• Un temple antoiniste dans les montagnes de la Savoie (Excelsior, 30 août 1912)

    Un temple antoiniste dans les montagnes de la Savoie (Excelsior, 30 août 1912)

                Vendredi 30 août 1912.

           LES ADEPTES DU GUÉRISSEUR

           Un temple antoiniste
                   dans les
        montagnes de la Savoie

                 Cirant les parquets le matin,
    bêchant son champ l'après-midi, Ernest Blanc-
                  Talon officie le dimanche.

    CHAMBÉRY, 29 août (De notre envoyé spécial). – Tout comme l'aviation, l'antoinisme a fait son chemin à grands pas. Mais cependant, si l'on a pu voir des hydro-aéroplanes survoler les Alpes, j'avoue que ce n'est pas sans quelque surprise qu'au cours d'une excursion j'ai rencontré ici, sur ma route, une colonie de fervents adeptes du Guérisseur dont, en juillet dernier, j'avais suivi les funérailles à Jemeppes-lez-Liége.
        C'est à Biollay, petit hameau entre Chambéry et Aix-les-Bains, qu'existe, abrité par le massif du Revard, le petit temple des prosélytes savoyards de la plus jeune des religions.
        En réalité, ce temple n'est qu'une grange assez confortablement aménagée et dépendant d'une ferme dont le propriétaire est en quelque sorte le grand-prêtre de l'antoinisme en Savoie.

                Le grand-prêtre, frotteur et cultivateur

        Par qui Ernest Blanc-Talon fut-il investi de ses fonctions spirituelles ? Personne ne le sait, pas même lui ! Ce brave homme, originaire des Bauges, s'est un jour senti illuminé par la foi : il a cru, il croit et il s'efforce de faire croire.
        Ce n'est pas que sa position sociale le poussait à de hautes destinées, car Ernest Blanc-Talon profite des loisirs que lui laisse la culture de son lopin de terre pour frotter et cirer les parquets.

        – Comment je suis devenu un adepte du Père ? me confia le grand-prêtre. Mais c'est parce qu'il a guéri ma vieille mère, que tous les médecins avaient abandonnée, déclarant que le cancer qui lui rongeait la face était incurable.
        Désespéré, j'avais employé vainement toutes les drogues et tous les dépuratifs, lorsque, il y a deux ans, sur les conseils d'une voisine qui était en relation avec une adepte antoiniste, j'écrivis au Père, à Jemeppes, pour implorer sa protection. Et, miracle, lorsque je revins chez moi, après avoir été mettre ma lettre à la poste, l'intervention du Père s'était déjà manifestée, car ma mère ne souffrait plus de ses démangeaisons intolérables. Depuis, nous sommes allés à Jemeppes, où nous avons été reçus par la Mère : la guérison n'est pas complète, mais le mal ne ronge plus le visage de ma mère, qui, dès lors qu'elle souffre un peu, n'a qu'à penser au Père pour être aussitôt soulagée ! Moi-même, je souffrais de maux d'oreilles provoqués par une grande peur que m'avait faite un gros rat : je n'avais pas franchi le seuil du temple de Jemeppes que je m'étais senti guéri !
        De retour à Biollay, j'étais tout transformé. J'avais la foi, je ne songeai qu'à la faire partager à tous ceux qui m'étaient chers et même à tous ceux qu'il me serait possible de convertir.
        Seulement, comme la grange de Marlioz était trop peu pratique, je fis parqueter un local qui était libre chez moi, j'y fis disposer des bancs et des chaises. C'est là que tous les dimanches, à 3 heures, une trentaine de prosélytes ayant sous les yeux l'arbre de la Science de la Vue du Mal viennent écouter la lecture que je leur fais.

        Et le grand-prêtre lève ses yeux inspirés vers un tableau noir où se lisent ces mots : « l'auréole de la conscience ». Tandis que deux enfants s'accrochent en criant aux plis de sa longue lévite noire.
        Pour avoir été longtemps réfractaire à la foi, la femme du grand-prêtre n'en est que plus croyante. Et à peine eût-elle été soulagée « d'un mal de gosier » que, usant de la transmission de la pensée, Mme Marie Blanc-Talon se mit à opérer des guérisons miraculeuses.
        Rien qu'en imposant ses mains et en invoquant le Père Antoine, elle arrache à la mort, prétend-elle, la fillette d'un fermier de Marlioz qu'une méningite allait emporter. N'est-ce pas ainsi que procédèrent, à Paris, les époux Leclercq, qui laissèrent mourir leur enfant faute de soins !

                La chasse aux adeptes

        Evidemment, la nouvelle doctrine ne s'est pas implantée toute seule dans nos montagnes de Savoie. Il s'est fait et il se fait encore une propagande acharnée conduite par la « Direction de l'Unitif », dont le siège est, on le sait, au temple de la rue du Bois-du-Mont, à Jemeppes-lez-Liége, où, depuis la mort de son époux, la Mère Antoine est cloîtrée et vénérée comme une idole !
        Des disciples du Père Antoine ont parcouru nos campagnes et c'est ainsi que la naïveté de nos paysans a contribué à augmenter le flot incroyable des 150.000 antoinistes.
        La Savoie et l'Isère seuls comptent trois groupes d'adeptes : l'un à Grenoble, le second au Touvet (Isère) et le troisième, celui que j'ai visité, à Biollay.
        Le colportage des brochures antoinistes est savamment organisé et il a même redoublé depuis la mort du Guérisseur. C'est ainsi que le chez Ernest Blanc-Talon j'ai pu lire des circulaires s'adressant à ceux qu'aurait pu alarmer « la désincarnation du Père qui S'est retiré progressivement dans le recueillement, mais leur conseillent d'écrire sans tarder à l' « Unitif » pour « rester dans le bon fluide » !
        Et dire que ces mêmes paysans qui écoutent bénévolement la lecture de « principes en prose » auxquels ils ne comprennent rien, regimbent dès qu'on leur parle d'hygiène. – HENRY COSSIRA.

    Excelsior, 30 août 1912


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