Antoine le Guérisseur (La Liberté, 12 décembre 1910)
Antoine-le-Guérisseur
(DE NOTRE CORRESPONDANT)
Bruxelles, 10 décembre.
Je vous ai annoncé, il y a quelques jours, qu'une pétition couverte de 160.000 signatures demandait au Parlement de reconnaître officiellement le culte antoiniste.
Le fondateur de ce culte nouveau, Louis Antoine, dit « le Guérisseur », est un ouvrier, né à Mons-Crotteux (province de Liège) en 1846, de parents pauvres. Il est le cadet de sa famille qui comptait onze enfants. Il débuta à 12 ans dans la mine, accompagnant son père et un frère qui étaient également mineurs. Ne voulant plus descendre dans la fosse, il devint ouvrier métallurgiste. A l'âge de 24 ans, il quitta la Belgique pour aller travailler en Allemagne où il séjourna pendant cinq ans. Deux ans plus tard, il alla en Pologne et y travailla pendant un nouveau terme de cinq années. Puis il s'installa définitivement à Jemmepe-sur-Meuse, près de Liège.
Durant son séjour en Allemagne, il revint au pays épouser une femme qu'il avait connue avant son départ et de cette union naquit un fils qui mourut à l'âge de 20 ans. Cette perte douloureuse contribua sans doute à pousser les deux époux vers les bonnes œuvres. Ils avaient amassé une petite fortune, qu'ils sacrifièrent pour venir en aide aux malheureux.
Antoine le Guérisseur vit très simplement et très sobrement. Il est végétarien dans toute l'acception du terme ; non seulement il s'abstient de viande, mais aussi d'œufs, de beurre et de lait. Depuis quelques années, il vit seul ; sa femme habite avec deux enfants qu'ils ont adoptés. Toutefois, les deux époux n'ont jamais cessé d'être en parfait accord. La femme partage la mission de son mari et le remplace en cas d'empêchement.
Dès son jeune âge, Antoine se montra d'une piété peu commune. Non seulement il priait souvent, mais il aimait à se recueillir. Il professa le catholicisme jusqu'à l'âge de 42 ans ; puis, il pratiqua le spiritisme jusqu'en 1906, date à laquelle il fonda le « nouveau spiritualisme ».
Antoine ne possède qu'une instruction rudimentaire. Il base sa doctrine sur la foi, l'amour et le désintéressement, et prétend qu'elle lui a été révélée.
« Un seul remède, dit-il, peut guérir l'humanité : la foi ; c'est de la foi que naît l'amour, l'amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même ; ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer Dieu ; car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend dignes de le servir ; c'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et de vérité. »
Depuis une dizaine d'années, Antoine s'est mis à guérir les malades par l'imposition des mains. Jamais il n'ordonne de remèdes et il opère gratuitement. Des milliers de gens ont eu recours à lui, de nombreux cas de guérison sont avérés ; bref, sa demeure est devenue un lieu de pèlerinage, et un temple a été construit sur un terrain contigu.
Voici comment Antoine opère : Quand tout le monde est réuni dans le temple, à dix heures, le Guérisseur paraît. Il gravit les marches de la tribune. Puis, sans prononcer une parole, il étend la main. Et c'est tout.
Actuellement, il n'opère plus que le 1er et le 15 de chaque mois, ainsi que les jours fériés, sauf les dimanches. Lorsqu'un malade ne peut venir lui-même, il peut se faire remplacer par une personne qui a foi dans le Guérisseur. Souvent, le nombre des fidèles et des malades dépasse le millier. Il en vient de partout : de France, d'Italie, de Portugal, de Russie, voire du Mexique et de la Nouvelle-Zélande ! On raconte qu'un riche propriétaire du midi de la France, guéri par Antoine, vient de consacrer 20.000 francs à l'érection d'un temple, car il y a des groupes « antoinistes » disséminés partout.
Le temple de Jemeppe est érigé aux confins de la commune. Il a été construit à l'aide des deniers des fidèles.
Le Guérisseur a eu plusieurs fois maille à partir avec la justice, pour exercice illégal de la médecine, mais il a toujours été acquitté.
A côté de ses cures, Antoine donne le dimanche un « enseignement » religieux ou plutôt moral, qu'il intitule « l'auréole de la conscience ». Il est parfois éloquent, mais certains jours sa parole est malaisée ; cela dépend des fluides de l'atmosphère...
Il a une interprète, Mme Desart, qui sténographie l'enseignement d'Antoine, puis les paroles du maître sont publiées en une revue éditée par un des principaux adeptes, M. F. Deregnaucourt. C'est là tout le culte antoiniste.
Au physique, Antoine est un homme de taille assez haute, mais au dos voûté. Il a les cheveux gris coupés ras. Il porte une redingote fermée jusqu'au cou par une seule rangée de boutons. Il mâche continuellement de la gomme. Son attitude est simple et franche. Pas de pose, pas de bluff. Il est modeste et convaincu.
Emile Mahieu.
La Liberté, 12 décembre 1910