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Procession à Hellemmes (Le Grand écho du Nord de la France, 26 juin 1933)
Une procession antoiniste à Hellemmes
Le 25 juin est, pour les Antoinistes, la fête du Père. Le Père, Antoine-le-Guérisseur de Jemmeppe-sur-Meuse, fondateur du nouveau culte qui porte son nom, est « désincarné » depuis 1912 et ses fervents adeptes célèbrent chaque été sa mémoire dans le recueillement et la prière.
C'est ainsi qu'hier matin, le petit Temple de la rue Jean-Bart, à Hellemmes-Lille ne pouvait contenir la foule de tous ceux qui, à cette occasion, étaient venus assister à la rituelle « opération ».
Car la nouvelle religion gagne chaque année des nouveaux adeptes. En Belgique, où elle est née, elle a été reconnue d'utilité publique par décret royal. Elle y compte une trentaine de temples. Il y a huit ans qu'elle a franchi la frontière pour s'établir dans la banlieue lilloise. Valenciennes et Caudry ont également leur temple.L'opération
Parmi cette foule amassée devant la sobre façade de l'édifice antoiniste se distinguaient ses costumes que certains adeptes portent pour marquer leur adhésion totale au culte nouveau : la longue redingote noire, fermée comme une vareuse, et le gibus plat des hommes, les bonnets noirs à tuyautés de tuile et les amples robes de serge noire des femmes.
Il y avait là des adeptes arrivés de divers points de la région de Belgique et même d'assez loin.
La Mère, celle qui a été la fidèle compagne de l'ancien ouvrier métallurgiste et qui, depuis qu'Antoine n'est plus, a répandu la surprenante philosophie contenue dans la Révélation du guérisseur, vint à Lille l'an dernier pour la fête. Elle est très âgée et ne se déplace plus guère.
Cette fois-ci, l'Opération a été faite, au nom du Père, par un frère, en l'espèce le desservant du Temple d'Hellemmes.
Les malades, qui affluent chaque dimanche, étaient plus nombreux encore. Il y avait des estropiés, des eczémateux, une femme âgée atteinte de jaunisse, une petite paralytique et d'autres qui avaient confiance dans une amélioration de leur état.
Sur le seuil du temple apparut alors le petit groupe des officiants, silencieux et simples. Deux femmes aux coiffes noires tenaient une pancarte : « Fête du Père, 25 juin ». Derrière elles, un adepte portait une figurine en bois découpé représente un arbre : l'arbre de la Science de la vue du mal. Et deux autres « frères » présentaient à l'assistance le portrait du Père Antoine sur lequel s'étale l'inscription : « Le grand guérisseur de l'humanité pour celui qui a la foi ».
Après quelques minutes de recueillement, une adepte annonça l'Opération.
Alors un homme âgé dont les mains, pieusement, s'étreignaient, fit monter vers le ciel une muette prière. Puis il tendit les bras. C'était tout.
Un autre adepte se mit aussitôt à lire, d'une voix monotone, et en détachant chaque mot, les dix principes du Père. Principes de morale chrétienne qui font la plus large part à la conscience individuelle.Recueillement
Les visages des officiants restaient figés dans une expression mystique et la foule écoutait, absorbée.
Y avait-il dix curieux sur ce millier de personnes ? Tous ceux qui étaient là avaient un air de famille. La conviction se lisait sur leurs figures aux yeux clos ou aux regards ardents.
– Vous guérirez si vous avez la Foi. Le Père vous l'a dit...
Il n'est pas sûr qu'ils ne viennent pas dans un but égoïste. Mais, au fond, là comme ailleurs, chacun pense surtout à soi et à son propre salut...
L'officiant a fini sa lecture.
– Au nom du Père, je vous remercie...
Un cortège va maintenant se former. Dans le même silence, à la suite des officiants, la foule, docile, avance lentement en longue colonne dans la rue Jean-Bart.
Les gens du quartier, sur le pas de leur porte, regardent passer ce défilé muet. A un bout de la rue, le cortège tourne, poursuit sa marche lentement jusqu'à l'autre bout, puis revient se disloquer devant le Temple.
L'officiant remercie à nouveau, d'un mot, les adeptes. La cérémonie cette fois est terminée. On n'y ajoute aucune parole. On ne sollicite aucune offrande.
Les malades tiennent toutefois à pénétrer encore dans le temple aux murs nus.
Le desservant essaie de les convaincre doucement :
– Vous n'en aurez rien de plus. L'opération a été faite. Si vous avez la foi vous guérirez. Allez ! nous penserons à vous. Nous ne sommes pas des guérisseurs, nous. C'est le Père qui fait tout...Jean-Serge DEBUS.
Le Grand écho du Nord de la France, 26 juin 1933
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