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Le Spiritisme (bulletin 46, septembre 2011)

Publié le par antoiniste

Le Spiritisme - bulletin_46_septembre_2011-L'antoinisme

Le Spiritisme
Bulletin 46 - septembre 2011

Sommaire :
Editorial
L'antoinisme
Le caodaïsme
Un groupe uni pour une guérison aboutie
Retrouvailles à la suite d'un rêve
Vie associative : ballade à Lyon
Idées de voyage

 

Editorial

Si l’on veut bien se pencher sur l’origine des religions, des cultes, des croyances ou autres pratiques occultes, on ne peut que constater que tous vont puiser leurs connaissances dans l’au-delà, dans le monde des Esprits et des anges. Cette pratique de communication entre l’homme et le monde invisible, Allan Kardec lui a donné un nom : le spiritisme. Le monde entier connaît le spiritisme, le pratique, le subit ou ne veut pas en parler mais il ne laisse personne indifférent. Ce n’est pas une religion, il n’a ni rituel, ni dogme, c’est un enseignement universel où chacun peut aller puiser et en retirer un gigantesque espoir si les intentions restent bonnes et pures. 

Alors pourquoi les hommes, dès qu’ils pensent avoir découvert la vérité et la connaissance, s’éloignent-ils de ce précepte pour aussitôt créer une nouvelle religion et s’entourer de fidèles au service d’un nouveau concept ? 

Antoinisme et caodaisme sont deux exemples de mystification issus de la pratique médiumnique et détournés du chemin initial. La construction humaine ne dure généralement que le temps de son créateur et le chemin qui mène à la sagesse est étroit. Il faudra encore de nombreuses décennies à l’humanité pour qu’elle s’en éloigne le moins possible.

Gilles Fernandez

 

L'antoinisme

Lorsqu’il est frappé par la maladie et la souffrance, l’être humain recherche la guérison. Les guérisons et les magnétiseurs se comptent par milliers, la plupart anonymes, certains essayent d’en tirer un profit personnel tout en mettant en avant leur acte de charité et quelques-uns, peu nombreux, doté d’une faculté hors du commun et d’un charisme certain attirent les foules auprès d’eux. Il devient alors difficile de rester humble dans la charité et de ne pas se perdre dans les concepts ancestraux des sectes ou des religions qui mettent en avant un homme adulé par ses disciples. On constate toujours que lorsque la construction spirituelle est de nature humaine et donc faillible, elle grandit avec l’être qui en est à l’origine pour s’éteindre petit à petit après sa mort laissant sans direction tout ceux qui suivaient aveuglément leur idole. C’est ainsi que naquit à la fin du XIXème siècle en Belgique, une nouvelle religion emmenée par le charitable Louis Antoine.

Dernier né d’une famille ouvrière, catholique, de onze enfants, il commence à travailler dès l’âge de douze ans comme mineur, puis ouvrier métallurgiste. Lorsque la guerre de 1870 éclate entre la France et la Prusse, il est mobilisé, sans aller au front, par le gouvernement belge et lors d’un exercice militaire, il tue malencontreusement un de ses camarades. Il est très perturbé par cette mort et se demande pourquoi Dieu a voulu lui faire subir cette épreuve ainsi qu’à la famille du défunt. Après la guerre, Louis rentre chez lui à Jemeppe sur Meuse, il épouse une jeune fille du pays, Catherine, et ira travailler en Prusse et en Pologne. Après quelques années d’exil, le couple, qui a fait des économies, décide de rentrer en Belgique. Ils font bâtir plusieurs maisons qui leur assurent un revenu.
En cette fin du XIXème siècle, le spiritisme s’est épanoui dans de nombreux pays et notamment en Belgique dans la région liégeoise où réside Louis Antoine. Un de ses amis l’entraîne un dimanche à une séance d’évocation dans l’arrière salle d’un café. Après ce premier contact, Louis Antoine rentre convaincu à son domicile. Il lit Le livre des Esprits d’un trait et découvre grâce à cet ouvrage le sens de l’épreuve en particulier et celui de la vie en général.
Il se rendra désormais chaque dimanche aux réunions spirites, il a alors 42 ans. Il s’initie avec sérieux à la doctrine spirite selon les principes codifiés par Allan Kardec et sa médiumnité se développe rapidement. Avec l’assentiment de son épouse, heureuse de l’accompagner dans cette démarche, il fonde un groupe à son domicile fondé dans un premier temps sur des séances d’instruction. Il affirme que cet enseignement lui permet de subir avec résignation les épreuves journalières de la vie. Quelques années plus tard, il perdra son fils unique âgé de 20 ans. 

Frère Antoine, comme l’appelle maintenant ses amis spirites, a développé une médiumnité de guérisseur par l’utilisation des passes magnétiques auxquelles il ajoute quelques prescriptions de tisanes et de fortifiants. Les malades viennent de plus en plus nombreux au domicile de la famille Antoine. Ils écoutent, dans un premier temps, les instructions des guides de l’au-delà reçues par l’intermédiaire du neveu de Louis, le frère Pierre Dor, excellent médium psychophone. Puis, Louis Antoine prodigue quelques conseils en matière de morale et ensuite soigne les affligés. Devant la notoriété naissante, il décide de se structurer et avec ses amis spirites, il fonde un groupe : Les Vignerons du Seigneur dont les statuts sont basés sur les principes des autres groupes kardécistes. Le groupe continue de grandir et se singularise en faisant confectionner une bannière noire avec deux branches de vigne brodées en fils d’argent portant ses mots : Les Vignerons du Seigneur. Nous sommes les ouvriers de la dernière heure. En 1896, Louis Antoine écrit le petit catéchisme spirite, pour servir à l’instruction des enfants et des personnes ne connaissant pas le spiritisme, publié par la société spirite Les Vignerons du Seigneur de Jemeffe (sic) sur Meuse, instruction par l’Esprit de Vérité, Esprit consolateur. La devise inscrite sur la couverture : «Vers Dieu par la science, l’humilité et la charité» Cet ouvrage insiste particulièrement sur l’aspect éthique du spiritisme plutôt que sur celui des évocations. A la fin de son livre, on peut lire : «Les Vignerons du Seigneur guérissent les malades, chassent les mauvais démons, ressuscitent les morts, s’entretiennent avec les disparus de ce monde et donnent gratuitement ce qu’ils ont reçu gratuitement.» 

Bien que toujours fidèle dans les grandes lignes à la révélation spirite, on commence à ressentir dans l’organisation de ce groupe les prémices d’une rupture avec les grands principes de base du spiritisme. Le petit catéchisme est diffusé par les adeptes et connait un grand succès en Belgique et jusque dans le nord de la France. Le journal socialiste le Flambeau, dont le rédacteur est un ami de Louis Antoine, fait de la publicité pour les réunions. Les vignerons distribuent également des tracts sur lesquels on peut lire : «Le spiritisme donne les preuves de l’existence de Dieu, de la survivance de l’âme et conduit au bonheur éternel. Dieu vous donne le bonheur de soulager vos frères dans toutes les maladies, afflictions morales ou physiques. Le spiritisme est une philosophie consolante basée sur les enseignements du christ et s’appuyant sur les lois qui régissent l’univers».

Les malades sont de plus en plus nombreux à venir et le groupe décide de trouver un local plus grand. Antoine achète deux immeubles pour les transformer et accueillir tout ce monde. Le jour de noël 1900 devant 180 personnes a lieu l’inauguration du local. La salle est décorée des portraits d’Allan Kardec, du docteur Demeure, un des guides d’Antoine et le curé d’Ars. C’est dans ce lieu que désormais le guérisseur va recevoir ses malades. Cette pratique va attirer l’attention du corps médical qui porte plainte auprès du parquet de Liège. Le commissaire de police de Jemeppe établit un rapport sur les activités de Louis Antoine. Il signale que ce dernier reçoit beaucoup de monde sans se faire rémunérer mais que toutefois ceux qui le désirent peuvent laisser un don dans un tronc. Le guérisseur donne à ses patients des indications manuscrites sur lesquelles il conseille d’acheter un fortifiant, du thé de lichen ou de l’extrait de viande. 

Devant le juge d’instruction, il explique que pour soigner, il pose sa main sur la personne qui le consulte et prie en attendant l’inspiration. Lorsque celle-ci ne vient pas, il renonce à donner des soins et renvoie son patient. Si par contre, son guide lui indique de quoi souffre le malade, il procède à des passes magnétiques et à la prescription. Il magnétise également des morceaux de papier qui sont placés dans une bouteille d’eau qui doit être bue. Il parle également des fluides qui enlèvent le mal et contribuent à la guérison pour autant que le malade ait la foi. 

Antoine est condamné à une amende de 60 francs pour exercice illégal de la médecine. Ce procès ne fera que renforcer sa renommée et les malades se pressent plus nombreux encore dans ce qui deviendra un temple. Habilement, Antoine a réfléchi et supprimera de ses séances les prescriptions pour ne conserver que les passes magnétiques et la prière. 

Les personnes venaient maintenant en grand nombre, près de 300 chaque jour et le père, comme il se faisait appeler, avait modifié le déroulement de ses séances. Il savait maintenant que seule la foi et la confiance qu’on lui accordait opèrent contre le mal et que tout remède matériel était un obstacle, convaincus que les plaies du corps sont les conséquences des plaies de l’âme.

Lors des séances de guérison, les patients reçoivent un numéro. Lorsqu’il est appelé, le consultant se lève et est introduit dans une petite pièce. Antoine est assis derrière un modeste bureau, il invite le malade à s’asseoir et sans perdre de temps, lui demande : «C’est pourquoi ?» Alors le malade parle de son problème physique ou psychique. Louis Antoine le regarde avec intensité, sa main droite posée sur le front de la personne. Il baisse la tête et prie. Puis, il dit d’où vient la cause de la souffrance qu’éprouve le consultant. Il conseille d’avoir la foi et si la situation ne s’améliore pas de revenir le voir. Il remet une petite brochure contenant des enseignements spirites et congédie la personne, parfois guérie, toujours mieux dans sa peau. 

L’enseignement que donne Antoine, il l’a reçu du spiritisme et des ouvrages d’Allan Kardec, c’est de là que provient sa compréhension de la vie après la mort, de la survivance de l’âme, de la loi de cause à effet. Il dit lui-même qu’il doit beaucoup au spiritisme. Au fil des années s’appuyant sur la doctrine spirite, il a beaucoup reçu de la providence divine, il a pris une grande confiance en lui et a vu croître le nombre de ses adeptes dévoués à sa cause.

Au cours de séances d’évocation, il est mystifié à plusieurs reprises par des Esprits facétieux et trompeurs. Bien que le spiritisme enseigne la vigilance et l’humilité pour toute communication avec l’au-delà. Louis Antoine se sent ridiculisé et humilié. Il lui vient alors l’idée que la médiumnité et ses phénomènes appartiennent à la science tandis que la morale est du ressort de la foi. Celui qui possède une croyance certaine ne s’attache plus à la science, écrira-t-il dans son enseignement. Tout doucement, il s’écarte de la source même de l’enseignement spirite et des séances médiumniques. Il acquiert ses propres certitudes sur le secret du vrai bonheur, s’entoure de ses disciples les plus fidèles qui l’ont aidé, dit-il, à fonder une école d’amour pure et désintéressée et ne cessera de se préoccuper de l’avenir moral de l’humanité. La rupture avec le spiritisme est définitivement consommée lorsqu’il ordonne à ses adeptes de détruire par le feu les quelques 8000 exemplaires de l’enseignement spirite. Nombreux sont pourtant les messages dans l’œuvre de Kardec qui nous mettent en garde contre le culte de la personnalité et les moyens de s’en détourner. 

Il se fait maintenant appeler Antoine le guérisseur ou Antoine le généreux ou encore le père et il apparaît désormais revêtu d’une robe noire appelée soutanelle. Il soutient que grâce au dévouement de ses adeptes, il avait dorénavant atteint un fluide plus pur. Il prêche chaque dimanche matin la doctrine nouvelle. Le père s’est laissé pousser les cheveux et la barbe, il ressemble à un prophète antique. Il reçoit jusqu’à 1200 personnes par jour. Aussi, il fait annoncer qu’il ne recevra plus en particulier mais qu’il opérera collectivement les jours fériés et les 1er et 15 de chaque mois. Le 15 août 1906, il va «opérer et sanctifier» la nouvelle religion comme il l’avait annoncé. Il se retire alors lentement de la société, il prie, médite et se nourrit sobrement de légumes et de pain. Il perd régulièrement des forces et se désincarne en 1912. 

Après le décès de Louis Antoine, son épouse, la mère Antoine continua à développer la «cultuelle antoinisme». De nombreux temples durent, ouverts en France comme en Belgique, et le culte compta jusqu’à près de 150 000 sympathisants.

Le culte de l’antoinisme naquit dans les régions industrielles du Nord et connut son heure de gloire. Même si le nombre de ses adeptes a fondu au fil des années il subsiste encore aujourd’hui quelques temples discrets en France et en Belgique. 

Louis Antoine, enfant du spiritisme, avant de renier ses racines a certainement accompli une belle œuvre inachevée. Médium guérisseur des âmes et des corps, sensible aux misères humaines et conscient de ce que les gens modestes étaient en recherche de soulagement tant physique que moral, il s’est mis au service de son prochain. Il avait la capacité de maîtriser les fluides qui soulagent et d’éveiller à la foi ceux qui l’approchaient. Il a voulu créer une nouvelle religion qui ne lui a pas survécu et il a rejoint le cimetière des nombreux prophètes tombés dans l’oubli.

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Le cimetière d'Ixelles, une ville miniature

Publié le par antoiniste

Le cimetière d'Ixelles, une ville miniature

 

    D'autres religions et cultures sont reconnaissables à des caractères d'imprimerie et à des symboles : grecs, vietnamiens, nord-africains, juifs, orthodoxes, protestants. On y trouve même un emblême du mouvement antoiniste fondé en 1910 par le Liégeois Louis-Joseph Antoine, qui se prétendait guérisseur. Tous ces éléments témoignent du caractère cosmopolite du cimetière d'Ixelles, eflet d'une ville dans la ville.

Le cimetière d'Ixelles, une ville miniature, 2017

 

Nota : On trouve d'autres tombes antoinistes, en Belgique, à Antoing (près de Tournai) et, en France, à Garches (Hauts-de-Seine, Île-de-France)...

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Spa - Avenue du Père Antoine (flickr - claudiusbinoche)

Publié le par antoiniste

Spa - Avenue du Père Antoine (flickr - claudiusbinoche)

On voit sur cette photo que la commune de Spa a renouvelée (vers 2017) la plaque officialisant la dénomination d'Avenue du Père Antoine.

source de la photo : compte flickr de claudiusbinoche

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Antoine, Dor et Cie (Le XXe siècle, 2 juillet 1917)

Publié le par antoiniste

Antoine, Dor et Cie (Le XXe siècle 02 07 1917)

 

HISTOIRES DE RELIGION...

ANTOINE, DOR & Cie

    Nous recevons d’un ecclésiastique de nos amis la piquante lettre ci-dessous :

                   Monsieur le Directeur.

    J’ai lu avec infiniment de plaisir les chroniques précises, pittoresques et ironiques à souhait de votre collaborateur J. Flament sur les aventures judiciaires du Père Dor.
    J’ai vécu plusieurs années dans le pays de La Louvière et dans le pays de Charleroi, qui comptent beaucoup d’adeptes de l’Antoinisme et des succédanés de l’Antoinisme. J’ai interviewé nombre de personnes et lu nombre de brochures. Vous estimerez sans doute intéressant que je rappelle l’essentiel de ces « religions ».
    Le Père Antoine et ses disciples professent que tous le mal vient de la chair.
    Pour combattre le mal, il faut donc, prêchent-ils, se désincarner.
    On se désincarne, dès cette vie, en se privant d’aliments qui proviennent du genre animal : la viande et le beurre : oui, le beurre – Et pour faciliter la tâche de ses fidèles, l’apôtre – ou sa femme – débitait de l’« axa » – beurre végétal – à la porte du temple. Vous imaginez sans peine les scènes qui se passaient dans les ménages dont un des membres seulement adhérait à l’Antoinisme ; il prétendait, celui-là, contraindre au végétarisme – et par les plus ingénieuses raisons, des raisons de conscience – toute la maisonnée.
    Mais la désincarnation essentielle, totale, ne s’obtenait – faut-il le dire ? — que par la mort.
    Aussi la mort ne causait-elle pas le deuil. Le père décédé, la mère décédée, pourquoi, je vous le demande, pourquoi s’endeuiller ? On n’endeuillait ni ses habits, ni sa maison, ni les lettres de faire-part. On godaillait même un peu...
    Et cette désincarnation suprême accomplie, que devenait-on ?
    Eh ! bien, on se réincarnait ; les braves gens, souvenez-vous que les Antoinistes se recrutaient presque exclusivement dans les classes ouvrières, les braves gens se réincarnaient, eux, dans des hommes soustraits aux fatigues du travail manuel : inspecteurs d’enseignement ou inspecteurs d’assurance, par exemple. Les autres se réincarnaient, mais dans des conditions qui les condamnaient à mener une misérable vie. Ainsi, les curés et les vicaires – méchantes gens s’il en est – se réincarnaient d’ordinaire dans des chevaux de halage !... Tel curé que j’ai connu, le curé de M..., s’était réincarné dans un cheval de halage qui trimait le long du canal de Charleroi à Bruxelles. Et l’ahan du cheval n’était autre chose que les mélancoliques soupirs du pauvre curé passant et repassant à proximité de son presbytère, à proximité de sa cave, disaient les Antoinistes les mieux informés...
    Enfantillages, sottises et rancunes ! Enfantillages surtout, et qui venaient de Russie. Le Père Antoine, houilleur presque illettré, avait travaillé dans le bassin du Donetz ; il y avait reçu les éléments de sa religion. Bref, une sorte de Raspoutinerie.
    Mais peut-être ne savez-vous pas que deux personnalités politiques de Belgique prétendirent, en 1914, obtenir de la Chambre et du Sénat la reconnaissance de l’Antoinisme par l’Etat ? Ainsi, cette farce religieuse, cette église burlesque se serait vu reconnaître l’existence légale tout comme le catholicisme ! Le Père Antoine aurait marché l’égal de l’archevêque Mercier !
    Les auteurs de ce projet saugrenu cherchaient-ils à organiser une concurrence au catholicisme, fût-ce par la plus ridicule des contre-Eglises ? N’exagéraient-ils pas plutôt la logique du libéralisme doctrinal, qui reconnait les mêmes droits, comme on sait, à toutes les doctrines, sans aucun souci de leur valeur intrinsèque et de leur utilité, par la seule raison qu’elles existent ?
    Je n’en sais rien, mais le fait doit laisser rêveur tout homme qui réfléchit.
    N’êtes-vous pas de cet avis ?

Nous sommes aussi d’avis que ces deux « honorables », éclairés par l’expérience, ne pousseraient plus aujourd’hui à ce point la logique de leurs principes. Pour eux non plus, l’union sacrée n’est pas un vain mot, et ils ont appris par expérience qu’il y a religion et religion, comme il y a fagot et fagot...

Le XXe siècle, 02 septembre 1917

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Au Palais (La Belgique, 19 novembre 1916)

Publié le par antoiniste

Au Palais - La Belgique  19-11-1916

                         AU PALAIS

TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE CHARLEROI

               LE PROCÈS DU « CHRIST »

               AUDIENCE DE VENDREDI

    On refuse du monde, encore et toujours. On plaide prétoire fermé. De nombreux adeptes du „Père” l’assistent chaque jour dans la montée du Calvaire. C’est une garde prétorienne. Il est bon qu’elle protège efficacement l’accusé, car des énergumènes, excités par un témoin à charge dit-on, pourraient se livrer à d’inexcusables voies de fait. Je me hâte de dire que la petite vieille dame si propre n’est pas l’instigatrice d’un passage à tabac. Son âme, désemparée, n’est pas emplie de tant de fiel – j’allais écrire : de tant de fluide vengeur. Au reste, le fluide de la vengeance existe, tous les fluides existent dans le dorisme, sauf erreur, d’ailleurs excusable pour cause d’une trop rapide initiation.
    L’audience s’ouvre à 9 h. 1/2. L’accusé n’est pas à son banc ; le train de Bruxelles n’est pas arrivé. La parole est donnée Me Gérard, partie civile pour la Société de médecine de l’arrondissement de Charleroi.

               LES PARTIES CIVILES

    – Pierre Dor, dit Me Gérard, cet homme qui se dit le Messie du XXe siècle, ébloui par le succès de son oncle Antoine le Guérisseur, eut un jour l’idée de lui faire concurrence. Une concurrence dans le même village eût été désastreuse. Pierre Dor vint, par conséquent, se fixer à Roux-Wilbeauroux. Exploitant la bêtise humaine, Dor se livre à l’art illégal de guérir. Vous avez vu, Messieurs, quelques-unes de ses victimes défiler à la barre. L’organe de la loi s’est même écrié, devant un témoin : „C’est un cas désespéré.”
    Me Gérard soutient qu’on venait, à l’Ecole morales demander conseil au guérisseur pour les varices, les hernies, les maladies d’estomac, etc. Dor jetait, à l’en croire, la déconsidération sur le corps médical. Combien de malheureux ont payé de leur vie les conseils de Dor ! Au tribunal, continuant sa comédie, il s’est dit le Christ réincarné. Il n’est pas sincère. C’est un imposteur, il le sait.
    – S’il était au banc des accusés, je lui dirais : Etes-vous l’auteur du „Livre précieux”, ou n’êtes-vous que l’homme de paille d’un syndicat d’exploiteurs !"
    L’avocat des médecins de l’arrondissement de Charleroi affirme que le livre de Dor : „Christ parle à nouveau”, est fait de plagiats, que tout est comédie dans les doctrines de l’accusé, et que ses adeptes ont été malades physiquement avant de l’être moralement. Les témoignages attestent que Dor pratiquait illégalement l’art de guérir. Il se faisait passer pour le Christ, il se livrait à des passes magnétiques, il faisait des essais d’hypnotisme, levant les mains, fermant les yeux. Il y avait aussi le fluide à distance.
    A ce moment, on entend, au dehors, des huées. Nouvelles manifestations d’antidoristes. Le Messie arrive. Le voici qui prend place au banc d’infamie, comme on dit. Il ne paraît nullement ému. Mme Dor semble nerveuse. Accompagnée d’une amie, Mme Dor s’assied derrière Mes Lebeau et Morichar.
    Me Gérard dit qu’il faut que l’art de guérir soit pratiqué par des gens possédant des diplômes. Or, Dor ne possède aucun diplôme. Il n’est que „docteur sans médicaments, Messie du XXe siècle” !.
    Plaidoirie très claire, dite sans passion.
    Et le fluide ? Me Gérard va, jusqu’à admettre les rayons M... N... tout ce que l’on voudra. Il leur concède même une consistance scientifique. Il y a des hommes qui possèdent un fluide, mais, s’ils n’ont pas d’autorisation légale de pratiquer, ils tombent sous le coup de la loi. Il y a manœuvres quand on use de passes magnétiques, lorsqu’on fait des „grimaces”, même en ne donnant point de médicaments. Le zouave Jacob a été condamné. Dor soutient qu’il donne des conseils de morale. Or, toutes les instructions ne visent pas que la morale :
    – Vous savez quelles instructions donnait ce charlatan aux mères de nouveau-nés.
    Me Lebeau. – On ne vient jamais le consulter pour des enfants sains.
    M. Mahaux, substitut du procureur du roi. – C’est l’aveu.
    Me Gérard reparle des lavements à l’eau salée du cas de ce malade qui portait un bandage herniaire et auquel Dor aurait dit d’enlever son bandage. L’homme souffrit terriblement.
    Me Lucien Lebeau objecte que le témoin s’est rétracté.
    Le Messie, bien calme à son banc, dément, de la tête, souriant, certaines affirmations de Me Gérard.
    Me Gérard, en terminant, dépose des conclusions au nom des médecins de l’arrondissement de Charleroi qui veulent que prenne fin cette concurrence nuisible, illégale, criminelle même.
    – Il y a quelques années, la Société des médecins a réclamé à un rebouteux 1 franc de dommages-intérêts. Aujourd’hui, il y a un préjudice matériel énorme. Certains membres ont été atteints dans leur existence. Dor a dénigré les médecins et a attiré les clients chez lui par des manœuvres louches. La société aura aidé au nettoyage des forbans. Le Père Dor ne peut quitter le prétoire avec quelques florins d’amende. La Société des médecins réclame 10,000 francs. Le tribunal décidera „ex æquo” et bono”. Nous aussi, nous sommes des médecins des âmes, nous connaissons bien des souffrances à soulager. La Société de médecine ne faillira pas à son devoir. La population de Charleroi est une population à laquelle on n’en conta pas aisément. Les victimes crieront bientôt : „Sus au charlatan ! Sus à l’exploiteur de la crédulité humaine !”

                               ***
    A Me Gérard succède Me Bonehill, avocat d’une autre partie civile, Mme D...
    – Hier, dit Me Bonehill, avec une rare maîtrise l’honorable président a interrogé le faux Christ. Dor est sorti de cet interrogatoire couvert de ridicule. Il a subi les verges de l’honorable organe de la loi. Me Gérard vient de le clouer au pilori. Il est exposé à la raillerie de tous ceux qui ne sont pas ses adeptes. Ces derniers sont doués de l’obscurantisme à perpétuité. La remise des fonds a été provoquée par usurpation de faux titres et manœuvres frauduleuses. M. le procureur du roi a fait en des coups de pinceau le portrait du prévenu. Celui-ci ne méritait pas les honneurs de la toile. Il méritait la caricature. En six ans, il s’est érigé en Jésus opulent cossu. Mme D... a été une des premières victimes attelées au char du dieu. En 1912, Mme B... rabatteuse, lève un oiselet dans les fourrés de Bruxelles et le dirige vers l’épervier. C’est une dame âgée de 66 ans (Mme D...) qui a été spirite. Il y a dans ce cerveau un tout petit trou, mais le vilebrequin va y entrer. Elle n’a pas d’héritiers et elle est riche. Quelle bonne prise pour l’épervier ! Les cercles de l’épervier se resserrent : il plane. C’est la période de fascination. Il décide Mme D... à venir chez lui, et il la séquestre. C’est la période d’initiation. „L’apoplexie vous guette, il faut faire de bonnes œuvres.” Il tente de jeter un ferment d’amour dans ce vieux cœur.”
    Ce début promet. La parabole de Me Bonehill est spirituelle ; ses saillies mettent la salle en grosse gaietés. Orateur verveux, coloré, cinglant.
    Me Bonehill lit une aimable correspondance échangée entre le Père et Mme D..., propagandiste en Ardennes pour l’Ecole morale. Les lettres du Père sont émaillées de fautes d’orthographe, que Me Bonehill met en vedette, avec trop d’insistance, semble-t-il. Plaisanteries faciles, qui ne sont pas des arguments. D’honorable avocat souligne qu’à la première page du livre „Christ parle à nouveau”, le Père se donna comme le Messie du XXe siècle... il a, dans la vignette, un geste de rédemption.
    – Où est-il dit que ce langage serait image, métaphorique ?
    Me Lucien Lebeau. – Au bas de la page...
    Me Bonehill. – Vous êtes clairvoyant, je ne vois pas ça.
    Me Lucien Lebeau lit l’inscription et soutient sa manière de lire et de comprendre. Me Bonehill continue...
    – Dor s’arme des grands ciseaux avec lesquels il tond ses brebis, et coupe des textes dans des livres traitant du spiritisme. C’est le geai paré des plumes du paon.”
    Me Bonehill soutient que des textes „ont été cambriolés„. Dans des livres de Léon Denis et d’Allan Kardec, des textes ont été repris, avec des variantes parfois, par le Père. L’avocat de Mme D... met „Christ parle à nouveau„ sous les yeux des juges et fait la confrontation des textes. Il y a des brochures différentes à texte identique. C’est, d’autre part, le Père Dor qui fait répondre par Mme D... à des lettres demandant des renseignements sur lui et sur l’Ecole morale, à l’aide de brouillons tracés de sa main.
    – Mais un coup de fusil est parti près du nid de l’épervier. C’est le Parquet qui l’a tiré. Dans une lettre, il est question du Parquet. J’ai été, dans le temps, de la „Jeune Belgique”, mais jamais je n’ai vu d’élucubrations comparables à certaines lettres : „Comme il est assis sur la gloire de ses œuvres” – et surtout sur la grammaire et le dictionnaire – „il y aura peut-être un non-lieu.”
    Encore des fautes d’orthographe dans une lettre expédiée en Russie. Me Bonehill trouve-t-il vraiment spirituel de relever les fautes d’orthographe d’un homme, ancien forgeron, quasi illettré ?
    L’avocat, comparant l’accusé à un acteur qui se grime, fait des plaisanteries sur la longue chevelure que portait le Messie naguère, sur son costume, ses poses, sur l’éclairage particulier de la grande salle de l’Ecole morale.
    – Il est baigné de clarté quand il arrive à la chaire : ce sont les feux de la rampe. Les mains se joignent, il aspire des fluides avant d’en arroser les malades. C’est de la mise en scène, c’est de la comédie ! Cette pauvre Mme D... ne pouvait pas résister plus longtemps à de telles embuches... Elle voit Jésus, elle voit le Messie ! Il n’a garde de dire à Mme D... d’aller se noyer. C’est le moment de la curée. Il la plume, Il passe devant Mme D... avec le plateau des offrandes.”
    Me Bonehill, fort écouté, et qui, à tout moment, déclenche les rires, fait le compte des sommes déboursées par Mme D... Pour l’appartement qu’elle occupait à l’Ecole morale de Roux, pour le radiateur de la grande salle, pour l’achat de brochures. A propos de l’achat possible d’un terrain par Mme D... :
    – Il y a, dit-il, sur les bâtiments : „Ecole morale”. Il faudrait y substituer „Jeu de massacre”. Vous connaissez, Messieurs, ce jeu de marionnettes qui pivotent sur des tiges de fer. L’Ecole morale est un lieu de massacre. Au premier rang, les plus riches ; au fond, ceux qui feignent de croire au dorisme : hôteliers, artisans, etc. Ces marionnettes sont brèves, veules, des spectres, comme a dit le procureur du roi. Dor recule de dix pas, passe la main dans sa crinière. Il y a une marionnette qui vire, vire et revire : c’est Mme D... On va construire une maison à côté du Temple de la Vertu.”
    Me Lucien Lebeau. – Nous demandons l’expertise. Me Bonehill, un moment surpris, continue :
    – On dit à Mme D... que, dans l’intérêt de son progrès moral, elle doit s’enfermer dans cette maison, près des fluides producteurs. Dor lui dit, la prenant par la main : „Entrez dans la maison du Seigneur...” Après trois ans, Mme D... demande des comptes. Alors, c’est le courroux, la rupture : on doute du „Père”.
    Me Lucien Lebeau. – Rupture quand elle a demandé des explications.
    Me Bonehill conteste...
    – Mme D... est vieille. Pas d’héritiers. C’est la désincarnation prochaine. Les yeux de Mme D... sont dessillés...”
    Me Bonehill évalue la fortune du „Père”. En arrivant à Roux, il possédait 15,750 fr. Les bâtiments de Roux sont évalués à 55,000 francs. Dor consacre 18,000 francs à sa nouvelle installation, et destine le surplus des 55,000 francs (les bâtiments ont été mis en vente) à l’Ecole des estropiés de Charleroi „que je considère, dit Dor, comme la plus belle œuvre du monde”.
    – Essayez, dit Me Bonehill, de faire un don à cette école... Vous seriez bien reçu ! M. Pastur a les mains blanches comme l’hermine de sa robe et vous avez, vous, les mains noires ! Votre apport ternirait l’éclat de cette école. Vous n’aurez d’ailleurs jamais de refus, car vous ne donnerez jamais rien...”
    Les rudes coups que lui applique Me Bonehill ne troublent point la sérénité du „Père”. Il reste d’un calme extraordinaire.
    – Les témoins à décharge sont $suspects. Ils sont venus comme une meute déchiqueter Mme D... Ils font tout ce qu’ordonne le maitre charlatan. Je ne proteste pas contre ces infamies, car elles n’atteignent pas l’honorabilité de Mme D... On a oublié qu’en salissant le „premier ministre” on salissait toute l’Ecole. Il y a dans les Kermesses de Teniers des gens qui vomissent sans se garer de leurs déjections. Les témoins à décharge font penser à ces gens-là. C’est ignoble... Si cette femme était la libertine que vous dites, elle sort de votre Ecole. Jef Lambeau n’a jamais renié les faunesses qu’il pétrissait...”
    En terminant sa plaidoirie si vivante, si colorée, ou pourtant l’esprit a parfois semble-t-il, tenu lieu d’arguments, Me Bonehill s’écrie :
    – S’il était acquitté aujourd’hui, il serait demain l’Antéchrist !”
    Il est 1 heure. L’audience est levée et sera continuée à 3 heures.
    Cette fois – il était temps ! – de sévères mesures de police ont été prises. Le Palais de Justice est déblayé ; les alentours sont évacués. Rue de la Montagne et près de la gare, des groupes compacts attendent, longtemps...
    Le Messie, sa femme et une adepte ont fait un frugal déjeuner au Palais de Justice.

      LA DEFENSTE
PLAIDOIRIE DE Me Lucien LEBEAU
    A la reprise, à 3 heures, la parole et donnée à la défense.
    Après un hommage au tribunal, Me Lucien Lebeau fait d’abord observer que l’instruction de cette affaire trainait et qu’elle eût abouti à un acquittement si la plainte des C... n’était survenue.
    – Mme D..., animée d’un esprit de vengeance, a préparé une grosse montagne d’insinuations qui, elle aussi, a accouché d’une souris. Il n’y a pas eu de scandales à l’Ecole morale. Dans la brillante plaidoirie de Me Bonehill, il y a je ne sais quelle passion, comme si sa cliente l’avait enveloppé d’un fluide de vengeance. Me Bonehill a dit beaucoup de gros mots que j’ai été étonné d’entendre sortir de sa bouche. Quand on emploie des moyens qui dépassent le but, on nuit à sa propre cause. Puis, dans cette insistance à parler toujours du vrai Jésus pour l’opposer à celui-ci, il y a je ne sais quel appel peut-être inconscient à ce qu’il peut y avoir de religieux dans le cœur des juges. J’ai toujours entendu dire que lorsque les magistrats étaient croyants, ils se méfiaient plutôt de leurs propres sentiments. Donc, encore une fois, le moyen a dépassé le but.”
     Qu’est-ce que le dorisme ! Un phénomène d’ordre religieux, d’après Me Lucien Lebeau :
    – On a dit que l’homme était un animal religieux. C’est vrai. L’instinct religieux pousse l’homme à se troubler devant la Mort, devant le problème de l’Au-delà. Cette force le pousse à rechercher des sensations grandioses. A ce phénomène religieux se rattache la conversion. Comment sa réalise la conversion ? A la suite d’un événement important qui lui donne une secousse, l’homme se met à réfléchir au sens de la vie. Il s’aperçoit que ce qu’il prenait pour des réalités vraies était de mensongères réalités. L’homme change alors de conduite, il intervertit les valeurs de sa vie morale. Ce qui était au second plan passe au premier. Tolstoï, dans „Résurrection”, Ibsen, Pascal ont analysé du phénomène de la conversion. J’ose le dire : je rapproche ces exemples de phénomène doriste. Les doristes ont été l’objet de cette conversion. La plupart d’entre eux sont des malades. Un hasard les a mis en rapport avec M. Dor, qui leur a révélé la valeur mystique de la souffrance. Cette souffrance, a-t-il dit, sera un motif de résurrection. Dor leur enseigne que la douleur vient des fautes commises dans cette vie ou dans une autre. Il faut alors se dématérialiser, tuer ses passions. Le calme vient, et une grande satisfaction intérieure.”
    Me Lucien Lebeau, qui plaide avec une belle conviction et avec chaleur, conclut que les doctrines des doristes sont d’ordre moral et religieux.
    – Cette foi leur donne la sensation qu’ils ont enfin trouvé le bonheur. Ils se sentent délivrés des chaînes d’une vie antérieure. Ces gens ont rendu hommage à M. Dor avec un accent vibrant qui confine parfois au délire. Le dorisime est une religion créée par M. Dor. Voyez l’exemple de l’Angleterre. Tous les jours on rencontre, dans les grandes villes de l’Angleterre, des illuminés qui prêchent une nouvelle religion. Ce procès n’aurait pas eu lieu en Angleterre. C’est qu’en Angleterre il existe un sentiment religieux intense qu’on ne rencontre peint dans notre Wallonie moqueuse et sceptique.”
    Le prévenu a donné à ses adeptes la clef du bonheur :
    – Physiquement, ils sont guéris.
    Me Bonehill. – Morts...
    Me Lebeau. – Morts à l’ancienne vie si vous voulez. Pourquoi ses adeptes le consultent-ils encore ? Parce qu’il n’est pas seulement guérisseur, mais un chef de doctrine qui a su leur donner une foi. Cette commutation est capitale et doit, emporter l’acquittement.”
    Me Lebeau fait état de l’article 14 de la Constitution.
    – Condamner M. Dor serait s’ériger en juge de sa doctrine. Mais je vais plus loin : ou bien les doristes s’inclineront, et ils perdront la foi. Pour eux, ce serait un désastre moral, ce serait les décourager définitivement. Pouvez-vous enlever à des gens leur foi, alors qu’elle est bonne ? Votre respect serait hors de saison si le dorisme était nuisible. Les doristes pensent qu’il faut être bon, juste, sincère. Détromper ces gens et dire que la base de leur doctrine est fausse, serait commettre de mauvaise action. Ce sont de braves gens, ils ont droit à votre respect. Quand je vois des gens qui ont ainsi trouvé le bonheur, je me garde bien de sourire. Et si les doristes ne s’inclinent pas devant un jugement de condamnation ? Ils considéreront M. Dor comme un martyr. Ce sont eux qui seront surtout atteints, mais M. Dor grandira. Il eût fallu laisser le dorisme tranquille, et le dorisme aurait vécu ce que vivent les sectes. On vous demande, messieurs, une véritable persécution religieuse. Nous savons par l’Histoire que la persécution d’une secte n’a jamais servi qu’à susciter plus d’enthousiasme. La condamnation de M. Dor serait néfaste !”
    Mais si Dor n’était qu’un imposteur ? Me Lebeau va montrer au tribunal que Dor est sincère :
    – J’apporterai des preuves pour que vous disiez : il est possible qu’il soit sincère.” Je n’en demande pas plus.”
    Quand un homme est-il sincère ?
    – Sincère et insincère sont deux termes absolus. Chez l’homme, tout est relatif. Je pose donc ce principe : Quand un homme enseigne une religion, on doit le considérer comme sincère jusqu’à preuve du contraire. Quand un homme, en Belgique, ouvre une église, un tribunal ne peut pas le forcer à comparaître pour qu’il affirme sa sincérité. La bonne foi est toujours admise, en droit pénal comme en droit civil. Il est commode de dire : Dor a enseigné des choses extravagantes ; donc, il ne faut pas y croire. Halte-là ! Dans le domaine religieux, les choses déraisonnables et ridicules sont l’ordinaire „Creo quia absurdum”.La foi échappe à la raison banale, vulgaire.”
    On a ri au nez de Mahomet affirmant la visite de l’ange Gabriel : imposteur ! Il a du s’enfuir à La Mecque. Et depuis... Me Lebeau indique les points de tangence du bouddhisme et du dorisme. Le bouddhiste est un ascète, l’idée de Dieu est exclue du bouddhisme. Le végétarisme est imposé pour échapper aux passions animales.
    Me Bonehill. – le dorisme est donc un plagiat.
    Me Morichar, tronque. – Montrez donc une religion qui n’emprunte rien à aucune autre !
    Oui, que Me Bonehill montre cette religion-là. Mais Me Bonehill ne montre rien du tout.
    Avec une force d’argumentation qui semble faire une vive impression sur le tribunal, Me Lebeau, qui a la parole vive, mais nette, tranchante, montre le „Père” se conformant scrupuleusement à ses instructions, et cela encore, selon lui, prouve sa sincérité. Dor n’est pas riche : de ses fils, il fait des ouvriers. On fait des plaisanteries faciles sur ses livres : ce n’est pas un auteur-artiste ; son but est l’enseignement.
    On a dit qu’il n’ait pas l’auteur de ses livres et brochures. Qui donc les aurait écrits ? Qu’il se présente ! On a parlé de syndicat, de plagiat...
    Me Bonehill. – La voilà, la preuve !
    Me Morichar. – Pour quelques pages contenant des textes étrangers qu’il a trouvés à son goût, alors qu’il y a plus de trois cents pages dans son livre !
    Ms Lebeau. – J’apporte la preuve décisive. Voici des brouillons d’articles écrits de la main de Dor.”
    Le tribunal examine longuement ces brouillons.
    - Plagiats ? M. Dor a fait comme tant d’autres, comme Molière, somme Victor Hugo : il a pris son bien où il le trouvait.”
    Me Lebeau montre alors, par de nombreux faits, le désintéressement du „Père”. Il accepte notamment qu’on mette sur une margarine une vignette : „Margarine du Père Dor” ; il laisse croire que peut-être il bénéficie d’une commission, et il ne touche rien, rien...
    Il est 5 heures et demie. L’audience est levée. L’éloquent avocat continuera mercredi matin, puis ce sera le tour de Me Morichar, dont on attend la plaidoirie, pour ce qui est des attentats, avec une vive curiosité.

                               ***
    La foule est repoussée au loin, aux abords du Palais de justice. Des agents de police sont proposés à la garde du „Père”. Les manifestations font long feu.
    Tard, dans la soirée, on apprend que le Père Dor a vainement sollicité, une chambre dans de nombreux hôtels... Et le froid était vif. Quelle cruauté !...
    Ou quelle frousse...

                                  Pierre GRIMBERGHS

La Belgique, 19 novembre 1916 (journal publié pendant loccupation sous la censure ennemie)

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Interrogatoire de Dor le Messie (Le bruxellois, 19 novembre 1916)

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Interrogatoire de Dor le Messie (Le bruxellois 19 11 1916)

 

                  PALAIS DE JUSTICE

    TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE CHARLEROI. – Audience du 16 nov. – Interrogatoire de Dor « le Messie ». – Le Père Dor, interrogé, fait une profession de foi : « Je soulageais, je ne suis pas guérisseur ! » « Nos maladies proviennent de nos imperfections. Les médecins ne peuvent découvrir la cause des maladies. » « Mes adeptes deviennent leur propre médecin. » « Je suis le Messie du XXe siècle, à condition que l’on m’écoute », ajoute-t-il. Il aurait guéri Mme Beauvois, atteinte d’un cancer (et décédée d’inanition) (?)
    « C’est le fluide qui opéra alors encore, continue-t-il, et Mme Wéry n’a point failli mourir à la suite de traitement prescrit, non, mais elle parle, instiguée par un parent docteur, déclare-t-il. » Dor poursuit :
    « En 6 ans, avant de venir s’installer à Roux, il a récolté 24,000 fr. de bénéfices, avoue-t-il.
    « Antoine, de Jemeppe-sur-Meuse, était son oncle, et il « initie à la véritable vie », lui, Dor. Tout le monde peut devenir des Christ. »....
    Parlant de « la nature », de cet individu, qui, parcourant les rues, vendait des brochures, préconisant le régime végétarien (en un accoutrement bizarre). M. le Président dit : « Il est mort en prison, ce malheureux-là. »
    « C’est qu’il n’était point sincère », répond Dor. « Je vous comprends bien », M. le Président, « mais vous, vous ne me comprenez pas. » « Je suis tout puissant pour ceux qui sont dans la loi », ajoute-t-il.
    Dor nie presque tout ce dont les époux Chartier l’accusent. Il admet qu’ils ont distribué des brochures pour une somme de 1,200 fr. et pas de 1,500, puis il se pose en victime protestant de sa sincérité et de l’intégrité de ses mœurs, en dépit de ce qui est formulé contre lui.
    Il conteste la subornation des témoins appelés à la barre.
    Réquisitoire. – D’abord M. Mahause, substitut du Procureur du Roi, souligne l’ahurissement qui se dégage des débats. Il stigmatise les agissements du prévenu « danger social », qui a déjà produit maints malheurs et rappelle quelques-uns de ces incidents déplorables.
    – Dor, dit-il, use de manœuvres magnétiques, et il a prescrit, notamment, à des mères de ne donner aux nouveau-nés que de l’eau non bouillie et sucrée simplement, acte de criminel, sinistre farceur.
    En outre, Dor a encouru la haine du docteur et du pharmacien, et la jurisprudence constante incrimine ce qui lui est reproché, explique M. Mahause, au point de vue droit, judicieusement.
    La doctrine est irréfutable en ce sens-là. Dor achetait, par exemple, des brochures 0 fr. 80, et il les revendait 2 fr. 50, continue-t-il. Le tronc s’emplissait rapidement aussi. Restaurateur, mécanicien, Christ ; Dor réussit, à l’aide de mensonges et de fausses qualités. Il a fait usage d’une pompeuse mise en scène, de nature à troubler les esprits faibles. Une réclame tapageuse intervenait en faveur de ce « désintéressé », qui remplaça les troncs par un plateau. Quant aux dons volontairement donnés, en l’occurrence, ils peuvent être considérés comme délictueux en quelque sorte.
    « La philosophie de Dor est fondée sur le désintéressement des autres, ajoute l’honorable organe de la loi, en examinant tous ses exploits. Dor répudia publiquement une désabusée, après l’avoir déclarée cause d’un décès certifié irréalisable par lui, Sublime charité prêchée ! oui, et il n’est certes point l’auteur de ses brochures. »
    Mtre Bonnehil riposte à Mtre Lebeau : « Je vous le dirai demain. »
    Terminant, M. Mahaux fait état de la luxure qui régnait au « temple de la Vertu », où Dor se livrait à des actes immoraux. Enfin il montre Mme Delisée conspuée par les partisans de l’inculpé, ayant agi sous l’influence néfaste de Dor. Mtre Mahaux considère comme des « anémiés » ceux-là qui déposèrent par ordre. Il y a lieu de s’en défier sans oublier que beaucoup n’osent s’avouer trompés. M. Mahaux insiste sur la perversité de Dor, et réclame sa condamnation. La 13e heure approche, l’auditoire esquisse des mouvements d’approbation, et la foule, qui emplit jusqu’à la salle des pas-perdus, poursuit Dor. Elle se grossit de tous ceux qui n’ont pu entrer au palais et les coups de sifflets assourdissants retentissent longtemps. La séance est levée. (R. N.)

Le bruxellois, 19 novembre 1916 (journal publié pendant l’occupation sous la censure ennemie)

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La justice et les Antoinistes - Père Dor (Journal de Liège et de la province, 24 février 1914)

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La justice et les Antoinistes - Père Dor (Journal de Liège et de la province 24 02 1914)       La justice et les Antoinistes

    On a parlé à diverses reprises du Père Dor, le neveu d’Antoine le Guérisseur, et du temple qu’il a élevé entre Roux et Courcelles.
    Lundi matin, une centaine de personnes, hommes et femmes, appartenant pour la majorités à la classe bourgeoise, étaient réunies dans le temple, écoutant religieusement la prêche du Père Dor, quand les magistrats du parquet de Charleroi, escortés de huit gendarmes, firent leur entrée.
    Les pandores se placèrent devant les portes de façon à laisser entrer les nouveaux arrivants, mais une fois dans la souricière on n’en sortait plus.

    Le Père Dor descendit de sa chaire et suivit les magistrats dans son bureau. On perquisitionna partout, mais on ne trouva que des brochures traitant exclusivement de propagande végétarienne.
    La justice n’aime pas les thaumaturges et on croyait bien pouvoir, cette fois, poursuivre le Père Dor pour exercice illégal de la médecine, mais le neveu d’Antoine le Guérisseur présenta sa défense de façon fort adroite.
    Tout d’abord, c’est avec l’argent provenant de la vente de ses quelques propriétés qu’il construisit son premier temple qui bientôt fut trop petit pour recevoir les nombreux fidèles qui se présentaient chez lui. Des dons volontaires déposés dans les troncs par les visiteurs, lui permirent d’édifier le temple actuel.
    – Je ne m’immisce en rien dans l’art de guérir, a dit le Père Dor. Je ne donne aucun médicament, je n’en prescris aucun, je ne conseille aucun traitement. Je me borne, lorsqu’on me consulte, de diagnostiquer le mal dont souffrent ceux qui s’adressent à moi. Je ne demande aucune rétribution. Je vends ma brochure végétarienne au prix uniforme de 2 fr .50 à tout le monde, qu’ils aient ou non eu recours à moi.
    Les magistrats, avant de se retirer, ont pris le nom de toutes les personnes présentes à l’office antoiniste.
    Pendant tout le temps que le parquet a passé dans le Temple, le père Dor a été l’objet d’ovations frénétiques de la part de ses fidèles et si cette descente de justice n’a pas pour résultat des poursuites contre lui, elle aura certainement contribué à accroître encore sa popularité.

Journal de Liège et de la province, 24 février 1914

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Discours du Jour de la Toussaint (Père Dor)(1913)

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Discours du Jour de la Toussaint (Père Dor)(1913)

    Avec plusieurs illustrations : sa maison natale, et une photo de lui en pied.

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Maison natale du Père Dor (complet)(in Discours du Jour de la Toussaint)

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Maison natale du Père Dor (complet)(in Discours du Jour de la Toussaint)

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Maison natale du Père Dor (in Discours du Jour de la Toussaint)

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Maison natale du Père Dor (in Discours du Jour de la Toussaint)

     Maison qui a vu naître
                notre PÈRE à Tous
Nous disons notre Père car Lui seul nous a donné les moyens de naître à la Véritable Vie.

in Discours du Jour de la Toussaint

 

    Des excursions y étaient organisées depuis Roux.

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