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Robert Vivier, Délivrez-nous du mal - critique de la Revue des lectures 15 janvier 1936

Publié le par antoiniste

Robert Vivier Délivrez-nous du mal - critique de la Revue des lectures 15 janvier 1936

Robert VIVIER, Délivrez-nous du mal, Antoine le guérisseur, in-12 de 376 p., Grasset, 1936, 15 fr.

    Histoire romancée, par Un antoiniste, de l'antoinisme et d'Antoine « le guérisseur ».
    L'auteur, qui a déjà publié des poèmes et des romans, y fait preuve d'un incontestable talent. Mais autant son livre possède de mérite littéraire, autant il laisse à désirer du point de vue proprement historique, et plus il doit être sujet à caution pour les lecteurs catholiques.
    Tous les détails un peu gênants pour les adeptes du « culte » sont habilement déformés, maquillés ou même escamotés.
    D'observances superstitieuses, on tâche à tisser une auréole de surnaturel autour du héros du récit. Dans une chandelle qui s'éteint, on veut, voir un signe providentiel. L'affaire du soldat tué par Antoine est agencée au gré de l'imagination la plus complaisante. La rixe, avec Denis Collon, son beau-frère, les coups, la condamnation, sont pudiquement enveloppés d'une ombré qui ressemble fort à un camouflage.
    La même pudeur eût été, de mise, lorsqu'il s'agit de la séduction par Antoine de sa fiancée. On en a profité, au contraire, pour monter une petite scène un peu trop suggestive, mais qui, du moins, offre l'avantage de donner au lecteur impartial un aperçu des tolérances morales de l'antoinisme, tolérances qui n'ont pas dû nuire à son succès.
    Quant aux guérisons, l'auteur a l'air de les compter par milliers, par centaines de mille. Antoine, dans un accès de lyrisme, les faisait monter jusqu'à plusieurs millions. Un organe de l'antoinisme n'hésitait pas à les comparer à celles de Lourdes.
    On oublie de nous dire que jamais aucune d'entre elles, si tant est qu'il y en eût vraiment, n'a fait l'objet d'un examen médical, qu'aucun diagnostic n'a été porté par d'autres que les intéressés, qu'aucune des maladies prétendument guéries n'a été décrite avec précision même dans les écrits de la secte, que si certains médecins ont admis la réalité des guérisons opérées grâce à la suggestion, d'autres les ont contestées, pour ce qui est d'Antoine, de la manière la plus absolue.
    La moralité de toute cette histoire de l'antoinisme, où foisonne l'absurdité, elle a été tirée, il y a près d'une quinzaine d'années, par le pasteur protestant Paul Wyss (De l'Antoinisme, Bruxelles, 1923, p. 4) : « Les libres-penseurs irréligieux contempleront, avec nous, les résultats de leurs campagnes antichrétiennes pendant un demi-siècle : puissent-ils voir, avec La Réveillière, membre du Directoire, « que le peuple veut une religion et que, quand on ne donne pas au peuple une religion, il s'en fait une ».
    Il y a aussi un mot terrible du saint curé d'Ars. Il est assez connu pour que nous n'ayons pas à le citer.

Revue des lectures du 15 janvier 1936 (p.364-65)
source : gallica

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La domination patronale

Publié le par antoiniste

    Aux salaires infimes, à l'insalubrité de la profession, viennent s'ajouter d'autres facteurs de misère. Le chômage, l'intrusion des ouvriers étrangers (Belges), une domination patronale qui s'exerce même en dehors de l'usine et qui aboutit à l'asservissement religieux le plus tyrannique. [...]
    Une discipline de fer règne sous l'égide de Notre-Dame de l'Usine. A Tourcoing, dans nombre d'établissements, ouvriers et ouvrières, avant de commencer leur travail, font la prière, par ordre. L'un d'eux récite à haute voix et tous murmurent les litanies. Des surveillantes qui sont des « soeurs laïcisées » passent, et malheur à l'ouvrier dont les lèvres restent immobiles durant le pieux exercice. Il sera d'abord averti, puis impitoyablement congédié. La fréquentation régulière de l'église est obligatoire, le dimanche. Certains industriels accordent même à leurs ouvrières l'autorisation hebdomadaire d'aller au confessionnal durant les heures de travail. [...]
    Dans d'autres usines, les ouvriers sont tenus d'acheter les journaux catholiques qui sont portés à l'usine et placés à côté de chaque métier. La main mise patronale est complète et l'on peut dire sans exagération que les droits du patron sur l'ouvrier du Nord sont plus lourds que ne l'étaient au Moyen Age ceux du seigneur féodal sur le manant.

M. & L. Bonneff - Vie tragique des travailleurs - L'Enfer des Tisseurs (1908), p.27-29
source : gallica

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Des maires sont contraints de démolir leurs églises (Figaro - 2007)

Publié le par antoiniste

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Destruction de l'église de La Bassée.Charlet/AFP

Destruction de l'église de La Bassée.
Charlet/AFP

Pas moins de 2.800 des 15.000 églises rurales sont en péril selon un rapport rédigé par le Sénat.

De moins en moins fréquentées, les églises coûtent cher à entretenir et les maires s'interrogent. Faut-il les préserver ou doit-on les démolir ? Pas de doute, de gros nuages noirs surplombent désormais les petits clochers ruraux. Comme si le tabou de leur destruction commençait à se lever. Béatrice de Andia, à la tête du nouvel Observatoire du patrimoine religieux, affirme que, sur la base d'un rapport du Sénat, « 2 800 des 15 000 églises rurales protégées » seraient « en situation de péril ». « Ce qui laisse augurer, explique cette ancienne responsable de l'action artistique de la Ville de Paris, que les bâtiments non classés, qui ne sont pas une priorité pour l'État, ont un sombre avenir devant eux. » Christian Prunier, créateur en 2003 du site clochers.org, destiné aux gé­néalogistes, reconnaît, lui, que « pour se débarrasser d'un bâtiment, il suffit de le laisser pourrir 20 ans, de l'entourer ensuite de bandes rouges pour signifier son danger puis de faire établir un arrêté de péril. La démolition n'est alors plus une honte. Elle est conseillée ». Les Français sont pourtant « viscéralement attachés » à leurs églises, dit Alain Guinberteau, créateur de 40000clochers.com, qui a lancé un concours photos couronnant le meilleur chasseur de clochers.

 

Dans la région historique des guerres de Vendée, où les chapelles ont fleuri au XIXe siècle, de plus en plus d'édiles ont franchi le pas et commencent à détruire leur clocher faute de moyens pour les entretenir.

 

DE L'HERBE folle a poussé entre les tas de pierres, de vieux carrelages et d'ardoises brisées. Un angle de mur est encore vaguement debout et des tiges de fer rouillées pointent vers le ciel. En cet endroit désolé, il y a moins d'un an, se dressait encore une église dominant toute cette région, théâtre des guerres de Vendée. Bâtie en 1870 sur un point culminant du Maine-et-Loire, à 200 mètres d'altitude, l'église paroissiale du village de Saint-Georges-des-Gardes a été démolie en août dernier. « Déconstruite », précise le maire, Gabriel Lahaye, qui, sans être un adepte du philosophe Jacques Derrida, a choisi ce terme pour son image moins violente, « plus respectueuse ».

 

La commune de 1 500 habitants possède une autre église et, ne pouvait pas supporter les charges d'une réhabilitation : bien au-delà du million d'euros. Les églises construites avant 1905 sont, en effet, à la charge des collectivités locales. « On m'a­vait dit : tu le regretteras ! Mais il n'y a rien à regretter », assure Gabriel Lahaye. Un habitant, Gérald Eloire, a bien tenté de s'opposer à la démolition avec une lettre ouverte au maire, la création d'une association, la mobilisation des médias. En vain. Cet athée convaincu, qui avait choisi de s'installer dans ce village justement pour le charme de son église, n'a entraîné qu'une poignée d'habitants derrière lui. Et récolté beaucoup d'hostilité.

 

Le maire, qui va faire construire un petit oratoire de style contemporain sur le site de l'ancienne église, assure que « d'au­tres communes s'apprêtent à franchir ce pas ». La région est en effet pleine d'églises construites au XIXe siècle pour accueillir une population très pratiquante et en pleine croissance, en « réparation » aussi de la Révolution, quitte alors à détruire des églises trop petites ou trop abîmées qui avaient pourtant, elles, une réelle valeur architecturale. À 18 km de cette colline des Gardes, en effet, Bernard Briodeau, maire « plutôt centriste » de Valanjou, affirme avoir tourné les plans, les expertises, les aides régionales ou départementales et les comptes communaux dans tous les sens avant de se rendre à l'évidence : l'église Saint-Martin de son village est aussi vouée à la disparition. À terme, il espère ne conserver qu'une tour défensive du XVe siècle contre laquelle avait été édifié le bâtiment au XIXe.

 

« Acte sacrilège »

 

Pour l'instant, la démolition ne concerne que le clocher et la chambre des cloches. Comme à Saint-Georges-des-Gardes, le clergé, affectataire des lieux, n'a pas bronché. La messe est célébrée dans une autre église de cette petite commune blottie dans les chemins creux et qui ne compte pas moins d'une cinquantaine de chapelles, oratoires ou calvaires. « La pratique a nettement chuté ces dix dernières années, souligne le maire, et les catholiques pratiquants acceptent la décision. Ils savent leur foi plus forte que des vieilles pierres sans valeur. La priorité de l'Église, aujourd'hui, ce sont les pierres vivantes ! » En revanche, Bernard Briodeau a reçu des lettres de personnes parfois extérieures à la commune, anonymes ou non, lui promettant « le feu de l'enfer » s'il commettait « cet acte sacrilège ». « Je sais, admet-il, que dans cette région, on ne touche pas à une église, même si la messe est un lointain souvenir. C'est historique et viscéral. Mais que puis-je faire ? »

 

Maire de Gesté, à 45 km de là, Michel Baron dit lui aussi avoir cherché d'autres solutions. D'au­tant que l'église, très vaste, dont le conseil municipal vient de voter la démolition, est la seule de la commune de 2 500 habitants. La messe y est encore célébrée. À la place, le maire promet de construire « une salle de 500 places, susceptible d'être divisée en deux, moderne, facile à chauffer, attirante pour les jeunes... » Le curé de la paroisse, Pierre Pouplart, reste sur la réserve. « Ce sont les affaires de la commune, esquisse-t-il, je comprends qu'elle s'interroge sur le coût de l'entretien. » Responsable de l'art sacré pour ce diocèse d'Angers, le père André Boudier observe : « Les églises de qualité doivent être sauvegardées. Pour les autres, il faudra accepter de les détruire et de construire à la place des édifices mieux adaptés aux besoins d'aujourd'hui... »

 

 

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André Thérive - Sans âme - illustrations de Germaine Estival - Temple Antoiniste de Paris

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André Thérive - Sans âme - illustrations de Germaine Estival - intérieur du temple antoiniste

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André Thérive - Sans âme - illustrations de Germaine Estival - intérieur du temple antoiniste

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Note de lecture - Robert Vivier

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Délivrez-nous du mal de Robert Vivier
27 septembre 2009

Il est rare que naisse une nouvelle religion. C’est ce qui advint pourtant aux environs de Liège, au tournant des XIXe et XXe siècles. Cette religion nouvelle, c’est l’antoinisme (1), du nom de son principal fondateur, Louis Antoine (1846-1912). Enfant, j’ai connu les antoinistes ; on les reconnaissait à l’époque à leurs habits noirs ; et, élevé dans un milieu catholique, j’ai entendu à l’occasion les railleries dont ils étaient quelquefois l’objet.

Robert Vivier (1884-1989) est un écrivain et poète liégeois un peu oublié. Dans les années 30, il publia un roman, Délivrez-nous du mal (2), dans lequel il retraça à sa manière la vie de Louis Antoine. Je dis bien à sa manière, car je crois que tout tient effectivement à sa manière. Vivier n’est que modestie, douceur, compassion et humour. Et c’est avec sa propre tendresse qu’il imagine rendre compte du parcours de celui qu’on appela le Père Antoine. Ce qui donne un livre d’une très grande humanité, mais aussi un livre qui n’est pas dénué d’intérêt sur le plan anthropologique.

Il n’est sans doute pas inutile de s’interroger sur les raisons qui ont poussé Robert Vivier à consacrer un livre à l’antoinisme. D’autant que lui-même n’avait pas l’esprit spécialement religieux. Claudine Gothot-Mersch, qui l’a bien connu, écrit ceci de lui :
« Peu de personnes m’ont paru, plus que Robert Vivier, étrangères à toute religion constituée, à toute idée de culte. Lorsqu’il était professeur à l’Université de Liège, si quelque allusion à l’un des usages – même les plus connus – de la liturgie catholique surgissait au tournant du texte qu’il était en train de commenter, il l’expliquait de seconde main ("Il paraît que…"), non sur le ton sarcastique de l’anticlérical, mais avec une sorte d’ingénuité, et une totale indifférence : comme s’il transmettait à ses élèves une observation rapportée, par un voyageur, d’une terre lointaine. » (3)

La question que la lecture du livre m’a amené à me poser – et à laquelle je ne puis répondre –, c’est celle de savoir si Robert Vivier avait un tant soit peu lu Marcel Mauss. Car la façon dont il raconte les guérisons opérées par Antoine fait penser à l’approche sociologique de la magie qui fut la sienne. Ainsi, le spiritisme et les guérisons qui fondent la religion d’Antoine – tels que Vivier les relatent – s’inscrivent pleinement dans cette logique (4) que ces deux seules phrases de Hubert et Mauss résument :
« La magie a une telle autorité, qu’en principe l’expérience contraire n’ébranle pas la croyance. Elle est, en réalité, soustraite à tout contrôle. Même les faits défavorables tournent en sa faveur, car on pense toujours qu’ils sont l’effet d’une contre-magie, de fautes rituelles, et en général de ce que les conditions nécessaires des pratiques n’ont pas été réalisées. » (5)

Reste que si cette question m’a préoccupé, l’important n’est probablement pas là. J’ai envie de dire que tout est dans le ton dont use Robert Vivier pour faire vivre un personnage, un personnage qui est tout en charité. Au point qu’on eût aimé le rencontrer.

Je livre ci-dessous trois extraits du livre – parmi tant d’autres possibles – qui témoignent de cette générosité que Vivier confère à son héros, et qui sans doute n’est rien d’autre que la sienne.

« Les hommes étaient encore dans la grande salle, formant un groupe debout près de la table, au milieu des banquettes et des chaises vides. Ils causaient entre eux. Antoine, assis, était tout occupé à ses pensées, et chacun respectait son recueillement.
Tout s’était bien passé. Il laissait monter en son cœur la reconnaissance. Lui-même, il le savait, n’était rien. Ce qui était grand, ce n’était pas lui, mais ce qui se faisait par lui. Cependant, s’il s’était trouvé qu’aujourd’hui il ne fût pas digne, rien n’eût pu se réaliser. De là venait ce sentiment d’humble contentement et de reconnaissance. Parfois, même au cours d’une séance heureusement commencée, il percevait tout à coup un fluide hostile, soit qu’il ne se fût pas assez gravement concentré, qu’il se fût laissé distraire, par exemple par une pensée d’orgueil, soit que des assistants fussent occupés en eux-mêmes de moqueries ou de pensées frivoles. Pour que les choses aillent bien, il faut de la foi et de l’accord : rien ne peut être fait par un homme seul. Nous devons être humbles, et ne pas vouloir trop. Étant novice, Antoine avait plus d’une fois échoué par excès de zèle. Il voulait guérir tout le monde, aussi bien ceux qui ne s’adressaient pas à lui que les autres. Il ne savait pas, alors, que la force n’opère que si le malade est préparé, s’il a la foi, s’il est entouré d’un bon fluide.
Il s’accouda à la table, et, appelant Gony d’un signe de tête :
― Vous souvenez-vous, Gony, comme nous nous sommes trompés dans les commencements, quand nous avons voulu faire notre société ? Mais cela nous a été utile de nous tromper. Tout est bien arrangé : quand nous n’agissons pas comme il le faut, l’épreuve nous avertit, et alors, voyant le mal, nous en cherchons la cause. Le mal n’est rien en lui-même, c’est sa cause qu’il faut voir.
Il rêva un instant. Ainsi, il avait compris ce que signifie l’épreuve et à quoi sert le mal. Et du coup le mal n’apparaissait plus si mauvais : à condition de chercher il y avait toujours moyen de trouver un bien caché en lui. D’avoir découvert cela, toute la vie d’Antoine avait pris un sens nouveau. » (pp. 212-213)

« Maintenant il comprenait pourquoi, après tous ses voyages, il avait dû revenir dans ce pays de son enfance, et pourquoi aussi, malgré la petite fortune qu’il avait amassée, il n’avait pas cherché à s’élever au-dessus de sa condition première, mais avait repris le train-train d’existence des gens avec qui il avait autrefois commencé la vie. Il s’était fixé entre ces collines de la Meuse, dans cette région d’usines, parmi les petits artisans, les métallurgistes, les mineurs. L’on ne sait aimer à ce point que ce qu’on a appris à aimer pendant ses premières années : or, la tâche qu’il avait à remplir ne pouvait être menée à bien que par l’amour.
Après avoir vu les hommes des autres pays, comme ils travaillent et comme ils s’amusent et comme ils sont faits, après avoir connu que la vie est partout la même et que c’est une vieille et douce et difficile histoire qui recommence sans cesse sur chaque point de la terre, il était pourtant rentré chez lui, parmi les siens, pour commencer l’œuvre. C’est que, les problèmes de la vie, il pouvait les reconnaître et les retrouver partout, mais ici seulement il pouvait essayer de les résoudre. Ailleurs il était comme un ouvrier à qui l’on a passé l’outil d’un autre, tandis qu’ici il avait son outil à lui, au manche usé par ses mains, et qui faisait pour ainsi dire partie de lui-même. Dieu l’avait mis ici et non ailleurs, il lui avait donné les gens d’ici pour parents et compagnons, et l’amour de la femme et la paternité c’était aussi par quelqu’un d’ici qu’il les avait connus. Aussi, s’il se trouvait en lui quelque force ou quelque façon capable d’aider les hommes, était-ce avant tout à ceux d’ici qu’elle devait profiter : Antoine avait été créé pour eux comme eux avaient été créés pour lui. Quand il était enfant et qu’il commençait à apprendre la religion, qu’était-ce pour lui que le monde, la terre, le ciel, sinon Mons avec le plateau, et les villages qu’on voit de là, et le ciel qui est au-dessus du clocher et que nos pigeons traversent ? Et la bonne route dont il ne faut pas s’écarter, c’était évidemment la route de Flémalle, avec les trois petits buissons à droite, et ses fossés à demi comblés de terre et d’herbe. À jamais c’étaient là la bonne route, la terre et le ciel. Et le petit Louis Antoine, en ces temps-là, avait même découvert tout près de Mons le Paradis Terrestre : un verger un peu à l’écart en contrebas du village, avec des haies épaisses, non taillées, et de larges rayons frais sur l’herbe déjà haute et sur les branches d’un pommier en fleurs. Le gamin, n’osant pas entrer, était resté à la barrière. C’était dans ce temps de l’enfance où les choses pénètrent en nous pour y prendre à jamais leur place et leur figure. Et il avait eu beau voir après cela mille autres choses, ce n’étaient plus que des images : c’est le pays natal seul qui est le vrai monde et son éternité. » (pp. 218-219)

« Nous, pauvres gens, nous ne demanderions pas mieux que de nourrir notre pensée, de cultiver notre âme, mais le corps est là qui attend sa pitance, et qui, dès qu’il est en danger, appelle à longs cris, s’accroche à l’âme avec la frénésie aveugle d’un homme qui se noie. Et alors l’âme s’alarme à son tour, à la fois effrayée et pitoyable. Elle est habituée au corps. Elle sent ses douleurs comme siennes, il faut qu’elle l’aide, qu’ils se sauvent ensemble pour que cette vie continue. Elle le rassure, cherche pour lui une espérance, un moyen de salut. C’est elle qui le conduit chez Antoine.
Et Antoine ne s’y trompait pas. Dans ces malades qui se présentaient toujours plus nombreux aux séances, il ne voyait pas les corps, mais les âmes en alarmes qui lui amenaient ces corps souffrants. Et à travers son corps à lui passait l’alerte, l’appel adressé par ces âmes à son âme. Voilà où le médecin est impuissant. Il a sa science et ses recettes, ses livres, ses médicaments matériels, et voit les blessures des corps avec ses yeux de matière. Tandis que chez Antoine, grâce à la force du fluide et à l’assistance des guides, il se produisait un mystérieux colloque d’esprits, celui du guérisseur et celui du patient lui-même, penchés tous deux comme des médecins consultants au chevet du corps qui souffre.
L’expérience avait plus d’une fois montré à Antoine que ni lui ni les esprits-guides ne pouvaient rien s’ils étaient seulement en présence du corps, et si l’âme du patient ne participait pas à ces colloques, si elle ne les rejoignait pas pour collaborer avec eux. L’esprit du guérisseur ne peut atteindre le corps souffrant par une voie directe, car il ne lui est pas uni par le mystère de la naissance. Combien de fois Antoine n’avait-il pas échoué parce que l’esprit du malade, distrait ou durci par le doute, ne lui permettrait pas de lire dans le corps qu’il avait devant lui…
― Vous devez avoir la foi, répétait-il. Venez me voir dès que vous en avez la pensée. Et, pendant que vous êtes ici, travaillez avec moi.
Sans la foi du malade, le corps reste entouré d’un mur opaque. Avec sa foi tout devient transparent aux yeux du guérisseur. » (pp. 231-232)

(1) Pour davantage de renseignements sur cette religion, cf. entre autres le site Internet dont l’adresse est http://antoinisme.blogg.org/
(2) Robert Vivier, Délivrez-nous du mal. Antoine le guérisseur, (1ère éd. 1936) Editions Labor, Bruxelles, 1989.
(3) Ibid., p. 361.
(4) Au sujet de cette logique, je souhaite vivement suggérer la lecture d’un des chapitres du livre Anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss (Plon, 1958), à savoir le chapitre IX intitulé "Le sorcier et sa magie" (1ère publication in Les temps modernes, 4e année, n° 41, 1949, pp. 3-24). L’histoire du chaman kwakiutl Quesalid qu’on y trouve illustre merveilleusement bien la puissance des pratiques magiques, puisqu’on y voit un sceptique en devenir un extraordinaire praticien. La grande question de la foi et des preuves… !
(5) Henri Hubert & Marcel Mauss, "Esquisse d’une théorie générale de la magie" (1ère publication in Année Sociologique, 1902-1903), in Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, PUF, Quadrige, 8e éd., 1983, pp. 85-86.


source : http://jeanjadin.blogspot.com/2009/09/note-de-lecture-robert-vivier.html

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le menuisier Pierre Debroux

Publié le par antoiniste

    Pierre Debroux, menuisier, de Crotteux (Robert Vivier, p.165), village natal de Louis Antoine, au nord de Jemeppe (maintenant Flémalle-Grande).
    Selon Pierre Debouxhtay (p.64), au moment de la publication du Petit catéchisme spirite pour servir à l'instruction des enfants et des personnes ne connaissant pas le spiritisme, en 1896, il y avait séance publique le premier dimanche de chaque mois, chez M. Louis Antoine, rue du Bois-du-Mont, à Jemeppe-sur-Meuse, à 10 heures précises du matin, et le deuxième et quatrième dimanche, chez Pierre Debroux, menuisier-entrepreneur, à Crotteux-Mons, à 5 heures de l'après-midi.

le menuisier Pierre Debroux

Unitif de 1914


    Il sera présent au côté de Louis Antoine lors de son procès en 1901 (Robert Vivier, p.266), il est alors présenté comme adepte. Il tient une salle de lecture à Mons-Crotteux, chez lui, selon l'Unitif de 1914 (lecture de l'enseignement le mardi à 7 1/2h). Dans un Unitif des années 20, la salle de lecture est indiqué rue Méan (sans qu'on sache par qui elle est tenue).

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Robert Vivier et André Thérive, destin croisé de poète-romancier ou de romancier-poète

Publié le par antoiniste

    Robert Vivier (1894-1989) naît à Chênée (Liège) d’un père ingénieur d’origine bourguignonne, et d’une mère liégeoise. Il décède à Paris, où il s'était fixé dans les années 60, en 1989 à La Celle Saint-Cloud.

    Élève de l’Athénée royal de Liège, où il se lie durablement d’amitié avec un jeune homme qui deviendra une autre personnalité des Lettres belges, Marcel Thiry, il entre ensuite à l’Université de Liège, à la Faculté de Philosophie et Lettres. De cette faculté, il devient une des grandes figures, un professeur très écouté, qui enseigne les auteurs français, l'italien et sa littérature.

    Il connaîtra la guerre, dont il en sortira meurtri. Il écrira un recueil de récits Avec les hommes. Il connaît ainsi une expérience similaire à André Thérive, autre romancier populiste qui évoquera les Antoinistes de Paris dans Sans âme, qui écrira Frères d'armes en 1930 qui consisteront un partie de Noir et or, mais aussi Voix du sang (1955) et Écrevisse de rempart (1969). Oeuvres avant tout littéraire, où l'auteur se place du côté des sans grades. Il en sera de même pour les amis de Robert Vivier : Jean Cassou (1897-1986), écrivain, résistant, critique d'art, traducteur, et poète français ; ou de Marcel Thiry, qui écrira aussi des poèmes et des romans et nouvelles, dont Le tour du monde en guerre des autos-canons belges 1915-1918. On le rapproche également à Georges Duhamel.
    Le populisme des oeuvres de Vivier et Thérive gagne son apogée dans la description de la mort qui frappe les antagonistes des romans : mort du fils de Louis et Catherine Antoine, mort de Lydia, où l'auteur se montre "poète, bien plus que dans vos vers." (selon la critique Henriette Charasson)
    Les destins de Robert Vivier et d'André Thérive se sépare lors de la Deuxième Guerre mondiale, quand le Belge prend part à l'action de la Résistance, où le Français sera proche d'une collaboration avec l'occupant.

    Jacques Cécius n'hésite pas à qualifier Robert Vivier de sympathisant de l'antoinisme. En effet, son oeuvre est pleine de complaisance pour Louis Antoine. Mais cela ne tiendrait-il pas seulement à son affection pour les "petites gens" et les "choses de la vie". La biographie de Larousse le défini comme poète et romancier « populiste » (Folle qui s'ennuie, 1933 ; Délivrez-nous du mal, 1936).
    D'après certains adeptes son épouse d'origine russe émigré en Belgique en 1920 et que Robert Vivier épouse en 1921, Zénitta Tazieff-Vivier (1887-1984, la mère d'un premier mariage du vulcanologue Haroun Tazieff) portait la robe. Jacques Cécius, qui nous rapporte cette information, semble prendre des distances en précisant : "je ne puis garantir l'authenticité de la chose." Ce que l'on sait, c'est qu'elle fut peintre et qu'elle signait Zénitta Vivier. Ensemble, les époux Vivier traduiront du russe en 1973 De l'autre côté de la nuit de Eugène Oustiev, récit d'une aventure dans la forêt vierge du nord-est sibérien, avec très peu de moyens, pour tenter d'atteindre un volcan récent ; et en 1927 le conte moderniste La Maison Bourkov : Soeurs en croix d'Alexeï Rémizov. Également auteurs d'un essai sur le poète symboliste Aleksandr Blok, en 1922, auteur dont ils traduiront le poème Les Scythes. Robert Vivier, à propos de sa femme, soulignait "son sens jaloux de la valeur psychique du mot et du vers".
    Précisons cependant que le roman-vrai Délivrez-nous du mal, Antoine le Guérisseur est dédicacé : "À ma femme, À qui je dois les pensées et les sentiments de ce livre".
    C'est un indice, mais c'est aussi ce qui a pu faire dire à des Antoinistes que sa femme faisait partie des adeptes...

    Claudine Gothot-Mersch, dans son analyse des Editions Labor - Espace Nord, dit que la rencontre de Robert Vivier, en classe de troisième (Robert Vivier commence les Humanités à l'Athénée de Liège en 1905), avec le professeur Ferdinand Delcroix (on l'évoque parmi les adeptes de la première heure) a été décisive pour l'intérêt de l'auteur pour l'antoinisme. Elle précise qu'on pense à Germinal de Zola en lisant cette biographie (description de la mine, et des divers corps de métiers, la main-d'oeuvre enfantine, l'intervention du nihiliste russe, une grève de mineurs), "mais tout cela dans un esprit si opposé [...] que la comparaison n'a guère de sens." Cependant on ne peut que conseiller la lecture de ce roman naturaliste, ainsi que Happe-Chair de Lemonnier, pour entrer dans l'univers du travail de Louis Antoine.

    Concernant la constitution de son "roman vrai qui se fait vie de saint" (Claudine Gothot-Mersch), Robert Vivier a utilisé l'ouvrage de Pierre Debouxhtay, mais la Révélation elle-même (des notes de bas de pages émaillent le texte). Il aurait visité le temple de Jemeppe. Paul BIRON & Louis CHALON, évoque comment Robert Vivier aurait eu des informations de première source :
  Dans la camionnette, en rentrant à Herstal, Célestin (qui m'a tout l'air d'un antoiniste enragé) nous a raconté qu'un haut professeur de l'Université avait écrit un livre sur le Père Antoine quelques années avant la guerre (1), ce qui prouve bien que les gens instruits prennent ces histoires-là au sérieux. Même que son professeur de français à l'école moyenne du boulevard Saucy leur avait raconté un jour qu'il s'avait demandé des années au long qui étaient les hommes en deuil et en gibus et les femmes en deuil aussi avec un voile sur leur tête qui venaient de temps en temps trouver ce professeur-là dans on bureau à l'Université. Et bien, c'était des antoinistes qui venaient lui raconter la vie du Père pour l'aider à faire son livre.
Paul BIRON & Louis CHALON, Tout a changé, Mononke, p.66
source : Google Books

Pour aller plus loin : Robert Vivier, l'homme et l'œuvre: actes du colloque organisé à Liège le 6 mai 1994 à l'occasion du centenaire de sa naissance

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Robert Vivier et André Thérive, destin croisé de poète-romancier ou de romancier-poète

Publié le par antoiniste

    Robert Vivier (1894-1989) naît à Chênée (Liège) d’un père ingénieur d’origine bourguignonne, et d’une mère liégeoise. Il décède à Paris, où il s'était fixé dans les années 60, en 1989 à La Celle Saint-Cloud.

    Élève de l’Athénée royal de Liège, où il se lie durablement d’amitié avec un jeune homme qui deviendra une autre personnalité des Lettres belges, Marcel Thiry, il entre ensuite à l’Université de Liège, à la Faculté de Philosophie et Lettres. De cette faculté, il devient une des grandes figures, un professeur très écouté, qui enseigne les auteurs français, l'italien et sa littérature.

    Il connaîtra la guerre, dont il en sortira meurtri. Il écrira un recueil de récits Avec les hommes. Il connaît ainsi une expérience similaire à André Thérive, autre romancier populiste qui évoquera les Antoinistes de Paris dans Sans âme, qui écrira Frères d'armes en 1930 qui consisteront un partie de Noir et or, mais aussi Voix du sang (1955) et Écrevisse de rempart (1969). Oeuvres avant tout littéraire, où l'auteur se place du côté des sans grades. Il en sera de même pour les amis de Robert Vivier : Jean Cassou (1897-1986), écrivain, résistant, critique d'art, traducteur, et poète français ; ou de Marcel Thiry, qui écrira aussi des poèmes et des romans et nouvelles, dont Le tour du monde en guerre des autos-canons belges 1915-1918. On le rapproche également à Georges Duhamel.
    Le populisme des oeuvres de Vivier et Thérive gagne son apogée dans la description de la mort qui frappe les antagonistes des romans : mort du fils de Louis et Catherine Antoine, mort de Lydia, où l'auteur se montre "poète, bien plus que dans vos vers." (selon la critique Henriette Charasson)
    Les destins de Robert Vivier et d'André Thérive se sépare lors de la Deuxième Guerre mondiale, quand le Belge prend part à l'action de la Résistance, où le Français sera proche d'une collaboration avec l'occupant.

    Jacques Cécius n'hésite pas à qualifier Robert Vivier de sympathisant de l'antoinisme. En effet, son oeuvre est pleine de complaisance pour Louis Antoine. Mais cela ne tiendrait-il pas seulement à son affection pour les "petites gens" et les "choses de la vie". La biographie de Larousse le défini comme poète et romancier « populiste » (Folle qui s'ennuie, 1933 ; Délivrez-nous du mal, 1936).
    D'après certains adeptes son épouse d'origine russe émigré en Belgique en 1920 et que Robert Vivier épouse en 1921, Zénitta Tazieff-Vivier (1887-1984, la mère d'un premier mariage du vulcanologue Haroun Tazieff) portait la robe. Jacques Cécius, qui nous rapporte cette information, semble prendre des distances en précisant : "je ne puis garantir l'authenticité de la chose." Ce que l'on sait, c'est qu'elle fut peintre et qu'elle signait Zénitta Vivier. Ensemble, les époux Vivier traduiront du russe en 1973 De l'autre côté de la nuit de Eugène Oustiev, récit d'une aventure dans la forêt vierge du nord-est sibérien, avec très peu de moyens, pour tenter d'atteindre un volcan récent ; et en 1927 le conte moderniste La Maison Bourkov : Soeurs en croix d'Alexeï Rémizov. Également auteurs d'un essai sur le poète symboliste Aleksandr Blok, en 1922, auteur dont ils traduiront le poème Les Scythes. Robert Vivier, à propos de sa femme, soulignait "son sens jaloux de la valeur psychique du mot et du vers".
    Précisons cependant que le roman-vrai Délivrez-nous du mal, Antoine le Guérisseur est dédicacé : "À ma femme, À qui je dois les pensées et les sentiments de ce livre".
    C'est un indice, mais c'est aussi ce qui a pu faire dire à des Antoinistes que sa femme faisait partie des adeptes...

    Claudine Gothot-Mersch, dans son analyse des Editions Labor - Espace Nord, dit que la rencontre de Robert Vivier, en classe de troisième (Robert Vivier commence les Humanités à l'Athénée de Liège en 1905), avec le professeur Ferdinand Delcroix (on l'évoque parmi les adeptes de la première heure) a été décisive pour l'intérêt de l'auteur pour l'antoinisme. Elle précise qu'on pense à Germinal de Zola en lisant cette biographie (description de la mine, et des divers corps de métiers, la main-d'oeuvre enfantine, l'intervention du nihiliste russe, une grève de mineurs), "mais tout cela dans un esprit si opposé [...] que la comparaison n'a guère de sens." Cependant on ne peut que conseiller la lecture de ce roman naturaliste, ainsi que Happe-Chair de Lemonnier, pour entrer dans l'univers du travail de Louis Antoine.

    Concernant la constitution de son "roman vrai qui se fait vie de saint" (Claudine Gothot-Mersch), Robert Vivier a utilisé l'ouvrage de Pierre Debouxhtay, mais la Révélation elle-même (des notes de bas de pages émaillent le texte). Il aurait visité le temple de Jemeppe. Paul BIRON & Louis CHALON, évoque comment Robert Vivier aurait eu des informations de première source :
  Dans la camionnette, en rentrant à Herstal, Célestin (qui m'a tout l'air d'un antoiniste enragé) nous a raconté qu'un haut professeur de l'Université avait écrit un livre sur le Père Antoine quelques années avant la guerre (1), ce qui prouve bien que les gens instruits prennent ces histoires-là au sérieux. Même que son professeur de français à l'école moyenne du boulevard Saucy leur avait raconté un jour qu'il s'avait demandé des années au long qui étaient les hommes en deuil et en gibus et les femmes en deuil aussi avec un voile sur leur tête qui venaient de temps en temps trouver ce professeur-là dans on bureau à l'Université. Et bien, c'était des antoinistes qui venaient lui raconter la vie du Père pour l'aider à faire son livre.
Paul BIRON & Louis CHALON, Tout a changé, Mononke, p.66
source : Google Books

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