiscutable. Il y a une autre hypothèse que l'escroquerie, que la folie ; il y a la chose étrange commandée par le cœur et l'esprit qui font de lui un illuminé.
    La Cour doutera certainement et dans le doute l'acquittement s'impose.
    Mtre Lebeau. — Depuis la levée de l'audience, un mot de M. l'avocat-général me trotte en tête. N'y a-t-il pas lieu de soumettre mon client à un examen mental ? Le fait de se dire le Christ, est-ce de la folie ? Oui ! c'est de la folie. Mais combien d'actes chez certains hommes ne sont pas des actes de folie ? Celui qui recherche l'argent, la gloire politique, n'est-il pas un fou ? Oui, à certains égards, Dor poursuit une chimère.
    Mtre Simons. — La question est de savoir s'il a la responsabilité de ses actes.
    Mtre Lebeau. — M. Dor est un fou en ce sens qu'il a un idéal énorme, mais cela l'empêche-t-il de poser des actes bien coordonnés ?
    Mtre Morichar. — Si même il est fou, il n'est assurément pas un escroc.
    Mtre Lebeau. — On a retenu comme manœuvre frauduleuse, les guérisons à distance. Il ne guérit d'aucune façon ; il fait que le malade se guérisse lui-même. L'épouse Ducort affirme qu'un jour étant venue trouver Dor, celui-ci lui dit : Retournez chez vous, votre mari va mieux. Et le fait fut reconnu exact. C'est un fait de ta télépathie.
    La communication à longue distance, dit l'illustre Flammarion, existe aussi certainement que les courants électriques. Si la télépathie existe, quelle impossibilité au fait rapporté par le témoin ? Il ne pourrait y avoir manœuvre frauduleuse que si Dor exagérait la valeur de ces phénomènes étrangers et s'il en profitait.
    Dans la question du spiritisme, il croit, dit-il, à ces phénomènes, mais il déconseille de s'embarquer dans le spiritisme.
    Voilà la preuve de son honnêteté intellectuelle. Dirigez-vous vers le perfectionnement individuel : c'est la chose essentielle.
    Je suis profondément convaincu de la bonne foi de mon client. J'espère vous avoir communiqué ma conviction, tout au moins un doute sur sa mauvaise foi.
    Supposez enfin, — je le suppose un instant — que Dor ne soit pas de bonne foi. Est-il pour cela un escroc ? Non encore, car en faisant remettre cas sommes de 10 centimes à 10 francs, il ne faisait que se rémunérer d'un travail écrasant.
    Le Tribunal de Charleroi a reconnu que les adeptes de Dor ont été moralement améliorés. Eh bien ! l'intérêt social bien compris réclame de vous l'acquittement.
    S'il y avait plus de Doristes, le Parquet aurait moins de besogne. Ce sont de fort braves gens inspirés de bonnes idées qu'ils ont été chercher chez le Père.
    Il n'y eut pas eu de poursuites sans les plaintes très précises des Chartier et Delisée. Ces prétendues victimes sont des Doristes désabusés. Ils ont fait l'un et l'autre au Père des cadeaux.
    Il ne s'agit pas d'escroquerie d'argent, mais bien d'objets déterminés : un parquet, un chauffage central, tous objets bien encombrants et qui perdent au moins la moitié de leur valeur si les donateurs veulent les reprendre.
    De plus, Dor reconnaît tout dans les termes où il le reconnaît aujourd'hui. Enfin, il offre la restitution.
    Mtre Bonnehil. — Depuis quand ?
    Mtre Lebeau. — Depuis toujours.
    Mtre Bonnehil. — Des débris.
    Mtre Lebeau. — Relisez ma lettre. Quant aux objets incorporés dans l'immeuble, il a dit : « Reprenez votre chauffage, votre parquet. Si vous préférez, nous vous tiendrons compte par une hypothèque de toute plus-value. Il ne peut y avoir plus, car il n'y a pas d'argent. Quant à la maison, vous en êtes propriétaires ; régularisons l'acte et passons chez le notaire. »
    Et quels sont les plaignants ? Il y a d'abord les Chartier. Mme Chartier était malade ; elle fut guérie par le Père. Elle souffrait de suralimentation ; le végétarisme l'a guérie. (Rires.) De là une immense reconnaissance qui se manifesta de diverses manières. Notamment par le discours que voici. (Mtre Lebeau donne lecture du discours.)
    M. le conseiller-rapporteur Smits. — Est-ce Chartier qui a écrit cela ? On en douterait en comparant ce document avec d'autres pièces du dossier.
    Mtre Lebeau. — C'est lui qui a écrit ; c'est son écriture.
    Mtre Bonnehil. — Un charcutier-poête, alors ! (Rires.)
    M. Smits. — Chartier ne dit-il pas quelque part que c'est Dor qui a fait ce discours ?
    Mtre Lebeau. — C'est impossible. Il y a là des détails que nul autre que les Chartier ne pouvaient retracer. M. Dor, qui avait d'abord accueilli les Chartier avec faveur, a constaté que Mme Chartier était bavarde, indiscrète, se permettant même de donner des conseils médicaux. Il y a eu des froissements et la coalition Delisée-Chartier a abouti à toute la campagne de calomnies contre laquelle nous nous débattons.
    Chartier se plaint d'avoir livré du charbon, d'avoir fait fabriquer des casiers, d'avoir dû distribuer des brochures du Père, et cela sous la menace d'épreuves terribles. Dor l'aurait même menacé d'apoplexie. Chartier et Delisée se plaignent d'avoir été hypnotisés.
    Mtre Simons. — Il s'agit peut-être d'une simple suggestion.
    Mtre Lebeau. — Je crois qu'ils ont prétendu parler de véritable hypnotisme. Ils se plaignent l'un et l'autre de manœuvres d'application de la main sur la tête, sur la colonne vertébrale.
    Mme Chartier se plaint que Dor a frotté sa figure barbue contre la sienne. Si le Père a fait cette action, il a dû avoir un rude courage. Maintenant viennent les imputations infâmes : il faut forcer les imputations par des propos vraiment scandaleux. Et la fille vient et se plaint d'attouchements impurs et la mère dit : « Retournez-y, c'est pour votre avancement ! » (Rires.) Comme c'est naturel ! Surtout quand on a affaire à une vieille femme comme Mme Delisée et que la fille n'est rien moins qu'un véritable monstre de laideur. (Rires.)
    Mtre Bonnehil. — Vous n'êtes pas galant !
    Mtre Lebeau. — Ce n'est pas le lieu de l'être. Quand on est comme nous en but à des accusations calomnieuses, on se défend en disant la vérité, toute brutale qu'elle soit. Vous avez été sali, pillé ? Mais alors, pourquoi retourner à l'école morale ?
    Mtre Morichar. — Les Chartier n'ont pas osé se constituer partie civile.
    Mtre Bonnehil. — Ils sont généreux.
    Mtre Morichar. — Non pas ! Prudents.
    Mtre Lebeau rapporte les griefs des Chartier et ceux de Salms.
    Mire Bonnehil. — Mme Salms est la sœur de Mme Chartier.
    Mtre Lebeau. — Cela ne l'empêche pas de mentir. (Rires.) — L'avocat parle aussi d'une certaine demoiselle M....qu'il traite de « déshonneur des trottoirs de Charleroi ».
    Mtre Bonnehil proteste violemment.
    Une vive altercation se produit.
    M. le président rappelle à l'ordre et demande à Mtre Lebeau de passer à un autre sujet.
    Si la Cour avait le moindre doute au sujet de ce témoin, rien qu'à le voir, sa conviction serait vite faite.
    Mme Delisée était une inconnue pour Dor ; c'était une spirite ; elle vivait alors à Bruxelles, où elle était divorcée.
    Aussitôt qu'elle fait la connaissance du Père Dor, elle s'enthousiasme pour lui et de son plein gré lui demande de venir habiter Roux, où elle compte jouer un rôle et s'assurer une heureuse vieillesse. Elle avait eu un passé orageux et rêvait dans le Dorisme un calme et une félicité inconnus. Elle a offert ses services au Père, qui accepta qu'elle distribuât les tickets.
    Mme Delisée a dit au juge d'instruction et à l'audience de Charleroi, qu'elle était hypnotisée par Dor et qu'elle était incapable d'agir et de penser par elle-même. C'est une manœuvre grossière de Mme Delisée, et elle savait fort bien ce qu'elle faisait et ce qu'elle donnait ; elle était très fière de tenir une place et un rôle importants dans cette nouvelle Eglise. Elle eût humblement tenu son rôle. Mais quand le Père décida de s'installer à Uccle, Mme Delisée ne fut pas conviée à le suivre à cause de certaines difficultés qu'elle avait soulevées entre M. Dor et son épouse.
    Mme Delisée en fut cruellement dépitée. Elle refusa l'arrangement du Père, qui lui proposa de vivre hors du ménage, dans une maison voisine de l'école morale. C'est elle qui a voulu la discussion, le scandale ; qu'elle en porte la responsabilité. Elle qui était la femme de confiance, la secrétaire de Dor, c'était une sorte de chanoine.
    Mtre Bonnehil. — Vanité coûteuse. (Rires.)
    Mtre Lebeau. — Avec un esprit de ruse bien féminine, Mme Delisée a essayé d'enchaîner M. Dor avec des chaînes d'argent.
    Mtre Bonnehil. — Dor... des chaînes d'or.
    Mtre Lebeau. — Si vous voulez ! Elle a encombré M. Dor d'un chauffage central. C'est elle et elle seule qui l'a proposé. De même elle a voulu faire placer un parquet de chêne. Il y avait autrefois un carrelage. Comme elle habitait cet appartement, c'était pour elle donc. Dor n'y tenait aucunement. Et puis, encore une fois, si Dor exerçait sur Mme Delisée une influence si considérable et si c'était un escroc, mais il n'avait qu'à lui dire : « Donnez-moi les 1,800 francs que vous destinez au parquet ; ils serviront à m'enrichir. »
    Les brochures ! Dor en reconnaît pour 2,700 fr. Elle les a achetées par prosélytisme, pour payer son propre entretien. Elle s'est vantée de payer pour son entretien 1,000 ou 2,000 francs. Ceci est faux.
    Mtre Lebeau lit sa correspondance à Mtre Bonnehil avant la plainte. Les dates de ces lettres causent un court et violent incident. Quand Mme Delisée parle du prix de sa pension, comme si souvent d'ailleurs...
    Mtre Simons. — Vous avez promis de terminer à 5 heures. Il est 5 h. 20. Vous avez déjà parlé dix fois plus que moi.
    Mtre Lebeau. — J'aurai bientôt fini. Dans l'affaire de la maison se révèle toute la duplicité de Mme Delisée.
    Il conclut qu'il ne peut y avoir escroquerie puisque l'intention de s'approprier une chose appartenant à autrui n'existe pas. L'honorable avocat s'efforce de démontrer qu'aucun témoignage des plaignants ne tient debout.
    Mtre Simons. — Il est 5 heures et demie.
    Mtre Lebeau. — Je termine.
    Mtre Morichar. — Abrégez, terminez.
    Mtre Lebeau s'avance vers la Cour et explique, à l'aide d'un plan, la situation de la maison protégée contre les indiscrets et les voleurs.
    Mtre Bonnehil. — Et les voleurs ne sont pas loin !
    Mtre Lebeau explique sa manière de dédommager Mme Delisée : hypothèque et la réalisation après la guerre. Il s'efforce de démontrer à la Cour qu'il n'y a pas escroquerie et demande à s'expliquer lundi matin sur la prévention de l'art de guérir.
    M. le président (fort ironique). — Vous ne prendrez pas toute l'audience, au moins ? Il est 6 h. 1/2 lorsque l'audience est levée et remise à lundi.

IMPRESSIONS D'AUDIENCE.

    — Salle très calme, religieusement calme, quoique bondée. Dans un silence exemplaire, la voix de Mtre Lebeau s'élève, nette, précise, claire, pour la défense du « Christ », qui, par moments, manifeste de légers symptômes d'énervement. Dans son petit coin, sur le même banc que son défenseur, Mtre Bonnehil, dont elle est séparée par quelques « gens de robe », la petite Mme Delisée se tient coi, très attentive, bien sage, comme une image. On ne se croirait de loin pas dans une salle d'audience où se déroulent les débats d'un procès sensationnel. Pas plus d'émotion que s'il s'agissait de l'interprétation des clauses d'un marché en denrées quelconques. Le Tribunal lui-même semble sous l'influence d'un fluide calmant. M. Eeckmann, le sympathique président, manifeste quelques tendances à la somnolence et réprime de temps à autre un léger bâillement. Les assesseurs — tout comme le président d'ailleurs — prêtent néanmoins à la plaidoirie de Mtre Lebeau la plus vive attention. M. Dassesses ne perd pas un mot et se fige dans une immobilité de sphinx, tandis que M. Smits, l'assesseur de gauche, — évocation de la physionomie du Duc d'Albe, — se complaît en un continu et méphistophélique sourire. Et Mtre Bonnehil, à moitié tourné vers la salle, semble écouter les arguments de son confrère d'une oreille distraite, mais en réalité fort distraite, et, depuis que le Procureur du Roi a lancé au milieu des débats une allusion peut-être hors de propos à « la femme à barbe », le défenseur de la petite Mme Delisée ne cesse de caresser complaisamment la sienne... (de barbe, non de femme, s'entend !...). R.F.

Le Bruxellois, 14 avril 1917

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Au Palais - Le Procès du ''Christ'' (La Belgique, 24 novembre 1916)

Publié le par antoiniste

Au Palais - Le Procès du ''Christ'' (La Belgique, 24 novembre 1916)AU PALAIS

TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE CHARLEROI

LE PROCÈS DU « CHRIST »

AUDIENCE DE MERCREDI.

    En voyant mercredi matin l'enceinte publique de la 5e chambre du tribunal correctionnel bondée au point que les curieux sont, pour la plupart, obligés, tant la pression des voisins est forte, de se tenir sur la pointe des pieds, je pensais à certain député belge disant un jour à la Chambre : „Messieurs, la Belgique s'ennuie...” Certes, Charleroi s'ennuyait, puisque la curiosité est si vive, à chaque audience, pour le procès du „Christ”. Aujourd'hui, depuis 6 heures et demie, d'après un huissier, le prétoire est bondé et surbondé.
    L'audience est ouverte à 9 heures et demie. Me Lucien Lebeau, qui a chômé depuis vendredi, se remet au travail. Ces longues interruptions, ces „chômages” de la Justice dans les procès en cours sont déroutants. Les jugements viennent en „banlieue”. Les haltes sont nombreuses. Quand on „brûlera” les stations, la Justice sera mieux rendue.
    Me Lebeau rappelle qu'à la dernière audience il a montré le désintéressement de l'accusé.
    — Voilà l'homme, dit-il, qu'on dépeint comme un „épervier” ! M. Dor a refusé 5,000 francs que lui offrait M. D...
    Me Bonenill. — A quelle époque ?
    Me Lucien Lebeau. — En 1913.
    Me Gérard. — C'était adroit.
    Me Lucien Lebeau. — Mais un homme cupide qui voudrait se faire passer pour indifférent eût refusé cette somme en public ! Voilà l'escroc !”
    Le défenseur du „Père” lit des témoignages qui attestent que l'accusé soignait gratuitement. Un article du „Messager de l'Amour-Dieu” spécifie que le Père Dor n'accepte pas d'argent, même d'anonymes.
    De l'avis de Me Lucien Lebeau, le Père Dor est un illuminé, un grand naïf plutôt qu'un escroc. Exemple : la vente de la margarine. Il va faire la fortune de plus malins que lui en prêtant son nom. Il n'y a pas eu, d'autre part, corruption de témoins : le „Père” a recommandé à ses adeptes de dire toute la vérité à la Justice.
    Me Gérard. — Pourquoi le prévenu a-t-il demandé des dépositions écrites aux témoins ?
    Me Lebeau. — C'est une nouvelle naïveté du „Père”, si vous voulez ; mais tous les prévenus ont le droit d'agir de la sorte.”
    Les témoins à décharge a-t-on dit, ont été hypnotisés :
    — Cela ne tient pas debout. Ils ne sont pas stupides, parce que doristes. Il y a, parmi eux, des commerçants, des adjoints de police, des chefs de fabrication, etc. Ce ne sont donc pas des candidats à la folie. Ce sont des gens sincères qui ont une religion comme beaucoup de leurs semblables.”
    L'éloquent défenseur s'étend longuement sur le cas de M. R..., chef de fabrication dans une importante usine, et que le procureur du roi a appelé, on le sait, un „cas désespéré”. Ce fut un témoignage remarquable. Quant à l'Ecole morale, c'est une petite église nouvelle. Il y a trois mille doristes...
    — Quinze mille, rectifie le „Père”.
    Me Gérard. — Le bouddhisme compte 500 millions d'adeptes.
    Me Lucien Lebeau démontre que la valeur du dorisme ne peut être contestée et que soutenir que Dor est un imposteur serait violer l'article 14 de la Constitution.
    Le président. — Nous sommes tous d'accord là-dessus.
    Me Lebeau. — C'est pour en arriver à l'histoire des troncs, Monsieur le président. J'en tire la conclusion que le dorisme peut s'extérioriser et que le prêtre, ici le Père Dor, peut chercher quelques ressources pour entretenir son église et organiser son culte. Il y a dans l'église de M. Dor les mêmes pratiques que dans les autres églises. En ordre principal, le tribunal doit s'incliner devant cette petite église. Pas de superstitions grossières ici, comme chez les sorciers. Pas de doctrine : il n'y a rien. Vous avez pour devoir de vous incliner sinon ce serait empiéter sur un domaine qui échappe à votre appréciation. M. le procureur du roi a parlé de l'égoïsme de Stuart Mill et de l'égoïsme doriste.
    M. Mahaux. — Je n'ai pas voulu faire de comparaison !
    Me Lebeau. — Les poursuites sont injustes à priori. S'il avait ouvert un café ou un cinéma où il aurait empoisonné l'âme des enfants, comme a dit un juge, il n'aurait pas été poursuivi. Non, il a ouvert une école qui a donné de bons résultats pour une foule de gens. On le poursuit même pour des faits qui n'ont fait l'objet d'aucune plainte. Les Anglais et les Américains laissent se fonder toute espèce de religions. Voilà la manière large, libérale, de comprendre la liberté des cultes.”
    L'avocat, qui parle d'abondance, avec une belle clarté — il est peut-être un peu long, trop abondant — en vient aux manœuvres frauduleuses. On reproche au „Père” ses phrases emphatiques, sa propagande exagérée, et on en a conclu qu'il est un charlatan :
    — Il faut aux chefs de religions un orgueil extrême, la conviction que leurs idées sont supérieures à toutes autres. Ils se persuadent que leur doctrine est la plus belle. Si Mahomet avait fait imprimer actuellement les phrases du „Père”, il eût été traduit en correctionnelle. L'exagération du langage correspond à l'exagération du sentiment. Luther s'est attaqué au Pape, il a soutenu qu'il était l'Antéchrist, il a déchaîné des guerres autour de ses idées, il était convaincu qu'il avait la raison pour lui !”
    Un détail qu'oublie Me Lebeau : en entrant au château de la Wartbourg, Luther, se faisant appeler „chevalier Georges”, avait la barbe entière, les cheveux longs, et portait l'épée au côté. Le „Père” ne porte aucune épée...
    — Il arrive à ces fondateurs de religions de croire que leurs idées viennent du Ciel. Mahomet a cru avoir reçu la visite de l'ange Gabriel. Il n'y a pas de mahométans ici... Je puis dire qu'il s'est trompé. Fra Angelico, quand il peignait, se croyait sous l'inspiration divine ; son orgueil était donc formidable, puisque ses toiles étaient, disait-il, peintes par Dieu. Dor a dit : „Christ parle à nouveau”. Pourquoi ? Parce qu'il est imbu de la doctrine du Christ ; en toute sincérité, il se croit le Christ réincarné. Je ne vous demande pas de dire que le dorisme est une religion parfaite, mais de reconnaître que „Christ” et „Messie” n'ont aucune intention frauduleuse. Il serait étonnant qu'un homme comme Dor parlât comme un autre. Je conclus qu'il ne peut pas être permis au procureur du roi de dire qu'il y a intention frauduleuse parce qu'il y a des expressions emphatiques. Ce n'est pas une preuve directe de l'intention frauduleuse.”
    Même raisonnement quant aux allures réclamières de l'inculpé.
    — On oublie que la propagande religieuse sincère se concilie avec la réclame commerciale. Il est faux de conclure de cette réclame à une intention frauduleuse. Les prophètes sont souvent des hommes qui manquent de goût. Pour parler aux foules, ils emploient parfois un langage cru, imagé, pour produire un effet certain sur les esprits durs. A la première page de „Christ parle à nouveau”, il y a, c'est certain, une image de mauvais goût ; c'est du pathos. Mais ce qui est écrit au-dessous : „Une seule chose peut sauver l'homme : l'amour du bien”, est admirable. Est-ce le fait d'un charlatan ?”
    Me Lebeau évoque l'Armée du Salut, qui rend d'énormes services ; elle fait une réclame commerciale, ses adeptes portent des costumes ridicules, ils ont une musique criarde.
    — Des banderoles annonçaient un jour, à Charleroi : „La Maréchale vient”. Je me demandais qui pouvait bien être cette maréchale...”
    Me Lebeau conduit avec une fine ironie :
    — Si certains hommes étaient modestes, ils ne seraient rien : ni députés, ni ministres...”
    Le costume, les cheveux du „Père” :
    — Il se croit le dépositaire pur et dernier de la doctrine du Christ. Son costume confirme sa mentalité. Il porte la barbe et les cheveux comme le Christ. Notre barbe et notre costume n'indiquent-ils pas notre mentalité ?”
    A ce propos, il est aussi question de Barrès, l'écrivain des sentimentalités nouvelles, et, peut-on dire, le dorisme est une sentimentalité nouvelle ; celui des morts successives, et les réincarnations sont un peu des morts successives de notre Moi. Mais Bérénice et Bougie-Rose : que nous voilà loin, décidément, de la petite vieille dame à collerette blanche qui reproche des horreurs au „Messie”...
    Est-il faux que Dor soulage des maladies par son fluide ? Nullement, affirme Me Lebeau. Antoine le Guérisseur a aussi été poursuivi, lui qui soutenait que toute pensée a son fluide, mais deux médecins ont reconnu que les guérisons d'Antoine étaient indiscutables, bien qu'il ne se fût agi que de maladies nerveuses. Le Père Dor dit que la foi peut amener des guérisons ; d'après lui, les médecins ne remontent pas à la cause. Le „Père” ne dit pas qu'il guérit, mais qu'il soulage momentanément, que ses malades doivent être leur propre médecin. Il leur indique une morale excessivement dure et sévère ; il exige de ses adeptes un effort surhumain.
    Et le fluide ?
    — On a parlé du fluide-homme, du fluide-femme, du fluide-colère, etc. On a fait des plaisanteries. Ce n'est pas une sorte de courant électrique dont M. Dor aurait le monopole. Tout homme dégage une influence, c'est ce que M. Dor a voulu dire ; influence qui produit un effet attractif ou répulsif.”
    Me Bonehill soutient que Me Lebeau n'explique rien... Par exemple !
    Me Lebeau explique encore une fois l'opération individuelle, l'opération générale, les poses du „Père”, les offices de la Toussaint dans le culte doriste. Il évoque la Rome antique et les catacombes, les persécutions contre les chrétiens.
    — Le sentiment religieux est nécessairement excessif. Il y a des martyrs dans toutes les religions. Ce qui fait la beauté du soldat mourant au champ d'honneur, c'est qu'il est fou. Si le soldat réfléchissait devant le canon, il se cacherait. L'Humanité est faite de ces folies. M. Dor est en proie à la folie religieuse ; c'est son droit, il faut l'acquitter !
    Me Gérard. — il a perfectionné le système d'Antoine.
    Me Morichar. — Qu'est-ce que cela signifie ? A quoi cela répond-il ?
    Me Gérard n'insiste pas.
    Me Lebeau prouve encore que M. Dor ne force pas ses adeptes à acheter ses livres.
    — M. Dor, dit-il, a bien le droit de vivre des bénéfices de la vente de ses livres.”
    Il est midi et demi. L'honorable président, dont la courtoisie est extrême, demande à Me Lebeau combien de temps il compte encore plaider. Me Lebeau en a encore pour deux heures. En conséquence, l'audience est levée et l'affaire, remise en continuation à mercredi prochain, sera terminée ce jour-là.


  

    Escortés d'agents de police, le „Père”, sa femme et une adepte se dirigent vers la gare. Plusieurs milliers de personnes les accompagnent, riant, criant, hurlant. Devant la gare, des gosses font provisionna mottes de gazon pour en bombarder le „Messie”. Un éminent avocat bruxellois, qui s'en retourne encore une fois à Saint-Gilles avec une plaidoirie „rentrée” — Me Morichar n'a pas encore pu plaider, et c'est douloureux, dit-on, une plaidoirie „rentrée”... — cet avocat se précipite sur les gosses, leur fait honte de tant de gaminerie, et les jeunes manifestants abandonnent leurs projectiles végétariens.
    Et le train ramène à Uccle Pierre le Démolisseur…

                                       Pierre GRIMBERGHS

La Belgique, 24 novembre 1916

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Au Palais - Le Procès du ''Christ'' (La Belgique, 17 avril 1917)

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Au Palais - Le Procès du ''Christ'' (La Belgique, 17 avril 1917)AU PALAIS

COUR D'APPEL DE BRUXELLES.

LE PROCÈS DU « CHRIST »

Audience de lundi.

    A 9 heures précises, exactement précises, l'audience commence et Me Lucien Lebeau de continuer.
    — Messieurs, dit-il, dans une affaire comme celle-ci, il ne faut, pas se perdre dans les détails, et je pense à l'art de guérir.
    Pas de visites, pas d'examen. Dor n'a qu'une vague capacité thaumaturgique ; il traite par la culture morale. Ce serait étendre le texte de la loi, d'après l'avocat, que d'incriminer le „Christ”.
    Y eut-il des passes magnétiques ? Non, Dor a un rayonnement fluidique, rien de plus ; d'ailleurs, il ferme les yeux :
    — Je réclame de nouveau, dit Me Lebeau, la nomination de médecins. Des juristes sont incompétents.
    Pas d'injections d'eau salée, et, pour ce qui est du hernieux, il y a une distinction à faire :
    — En réalité, Dor n'ordonne jamais, ne conseille jamais ..
    Dor enseigne une doctrine morale et religieuse : est-ce pratiquer l'art de guérir ?
    Me Lebeau discute le régime végétarien.
    — Le régime des Trappistes est exclusivement végétarien, pas de maladies d'estomac, Henri de Varigny l'affirme. Le régime végétarien est le régime par excellence pour la tuberculose.
    L'eau non bouillie ordonnée aux nourrissons, même pendant six mois : Dor n'a jamais prescrit ce régime, une formule maladroite disparaîtra de ses livres.
    Enfin, aucune plainte des parents.
    Me Bonehill. — Votre client est-il végétarien sincère et antialcoolique ?
    Me Lebeau.— Oui...
    Me Bonehill. — Voici une lettre d'un négociant de Bordeaux qui lui a vendu un fût de fine champagne...
    Me Morichar, éclatant. — Qui a bu cette fine champagne ? Voilà !
    En conclusion, Me Lebeau résume habilement tous les faits de cette cause célèbre :
    Enfin, enfin... Me Lebeau termine, se ralliant à l'opinion de l'avocat général :
    — Il est certain que M. Dor est au moins un demi-fou, un trois quarts de fou. Il a une idée fixe : mission à remplir. Il se croit le Messie du XXe siècle. Cette idée fixe est la source de sa force et celle de sa faiblesse.
    Mais Me Lebeau ne lâche pas Mme. D... ; celle-ci a fait une déclaration importante : elle a eu l'impression que M. Dor était un homme aux idées élevées.
    — Je vous propose, Messieurs, d'acquitté M. Dor sur la foi même de son adversaire la plus terrible.
    Me Lebeau a fini, bien fini…

PLAIDOIRIE DE Me MORICHAR.

    Il est 10 heures et demie. Il y a foule. C'est au tour de Me Morichar, qui se bornera, dit-il en commençant, à épingler les arguments.
    — Cette affaire, Messieurs, a fait, depuis quinze jours, un pas immense. Vous ne connaissiez M. Dor que sous les injures savamment calculées dans les métaphores de Me Bonehill. A Charleroi, on l'avait représenté comme un vicieux, un violeur de vieilles femmes. Après la plaidoirie si vivante, si documentée, si savante, quoiqu'un peu longues, de Me Lebeau, vous serez convaincus qu'il est sincère.
    Me Morichar dépeint les doristes, montrés sous un aspect qui n'est pas le vrai :
    L'œuvre, les livres de Dor :
    — Nous avons placé au seuil de notre défense l'article 14 de la Constitution. Est-il encore debout, cet article, dans l'effroyable chaos qui s'est déchaîné sur le pauvre petit pays ? N'est-ce pas le moment d'invoquer cet article ? Pouvons-nous compter sur vous ?
    Me Morichar examine quelques libertés. L'article 14 s'applique à toutes les manifestations du culte.
    — Est-ce un culte sérieux ? questionne l'avocat général.
    — J'avais noté votre objection. J'y arrive. Il y a 15,000 doristes. Il faut un commencement à tout. Pourquoi ne seraient-ils pas 1,500.000 dans quelques années ? Mais Dor a dit' qu'il était le Christ réincarné : donc c'est un escroc ou un fou !
    La réincarnation ? Des savants illustres y croient.
    — Pourquoi n'existerait-il point, dans le domaine psychique comme dans le domaine physique, des puissances encore inconnues ?
    Télégraphie sans fil, aviation, navigation sous-marine :
    — Chacun, un jour, aura peut-être son petit avion ou son petit sous-marin. Un précurseur de M. Raphaël Situons en aura condamné les inventeurs !
    Les plaintes émanent de doristes désabusés „qui ont formé contre Dor une ligue de chantage”. Mme D... fut prise d'un amour ardent pour le Père Dor. Les Ch... sont bouffis d'orgueil et de prétentions.
    D'après Me Morichar, si Mme D... a menti pour les attentats, elle a menti aussi pour les escroqueries. Les attentats ? Inexistants.
    Me Morichar plaide avec chaleur, avec force, mettant, dans l'exposé de certains faits, une ironie incomparable, un humour extraordinaire. Il a des demi-teintes et des éclats savamment gradués.
    — Vous jetez, Monsieur l'avocat général Mme D... par dessus bord... Gardez-la ! Il y a tout un complot. S'ils mentent pour les attentats, ils mentent pour les autres faits. Si vous l'acquittez sur le chef d’attentats, vous acquitterez le Père Dor, Messieurs, sur les autres chefs... J'ai dit...
    Le président. — La Cour rendra son jugement le 9 mai. L'audience est levée.
    Il est 11 heures et demie. Le prétoire est comble. Impassible, comme à Charleroi quand des énergumènes l'insultaient, le bafouaient, le crucifiaient, le „Christ” sort du prétoire, entouré d'un grand nombre de doristes, surtout de femmes, avec, sur le visage une sérénité extraordinaire.
    Quelle énigme !

                                Pierre GRIMBERGHS

La Belgique, 17 avril 1917

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A Propos du Procès du PERE DOR (Le bruxellois, 13 avril 1917, p.2)

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A Propos du Procès du PERE DOR (Le bruxellois, 13 avril 1917)A Propos du Procès
du PERE DOR

    « Le Bruxellois » a publié, il y a quelques mois, une étude sur la doctrine du « Nouveau Bon-Dieu de Roux ». Le Père Dor nous écrivit, à cette occasion pour préciser certains points restés, à son avis, injustement dans l'ombre : depuis le procès actuel, certain organe ultramontain s'attache, d'autre part, à insister sur le caractère d'escroquerie de l'Ecole Morale et des entreprises du Christ de Roux. Le ministère public est représenté à la barre par Mtre Raphaël Simons, un jurisconsulte intelligent qui doit sa situation à son talent d'abord, mais surtout au désir bien compréhensible qu'éprouvèrent certains chefs conservateurs de se débarrasser au plus tôt d'un leader redoutable de la démocratie chrétienne d'il y a 20 ans, en le remisant dans la magistrature. M. Raphaël Simons fût devenu, sans son entrée dans cette carrière qui l'enlevait pour toujours à l'arène politique, un chef d'une autre envergure que les Renkin et consorts qui, eux, n'étaient que d'ambitieux arrivistes dont son renoncement favorisa la fortune rapide au sein de leur parti.
    A côté de ce lieutenant de l'abbé Pottier et de feu le professeur Godefroid Kurth, figurent des avocats de talent inégal mais réel, tels que Mtre Lebeau qui défend le Père Dor en appel, comme il l'a défendu à Charleroi, c.-à-d. avec une conviction apparente telle que les fidèles Doristes boivent ses paroles à l'audience et le croient même touché de la grâce, et bien prêt à s'enrégimenter sous la bannière du thaumaturge.
    Tout autre est Mtre Morichar, le distingué échevin de l'instruction de St-Gilles et dit-on, l'une des lumières de l'ordre maçonnique. Esprit cultivé, d'un élégant scepticisme à la Pétrone, cet avocat disert, doublé d'un philosophe averti de la vie, fait consciencieusement son devoir à la barre mais sans se donner les gants de tenter de nous laisser croire un seul instant qu'il se figure que c'est arrivé. Lui ne sera jamais un adepte du Dorisme, si j'en juge par le dilettantisme aimable et désabusé avec lequel il épiloguait naguère, sur une plate-forme de tramway, au sujet des incidents tumultueux qui marquèrent la première manche de l'affaire plaidée, à Charleroi. Au point de vue juridique sa défense du Père Dor est un monument remarquable de clarté et de précision.
    Mtre Bonnehill apporte dans le débat, au nom de la partie civile qu'il représente, la note plus acerbe des ripostes à l'emporte-pièce. Le ministère public, c'est en l'occurrence M. Raphaël Simons, an nom de la société, requiert sévèrement contre l'imposteur et l'escroc à qui les juges de Charleroi ont déjà octroyé toute une collection de mois de prison. Lui aussi est dans son rôle et il le tient brillamment avec son admirable éloquence. Aussi m'inclinerai-je comme chrétien et comme citoyen devant l'arrêt de la Cour d'appel. Res judicata pro veritate habetur....
    Mais je me refuse à aboyer contre le Père Dor ou à piétiner son œuvre, quelque criticable et sujette à caution qu'elle soit, parce que d'abord toute opinion sincère est éminemment respectable. Ce n'est déjà pas si banal de rencontrer aujourd'hui des gens qui croient sincèrement aux idées qu'ils affichent ou même dont ils vivent en les exploitant. Puis, et c'est là le point capital, le Père Dor ne fait point en soi œuvre immorale en fournissant un nouveau credo, une nouvelle base de morale, une croyance, un levier de vie intérieure en un mot, à des milliers d'êtres humains que l'ignorance, l'agnosticisme pratique ou le dégoût de tout idéal religieux avaient peu à peu réduits à une vie quasi végétative, sinon animale, qui les tenait obstinément fermés à tout éclair de vérité spirituelle. « Il vaut mieux, dit Lamennais, dans ses « Paroles d'un croyant », avoir ou pratiquer une religion, si soit-étrange elle, que de vivre sans penser au delà de la matière et des sens. » Que n'a-t-on pas dit des Salutistes et de l'armée du fameux et tintamaresque maréchal Booth. Qui ne se rappelle les plaisanteries, les zwanzes indécentes et les colossales blagues organisées contre leur église bouffe et leurs conférences à coups de grosse caisse qui dégénéraient en chahut. Eh bien, le catholique « Gaulois » et l'ultramontain « Univers » de Paris, ont rendu publiquement hommage à la sublime abnégation, aux magnifiques initiatives sociales, aux admirables résultats du relèvement de la femme et de la rédemption des déshérités de tout acabit qui couronnèrent la croisade baroque des protestants non-conformistes d'un genre si particulier que sont les soldats de l'Armée du Salut. Le noble et très catholique académicien d'Haussonville leur a même consacré des pages dithyrambiques dans le non moins orthodoxe « Figaro ».
    Ce sont là des opinions autorisées dont certain confrère rabique pourrait s'inspirer, en commençant par les lire, ce qu'il n'a sans doute jamais fait jusqu'ici. Puis on se remémorera l'œuvre splendide accomplie par les Mormons, qui ont transformé les déserts de l'Utah, où le fanatisme persécuteur les força à émigrer, en un Etat d'une prospérité inouïe, dont Salt-Lake City est la capitale florissante.
    Plus près de nous on ne méconnaîtra point non plus l'influence du spiritisme lancé par Allan Kardec et dont la base morale, pour n'être point neuve, n'en a pas moins contribué à provoquer un mouvement de renaissance religieuse, une sorte de revivalisme néopythagoricien, dont le résultat le plus immédiat fut d'infuser un renouveau de ferveur spirituelle et de foi morale à tant de pauvres êtres jusque-là dénués de tout lien les rattachant à la vie de l'au-delà.
    En 1904, j'assistai au procès intenté à l'oncle du Père Dor, feu le Père Antoine, de Jemeppe, que les juges liégeois ne purent condamné pour escroquerie, se bornant à lui infliger cette fois, une amende, pour exercice illégal de l'art de guérir. Je revois encore les centaines d'adeptes reconduisant en cortège triomphal le brave Antoine à la gare des Guillemins. Antoine est mort ; sa veuve continue son apostolat ; comme lui elle pontifie devant des foules crédules agenouillées. Que Dor disparaisse demain, et qui sait si quelque illuminé ne reprendra pas sa succession ?
    Qu'y a-t-il au fond de ces vagues de religiosité mystique qui, périodiquement, depuis que le monde existe, et surtout depuis l'avènement du Christ, passent sur l'humanité désemparée, pour créer dans son sein des courants nouveaux, où se concrétisent des formes en apparence inédites, et des modalités d'expression qu'on croirait neuves, de l'éternelle tendance de l'homme à lever les yeux vers le ciel qui lui reste interdit, sinon, en espérance ? Certes les religions devenues officielles, après être sorties des persécutions qui forgèrent leur puissance, qualifièrent d'hérétiques et tentèrent de supprimer ces manifestations de foi qui créent des cultes antagonistes et s'abritent dans des temples, futurs comptoirs de la concurrence. Mais cette évolution du sentiment religieux, la mobilité qu'il affecte dans ses avatars, comme le caractère éphémère qui scelle fatalement toute entreprise humaine, quelque séculaire que soit sa durée, prouvent aux philosophes que l'être humain reste, comme l'a dit Pascal, un animal essentiellement religieux et qui, quoique courbé vers la glèbe par la misère et le travail, aspire sans cesse vers un meilleur devenir. C'est la soif inextinguible de l'idéal qui l'oppresse. Aussi écoute-t-il tour à tour tous les prophètes, s'agenouille-t-il devant tous les oracles, croit-il à tous les miracles, et même les plus incrédules se réveillent les plus croyants, sinon parfois les plus naïvement crédules. Bref l'homme veut croire à un idéal de justice, de vérité, de bonté. Sa raison exige, sous peine de sentir toute logique faire naufrage dans son intellect, qu'il connaisse enfin, après que le radeau sera tombé sur le court drame de la vie, les choses qui lui furent cachées ; tandem contecta cognosco !
    « Plus de lumière ! Plus de lumière ! » s'écrie Goethe mourant, et, je me remémore ce credo du poète Ovide, qui, analysant au siècle d'Auguste, ce phénomène de la nécessité de la croyance spirituelle pour tout homme qui pense, rappelait en vers lapidaires que : nous ne sommes point faits pour ramper, mais pour élever audacieusement nos regards vers les sommets d'où se découvrent les grands horizons et où l'on entrevoit enfin le voile qui cache le mystère des choses :
Os homini sublime dedit cœlumque tueri jussit.
Et erectos ad sidera tollere vultus.

    Le Père Dor et sa doctrine néo-spirite passeront comme passe tout ce qui dure ici bas. D'autres sectes verront le jour, qui, avec des modalités que d'autres foules croiront neuves, reprendront les mêmes formules essentielles, esquisseront des gestes semblables quoique d'allure diverse : elle ne feront que perpétuer le symbolisme cultuel dont nous venons de rappeler la pérennité, car si Dor, Antoine et leurs émules, que certains qualifient irrévérencieusement de « boutiquiers concurrents », n'ont aucun titre à se prétendre des Christs réincarnés, tous néanmoins agissent sur leur milieu, par la suggestion, puissance formidable qui domine toutes les religions et dont eux-mêmes ne sont que les instruments plus ou moins conscients .
    Le procès du père Dor peut se synthétiser dans la phrase typique que répliqua la fameuse maréchale d'Ancre, Léonora Galigaï, à ses juges, qui lui demandaient de quel magique pouvoir, ou de quel artifice diabolique elle s'était servie, pour s'emparer de l'esprit de la Reine de France : « du pouvoir que donne à une âme forte sa volonté et sa foi sur l'esprit d'une belourde ! »
    C'est le résumé de toute suggestion, et l'on sait quel rôle celle-ci joue dans l'histoire des religions.

                                            Guy d'Alta.

Le bruxellois, 13 avril 1917 (page 2)

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L'Affaire Dor - Arrêt de la cour d'appel (Le Bruxellois, 17 mai 1917)

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L'Affaire Dor - Arrêt de la cour d'appel (Le bruxellois, 17 mai 1917)L'AFFAIRE DOR
ARRÊT DE LA COUR D'APPEL

    Voici donc enfin le grand jour pour le père Dor. On comprend à le voir entrer grave, recueilli, dans la salle d'audience des appels correctionnels, qu'il sent, malgré sa maîtrise soir soi-même, qu'il est à un tournant de son histoire.
    Tandis qu'on attend fébrilement l'entrée de la Cour, c'est naturellement de l'œuvre du père Dor qu'il est question dans tous les groupes, il n'y en a que pour lui, resté impassible. De nombreux avocats viennent curieusement examiner la physionomie de l'audience. Voici Mtre Woeste, très vert, très verveux. Il jette un long regard sur Dor qui semble lui aussi toiser cette haute personnalité. Dor va-t-il être présenté à l'éminence grise ? On pourrait le croire à voir certains gestes des avocats du prévenu.
    Dor semble maintenant absorbé par un entretien avec les journalistes.
    10 h. 10. L'huissier annonce la Cour.
    On liquide d'abord divers arrêts. A 10 h. 30, enfin, on appelle l'affaire Dor.
    M. le Président admoneste le public qui déjà manifeste son impatience. « Je ne tolérerai aucune manifestation ni pour ni contre l'inculpé et je demande de s'abstenir de toute approbation ou désapprobation dans cette affaire.
    S'il y a le moindre bruit, je préviens dès à présent le public qu'il sera expulsé. »
    M. Eeckman commence alors la lecture de l'arrêt extrêmement long qui n'est achevé qu'à 11 h. et constitue pour Dor un véritable triomphe.
    La seule prévention maintenue est l'exercice illégal de l'art de guérir pour lequel la condamnation reste de 100 florins plus 500 fr. de dommages et intérêts au profit de la Société de médecine de Charleroi.
    Pour ce qui concerne les escroqueries, la Cour déclare prescrits certains faits et ne s'en occupe pas autrement.
Pour les faits Salms, Chartier et Delisée, qui avaient provoqué des réparations civiles globales d'une vingtaine de milliers de francs, la Cour estime qu'il n'y a eu aucune manœuvre frauduleuse dans le chef de Dor, car il n'a pas été démontré que celui-ci a été de mauvaise foi en se donnant comme guérisseur de toutes les maladies, le fait de la guérison de certaines maladies, ce qui s'explique d'ailleurs très naturellement par suggestion, est d'ailleurs établi.
    D'autre part, les dépositions contradictoires, tardives, des parties civiles sont des plus suspectes. La Cour trouve notamment très singulier que les affirmations d'hypnotisme par Mme Delisée n'aient pas été produites dans la plainte initiale, mais seulement en juin 1916.
    Les prétendues menaces à Chartier et à Delisée sont également très sujettes à caution.
    Quant aux préjudices subis par les parties civiles, la Cour estime que Dor a offert la restitution des objets prétendument escroqués, qu'il offre notamment une hypothèque en premier rang sur les immeubles de Roux. Que Dor a refusé un grand nombre de libéralités à lui offertes par ses adaptes, qu'il fit déchirer le testament rédigé en sa faveur par Mme Delisée.
    La Cour acquitte donc pour la prévention d'escroquerie et confirme le jugement d'acquittement du chef d'attentat aux mœurs.
    M. le Président, après la lecture du document judiciaire, explique à Dor brièvement l'arrêt. Dor s'incline respectueusement, balbutie un remerciement.
    La cause est entendue. Dor se retire triomphant. Ses adeptes l'attendent, mais Mtre Morichar a prévenu Dor qu'il fallait éviter tout bruit au palais. Il entraîne l'inculpé par l'escalier du Parquet, à la grande déception des adeptes qui ne savent pas où est passé leur dieu.
    On prépare d'ailleurs une fête grandiose pour cet après-midi à Uccle. Les bouquets sont commandés. On boira le vin d'honneur.

Le Bruxellois, 17 mai 1917

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Le Père Dor fait appel (L'Écho Belge, 22 avril 1917)

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Le Père Dor fait appel (L'écho belge,  22 avril 1917)    Le Père Dor, plus connu sous le nom de Christ, plaide en appel contre les seize mois de prison et les huit cents francs d'amende que le tribunal correctionnel de Charleroi lui a généreusement octroyés ! La condamnation ne se bornait pas à cela. Le Père Dor était condamné aussi à payer 17.000 francs à Mme D., partie civile au procès, et 500 francs à La Société de Médecine de Charleroi pour exercice illégal de la profession de médecin. La 8e chambre, devant laquelle le Christ a interjeté appel, était présidée par M. Eeckman, assisté des conseillers Smits et Dassesse. M. Raphaël Simons occupait le siège du ministère public. Mes Morichar et Lucien Lebeau assistent encore le Père; Me Bonehill représente Mme D... et Me Gerard les médecins de l'arrondissement do Charleroi .

L'Écho Belge, 22 avril 1917

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