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Un enterrement antoiniste à Tourcoing (Le Grand écho du Nord de la France 24 sept 1933)
Un enterrement « antoiniste » à Tourcoing
La religion que pratiquent les « Antoinistes » et qui naquit voici quelques dizaines d'années à Jemeppe-sur-Meuse, près de Liége, se distingue par la simplicité du culte et par la sobriété de ses cérémonies religieuses.
Nous avons assisté samedi après-midi, rue des Piats, à Tourcoing, à un enterrement antoiniste.
La défunte, une « sœur » de modeste condition – chaque « antoiniste » est le « frère » ou la « sœur » des autres fidèles – Marguerite Dupont-Bertea, habitait au fond d'une cour bordée de maisons ouvrières.
Dès 14 heures, les adeptes silencieux et recueillis emplissent l'étroit couloir et débordent dans la rue où s'amassent les curieux.
Les « frères », sanglés dans de longues redingotes noires boutonnées jusqu'au cou, assez semblables à celles des « Clergymen », tiennent en mains un étrange gibus aux bords extraordinairement larges, aux flancs évasés vers le sommet.
Les « sœurs », drapées dans des robes de deuil en gros drap, un voile de soie noire maintenu sur la tête par une bande de crêpe gauffrée nouée sous le cou, forment un cercle silencieux et grave autour du réduit où repose le cerceuil de la morte.
Les parents, les amis, défilent dans la chambre mortuaire, où ne brille aucun cierge, l'espace d'une courte prière. Au milieu du cercueil un cœur gravé dans la planche remplace la croix. Du côté des pieds, le « livre des révélations d'Antoine » qui renferme en sa brièveté tout le dogme de la « religion » est ouvert au chapitre de la « réincarnation ».
Mais voici qu'un remous se produit dans l'assistance. Les officiants « frère Jean » et « sœur Jeanne », sa femme, du temple antoiniste d'Hellemmes, arrivent pour la levée du corps. On place le cercueil sur deux chaises et « frère Jean » donne lecture des « dix principes révélés par le père ».
Puis, sans qu'aucune autre parole soit prononcée, le corps, placé sur une civière, gagne sous le ciel gris qui ajoute à la tristesse de cette minute, le modeste corbillard qui doit le conduire à sa dernière demeure.
Pas de fleurs. Une simple draperie verte avec ces mots brodés en lettres d'or : « Culte antoiniste ».
En tête, en lieu et place de la croix, l' « Arbre de la science de la vue du mal » est porté solennellement par un adepte qu'encadrent deux « frères » en « robe ».
Le mari, la famille et la foule, suivent en un long et triste ruban noir qui fait se découvrir les passants à la fois émus et intrigués.
Au cimetière, le « frère Jean » d'une voix monotone lit le « Chapitre de la réincarnation ».
Il pleut et les paroles tombent une à une, froides, lentes, pénétrantes, comme les gouttes qui, peu à peu, nous glacent les épaules.
Le grincement des cordes sur le bois qui glisse dans la fosse...
– Au nom du père, merci...
...C'est fini.Jean PILET
Le Grand écho du Nord de la France, 24 septembre 1933
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