Les sectes religieuses en Belgique : Le culte israélite (La Lanterne, 6 mai 1950)(Belgicapress)
Les sectes religieuses en Belgique : Les Russes (La Lanterne, 9 mai 1950)(Belgicapress)
Les sectes religieuses en Belgique : Les antoinistes (La Lanterne, 16 mai 1950)(Belgicapress)
Les sectes religieuses en Belgique
Les antoinistes
Le Père Antoine, né à Mons-Crotteux (province de Liège), en 1846, appartenait à une pauvre famille d'ouvriers mineurs.
Après plusieurs séjours à l'étranger, en Allemagne et en Pologne, il s'installa définitivement à Jemeppe-sur-Meuse où vers l'âge de 60 ans, il commença la prédication d'une nouvelle religion fondée sur le désintéressement et l'amour actif du prochain.
L'originalité de la religion antoiniste se trouve dans son extrême libéralisme à l'égard des autres croyances. Elle admet en son sein des pratiquants de toutes les religions et des incroyants. Elle n'exige même pas de ses fidèles la soumission à tous les principes de la morale antoiniste. Même à cet égard, elle ne propose aucune règle obligatoire. Les antoinistes professent qu'aucun enseignement moral ne peut se concevoir en dehors de la pratique des vertus dont le fidèle a admis l'excellence.
Les antoinistes opposent la foi à la croyance, laquelle implique, à leurs yeux, un élément de doute. La foi antoiniste repose sur une certitude indépendante de l'intelligence, celle-ci ne nous ménageant aucun accès dans le domaine des vérités morales. Dieu n'est pas un Etre supérieur isolé dans l'univers. Il n'est en somme, pas autre chose, que l'Amour que nous témoignons à notre prochain. La réalisation la plus parfaite de la foi antoiniste se trouve dans l'amour que nous avons pour nos ennemis.
Le Père Antoine était un « guérisseur » ; ses disciples croient à la valeur curative de la foi ; les maladies du corps n'étant qu'une conséquence de l'imperfection de l'âme.
Le cérémonial du culte antoiniste est extrêmement simple. Il consiste dans la lecture de l'enseignement du Père et le recueillement. La seule figure représentative du culte est l'Arbre de la Science de la Vue du Mal.
La religion antoiniste, dont le centre est situé à Jemeppe-sur-Meuse, dans l'ancienne demeure de son fondateur, compte des nombreux adeptes en Belgique. Ceux-ci se réunissent dans une trentaine de temples, dont la plupart se trouvent en Wallonie.
La Lanterne, 16 mai 1950 (source : Belgicapress)
Les sectes religieuses en Belgique : Les antoinistes (La Lanterne, 16 mai 1950)(Belgicapress)
Les sectes religieuses en Belgique
Les antoinistes
Le Père Antoine, né à Mons-Crotteux (province de Liège), en 1846, appartenait à une pauvre famille d'ouvriers mineurs.
Après plusieurs séjours à l'étranger, en Allemagne et en Pologne, il s'installa définitivement à Jemeppe-sur-Meuse où vers l'âge de 60 ans, il commença la prédication d'une nouvelle religion fondée sur le désintéressement et l'amour actif du prochain.
L'originalité de la religion antoiniste se trouve dans son extrême libéralisme à l'égard des autres croyances. Elle admet en son sein des pratiquants de toutes les religions et des incroyants. Elle n'exige même pas de ses fidèles la soumission à tous les principes de la morale antoiniste. Même à cet égard, elle ne propose aucune règle obligatoire. Les antoinistes professent qu'aucun enseignement moral ne peut se concevoir en dehors de la pratique des vertus dont le fidèle a admis l'excellence.
Les antoinistes opposent la foi à la croyance, laquelle implique, à leurs yeux, un élément de doute. La foi antoiniste repose sur une certitude indépendante de l'intelligence, celle-ci ne nous ménageant aucun accès dans le domaine des vérités morales. Dieu n'est pas un Etre supérieur isolé dans l'univers. Il n'est en somme, pas autre chose, que l'Amour que nous témoignons à notre prochain. La réalisation la plus parfaite de la foi antoiniste se trouve dans l'amour que nous avons pour nos ennemis.
Le Père Antoine était un « guérisseur » ; ses disciples croient à la valeur curative de la foi ; les maladies du corps n'étant qu'une conséquence de l'imperfection de l'âme.
Le cérémonial du culte antoiniste est extrêmement simple. Il consiste dans la lecture de l'enseignement du Père et le recueillement. La seule figure représentative du culte est l'Arbre de la Science de la Vue du Mal.
La religion antoiniste, dont le centre est situé à Jemeppe-sur-Meuse, dans l'ancienne demeure de son fondateur, compte des nombreux adeptes en Belgique. Ceux-ci se réunissent dans une trentaine de temples, dont la plupart se trouvent en Wallonie.
La Lanterne, 16 mai 1950 (source : Belgicapress)
Les sectes religieuses en Belgique : Les « anticondordataires » de Hal (La Lanterne, 17 mai 1950)(Belgicapress)
Les sectes religieuses en Belgique : La « Watch Tower » proteste (La Lanterne, 20 mai 1950)(Belgicapress)
Louis Antoine au fond de la mine (Le Peuple, 20 janvier 1936)(Belgicapress)
Louis Antoine au fond de la mine
Episode de la vie d’Antoine le Guérisseur
Robert Vivier publie, ces jours-ci, aux Editions Grasset, à Paris, une vie romancée du Père Antoine, présentée sous le titre : « Délivrez-nous du mal ».
De ce livre étonnant de vérité par son affabulation même, nous détachons ce passage qui nous montre le jeune Louis Antoine travaillant au fond d'un charbonnage, au pays de Liége.
*
* *
C'était un étrange monde que la mine. On y était entre hommes, et souvent seul, en tête à tête avec le travail, peut-être avec le danger, – car savait-on jamais ce qui pourrait arriver dans cette nuit étouffante et chaude, au bout des galeries basses, tournantes, que peuplait le bruit actif et angoissé des pics et où dansait de-ci de-là la flamme d'une lanterne ?
En ce temps-là, les mineurs s'éclairaient de chandelles de suif, « chandelles à la graisse », comme on disait dans le pays. Seule compagne de l'ouvrier, faible souvenir du jour, de la lumière rayonnante d'en haut, la lamponette éclairait vaguement les épaisseurs noires, faisait jaillir de l'ombre un rail, un bout de solive, une aspérité des parois ténébreuses. Un courant d'air pouvait l'éteindre, et l'on se trouverait tout à fait seul, guettant le signe humain du pic dans la taille voisine. Et il y avait aussi les gaz, forces sournoises qui guettaient la flamme sous le verre poissé de la lampe.
Louis fut d'abord un « gamin », qui aidait son père et son frère Eloi, emmenant les pierres du déblai, apportant les bois d'étayage, puis un « hiercheur » poussant la benne pleine et ramenant en sifflant la benne vide. Il y avait d'autres gamins, de plus jeunes même, car à l'époque il n'était pas rare qu'on truquât l'état-civil pour que des garçons de dix ans descendissent à la mine comme s'ils en avaient eu douze. A la pause, quand on se rassemblait à un carrefour de galeries pour casser la croûte, les gamins se tenaient ensemble et écoutaient les adultes parler du travail, rappeler quelque accident d'autrefois, ou bien faire allusion à des choses d'en haut, très lointaines : le jardin, la santé des enfants, une histoire de jeu de cartes ou de cabaret. Parfois les petits se faisaient des farces et se battaient. Mais la plupart du temps ils étaient trop fatigués et il s'agissait de profiter du repos, parce que le porion allait venir et crier en frappant dans ses mains :
– Allons, les hommes !
Quand la cage remontait les mineurs après la journée, il était étonnant de retrouver l'air pur, le ciel immense, les maisons, l'herbe. Quelle douceur dans les soirs de la fin de l'été... On sentait sa fatigue en soi, elle vous faisait comprendre l'existence du corps. Tandis que les mineurs rentraient au village, c'était la fatigue qui leur donnait ce pas régulier, ce balancement, et qui continuait à les unir, les mettant à part des gens qu'ils croisaient. Bien plus que leurs sarraux, leurs chapeaux de cuir et leurs figures noires où brillaient les yeux, c'était cette lassitude, ce poids des membres, qui les faisaient ceux de dessous la terre, ceux pour qui le mouvement de l'outil au bout du bras est la seule étincelle de vie au long des heures sans couleur. A côté d'un tel sort, n'est-ce pas une bénédiction que de passer ses journées sous le ciel du bon Dieu, comme le charron, le laboureur, les maçons, le cantonnier ou les rouliers qui conduisent des chariots sur les routes, assis sur le timon, le fouet à l'épaule ? Pour tous ces gens-là il y a du beau temps et de la pluie, il y a des oiseaux dans les arbres, un chat sur un seuil.
Louis faisait courageusement sa besogne, comme les autres, mieux que les autres peut-être. Il éprouvait cette fierté spéciale du mineur, qui lui vient de savoir que nul au monde n'a un métier aussi dur que le sien, et que pourtant il s'en tire, qu'il recommence chaque jour.
Cependant le garçon grandissait. Il avait maintenant de larges épaules, un air d'homme, et le travail lui donnait des muscles solides comme des cordes. Il était devenu « haveur », c'est-à-dire qu'il taillait la veine. Couché sur le côté, s'appuyant sur le coude et la hanche, il détachait de la pointe du pic des blocs de houille. C'était un travail difficile, parce que l'espace manquait pour l'élan du bras. Le charbon détaché roulait le long de son corps, et il le repoussait du genou et du pied vers le bas de la taille. Ainsi pendant des heures. La bouche remplie de poussière de charbon qu'il devait cracher, ayant soif, le torse ruisselant, il haletait dans cet air moite où les narines s'inquiétaient de humer l'odeur du gaz. Pour toute compagnie la petite lampe, calée à côté de soi et qu'il fallait déplacer quand le travail avançait, – et puis un peu plus loin, en bas et en haut, lorsqu'on s'arrêtait pour souffler, le tapotement assourdi des pics des autres hommes de l'équipe. Il ne fallait pas souffler longtemps, parce que l'ingénieur voulait ses dix mètres d'avancement, minimum, et coûte que coûte le nombre de chariots devait être atteint. Au moindre arrêt dans le havage, les bennes vides s'accumulaient dans la galerie.
Si bien qu'il arriva un jour où le jeune homme se demanda : « Est-ce une vie, cela ? » Il y a comme cela des idées qu'on n'a jamais eues, mais qui, lorsqu'elles vous sont venues une fois, ne s'en vont plus. N'y avait-il pas mieux à faire pour lui que de ramper et souffrir sous la terre, écouter si la roche ne bouge pas, s'il n'y a pas de craquements dans le bois ! Il aurait été bon de continuer à s'instruire : celui qui sait s'élève dans le monde, il rend service à tous et arrive à donner aux siens plus de bonheur. Mais à présent il partait avant le jour, rentrait à la nuit (en hiver, bien après la nuit close), et, une fois à la maison, après s'être lavé des pieds à la tête et avoir mangé, il n'avait plus le courage de lire une ligne. Il oubliait même ce qu'il avait appris à l'école.
Depuis deux ans il travaillait à la mine, et qu'est-ce qu'il n'avait devant lui sinon de continuer jusqu'à ce qu'il ne fût plus bon à rien ? Il commençait la vie, et c'était comme si elle eût été près d'être finie. Il avait déjà telles manières des vieux ouvriers : chiquer (une habitude qu'on prend parce qu'il est défendu de fumer dans la taille, à cause du gaz), cracher de côté, remonter des deux mains la culotte sans bretelles. Les autres mineurs de son âge étaient fiers de prendre de telles manières, qui faisaient d'eux des hommes. Ils aimaient aussi jurer, à blasphémer, comme des adultes à « dire des crasses ». C'était parce qu'ils n'imaginaient même pas un autre sort. Mais lui ne pouvait se contenter à si bon compte. Il comprenait que ce n'était pas là la vie qu'il lui fallait. Tout change. Les fils ne sont pas les pères. Et si même son frère Eloi allait à la mine, ainsi que son parrain Louis Thiry, est-ce que Jean-Joseph y alla lui ? Louis n'était pas pire que Jean-Joseph.
Un de ses camarades de Mons travaillait à Seraing chez Cockerill. Il le rencontra un dimanche. Ils allèrent boire « une goutte » ensemble au cabaret de la Nanette, près de l'église. Et là, dans un coin, tandis que les habitués du dimanche jouaient aux cartes, l'ami lui parla longuement de son travail à l'atelier de chaudronnerie. Naturellement il y avait la route à faire, une heure et demie deux fois par jour, et le soir en remontant. Cela pouvait être dur, surtout l'hiver, par mauvais temps. Mais tout de même c'était une besogne d'hommes, on voyait le soleil et la figure des gens. On ne pouvait pas comparer cela à la mine.
Le soleil du dimanche (le seul que Louis vit jamais) se glissait par la petite fenêtre sur le dallage du cabaret. Un pinson sautillait mélancoliquement dans sa cage. On le distinguait à peine derrière les barreaux, car la cage était toute petite. L'oiseau s'agitait là-dedans et s'agiterait jusqu'à la mort sans rien avoir d'autre, comme Louis Antoine s'il continuait à descendre à la houillère. Et comme on lui avait crevé les yeux, suivant la coutume, pour qu'il pût mieux chanter, il était lui aussi privé de lumière, comme les mineurs.
Quand Louis rentra à la maison, Tatène était seule, à peler des pommes de terre. De temps en temps, une grosse pomme en tombant faisait sonner le fond du seau. Alentour, c'était le silence des fins de dimanche. Un accordéon jouait. On avait le cœur doux et triste. Le dimanche, le court dimanche, allait finir. Antoine s'était assis sur une chaise de paille. Il faisait déjà sombre dans la cuisine.
– Qu'avez-vous, notre Louis ? dit la mère. Vous ne racontez rien.
C'est alors qu'il se décida.
– J'étouffe dans la mine, maman. Je ne veux plus y aller.
– Bien-aimé Seigneur, que dites-vous là, mn'éfant ?
Elle s'était arrêtée et le regardait.
C'était Louis, son préféré. Elle se souvint qu'elle avait rêvé pour lui une autre vie que les autres, parce que c'était son dernier. Et maintenant voilà qu'il voulait partir, sans doute à cause de ce rêve qu'elle avait fait pour lui. Mais elle était sage et prudente. Tatène, – la vie lui avait appris à être prudente. Combien gagnait-on, là-bas, à Cockerill ? Elle supputait tout : et les gros salaires de la mine, et le fait qu'ici il travaillait avec son père et son frère, tandis que là c'était loin, dans un autre village. Tout était à considérer.
Le jeune homme aussi hésitait. Il est toujours difficile de changer, d'inventer sa vie. Ici il y avait les habitudes, tout un arrangement qui vous menait : on n'avait qu'à se laisser conduire. C'était dur, certes, mais le pli était pris.
Il alla se coucher, et le lendemain il se leva et alla à la mine comme de coutume.
Il travaillait seul dans une taille fort étroite. Son père et son frère étaient un peu plus loin. Il entendait leurs coups de pic, mais ne voyait pas leurs lampes. Tout en creusant, il songeait. L'idée de Cockerill ne le quittait pas. Une idée, c'est fort : cela chemine en vous. Il voyait la longue route pierreuse qui descend à Seraing par Hollogne et Jemeppe, le pont sur la Meuse, les grands ateliers de Cockerill, toujours retentissants du bruit des métaux, comme une ville immense. Ce monde étranger l'attirait. Mais les yeux de Tatène étaient sur son cœur, et il se sentait retenu comme si l'inquiétude de sa mère avait été logée dans sa poitrine ainsi qu'un vrai poids. Il s'arrêta de frapper et se recueillit élevant sa pensée à Dieu comme il ne l'avait jamais fait jusque-là, – non plus avec les mots d'une prière, mais dans une interrogation muette et anxieuse comme si Dieu allait lui dire, ici même au fond de la terre où il était si seul, ce qu'il avait à faire en toute certitude.
Brusquement, sans qu'il y eût eu le moindre courant d'air, sa lampe à côté de lui s'éteignit, et il se trouva dans l'obscurité complète.
En même temps il eut une impression extraordinaire, comme si c'était à travers son corps que le courant d'air eût passé.
Cette lampe, éteinte au moment précis où il demandait, c'était un mot, une réponse. La compagne du mineur, à sa manière de lampe, venait de dire : « Non ».
Il y eut une lumière, deux lumières. La voix de Martin haletait :
– Qu'y a-t-il donc, Louis ?
Les autres étaient là, avertis on ne sait comment. Ils s'étonnaient. Ils ne comprenaient pas pourquoi seule la lampe de Louis s'était éteinte. Il n'y avait pas de gaz pourtant... Chacun avait l'impression qu'il venait de se passer quelque chose d'étrange.
– Père, dit Louis, cela veut dire que je ne dois plus descendre à la mine.
Et il raconta tout : son désir, son incertitude, sa prière et puis tout à coup, sans cause apparente, cette lampe qui s'éteint.
– Il doit y avoir une raison à cela. Les choses ne viennent pas ainsi, sans raison.
Ce fut le père qui raconta l'histoire à la maison, le soir. Tout le monde fut d'accord : Louis ne devait plus descendre à la mine. D'ailleurs, l'un de ses frères, déjà, n'avait pas pris le métier du père... Que savons-nous, petits hommes ? Il y a des signes contre lesquels il vaut mieux ne pas aller.
Louis ne mit plus le pied sur les marches de fer qui montaient à la « recette ». Il n'alla plus prendre sa lampe à la lampisterie, tandis que la cloche appelle les hommes à la descente. Il ne s'accroupit plus dans la cage qui se met à glisser vers le fond même de la terre, il ne suivit plus le long des « bouveaux » étouffants, la file des dos voûtés qu'éclairent vaguement les lampes balancées. Il n'entendit plus, pendant des heures, des pics frapper, la houille s'effondrer et les hommes souffler et gémir. Mais il n'oublia jamais tout cela.
Le Peuple, 20 janvier 1936 (source : Belgicapress)
Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 30 novembre 1916)(Belgicapress)
LE PÈRE DOR
EN CORRECTIONNELLE
LES ALÉAS DE LA DIVINITÉ
Audience du 29 novembre (matin)
Une foule énorme se pressait, dès 6 heures du matin, devant les portes, encore closes, du Palais de Justice. Avec une patience toute doriste, les nombreux adeptes se sont empaquetés comme de véritables sardines dans l'auditoire de la 5° chambre, où la chaleur était vraiment insupportable.
Deux femmes s'y sont trouvées mal et ont eu une syncope.
Aussitôt emportées et soignées, elles ont ensuite repris leurs sens et... leur place dans cette atmosphère surchauffée.
L'entrée du prévenu ne suscite aucune curiosité outrée.
L'audience est ouverte à 9h. 30. M. le Président donne la parole à Me Lucien Lebeau.
L'honorable avocat déclare qu'avant de continuer son argumentation il verse au dossier deux lettres dont l'une concerne les dommages et intérêts qu'aurait pu toucher éventuellement le Père Dor lors de son procès contre « Le Rappel ».
Il voulut les verser au profit de l'Ecole des Estropiés.
Les gens qui consultaient le Père Dor avaient une confiance dans ce dernier et ils exagéraient parfois leur confiance : c'est ce que le prévenu leur reprochait parfois.
La foi ne connaît pas des limites strictes. Si l'intention est bonne, le procédé est licite.
Me Lebeau en arrive à la vente des brochures et des livres.
Cette vente était faite par les adeptes et de leur plein gré.
Qu'a-t-il retiré de cette vente ? A-t-on le droit de discuter les bénéfices du Père Dor ?
On n'a pas le droit de vérifier ces bénéfices, car puisqu'il est établi qu'il y a exercice de culte, le pouvoir judiciaire n'a pas le droit d'intervenir et de vérifier les comptes ; c'est contraire à l'esprit de l'article 16 de la Constitution.
Me Bonehill a dit qu'à son entrée à l'Ecole morale M. Dor n'avait qu'une somme d'environ 15.000 francs. Cela est faux car, en outre de cette somme, il possédait en banque un dépôt d'une somme de 5000 fr.
Il a ensuite remis son commerce contre le paiement d'une somme de 7500 francs.
Avec quelques autres sommes qu'il possédait encore on arrive à un total de 27.000 francs.
Cet homme, au lieu de faire fortune, vend plutôt ses propriétés et retire de la Banque des sommes qu'il y avait mis en dépôt.
Le volume « Christ parle à nouveau » lui revenait à 70 centimes. Il n'y a eu qu'une édition. Cet ouvrage a été tiré à 10.000 exemplaires.
Il en a été vendu 5050 à raison de 2 fr. 50 le volume d'où un bénéfice de 9000 francs depuis l'année 1913.
Il a fait éditer 2000 brochures « Ere Nouvelle ». Ces brochures lui coûtaient environ 50 centimes, d'où un bénéfice de 1400 francs.
Bref, le bénéfice total réalisé sur ces différentes brochures vendues se montent à 36,000 francs.
L'actif de M. Dor est donc de 51,000 francs.
Tous ses capitaux sont immobilisés dans des bâtiments, sauf un dépôt de 12.000 frs à la Banque.
M. Dor ne veut pas que son capital grossisse et s'il devait en être ainsi, il verserait le surplus à une œuvre telle que celle de l'Ecole des Estropriés.
Me Bonehill fait un signe de dénégation.
Me Lebeau donne lecture d'une lettre datée du 23 février 1914.
Me Bonehill. – Un mois après la descente du Parquet
Me Lebeau. – Cette lettre conserve toute sa valeur car elle prévoyait simplement le paiement d'une rente viagère à l'épouse de M. Dor.
Ce projet fut abandonné et cet argent servit à construire l'immeuble de Roux.
Il y a certainement eu intention, de la part de M. Dor un projet sérieux de céder son immeuble de Roux, à l'Ecole des Estropiés, ainsi qu'en témoigne une lettre écrite par M. Pastur à M. Dor.
M. Pastur regrette de ne pouvoir envisager l'offre et ce, en raison des événements actuels.
Me Bonehill. – A quelle date cette lettre fut-elle écrite ?
Me Lebeau. – En juin 1916, M. Dor n'a plus actuellement aucun capital, ses capitaux sont épuisés.
M. Dor a dû remettre un tronc à l'école morale au moment où il devait comparaître en justice.
Les bâtiments de Roux ont une apparence très grande et si M. Dor avait été un escroc, il n'eut pas donné des dimensions grandioses à son temple.
Ces bâtiments sont difficiles à vendre car ils ne conviennent pas à tout genre d'exploitation.
Il n'y a aucune hypothèque sur ces bâtiments ; voilà encore une preuve de l'honnêteté de M. Dor.
Celui-ci a emprunté de l'argent pour faire construire et au lieu de les hypothéquer il augmente l'importance des bâtiments.
Est-ce l'œuvre d'un escroc que de donner des garanties à ses créanciers ?
Non, et à supposer que ce soit un escroc, le tribunal se trouverait en présence de questions insolubles. En voilà assez avec les escroqueries générales.
L'intention frauduleuse n'existe pas et les actes de M. Dor ont été conciliés avec ses principes qui sont des plus purs.
Me Lebeau montre au tribunal l'humble tronc qui était déposé au temple. Il n'y avait pas de richesses cachées, ainsi que l'a affirmé M. le Procureur du Roi.
Le Dorisme est bien un phénomène religieux. Il faut laisser tranquille M. Dor.
En provoquant ce débat, on empiète dans le domaine privé, car en reconnaissant le caractère religieux, le tribunal devra juger d'après l'article 14 de la Constitution.
Le Père Dor a des ennemis qu'il ne connaît pas.
Il habite une petite commune où il attaqua le culte catholique et même certaines tendances socialistes.
Dans certaines familles, il y a des conversions au dorisme. Il est fatal que des membres de ces familles voyant d'un mauvais œil ces conversions en veulent à M. Dor.
Mme Boulvin, cette antoiniste, adepte d'une religion qui attaque le Dorisme, est venue déposer contre le prévenu avec cette manie qui caractérise les gens qui pensent différemment.
Tout le monde ne voit pas de la même façon.
Il y en a qui sont malicieux, d'autres mystiques.
Certains témoins ont déposé d'une façon erronée.
A la suite des interrogatoires faits par les gendarmes ceux-ci ont mis dans la bouche de certaines personnes des mots qu'elles n'ont pas prononcés.
Les mots « passes magnétiques » n'ont jamais été prononcés, par exemple, et s'ils ont été consignés dans un procès-verbal, c'est le fait des gendarmes eux-mêmes.
Le tribunal devra puiser des renseignements dans les principes de M. Dor et pas ailleurs.
Les plaintes des époux Chartier et de Mme Delisée sont l'œuvre de gens intéressés.
A qui a-t-on à faire ? Pirson ne connaissait pas Mme Delisée avant cette affaire. Elle sort de Bruxelles où on se cache mieux que dans un bois. C'est une divorcée. A priori, on ne peut avoir aucune espèce de confiance dans le témoignage de cette dame.
Me Lebeau discute alors le ménage Chartier.
Mme Chartier lorsqu'elle est entrée à l'école morale était atteinte de nombreuses affections.
C'était, dit l'honorable avocat, parce que cette dame, ancienne charcutière, avait mangé trop de sa marchandise. (Hilarité prolongée).
M. Chartier a prononcé un discours de reconnaissance à l'adresse de M. Dor.
Ce discours a été reproduit dans la brochure « L'ère nouvelle ».
Une série de témoins ont déclaré que Mme Chartier et son mari avaient voué à M. Dor, une grande reconnaissance, car ce dernier les avait guéris, en les engageant vers la sobriété et le végétarisme.
En faisant étalage de leur petite fortune, les époux Chartier ont fait certains dons à l'Ecole Morale, mais y a-t-il manœuvre frauduleuse ? Non.
M. Chartier qui était assez corpulent, avait chaud lorsqu'il se trouvait dans le temple ; il a fait placer un ventilateur sous lequel il s'asseyait aux jours des réunions pour bien montrer qu'il en était le donateur.
Quant aux casiers, ils ont été offerts pour y remiser les livres. Quel est le profit qu'en a retiré M. Dor ? Aucun ?
Quant à la vente des brochures, elle a été faite par prosélytisme.
M. Dor n'aimait pas beaucoup les Chartier, car le mari était très vaniteux et la femme, qui donnait les tickets, se permettait de donner elle-même des conseils hygiéniques.
Quand M. Dor partit pour Bruxelles, ils ne le surent que quelques jours après et encore par une tierce personne.
Ils en eurent leur vanité blessée ; cette vanité tua leur foi. Ils furent déshypnotisés.
Il y a dans le dossier deux pièces capitales ; ce sont les plaintes des époux Chartier et de Mme Delisée.
C'est Me Bonehill qui a rédigé ces plaintes, celles-ci ont été très bien rédigées.
Après une véritable instruction contradictoire, car au préalable Me Bonehill avait sommé M. Dor de rembourser les sommes données par ses clients.
Me Lebeau répondit lui-même et énuméra les sommes que son client avait reçues de Mme Delisée sans cependant les avoir sollicitées.
M. Dor déclarait alors que son ancienne adepte pouvait reprendre tout ce qu'elle avait donné.
Quant aux brochures, les époux Chartier et Mme Delisée les ont achetées et vendues de leur plein gré.
La plainte rédigée par Me Bonehill était donc complète car elle l'a été après la lettre écrite par Me Lebeau qui répondait point par point aux allégations des époux Chartier et de Mme Delisée.
Toute la plainte de ceux-ci, est de croyants qui ne croient plus, ainsi qu'en témoigne la déposition que fit M. Chartier devant M. le Juge Vandam.
Le plaignant Chartier et Mme Delisée quelques jours après leur audition par M. le juge Vandam, écrivent à celui-ci : « J'ai oublié de vous dire que j'ai été hypnotisé. » C'est pourquoi Me Bonehill dans sa plaidoirie a été excessivement sobre sur l'hypnotisme.
Cet hypnotisme est une invention mensongère.
Jusqu'au jour de l'audience, qui avait été hypnotisé ? le mari, uniquement. C'est la femme qui donne, elle on ne l'hypnotise pas, on procède à cette opération sur le mari qui ne paie pas. (Rires).
Il est vrai qu'à l'audience l'épouse Chartier a déclaré qu'elle-même avait été hypnotisée.
Cette ultime déclaration a du lui être suggérée.
M. Dor a voulu rembourser et ce n'est pas là le geste d'un escroc.
Concernant la plainte de M. Chartier, c'est la fille de Mme Chartier qui l'a suggérée.
Me Lebeau discute la vie privée de certaines personnes.
M. le Président engage Me Lebeau à ne pas continuer à fouiller la vie privée des témoins.
M. le Procureur du Roi proteste à son tour.
Me Morichar. – Je démontrerai à M. le Procureur Roi qu'il a parlé de la même façon lors de son réquisitoire.
M. Mahaux. – Je n'ai avancé aucune parole de mauvais goût.
Me Lebeau. – Mme Delisée avait prétendu que M. Dor l'avait engagée à quitter Bruxelles. Or, à l'audience, elle a reconnu que c'était elle qui en avait manifesté le désir.
Mme Delisée faisait partie d'une société de spiritisme. Elle avait, malgré son âge, des tendances passionnées. Après une vie orageuse, elle avait rêvé de vivre d'une façon plus calme et elle a trouvé, dans le Dorisme, des félicités inconnues. Elle a offert ses services.
M. Dor commençait alors ses séances dans sa grande salle ; il avait besoin de personnel et il a agréé les services de Mme Delisée qui lui offrit continuellement de l'argent.
Mme Delisée prétend maintenant qu'elle n'en pouvait rien, qu'elle était hypnotisée. C'est évidemment une manœuvre de la dernière heure.
Quand Mme Delisée offrit à M. Dor le chauffage central c'était évidemment dans le but de le dédommager des frais que nécessitait son entretien.
Mme Delisée était en réalité le secrétaire du Père Dor et elle en était fière, car elle faisait la figure d'un personnage important très considéré par les adeptes.
Cette femme avait un sentiment humain et un prosélytisme réel.
Elle se livrait au colportage des brochures d'une façon assidue.
Elle avait le désir de se faire de l'Ecole Morale un asile de vieillesse ; mais lorsque M. Dor partit pour Bruxelles, elle vit s'écrouler tout ce beau rêve, d'où sa vengeance.
Pourquoi M. Dor n'a-t-il pas emmené avec lui Mme Délisée ? Précisément parce que cette dernière était une cause de discorde dans le ménage des époux Dor. L'origine de la construction de la petite maison se trouve encore justifiée par ce fait.
Toutefois M. Dor voulait remplir ses devoirs moraux envers Mme Delisée ; il lui aurait permis d'habiter une maison construite près de l'Ecole Morale l'éloignant ainsi de son ménage.
Mme Delisée a provoqué cette discussion et si ce scandale rejaillit aujourd'hui sur elle c'est sa faute.
Elle a voulu accuser M. Dor de sentiments humains à son égard en communiquant une lettre, dans laquelle il l'appelle Ma chère petite Marie et parle d'Amour avec un grand A.
Cette femme importunait M. Dor avec des démonstrations qu'il ne pouvait tolérer. Le scandale, c'est Mme Delisée elle-même qui l'a créé.
Dans la plainte, il n'y a pas d'autres griefs que ceux énumérés et rencontrés jusqu'ici.
Il n'y a pas eu comme dans la plainte des époux Chartier la menace de douleurs physiques.
Or, à l'audience, elle a affirmé que M. Dor lui avait dit que la paralysie la guettait, ceci est faux, archi-faux. M. Dor n'a jamais voulu accepter de l'argent de la part de Mme Delisée : c'est celle-ci qui lui en offrait continuellement.
M. Dor, importuné, finit par lui dire : « Si vous avez de l'argent en trop, donnez-le à l'Ecole des Estropiés. »
Qu'il y ait une expertise, cela démontrera que les sommes versées par Mme Delisée ont été employées à la construction de la maison qu'elle a habitée.
Mme Delisée n'a pas cessé de mentir depuis le commencement pour essayer de mieux porter préjudice à M. Dor.
Il est 11 h. 45. M. le Président prie Me Lebeau d'abréger, car l'audience du matin ne sera levée que si Me Morichar a terminé sa plaidoirie, l'audience de l'après-midi étant réservée aux répliques.
M. Mahaux. – Le débat ne peut pas s'éterniser.
Me Lebeau va s'efforcer d'abréger.
Mme Delisée est une comédienne.
Me Bonehill.- Vous l'avez formée.
Me Lebeau. – On ne forme plus à cet âge. Elle a inventé quantité d'arguments qu'elle n'avait pas présenté d'abord, même à son avocat.
M. Dor a voulu restituer, on n'a pas accepté.
On a fait appel à beaucoup de témoins qui ont déposé dans un sens de dénigrement.
Me Lebeau demande au tribunal qu'il accorde la parole à Me Morichar. Il reprendra ensuite la parole pour terminer sa propre plaidoirie.
Me Morichar (mouvement d'attention) rend hommage aux divers orateurs qui, avant lui, ont pris la parole.
Me Lebeau, dit-il, a démontré péremptoirement l'inconstitutionnalité des poursuites.
L'honorable avocat discute la prévention d'attentat à la pudeur, celle qui atteindrait le plus cruellement le prévenu s'il était condamné de ce chef.
Ou bien ces attentats à la pudeur sont commis sur des mineures ou bien ils sont commis sur des majeures.
Dans le premier cas, il y a des constatations matérielles.
Ici pas. Mme Delisée a fait citer trois témoins dont les déclarations n'ont rien appris de nouveau.
Le Ministère public a essayé de créer alors un atmosphère d'impudicité.
Des témoins sont venus dire que le Père Dor avait voulu les faire déshabiller. C'est absolument grotesque. Tous ces témoins du reste ont été confondus.
On a entendu Mme Chartier qui a affirmé que le Père Dor avait frotté sa barbe contre sa figure.
Le témoignage de la fille de la femme Chartier a été fait sur un ton et avec un langage ordurier. On aurait dit qu'elle regrettait de ne pas avoir été, elle-même, l'objet d'un attentat à la pudeur.
Le tribunal lui-même n'y a pas cru. Qu'il l'abandonne donc complètement. On reste en présence d'un seul témoignage : c'est celui de Mme Délisée à la fois plaignante, témoin et partie civile.
Cette dame après être devenue une adepte du Dorisme, est devenue ensuite une passionnée d'un amour un peu moins mystique et plus sensuel. Qu'on se rappelle la déposition des témoins qui ont dit au tribunal les confidences que leur avait faites cette femme.
Eh bien ! des personnes comme Mme Delisée sont dangereuses et peuvent en arriver à tramer les pires complots contre un personnage qu'elles veulent perdre.
L'honorable défenseur s'incline avec admiration devant les Doristes qui sont venus en audience publique, affirmer ce qu'ils savent et proclamer les tares physiques dont ils étaient atteints.
Ces gens sont très honnêtes et très sincères. Pourquoi mettre en doute la sincérité de leurs témoignages lorsqu'ils affirment leur foi dans la doctrine du Père Dor et l'honorabilité de ce dernier ? Faut-il vouer ces témoignages au mépris public ? Non, car si ces témoins avaient été à charge au lieu d'être à décharge, on les eut entendus avec beaucoup plus de sympathie.
Ces témoins mentent, a-t-on dit, parce qu'ils ont dû communiquer au père Dor le texte de leur témoignage avant de le faire devant le tribunal.
Cela n'est pas vrai pour tous les témoins.
Mme Delisée a été entendue comme témoin à charge. Or, elle se porte partie-civile et, partant, n'aurait pas dû être entendue comme témoin.
Supprimez son témoignage, je supprime tous mes témoins et le prévenu sortira d'ici acquitté. (Rires).
Le premier attentat s'est commis en mars 1914. Mme Delisée a eu l'occasion de s'adresser trois fois à la justice.
Ce n'est plus une jeune fille, une ingénue, c'est une femme qui a vécu, qui a vu le monde.
Votre conviction est la mienne, elle n'a pas été hypnotisée un instant et loin de l'être elle s'est efforcée de s'emparer du cœur du Père Dor et de se l'accaparer.
En octobre 1915, cinq mois après avoir quitté le Père Dor, Mme Delisée ne parle pas de l'attentat à la pudeur dans la plainte qu'elle formule par le canal de Me Bonehill.
Comment, on avait blessé Mme Delisée dans ce qu'une femme a de plus cher : l'honneur, et elle n'en dit rien. Mais, lorsque, en juin 1916, elle parle pour la première fois des attentats, elle prend les devants et, comme on ne manquera pas de la qualifier de passionnée, elle se dit qu'elle va accuser M. Dor d'attentat à la pudeur.
C'est d'autant plus probable que Mme Delisée après deux attentats s'en est offert un troisième. (Hilarité.)
Au premier attentat, il y aurait eu commencement d'exécution.
Au second il n'y aurait eu davantage aucune exécution.
Enfin au troisième, le fait aurait été consommé et le Père Dor aurait dit : « J'ai vaincu la passion charnelle. »
Rien n'est venu prouver cela.
Dira-t-on que M. Dor est un satyre ? – Non, voyez son passé, car s'il y avait une vraisemblance, c'est cent attentats qui auraient été commis, en égard à la quantité de personnes qui lui rendent visite. Mais encore, pour qu'il y ait attentat à la pudeur, il faut qu'il y ait des violences physiques.
Rien de pareil n'a été constaté.
Me Morichar en appel à la jurisprudence, pour prouver les bien fondé de sa démonstration.
On se trouve donc en présence d'un seul témoignage qui suffirait s'il s'agissait de celui d'une femme désintéressée et non de celui d'une femme malade, comme c'est le cas de Mme Delisée.
Sous l'égide de cette figure symbolique de la justice, le tribunal rendra un jugement de droiture.
Me Lebeau a plaidé la liberté du culte garanti par cette constitution pour le respect de laquelle nous avons tant combattu.
Dans une superbe péroraison, Me Moorichar demande au tribunal de rendre un jugement de droit et de se poser en défenseur de la liberté de conscience.
On dira que ce n'est pas la guerre au Dorisme que l'on aura fait, mais bien au charlatan, il n'en a pas été moins discuté ici les idées du Dorisme.
Il y a dans cette cause des cas isolés, il y a des excès de zèle qui ont été commis, des fautes qui ont été commises, mais ce qu'il faut voir, c'est l'affaire dans son ensemble.
Ce qu'il faut voir, c'est, si le prévenu est sincère, si, réellement il a voulu soulager les douleurs morales.
A Saint-Gilles, il y a cinq paroisses qui ont été construites grâce aux oboles des fidèles.
Est-ce pour cela que nous ne nous inclinons pas devant la probité des prêtres.
Dans la religion catholique, des fidèles ne viennent-ils pas consulter les prêtres au sujet de certaines maladies ? Si, n'est-ce pas.
Me Morichar énumère la série de saints que l'on va prier pour guérir tels ou tels maux.
Le jugement sera que M. Dor est sincère et vous l'acquitterez.
L'audience, levée à 1 heure, sera reprise l'après-midi, à 3 heures.
La sortie du Palais est extrêmement houleuse.
Le public attend avec impatience que le Père Dor paraisse, mais il sera déçu, car celui-ci prend son repas de midi au Palais.
Les doristes commentent avec une grande satisfaction les plaidoiries de Mes Lebeau et Morichar qui, d'après eux, détermineront le tribunal à acquitter le fondateur de l'Ecole morale.
RASAM.
Nous donnerons dans notre numéro de demain le compte-rendu de l'audience de l'après-midi.
La Région de Charleroi, 30 novembre 1916 (source : Belgicapress)
Le 13e anniversaire de la mort du Père Antoine (La Dernière Heure, 26 juin 1925)(Belgicapress)
UNE ÉTRANGE CÉRÉMONIE
A JEMEPPE-SUR-MEUSE
LE 13e ANNIVERSAIRE
DE LA MORT DU PÈRE ANTOINE
(De notre envoyé spécial)
Liége, 25 juin. – En ce siècle d'incrédulité, qui a vu s'émousser des croyances séculaires et se fondre les superstitions médiévales, on a pourtant vu naître un nouveau culte : celui d'Antoine le Guérisseur.
L'Antoinisme compte, à l'heure actuelle, 25,000 adhérents qui ont déjà édifié 29 temples. La moyenne partie de ceux-ci se trouve au pays de Liége et en Belgique ; mais il y en a à Paris, à Lyon et à Monaco. Il y en a déjà un à Forest dans l'agglomération bruxelloise et l'on va en inaugurer un à Schaerbeek.
ANTOINE LE GUERISSEUR
C'est une étrange figure que celle du père Antoine, le fondateur de la nouvelle religion. Il naquit à Mons-Crotteux. Il était d'humble extraction. Dans sa famille on était mineur de père en fils. Rien ne le signalait à l'attention de ses concitoyens, si ce n'est la ferveur de ses prières.
Les panégyristes d'Antoine vous diront qu'il fut jusqu'à l'âge de 42 ans, un catholique convaincu, puis qu'il s'adonna au spiritisme. Son incursion dans le domaine du psychisme fit qu'il entreprit de guérir les malades.
Antoine avait une méthode bien à lui. Ce n'était pas un rebouteux. Il ne se livrait point à la confection de philtres. Il n'imposait point les mains. Il agissait par auto-suggestion.
La foi engendre des merveilles. Des malades guérirent et les bonnes gens de la vallée mosane crièrent au miracle. Les trompettes de la renommée portèrent le nom du guérisseur aux quatre points cardinaux et des maladies vinrent de loin pour demander au père Antoine la guérison de leurs maux.
Cet apostolat dura 22 ans et ne prit fin qu'avec sa mort ou plutôt sa désincarnation, car les Antoinistes croient à l'immortalité de l'âme.
Le vieux portier nous a dit que son maître avait un jour reçu 1,060 personnes.
Ceux qui furent guéris vouèrent au père Antoine une reconnaissance telle que celui-ci se fit le protagoniste d'une religion nouvelle. Il rêva de régénérer la religion du Christ par la foi.
En 1906, il eut un temple à Jemeppe-sur-Meuse où il s'offrit à la vénération de ceux qu'il avait soulagés.
Il continua de guérir, mais à sa mort, en 1912 – il avait 66 ans – il léguait une œuvre volumineuse dont on fait chaque dimanche la lecture dans les temples antoinistes.
Au physique, Antoine le Guérisseur était un grand vieillard à la barbe de patriarche qui parlait solennellement et en imposait par sa simplicité.
LA NOUVELLE RELIGION
Tout le fonds de la religion d'Antoine le Guérisseur est l'éducation de la volonté vers le bien vouloir.
– Fais ce que tu peux et je ferai le reste, disait-il.
Selon lui, le doute doit être banni. Nous devons obéir à la première impulsion de ce que nous sommes. On ne doit rien devoir qu'à soi-même. Son seul but était de faire des hommes forts ne doutant de rien, mais il se défendait de prêcher une morale.
– La morale ne se prêche pas, on la donne en exemple, affirmait-il. La foi sans les œuvres est une foi morte.
LA GRANDE OPERATION
Le père Antoine est mort le 25 juin 1912. Pour commémorer le 13me anniversaire de sa désincarnation, la mère a fait, jeudi, la grande opération. Dès le matin, des autos luxueuses, des autocars, des camionnettes, des chars à bancs, des tramways et des trains ont déversé à Jemeppe-sur-Meuse le flot des pèlerins.
Parmi la foule bigarrée, nombreux étaient les adeptes en uniforme noir, les hommes en demi-buse et redingote rigide, les femmes avec leurs bonnets de tulle tuyauté et leurs voiles.
Dès les premières heures du matin, la foule a envahi le temple. On voit des faces d'incurables et des bébés transis dans leurs langes. Le temple, avec sa galerie, ressemble à une salle de spectacle de campagne avec la seule différence que la scène est remplacée par un mur tout noir sur lequel s'inscrit en lettres blanches : Un seul remède peut guérir l'humanité : c'est la foi.
C'est de la foi que naît l'amour, l'amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même. Ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer Dieu, car c'est l'amour et nous avons pour nos ennemis qui nous rend dignes de le servir.
C'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et de vérité.
Au bas du mur, il y a une estrade avec un emblème : c'est l'arbre de science.
LA CEREMONIE
La cérémonie commence. Des sonnettes tintent. Les chuchotements cessent. On n'entend plus vagir que des nouveau-nés ou geindre des bébés que le silence étreint. La foule se recueille. Les mains jointes et crispées, le frère président – un ouvrier mineur – dit, au nom du père Antoine :
La mère va faire la grande opération. Ceux qui ont foi au père seront guéris.
Alors, la mère paraît sur l'estrade, devant la foule hypnotisée. C'est une illettrée. Elle a 75 ans. Elle s'avance à pas pressés et menus, toute courbée par l'âge, mais face à la foule qui halète, elle se redresse, joint les mains avec un mysticisme intense.
Elle marmonne des paroles inintelligibles. Elle paraît hallucinée. Elle étend les bras pour appeler sur les fidèles l'esprit du père et sa mimique se termine par un geste qui semble vouloir bénir.
Elle se retire aussi vite qu'elle est venue. La grande opération est faite. Le frère secrétaire – un professeur d'athénée – lit les dix principes de la nouvelle religion et la cérémonie est terminée.
LA FOULE
Mais le temple est trop petit. Au dehors il y a des milliers de personnes qui attendent, entravant toute circulation. Sous les averses, la foule forme une houle de parapluies luisants ; mais il y a des gens aux fenêtres des maisons voisines, il y en a dans les corniches et sur le faîte des murs. Pour toute cette foule qui attend, anxieuse, la mère renouvelle, du haut d'une tribune improvisée, au seuil du temple, la grande opération.
LES PELERINS MYSTIQUES
Alors, un cortège se forme. En tête marchent les porteurs d'emblèmes représentant l'arbre de la science et une ceinture grossière. Ils vont évoquant l'esprit consolateur, une sorte de Christ penché vers des infortunés, puis vient la mère dans ses vêtements endeuillés marchant comme inspirée, une main levée vers le ciel et les adeptes en uniforme à la queue leu leu, les hommes à droite et les femmes à gauche, puis la foule suivant en cohue.
Les pèlerins, par les corons populeux, sont allés se recueillir sur la tombe du père Antoine.
L'après-midi, d'autres, par les moyens de locomotion les plus divers, ont fait un pèlerinage de six lieues. Ils sont allés aux Quatre-Bras, dans la campagne condruzienne, endroit où dans ses dernières années, le prophète de la foi nouvelle allait méditer.
Ainsi s'est terminée une des plus étranges et des plus populaires manifestations du mysticisme contemporain.
R. Hennumont
La Dernière Heure, 26 juin 1925 (source : Belgicapress)