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La Robe révélée (Le Peuple, 6 novembre 1913)(Belgicapress)

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La Robe révélée (Le Peuple, 6 novembre 1913)(Belgicapress)La Robe révélée !

    Allons-nous avoir une polémique entre antoinistes ?
    Peut-être bien.
    Nous avons l'autre jour donné écho aux lamentations d'un correspondant occasionnel qui trouvait que ça se gâtait déjà chez les disciples du Père ! En voici un autre qui nous écrit pour contester les dires du premier. Et à preuve, il cite les manifestations triomphales de l'antoinisme ces derniers temps : inauguration d'une salle à Spa, le 7 septembre, route du Tonnelet (est-ce un symbole ?) ; consécration du temple de Souvret, le 21 septembre, avec le concours de la bonne -Mère ; consécration du temple de Paris, le 27 octobre, toujours avec la bonne Mère.
    Notre premier correspondant affirmait que plus le culte antoiniste s'étendrait, plus l'anarchie l'envahirait puisqu'il n'admet ni discipline ni organisation intérieures.
    C'est une erreur à ce qu'il paraît. Le s culte antoiniste est parfaitement organisé. Il un conseil d'administration « qui gère les affaires matérielles ».
    Quant à la question de la robe (entendez par là, l'espèce de redingote qu'endossent les antoinistes), « oui, le Père a dit qu'elle maintenait les frères et sœurs dans le bon fluide, confirme le contradicteur, mais il en est de même pour ceux qui ne la portent pas et qui pratiquent l'enseignement du Père ».
    Et il ajoute : « La barque ne va pas à la dérive, car la robe a été révélée par le Père, uniquement pour consacrer l'unité de l'ensemble. »
    Si la robe a, en effet, été révélée, on aurait tort d'insister sur cette histoire de barque !
    Mais qui donc a bien pu faire connaître au Père Antoine ce singulier vêtement ? Serait-ce un tailleur pour dames ??

Le Peuple, 6 novembre 1913 (source : Belgicapress)

Repris par Le Midi socialiste (9 novembre 1913)

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Ça se gâte déjà chez les Antoinistes (Le Peuple, 2 novembre 1913)(Belgicapress)

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Ça se gâte déjà chez les Antoinistes (Le Peuple, 2 novembre 1913)(Belgicapress)Ça se gâte déjà
      chez les Antoinistes

    Depuis que le père Antoine est mort, le culte antoiniste, en dépit des manifestations récentes, a reçu un grand coup.
    Il paraîtrait, en effet, que la zizanie a déjà fait son apparition parmi les frères.
    Un correspondant occasionnel qui paraît en savoir quelque chose nous assure qu'il y a certainement entre eux du grabuge.
    Ils s'envient réciproquement, prétend-il, soit parce que l'un a plus de malades que l'autre, soit sur l'interprétation à donner à tel ou tel passage de « l'enseignement ».
    Cependant en haut lieu, c'est-à-dire à Jemeppe, continue notre correspondant, on ne se gène pas pour déclarer que la robe antoiniste maintient le frère qui la porte dans le bon fluide.
    A défaut du vote plural, la grève générale aurait ébranlé l'antoinisme. On raconte, en effet, que beaucoup de disciples n'auraient pas admis les principes du père tout de résignation et que depuis lors il y aurait dans le temple de la rouspétance, révérence parler.
    Quoi qu'il en soit, cette question mises de côté, il parait bien que les adeptes voulant aller plus loin que le père, conduisent la barque à la dérive.
    Le culte antoiniste n'admettant ni organisation, ni discipline, plus il prendra d'extension plus se développera en son sein l'anarchie.

Le Peuple, 2 novembre 1913 (source : Belgicapress)

 

Repris par la Gazette de Charleroi, 2 novembre 1913 (Belgicapress) :

Ça se gâte déjà chez les Antoinistes (Le Peuple, 2 novembre 1913)(Belgicapress)

 

    Et dans le Journal de Charleroi, 2 novembre 1913 :

 Ça se gâte déjà chez les Antoinistes (Le Peuple, 2 novembre 1913)(Belgicapress)

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Un nouveau Messie à Paris (Le Temps, 27 octobre 1913)

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Un nouveau Messie à Paris (Le Temps, 27 octobre 1913)AU JOUR LE JOUR

Un nouveau Messie à Paris

    Depuis ce matin Paris possède une nouvelle Eglise, un nouveau culte, un nouveau Messie. Une brave femme de Jemeppe-sur-Meuse, en Belgique, est venue, suivie de six cents fidèles tout de noir habillés, propager en France le culte d'Antoine : non point du saint personnage dont Flaubert, après Téniers et Jacques Callot, immortalisa les tentations, mais d'un bon vieillard qui mourut l'an dernier, entouré du respect et de la reconnaissance d'un peuple entier.
    Qu'était le père Antoine ? Un jour, un obscur ouvrier reconnut en lui la vertu qui fait les prophètes. Il s'en alla vaticinant, et comme il était convaincu, il persuada les hommes qui l'entendaient. Il y avait parmi ceux-ci des malades, des infirmes. A la voix du nouveau Messie, les paralytiques se levèrent, les aveugles virent : ils l'assurent, du moins. Car des six cents fidèles qui, un petit sac à la main, vêtus, les hommes d'une lévite noire et coiffés d'un chapeau mat à bords plats, les femmes d'une robe noire et couvertes d'un voile, débarquaient hier à Paris, au grand émoi des badauds, il n'en est guère qui ne soient prêts à témoigner du miraculeux pouvoir du père Antoine.
    Miraculeux en effet ; le culte antoiniste dédaigne les formes extérieures qui sollicitent l'admiration des foules. Il suffit de posséder la foi pour être guéri des maux du corps et de ceux de l'âme. Foin des drogues, des thérapeutiques grossières, des chirurgies sanglantes ! La mère Antoine, dépositaire après décès du pouvoir spirituel de son mari, étend la main sur la foule recueillie – et chacun s'en retourne guéri ou amélioré selon la ferveur de sa foi ; le mécréant seul s'en va comme il était venu, car les dieux ne prennent soin que de leurs fidèles.
    Pour les croyants français, on a donc édifié au fond de la Glacière, rue Vergniaud, un temple que la mère Antoine inaugurait ce matin. C'est un vilain petit monument de style indéterminé, surmonté d'un clocheton minuscule et possédant pour tout mobilier une manière de chaire adossée au chevet, devant laquelle est un panneau portant l'image sommaire d'un arbre, avec cette inscription : « L'arbre de la science de la vue du mal ». Langage hermétique évidemment. Le plus grand miracle de la foi antoiniste est sans doute de le rendre clair aux sectateurs du vieil ouvrier guérisseur.
    D'autres inscriptions ornent le chevet : ce sont des formules dogmatiques : « L'enseignement du Père, c'est l'enseignement du Christ révélé à cette époque par la Foi... Un seul remède peut, guérir l'humanité : la Foi ; c'est de la Foi que naît l'amour, qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même. »
    – En effet, nous expliquait hier un frère antoiniste, le Christ, venant après les prophètes, marquait une étape nouvelle dans l'évolution morale : à la rigoureuse loi du talion, il substituait le pardon des offenses. Le Père (c'est Antoine) a fait mieux : comme nos ennemis sont les meilleurs auxiliaires et les seuls guides de notre progrès en nous révélant à nous-mêmes les défauts qui ternissent la netteté de notre conscience, ils sont les véritables instruments de notre épuration. Il ne suffit plus de leur pardonner ; nous devons reconnaître en eux nos fidèles amis, et les aimer comme tels.
    » Il faut, ajoutait notre interlocuteur, retourner à l'essence même, au principe initial des religions : à la loi de la conscience ; il faut dégager cette loi de toutes les formes extérieures, de tous les rites, de toutes les liturgies qui en obscurcissent la notion. Puisque nous vivons entourés d'un fluide fait de tous les actes et de toutes les pensées commis ou conçues pendant nos existences antérieures – fluide que le Père maniait à sa volonté et d'où il tirait ses guérisons, – il faut l'exalter au cours de l'existence actuelle en pratiquant le désintéressement le plus absolu. La douleur, les épreuves nous sont envoyées pour nous permettre de nous élever successivement jusqu'à la quasi-perfection morale et à l'amour universel...
    – Mais, interrompons-nous, fort inquiet, ce dogme des réincarnations n'est-il point hérétique ? Ne sentez-vous pas quelque peu le soufre ?
    – Nullement, cher monsieur, nous respectons toutes les religions : nous remontons seulement à leur principe commun.
    – Mais vous ne les pratiquez pas ?
    – Nous sommes les fidèles du Père. Il est pour nous la réincarnation du prophète qui parut plusieurs fois pour révéler au monde la loi de la conscience...
    – Et votre foi justifie vos miracles ?
    – Assurément.
    – Et vos miracles justifient votre foi ?
    – Sans doute... comme dans toutes les religions, ajoute le frère antoiniste.
    Cependant une femme vient interrompre notre entretien. Avec quelle conviction notre interlocuteur lui répond-il :
    – Tout à l'heure... Ici je suis utile...
    Et comme elle revint peu après le tirer par sa lévite, il nous a semblé surprendre une grimace irritée... Pour être saint, n'en serait-on pas moins homme ? – G. J.

Le Temps, 27 octobre 1913

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Le Grabuge chez les Antoinistes (Le Peuple, 13 novembre 1913)(Belgicapress)

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Le Grabuge chez les Antoinistes (Le Peuple, 13 novembre 1913)(Belgicapress)Le Grabuge
           chez les
        Antoinistes

    Nous l'avions bien dit que nous n'échapperions pas à une polémique entre frères antoinistes. Notre premier correspondant nous a de nouveau écrit, et ce qu'il raconte est exactement le contre-pied de ce qu'affirmait son confrère. Il a toutefois le mérite d'apporter de la précision, autant que faire se peut naturellement, car les prophètes sont généralement obscurs.
    Le chapitre le plus controversé paraît être celui de la robe. Faut-il ou ne faut-il pas être porteur de celle-ci pour être « dans le bon fluide » ?
    Certains font une restriction : Il suffit, disent-ils, de pratiquer les enseignements du Père pour être dans cette sorte d'état de grâce. Donc, conclut notre correspondant : l'habit ne fait pas le moine.
    Mais d'autres que lui soutiennent que l'habit est indispensable. Comment se dépêtrer ?
    Ce qui tendait à faire croire que la robe n'a pas la vertu magique qu'on lui attribue, c'est que des frères qui s'en étaient accoutrés se sont déjà houspillés.
    A propos de quoi ? De l'emblème sans doute ?
    Et ainsi les choses pourraient de nouveau s'expliquer.
    C'est un grand honneur, semble-t-il, chez les antoinistes que le fait de porter dans les manifestations le blason de la communauté, qui représente vaguement un arbre en hiver, car il est sans feuilles. Aussi est-il brigué avec passion. On raconte qu'à ce propos il y a eu maintes scènes orageuses entre frères devant le temple à Jemeppe. Une autre fois, c'était à Paris, à l'occasion de la consécration du temple, un frère haut coté s'agrippa avec une sœur qui l'avait interrompu. L'incident fut noté par le journal « Le Temps ». (1)
    Au reste, point n'est besoin de s'en remettre à des déclarations d'adeptes plus ou moins hasardées pour établir que « ça est en passe de se gâter ».
    L'« Unitif » lui-même, en son n° 12, en laisse percer l'aveu. Voici ce qu'il dit au chapitre 4 :
    Les fêtes antoinistes des 25 et 29 juin ont amené à Jemeppe des frères de différents pays. Nous avons eu le bonheur de converser un peu avec beaucoup d'entre eux et, dans nos petits entretiens, nous avons pu remarquer qu'en certains endroits où il existe plusieurs lectures de l'Enseignement du Père, il y a déjà des malentendus qui pourraient porter obstacle à ceux qui en sont la cause... »
    Les choses iraient même plus loin qu'on le laisse croire, affirme notre correspondant. En effet, ponctue-t-il, l'extérieur des manifestations antoinistes est souvent trompeur. Le vrai, c'est qu'elles sont fertiles en dissentiments et que ceux-ci ne s'arrêtent pas même au seuil des familles. Le cas n'est pas rare de voir se quereller mari et femme, soit à propos de l'Enseignement, soit parce que l'on veut se substituer à l'autre pour recevoir les malades. Rien de cela toutefois ne concerne leu le vieux Père Antoine et sa femme.
    Mais ce ne sont pas là les seuls sujets de brouille. La grève générale, par exemple, n'a pas été sans provoquer des troubles profonds chez les frères.
    Pour être antoiniste, on n'en est pas moins des travailleurs avides de justice sur la terre, et il en est qui ont trouvé tièdes les conseils et les recommandations contenus dans le 10e « Unitif ». Il y a des patrons et des femmes de patrons chez les antoinistes qui étaient contre la grève. Par contre, des ouvriers étaient violemment pour la levée en masse. Alors, le conseil d'administration a trouvé à imprimer ceci : Nous sommes tous désireux de remplir nos devoirs. Mais l'Enseignement est si diversement compris et il existe encore chez la plupart d'entre nous un esprit combatif inséparable de l'orgueil que nous cherchons à déraciner. Nous devrions pourtant nous souvenir que le mal n'existe pas et nous demander si c'est la vue du bien qui engendre la révolte. »
    Comprenne qui pourra.
    Un tas de frères ont vu dans ce pathos une invitation à l'abstention, et ils ne se gênaient pas pour dire que le conseil d'administration serait beaucoup mieux de mettre la paix entre les frères et sœurs qui se disputent pour porter l'emblème, que de s'occuper de la grève générale.
    Comme toutes les Eglises, l'antoinisme prêche la résignation et tend à faire croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
    Le Père n'avait pas ces visées sociales. Ce sont les apôtres qui les placent sous son vieux bonnet. Et ça finira vraisemblablement par devenir une calotte comme l'autre...

Le Peuple, 13 novembre 1913 (source : Belgicapress)

 

(1) En lisant l'article du Temps, on verra que d'un mot de journaliste, un autre journaliste en monte tout un scénario.

    On savait l'animosité des autres religions (y compris le spiritisme) pour l'Antoinisme, et on voit ici qu'elle vaut celle des journalistes en manques d'inspiration...

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Délivrez-nous du mal - Une vie d'Antoine le Guérisseur, par Robert Vivier (La Nation Belge, 5 février 1936)(Belgicapress)

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Délivrez-nous du mal - Une vie d'Antoine le Guérisseur, par Robert Vivier (La Nation Belge, 5 février 1936)(Belgicapress)DELIVREZ-NOUS DU MAL

Une vie d’Antoine le Guérisseur, par Robert Vivier

    M. Robert Vivier est parmi nos romanciers l'un de ceux qui attirent le plus l'attention. Après Non. son roman de début, Folle qui s'ennuie lui valut le prix Albert. Après qu'il eut failli avoir le prix du populisme.
    Malgré le prix dont se recommande cet « isme » nous nous demandons si ce dernier est viable ? En tant, bien entendu, que genre délimité, classé. Cette étiquette qu'on a mise un peu arbitrairement, à la suite d'un de ces engouements subits comme il y en aurait tant à classer dans une Histoire des Caprices Littéraires si quelqu'un s'avisait de l'écrire un jour, est en train de pâlir... Car si le « populisme » est vieux comme le roman lui-même, dès lors qu'ayant laissé les milieux aristocratiques et grand bourgeois il s'est occupé des humbles gens, on ne le voit pas comme un compartiment bien défini, étanche, évoluant en vase clos tirant tout de lui, ramenant tout à lui, n'ayant d'autre fin que lui. Il amènerait forcément un rétrécissement du champ visuel de l'écrivain, lui faisant négliger l'homme pour un homme déterminé, limité par des frontières sociales comme le héros du roman régionaliste est borné par les frontières de sa petite, trop petite patrie. Or, ayant eu l'occasion dernièrement, à propos d'Hubert Krains, d'aborder la querelle du régionalisme nous repoussâmes pour notre auteur la qualification de régionaliste dans le sens péjoratif qu'on y attache le plus souvent. Car pour être régionaux au sens purement géographique, ces romans n'en sont pas moins largement humains. On pourrait même dire que presque tous les romans sont régionalistes alors qu'il en est bien peu qui du milieu, du décor, des actes et des mobiles qui commandent les actes, s'élèvent à l'homme. C'est celui-ci, cette image de nous-mêmes que nous cherchons en fin de compte. Il nous est assez indifférent, après tout, de le trouver dans notre classe ou dans notre habitat. Pourvu que nous le trouvions.
    Nous avons lieu de croire cependant qu'avec Folle qui s'ennuie M. Robert Vivier avait bien voulu faire un roman populiste. Qu'ayant été assez adroit pour cacher ce qu'il y avait dans le choix de son sujet et de ses personnages de systématique, ayant montré assez d'art pour masquer derrière son œuvre son intention, nous n'avions point à le quereller là-dessus. Ceci pour dire que nous le querellerons encore moins à propos de son nouveau roman : Délivres-nous du mal, qui paraît chez Grasset. Cependant c'est M. Andre Thérive qui passe pour le chef de l'école du populisme et qui, après avoir lui-même mis en scène dans un de ses romans, Sans Ame, un milieu d'Antoinistes français, suggéra à M. Robert Vivier d'écrire la vie du Père Antoine qui forme le sujet du présent livre. « Comme cet humble avait grand cœur, explique l'auteur lui-même, il voua son temps et ses forces à ceux qui avaient besoin de lui. Le problème de la souffrance, tant physique que morale, l'amena à remettre tout l'univers en question. » Tout l'univers en question ! Ah ! sommes-nous loin de ces piètres limites où nous enferme un genre littéraire, ou une altitude d'esprit, un goût, un caprice. Aussi nous avons dit assez là-dessus. Et nous n'avons plus qu'à admirer avec quelle pénétration psychologique aiguë, avec quel don de l'introspection, avec quel art de l'analyse Robert Vivier reconstitue un Antoine le Guérisseur qui n'est peut-être pas dans chaque détail la reproduction fidèle de son modèle, mais qui pose avec une lucidité parfaite et une sympathie aussi, faute de laquelle un roman ne saurait vivre, la question si passionnante du thaumaturge et de la thaumaturgie.
    Comme le savant et le sociologue le romancier peut se pencher sur certains phénomènes avec cette objectivité qui réclame même ses droits dans ce que nous pensons être le domaine de la déraison. Il les étudie par le dedans et il arrive ainsi à fournir l'explication pour ne pas dire la justification de faits qui confondent le bon sens. Terrain fécond en ce que nous sommes en plein mystère, aux confins où l'intelligence s'irrite de ne plus rien comprendre mais vers où nous attire un instinct profond. Nous devons bien l'avouer, la science dont nous étions si sûrs voici vingt ans, a subi bien des assauts. Les théories les plus éprouvées pour ne parler que de la microbienne en dernière instance, se sont vu infliger des démentis cinglants et ont été remplacés par des thèses diamétralement opposées. Et comme il n'y a rien de nouveau sous le soleil, aux yeux des sceptiques la science fait aujourd'hui figure d'une mode où repassent toujours les mêmes modèles. Et pas plus tard qu'hier, un de nos amis médecins nous avouait sans ambages que la médecine était la chose au monde à laquelle il croyait le moins, assuré d'autre part que la divination des thaumaturges et des rebouteux était plus près du secret des guérisons que toute la science du professeur le plus réputé...
    Mais laissons ce paradoxe malgré la part de vérité qu'il pourrait contenir et tenons-nous en au livre de M. Vivier. Il l'a divisé en trois parties : L'Histoire d'un homme, Le Don de Guérir et Le Père dans son Temple dont la première nous a paru la plus intéressante. Pour la raison qu'elle tient exclusivement du roman sans aucun mélange clinique. Nous oserions presque dire, y dût-on voir un démenti de ce que nous affirmions plus haut, pour sa saveur « populiste ». Avec une justesse dans la description, une minutie dans le détail dont aucun cependant ne paraît importun et qui nous confondent, l'auteur étudie l'éclosion et la formation de son personnage dans le milieu où il est appelé à récolter ses adhérents, à fonder ce qu'on a appelé son église. Milieu de mineurs dans la banlieue de Liége que M. Vivier dessine, si on peut dire, d'un crayon sûr, sans rien omettre, mais sans aucune de ces lourdes surcharges dont un naturalisme agressif ne nous eut pas fait grâce. « – Allez jouer, il fait si beau », disait sa maman au petit Louis Antoine. « Car les mères wallonnes disent vous à leurs enfants. C'est comme une caresse timide », observe l'auteur. Le petit Louis interrogeait sur tout et sa mère répondait : « C'est le bon Dieu. Ainsi l'enfant grandit dans une atmosphère à la fois enjouée et grave. Ecolier, il apprenait avec une étonnante facilité. Il écoutait avec avidité l'instituteur vanter la science et combattre la superstition, cependant que l'oncle Eloi, évoquant son grand-oncle à lui, mort à cent sept ans, affirmait avec solennité qu'il n'y aurait plus jamais de centenaires à Mons-Crotteux ni à Flémalle parce qu'il y avait trop d'inventions et trop de médecins. Au sortir de l'école, Louis descend à la mine. Quand il y a tant d'autres métiers à la face du ciel ! Comme si le ciel répondait à son interrogation muette sa lampe s'éteint... Devenu chaudronnier la conscription l'appelle. Il n'est pas fâché de voir du pays, étant envoyé en garnison à Bruges. L'aumônier lui reproche seulement de trop aimer les livres. Rappelé sous les armes pendant la guerre de 70, au cours d'un exercice, son fusil s'étant trouvé chargé par une fatalité inexplicable, il tue un compagnon. C'est l'épreuve qui, toute sa vie, pèsera sur lui. Son idylle avec Catherine, son mariage. Son départ pour l'Allemagne où il y a pénurie de bons ouvriers, puis pour la Russie. Mais les faits, menus faits quotidiens interrompus par un drame, ne valent que par leur réaction sur cette nature renfermée et réfléchie, honnête et droite, « qui ne blâmait point autrui, comprenant que chacun avait son goût et s'amusât à sa manière ». Et déjà le troublait la prescience d'un étrange pouvoir qui lui faisait refuser par honnêteté, de jouer aux cartes avec ses camarades. « Car il ne tenait pas à profiter du gain d'autrui. L'argent c'est le travail et nul n'en a de trop. »
    Jusqu'ici, tout le monde peut donner son adhésion non seulement à l'homme mais à sa beauté morale. Dès que nous abordons la seconde partie du livre, cette sympathie se rétracte et n'est plus que de la curiosité. Non point qu'on doute de la sincérité d'Antoine. Mais notre scepticisme a trop beau jeu devant la puérilité et le côté ridicule des séances de tables tournantes et de spiritisme assez grossier ou verse maintenant notre héros. Que telle ait été la voie où Antoine trouva enfin la révélation de lui-même est historiquement possible. La mort de son fils, mystère devant lequel la science montre une lamentable carence, par le contre-coup qu'elle provoqua au plus profond de lui, y aida d'ailleurs considérablement. Mais nous nous en excusons auprès de l'auteur, autant nous sommes saisis par la puissance de guérir qui, à certaine séance, se manifeste chez Antoine et qui nous donne vraiment la sensation du mystère, autant les pratiques spirites nous apparaissent vides et pauvres et nous leur refusons notre audience tout net. D'où certain malaise provoqué par la dualité qu'il n'était pas possible à l'auteur d'écarter dès lors qu'il « romançait » véritablement la vie d'Antoine et qui déforce ce qu'il y a dans le personnage de pathétique et de bouleversant. Par exemple à force d'art et porté comme par le fluide même que répandait le thaumaturge, le romancier retrouvera dans la troisième partie et, surtout, dans la fin de son livre, cette sérénité où Antoine, dégagé de ses propres contingences, rejoint enfin ce degré de sublimation où le voient ses fidèles. Il y a dans ces pages un accent d'autant plus émouvant, un climat dont le paroxysme se maintient avec d'autant plus d'aisance, que l'auteur ne cesse d'user des moyens les plus simples. M. Robert Vivier possède le don du lyrisme intérieur. Le don essentiel du romancier.

                                         Charles BERNARD.

La Nation Belge, 5 février 1936 (source : Belgicapress)

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Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 17 novembre 1916)(belgicapress.be)

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Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi (17-11-1916), belgicapress.be)

issu de l'article de La Région de Charleroi du 17 novembre 1916 (belgicapress.be)

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Le vieux mineur qui voulut tuer son hôtesse (La Dernière Heure, 28 mars 1934)(Belgicapress)

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Le vieux mineur qui voulut tuer son hôtesse (La Dernière Heure, 28 mars 1934)(Belgicapress)

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Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 1er décembre 1916)(Belgicapress)

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Le Père Dor en correctionnelle (La Région de Charleroi, 1er décembre 1916)(Belgicapress)

LE PÈRE DOR
EN CORRECTIONNELLE

LES ALÉAS DE LA DIVINITÉ

Audience du 29 novembre (après-midi)

    Il y a la même affluence de monde qu'à l'audience du matin.
    A 3 heures 20, l'audience est reprise. Me Lebeau continue sa plaidoirie. M. Dor est donc prévenu de l'art illégal de guérir. Les pandectes belges expliquent bien que pour exercer cet art, il faut ausculter les malades.
    Il y a cette petite opération individuelle qui est bien anodine.
    Il s'agit d'un homme qui indistinctement à tous les malades prescrit le même traitement : se guérir de leurs vices d'abord et alors ils seront guéris de leurs maux physiques. M. Dor n'est pas médecin il ne pratique pas l'hypnotisme.
    Il s'agit de savoir si le dossier établit que M. Dor se livrait à des passes magnétiques.
    Les moyens employés par M. Dor ne sont pas ceux employés par le magnétiseur. M. Dor a, comme tout le monde, des notions qu'il a puisées dans les livres.
    Me Gerard. – Le zouave Jacob ne pratiquait pas le magnétisme.
    Me Ledeau. – Si le corps judiciaire veut trancher cette question, il doit se faire aider par les lumières de médecins.
    M. Dor n'ordonnait rien ; on oppose à M. Dor quelques petits faits.
    Ceux-ci ne peuvent être retenus, car ils sont en contradiction avec les déclarations des Doristes et avec les principes de M. Dor, lui-même.
    Il y a d'abord le cas Beauvois. Son système consiste à guérir les maux physiques par la médication de l'âme.
    Comment veut-on, dès lors, qu'il ait ordonné des lavements à l'eau salée.
    Mme Beauvois était une malheureuse qui allait mourir d'un cancer à l'estomac.
    Cette personne est morte d'inanition à la suite de ce cancer.
    M. Dor se borna à lui donner des conseils moraux et à conseiller de boire de l'eau sucrée.
    M. Beauvois et sa fille étaient hostiles au Père Dor, d'où leur déposition intéressée : il y a là un petit drame de famille.
    Mme Beauvois n'était pas la Doriste fanatique qu'on a dit.
    Cette personne n'avait plus la force d'aller chez Dor ; elle était alitée. Qui dès lors faisait ces injections à l'eau salée. Etait-ce le mari et la fille qui devaient s'opposer à ce que les lavements fussent opérés.
    La question du thé Chambard est aussi du domaine de la légende.
    Elle a été inventée par les Chartier qui avaient créé un petit cercle de gens qui voulaient perdre le Père Dor.
    Ces témoignages sont suspects, c'est un témoignage tendancieux dont le tribunal se défiera.
    Richard est un hernieux qui a été opéré 4 ans après avoir consulté M. Dor.
    Or, Richard a déclaré lui-même que lorsque sur les conseils de M. Dor il ôta son bandage, il souffrit horriblement, est-il possible qu'il ait pu souffrir pendant 4 ans ? Non, cet homme, aujourd'hui décédé, mentait et ce qu'il y a de vrai c'est qu'il lui est survenu une nouvelle hernie.
    C'est donc cette dernière qui le fit souffrir et non l'ancienne.
    Celle-ci avait été guérie à la suite d'une consultation du Père Dor.
    Richard a cru et il s'en est bien trouvé.
    Il n'y a chez M. Dor aucun fanatisme et il n'ordonnait aucun médicament. Le problème à résoudre est le suivant : M. Dor pratique-t-il l'art de guérir par la Doctrine qui tend à établir que le mal physique est guéri par la mise en pratique de ses principes qui recommandent d'abord de se guérir de ses maux moraux.
    Dans toutes les religions, il y a une question d'hygiène ; c'est ainsi, que chez les mahométans, il y a des ablutions qui sont imposées.
    Le conflit entre la morale et l'hygiène est sérieux, chez les carmélites, les bains sont interdits.
    Oserait-on défendre la flagellation prescrite par des communautés religieuses. Les trappistes ne se lavent pas. Pouvez-vous leur en faire un grief ?
    M. Dor est un végétarien, pouvez-vous le lui reprocher ? Non.
    Le régime végétarien est un excellent régime recommandé par des autorités médicales.
    M. le Procureur du roi nous a dépeint le cortège des Doristes défiant à la barre, avec un teint pâle, des traits émaciés.
    Ce teint pâle prouve que ces gens ont souffert énormément.
    Le régime végétarien ne donne évidemment pas la force brutale que procure le régime carné qui, lui, fait plus rapidement sauter la machine.
    On a aussi dit que M. Dor est un criminel qui avait ordonné à des enfants un régime contraire à leur bonne santé.
    M. Dor dit qu'avec la confiance et la foi, le régime produira de bons résultats.
    M. Mahaux. – Est-ce l'enfant de 4 mois qui doit avoir la foi ?
    Me Lebeau. – Non, c'est la mère.
    M. Mahaux. – Ah ! (Hilarité.)
    Me Lebeau. – M. Dor est parfois maladroit pour s'expliquer.
   Il m'a envoyé des mamans avec leurs bébés pour me prouver que le régime Doriste avait donné de bons résultats.
    Y a-t-il eu des bébés morts. Y a-t-il eu des plaintes ?
    Me Gérard. – Les morts ne parlent plus, il y a des cercueils qui devraient s'ouvrir (mouvement).
    Me Lebeau. – Vous ne pouvez pas faire des suppositions d'avoir de telles doctrines, c'est le droit des Doristes.
    Actuellement la médecine s'oriente de plus en plus vers le non interventionnisme, c'est-à-dire vers l'exclusion du médicament.
    Pourquoi au cours d'une maladie ordonne-t-on de cesser d'ingurgiter certains médicaments pris jusqu'alors ? c'est qu'on a reconnu l'effet néfaste de ce médicament.
    D'après certain docteur, on peut guérir l'appendicite sans devoir recourir à l'opération qui était de mode.
    Me Lebeau se demande si M. le Président de la Société de Médecine avait bien le droit de faire poursuivre de son propre gré sans l'assentiment de ses collègues.
    Me Gérard. – Il y a eu ratification, à la suite d'une assemblée de médecins.
    Me Lebeau. – Ce n'est pas un beau geste de la part des médecins, de réclamer une somme de 10.000 fr. Ils eussent plutôt dû demander condamnation, pour le principe.
    Le geste eut été plus beau. Quant à M. Dor, il n'a pas pratiqué l'art illégal de guérir, mais seulement recommande à ses adeptes de se guérir de leurs maux moraux, de leurs imperfections.
    Je souhaite aux docteurs d'être entouré un jour d'un cortège d'admirateurs comme ceux qui ont ici accompagné M. Dor.
    Celui-ci n'a pas dénigré les docteurs, mais il a affirmé qu'ils étaient inutiles. Il n'y a pas eu de concurrence déloyale.
    Je suis au bout de ma tâche ; je demande l'acquittement de M. Dor que j'ai défendu avec une conviction que j'ai rarement eue.
    L'idéaliste va droit devant lui. A un moment donné il se réveille voyant autour de lui une foule grossière comme celle qui a organisé des manifestations dans le genre de celle qu'on a vue dernièrement. Je suis allé vers lui et je l'ai défendu avec chaleur.
    Le bon droit n'est jamais du côté des foules. M. Dor est un homme sincère et désintéressé.
    J'ai dit.
    Me Gérard sera bref, il engage le tribunal à examiner la note juridique qui lui a été remise.
    Me Lebeau, dans une brillante plaidoirie, nous a exposé les doctrines des diverses religions.
    Il est resté trop longtemps dans les sphères élevées et a craint de prendre pied sur le sol pour rencontrer les diverses préventions mises à charge de M. Dor.
    Celui-ci a bien semblé petit vis-à-vis de Bouddha dont a parlé Me Lebeau.
    Le Christ d'il y a vingt siècles n'était pas un trafiquant, il ne se faisait pas suivre d'une pléiade d'apôtres qui vendaient des brochures.
    Leur bonne parole suffisait. Jésus n'avait pas de comptoir dans son temple et on l'a vu dans ce temple un fouet à la main en chasser les trafiquants. Vous, M. Dor, vous avez fait de bonnes petites affaires avec la margarine. (Hilarité.)
    Quand vous vous êtes retiré à Uccle, ce n'était pas pour vous retirer des affaires, mais bien pour les continuer et vous avez fait une réclame pour votre boutique.
    La foule ne jette pas des cailloux à la tête d'un personnage qui se dépense au bien-être des malheureux.
    Me Lebeau. – Le Christ a aussi été outragé et flagellé.
    Me Gérard. – On a eu tort, mais ce n'était pas la même chose.
    Le peuple en conspuant le Père Dora voulu venger les innombrables victimes du dorisme. Il n'y a personne d'avisé, même en Angleterre, qui voudraient laisser exercer pareille doctrine lorsqu'elle constitut un délit.
    Supposons qu'un illuminé informe le public que chaque soir, dans un local qu'il désigne, il donnera des conseils et des prescriptions dans le but d'éloigner d'eux la présence de docteurs et de les guérir sans devoir recourir à l'emploi des médicaments.
    Viendriez-vous, à la barre, plaider la bonne foi de cet illuminé qui est un danger social ?
    Me Lebeau. – Oui.
    Me Gerard. – Allons donc, c'est pour démasquer cet imposteur que la Société médicale s'est constituée partie civile.
    Le dorisme c'est de l'antoinisme déguisé.
    Le Père Antoine a été condamné. Dor, lui, avait pris ses précautions et voulait échapper aux mailles de la justice.
    On lit dans son nouveau livre des retouches assez importantes à la page 4, il écrit : qu'il est préférable de guérir l'âme que le corps.
    Il en est de même au sujet d'autres passages où il y a des restrictions très adroites visant la guérison de certaines maladies par le régime de la propreté ou le régime végétarien.
    Devant le malade, le consultant, se restait toujours le tronc.
    Si Dor avait accepté la somme de 10.000 francs lui offerte par un sieur Delcroix, c'eut été trop criard.
    Me Lebeau a dit que si M. Dor était un charlatan, il eut inscrit au bas de la première page : guérison certaine, concurrence impossible.
    Mais il était trop rusé pour écrire de telles phrases, c'était pour lui la guillotine.
    Parlant de la fête des morts qu'on célèbre à la Toussaint, Me Gérard s'indigne qu'à côté de celle célébrée par le culte catholique, le Père Dor s'est aussi évertué à la célébrer de son côté !
    Charlatan et indigne comédien, s'exclame l'honorable avocat.
    Me Lebean. – C'est un procès à tendance que vous faites.
    Me Gérard. – Les malheureux adeptes que Dor appellent ses enfants, sont venus témoigner, ils n'avaient garde d'accuser leur père (rires), pas plus qu'un apôtre n'accuse son Dieu.
    Me Gérard conclut :
    « Abandonnez, Dor, votre métier de guérisseur et retournez à l'atelier exercer le métier que vous n'auriez jamais dû abandonner.
    Me Gérard demande condamnation.
    Me Bonehill prenant la parole dit, que M. Lebeau a parlé de diverses religions mais, il a omis de donner la définition du mot religion.
    L'honorable avocat dit que l'idée de Dieu est inséparable de celle de religion. Or, Dieu n'est qu'un mot, et le prévenu n'était pas à même de créer une religion.
    Il s'est lui-même reconnu le Christ réincarné et il l'écrit dans son livre.
    Me Lebeau. – Ne parlons pas de religion.
    M. le Président. – Vous avez vous même attiré vos adversaires sur ce terrain.
    Me Bonehill explique de quelle façon s'exerce le culte antoiniste, dont les cérémonies ont été plagiées par Dor.
    Il n'était pas capable de fonder une religion ; dès lors, il n'y avait pas de culte.
    Jetons donc une bonne foi par-dessus bord l'article 14 de la Constitution.
    Il nous était absolument indifférent qu'il fondât une religion, mais ce que nous lui reprochons c'est de s'être enrichi à nos dépens.
    Me Lebeau s'est évertué à plaider le désintéressement de Dor.
    Il a remboursé une somme de quelque mille francs qu'on lui avait prêtée.
    Me Lebeau. – Donnée.
    Me Bonnehill… prêtée, mais il a fait ce que tout homme quelque peu honnête aurait fait. Des déclarations de Delcroix et Muylaerts, il faut se délier, car ce sont des adeptes très fervents.
    Il y a aussi l'affaire de la vente de la margarine. Il y ici un perdant : c'est la déclaration de M. Romain concernant la vente d'un terrain. Vous n'avez pas la dignité de rembourser à Mme Delisée les 17.000 francs que vous reconnaissez détenir.
    Me Lebeau. – Nous n'avons pas d'argent.
    Me Bonehill. – Dor était d'après Me Lebeau la maladresse réincarnée. A la veille des débats il publie une affiche où il se raille de la magistrature.
    Conclusion : Dor n'est pas un escroc d'envergure, c'est un escroc de bas étage ; Me Morichar est tombé de Wilmart à Dor. (Hilarité.)
    Votre crédulité n'est pas incurable. Le jour de la Toussaint vous magnifiez les Ames des soldats tombés pour la patrie : la fin de la séance fut odieuse.
    Dor dit que sa patrie était le monde entier et il a ajouté qu'on ne devait pas être exclusivement patriote pour détendre son pays.
    Dans sa plaidoirie, Me Lebeau a dit que Dor était désintéressé et que son intention était de ce purifier les mains en voulant verser de l'argent dans la caisse de I'Ecole des Estropiés.
    C'était facile de prendre l'argent de Mme Délisée pour le verser à l'œuvre de l'Ecole des Estropiés !
    Me Lebeau a dit que Mme Délisée était une épave, une divorcée. J'ai ici le jugement de divorce prononcé aux torts du mari. Vous auriez pu le dire. Sur quoi vous basez-vous pour dire que Mme Délisée a eu une vie orageuse ? Vous ne l'avez pas dit. Vous avez aussi parlé de ces bons petits bourgeois, les époux Chartier.
    Vous avez dit que Dor n'aimait pas ces gens. Et bien, il n'est pas propre d'accepter de l'argent de la part des gens qu'on n'aime pas.
    Dans ma plainte, tout n'y figure pas ainsi que vous l'avez prétendu.
    Avez-vous prouvé que cette femme était venue de Bruxelles de son plein gré ? Non, Mme Delisée a été amenée à Dor par cette rabatteuse qui a nom de Broset.
    Me Lebeau n'a pas parlé de lettres que son client écrivait à Mme Delisée, lorsque celle-ci se trouvait dans les Ardennes où elle se livrait au colportage des brochures.
    Est-ce que cette lettre a été écrite ?
    Me Lebeau. – Oui, mais amour était écrit avec un grand A.
    Me Bonehill. – Vous mettez des majuscules à tous les substantifs (rires prolongés).
    Quant aux sommes qui ont été déboursées pour le chauffage, vous savez que vous avez reçu de Mme Delisée une somme de 4,000 francs et vous n'avez payé a M. Dufrasne qu'une somme de 3,600 francs. Après cela, Mme Dor écrit à Mme Delisée qu'elle a chauffé gratuitement cette dernière.
    Ceci est trop fort, Mme Delisée a été chauffée avec sa chaufferie (rires).
    C'est de la facétie.
    J'ai dit.
    Me Mahaux réplique à son tour et estime que tout a été dit par les éminents avocats de la partie civile.
    La longue plaidoirie de Me Lebeau et les efforts qu'il a faits pour détruire la base de mon réquisitoire ont été vains.
    On a voulu faire des rapprochements entre de modestes ouvriers de Mons Crotteux et Bouddha.
    L'honorable organe de la loi met en contradiction l'intellectualité des éminents défenseurs du prévenu et de la mare stagnante dans laquelle croupit ce dernier.
    Défions nous, dit M. Mahaux du Dorisme qui habilement ont doré Mes Lebeau et Morichar. (Rires).
    Dans le dorisme, il n'y a pas de discipline : Dor est, à la fois, le pape et le vicaire. Un culte n'est considéré comme professé que lorsqu'il se manifeste par des rythmes solennels et publics.
    Que se passe-t-il à Roux ?
    C'est une longue suite de personnes qui attendent leur tour d'être introduites près de Dor.
    Après cette formalité ces gens se retirent non sans avoir passé devant le tronc comme on le sait.
    Qu'y a-t-il là de solennel et de public ? Rien, absolument rien.
    Il y a bien un rythme... public peut-être, mais non solennel le jour de la Toussaint où le propriétaire de l'endroit prononce un discours saugrenu.
    Le prévenu a purement et simplement fondé un système de morale. Me Lebeau n'est pas parvenu à prouver que ce style ampoulé étant de Dor lui-même, on a fait justice de son soi-disant désintéressement.
    N'a-t-il pas voué une haine féroce à M. Romain qui a refusé de remettre au prévenu une partie de son bénéfice provenant de la vente de margarine ? Abordant l'examen de l'argument invoqué par la défense, à savoir que le Dorisme devait être protégé, en vertu de l'article 14 de la constitution, qui garantit le libre exercice des cultes.
    De quel culte, s'agit-il, ici ?
    Pensez, Messieurs, que la loi a laissé aux tribunaux le soin d'apprécier si des manifestations religieuses peuvent être élevées à la hauteur d'un culte.
    Les pratiques du Dorisme ne sont pas d'un culte, mais bien de la superstition.
    Un dernier argument qui est décisif : c'est l'aveu de Dor lui-même.
    Le 2 juin, le prévenu envoyait à « La Région » de Charleroi, un droit de réponse dans lequel il disait qu'il n'existe pas de Dorisme, car à l'Ecole Morale, il n'y a ni religion, ni secte, ni société, ni rien qui puisse porter un nom. Le Père Dor dit toujours comme Jésus : « Je ne suis pas revenu pour apporter la paix sur la terre, mais l'épée, car sans la destruction de toute idée religieuse, l'accord des uns avec les autres est impossible. »
    Voilà ce que le prévenu écrivait lui-même ; il nie qu'il existe la moindre idée de religion et il nie qu'il y ait des Doristes.
    Sera-t-il permis à n'importe qui d'exercer l'art de guérir pour commettre des escroqueries.
    Nous nous trouvons en présence d'un escroc fort habile, retors, qui ne craint pas de s'attaquer à une sexagénaire.
    Je pense qu'il sortira d'ici flétri par une condamnation et qu'il paiera ainsi la mort prématurée à laquelle il a, par ses odieuses prescriptions, condamné beaucoup de petits enfants. (Mouvement).
    M. Mahaux donne lecture de ses conclusions motivées et M. le Président donne la parole à Me Lucien Lebeau.
    Celui-ci déclare qu'il ne rencontrera qu'une objection : celle affirmant que le Dorisme n'est pas une religion.
    On a pris la définition du mot religion dans un Larousse. Ces définitions n'ont aucune valeur.
    L'honorable avocat versera aux débats un livre publié par une sommité en la matière.
    On a fait état d'une lettre de M. Dor dans laquelle il reconnait lui-même que le Dorisme n'est pas une religion.
    Et bien, malgré M. Dor lui-même, le Dorisme est une religion.
    Si on avait interrogé Mahomet sur le point de savoir s'il avait fondé une religion, il eut protesté et aurait répondu : « Non, je suis seulement le prophète et je mets simplement en pratique une morale qui m'a été révélée.
    Il faut être moral pour éviter la désincarnation ainsi que le proclame le Bouddhisme. Le Dorisme existe malgré M. Dor.
    M. Dor a suscité chez les Doristes des sentiments religieux : il n'y a donc pas de religion méprisable et méprisée.
    Peu importe les formes extérieures que revêt le Dorisme, il y a culte et à l'insu de M. Dor, lui-même.
    L'article 14 protège les cultes à quelque titre que ce soit contrairement à ce qu'a prétendu M. le procureur du Roi.
    Le Dorisme a poussé les adeptes à poser des actes honnêtes et consciencieux.
    La liberté de conscience est ce que nous avons de plus cher.
    Ceux qui voient conduire à Lourdes des malheureux qui meurent en cours de route, voient dans ce fait une manifestation divine s'ils sont croyants ou une odieuse chose s'ils sont mécréants.
    Prenez garde, Messieurs, les persécutés d'aujourd'hui peuvent être les persécuteurs de demain.
    Un seul moyen d'éviter cela, c'est de rendre un jugement d'acquittement.
    Cet homme façonne des braves gens ; laissez-le continuer ; nous en avons fortement besoin.
    Les débats sont clos. L'affaire est mise en délibéré il sera statué à l'audience du 16 décembre prochain.
    A 6 heures 40, Pierre Dor quitte le Palais de justice, entouré d'une demi-douzaine s'agents de police.
    Un nombreux public lui fait escorte, en le conspuant fortement.
    Ce sont aussi des bordées de coups de sifflet.
    Ce cortège pittoresque s'achemine vers la Ville-Basse et le prévenu quitte la ville de Charleroi où il ne reviendra plus avant le 16 décembre prochain pour entendre la lecture du jugement qui interviendra.
                                                                 RASAM.

La Région de Charleroi, 1er décembre 1916 (source : Belgicapress)

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Le Père Dor en correctionnelle - Les aléas de la divinité (La Région de Charleroi, 19 novembre 1916)(Belgicapress)

Publié le par antoiniste

Le Père Dor en correctionnelle - Les aléas de la divinité (La Région de Charleroi, 19 novembre 1916)(Belgicapress)

 Chronique des Tribunaux
Tribunal correctionnel de Charleroi
Audience du 17 novembre
Le Père Dor en Correctionnelle
LES ALÉAS DE LA DIVINITÉ

Audience de l'après-midi

    L'audience du matin terminée, la foule stationne longtemps sur le boulevard Audent, attendant la sortie du Messie du XX° siècle qui en avait pris quelque peu pour... son rhume pendant trois heures qui ont dû lui paraître interminables.
    La curiosité du populo fut déçue car Pierre Dor ne parut pas et festoya, à la végétarienne, sans doute, dans une salle attenant à celle des débats.
    Il aura été fort peu désireux d'être à nouveau l'objet des manifestations de sympathie... à rebours organisées en son honneur les journées précédentes et il a cru bon de respirer quelques heures de plus l'atmosphère plus clémente du temple de Dame Thémis.
    Stoïquement, du reste, nombre de curieux, j'allais écrire passionnés, firent comme le Père Dor et restèrent au Palais pour « retenir » leur place !
    Peu avant l'ouverture des débats, le petit père s'avança vers ses adeptes et leur dit : « Mes enfants, je n'irai pas à Roux lundi, mais seulement la semaine suivante. »
    Ouf ! voilà une semaine de fluide... au diable.

*
*   *

    L'audience est reprise à 3 heures 15 et la parole as donnée à Me Lucien Lebeau, premier défenseur du prévenu.
    Me Lebeau dit, qu'il s'en voudrait, au début de sa plaidoirie, de ne pas rendre hommage à Messieurs les membres du siège, pour l'impartialité dont ils ont fait preuve depuis l'ouverture des débats.
    Le Parquet a poursuivi sur la plainte des Chartier et de Mme Delisée. Le prévenu s'en félicite. On escomptait un scandale et finalement on a abouti à l'accouchement d'une souris ; à l'Ecole Morale, tout s'est passé correctement.
    L'honorable avocat rend hommage enfin aux belles plaidoiries de ses deux adversaires.
    Celle de Me Bonehill a été particulièrement brillante.
    J'ai cru, dit Me Lebeau, distinguer dans cette manière de tuer le Christ et l'Antechrist l'idée de provoquer la passion religieuse dans le cœur des magistrats.
    Ces moyens n'ont pas abouti et vous rendrez, messieurs, votre jugement dans le calme de votre conscience.
    Le Dorisme est un phénomène d'ordre religieux.
    J'entends que le Dorisme est une manifestation de l'instinct religieux. Ce culte pousse l'homme à rechercher son origine. Au domaine religieux appartient ce phénomène de la conversion.
    Voici comment la conversion se réalise : un homme vise à gagner beaucoup d'argent et croit que c'est là le bonheur ; à un certain moment, à la suite de la mort d'un enfant, cet homme est ébranlé dans sa conviction d'avoir voulu atteindre un bonheur illusoire.
    Alors ses désirs du second plan passe au premier plan.
    Ce problème est admirablement résolu par l'éminent historien Tolstoï dans son livre intitulé « Résurrection ».
    Les adeptes Doristes sont des gens qui ont soufferts moralement ; ils se sont adressés à M. Dor qui leur dit qu'ils s'étaient trompés de route en courant après un bonheur illusoire.
    On se guérit de la souffrance en se dématérialisant. Il faut tuer ses passions et lorsqu'on a tué ces dernières : on éprouve une grande satisfaction. Les conversions des doristes sont à la fois d'ordre moral et religieux.
    Leur conversion morale a été suscitée par leur croyance. Cette foi leur donne la sensation qu'ils ont trouvé le bonheur.
    Ces gens se sentent délivrés d'une vie antérieure, comme le prisonnier de guerre qui rentre dans sa patrie.
    La Doctrine Doriste est une petite religion nouvelle, créée par M. Dor.
    Si le fait s'était passé en Angleterre, M. Dor n'aurait pas eu besoin de s'expliquer.
    En Angleterre, à tout instant, un illuminé crée une religion.
    Si au lieu de juger M. Dor vous auriez eu à juger un rebouteux, verriez-vous des gens qui s'émouvraient jusqu'au délire ? Non, vous verriez quelques témoins qui déposeraient avec calme et sans enthousiasme exagéré.
    Or, ce n'est pas cela ; c'est autre chose ; la reconnaissance des adeptes du Père Dor revêt un caractère de reconnaissance exaltée.
    M. Dor les a initiés à une doctrine qui pour eux, est la lumière. Physiquement, ils sont guéris.
    Me Bonehill. – Ils sont morts.
    Me Lebeau. – Ils sont morts de leur ancienne vie.
    A leurs yeux, M. Dor est le professeur de la doctrine qui provoque l'extase. L'action du ministère public se brise contre l'article 14 de la Constitution lequel vise la liberté du culte.
    Pouvez-vous décider que le culte Doriste leurre un amas d'imbéciles ?
    Les adeptes considèrent le culte Doriste come la religion véritable et non comme des billevesées.
    Bien plus, en frappant M. Dor, en l'emprisonnant vous trapperiez cette petite église dans la personne de son chef.
    Des gens sains consultent journellement M. Dor et on vous demande de condamner ce dernier, parce qu'il a fondé cette église.
    La corps judiciaire n'a pas le droit de dire cela et doit s'incliner devant lui comme devant un fait.
    Supposez que dans un avenir éloigné on traduise devant les tribunaux tous les prêtres et qu'on les condamne comme imposteurs, mais ce serait atteindre le culte lui-même.
    Avoir fait un tel effort pour s'élever et retomber alors à plat, ce serait pour les adeptes la désillusion la plus complète.
    Si cette croyance était nuisible à l'ordre public, on admettrait mais les théories morales du Père Dor sont louables.
    Il faut laisser en paix les Doristes, qui sont de braves gens qui ont trouvé le bonheur dans la pratique des doctrines du Dorisme.
    Supposez que vous condamniez M. Dor et que les adeptes ne s'inclinent pas, ce sera alors M. Dor que grandira et ses adeptes le considèreront comme un martyr et l'en vénéreront davantage.
    Ce serait de la persécution religieuse et nous savons par l'histoire que la persécution n'a jamais servi qu'à faire grandir l'enthousiasme des adeptes.
    Le tribunal hésite et se demande si M. Dor n'est pas un imposteur. M. Dor a-t-il l'obligation de prouver qu'il est sincère ? Non. C'est un problème moral et non juridique, il est insoluble.
     Quand direz-vous qu'un homme est sincère ou non ?
    Vous ne le pouvez et jusqu'à preuve du contraire, M. Dor doit être considéré comme sincère.
    Quand quelqu'un ouvre une église et crée un culte, il n'a de compte à rendre à personne. Il est commode de dire que M. Dor dit des extravagances, mais la foi ne se démontre pas et les affirmations de M. Dor ne sont pas une preuve contre lui. Mahomet a dit un jour qu'il avait vu l'ange Gabriel.
    On lui a d'abord ri au nez, mais Mahomet a néanmoins fondé une grande religion. Cette doctrine est-elle si obscure qu'on veuille bien le croire ? Non.
    Ses disciples affirment qu'il est le Christ réincarné, M. Dor croit à la réincarnation des âmes et il est certain qu'il est profondément imbu des doctrines du Christ.
    Vous avez affaire à un homme qui est passionné. La croyance sincère de M. Dor, qu'il est le Christ réincarné, ne doit donc pas faire sourire.
    Me Lebeau parle du bouddhisme qui est né à une époque à laquelle il y avait un affaissement moral.
    L'honorable avocat donne lecture des quatre vérités du culte de Bouddha.
    Les passions rendent malheureux. Pour être heureux il faut donc renoncer aux passions, cause des souffrances.
    Le bouddhisme ressemble au dorisme.
    Le régime végétarien est également imposé et ce uniquement pour éviter qu'on ne mange un de ses frères. (Rires.)
    M. le Procureur a raillé le passage du livre « Le Christ parle à nouveau » qui dit qu'il faut toujours s'avouer coupable, mais cela est vrai car le mal est en vous.
    Me Bonehill. – Si vous nous parlier du désintéressement du bouddhisme.
    Me Lebeau. – Le bouddhisme est désintéressé.
    Me Bonehill. – Il est inconciliable alors avec le dorisme.
    Me Lebeau. – Cette doctrine a produit de bons résultats, les adeptes du Dorisme sont des gens qui se sont corrigés de leurs défauts.
    C'est aux fruits qu'on doit juger l'arbre.
    Vous pouvez souhaiter qu'il ait embrassé une autre doctrine, mais vous ne pouvez leur contester le droit d'être doristes ; ce serait contraire à l'esprit de la constitution.
    M. Dor donne l'impression d'un rêveur ou d'un contemplatif.
    Vous avez entendu Zoé Fermeuse, l'ancienne femme de charge de M. Dor ; cette femme a affirmé que M. Dor suivait le même régime que celui qu'il impose à ses adeptes.
    Ce n'est que depuis quelques temps, que M. Dor prend des œufs et ce à cause des circonstances présentes.
    M. Dor vivait cloîtré à la manière d'un ermite, il est arrivé à puiser une grande force morale.
    A ce moment de la plaidoirie de Me Lebeau, Pierre Dor est très abattu, il soupire longuement quand son défenseur parle de ses enfants, dont l'ainé fréquente les cours de l'Université du Travail et se destine à l'électricité.
    Dor n'a donc pas une fortune permettant d'entrevoir pour ses enfants des positions brillantes.
    M. Dor est d'origine ouvrière et il met ses principes en concordance avec ses actes.
    Me Lebeau donne lecture de différents passages du livre : « Christ parle à nouveau », et se demande où on voit là-dedans un style empirique.
    N'est-ce pas une manière familière de dire les choses. Est-il extraordinaire qu'un artisan ait écrit cela ?
    Non, ce sont là des paroles qui ne sont pas banales.
    Dire que la vie telle que la comprennent beaucoup de personnes ne sont que des illusions qui cachent bien des peines n'est pas une pensée banale c'est toute la théorie de Platon.
    Me Lebeau s'arrête là et affirme que l'ouvrage du Père Dor est consciencieusement pensé et écrit.
    Il tire la conclusion que bien que l'auteur n'ait pas le talent d'écrire, arrive à dire des choses vraies et pense ce qu'il dit ; c'est ainsi qu'on peut voir des orateurs élégants laisser leur auditoire indifférent, tandis que des plébéiens, prononçant des discours dans un langage frustre, soulevaient littéralement leur auditoire.
    Un incident se produit, une dame tombe en syncope. On réclame un docteur. On sourit et on semble désigner le père Dor, capable de ranimer cette femme qui peut-être est une de ses adeptes.
    On a dit que le Père Dor n'était pas l'auteur de ses livres et de ses brochures, je verse aux débats les brouillons livrés par le Père Dor.
    Me Bonehill. – Sont-ils enregistrés ? (Rires.)
    Me Lebeau. – Vous n'avez pas fait la preuve que M. Dor était un plagiaire.
    Me Bonehill. – La voilà...
    Me Morichar. – Oui, dix pages sur trois cents.
    Me Lebeau. – Il y a bien quelques passages plagiés, mais le Père Dor le signale et l'encadre.
    Du reste, M. Dor veut toujours perfectionner son œuvre et c'est ainsi qu'il a écrit plus d'un livre.
    S'il avait voulu exploiter la crédulité humaine, il se serait uniquement attaché à vendre un seul livre.
    Me Lebeau invoque l'exemple de Molière.
    M. le Président. – Molière était un génie.
    Me Lebeau. – Et malgré cela il a plagié. Victor Hugo a aussi été accusé de plagiat. Donc pour se résumer à cet égard, ces livres sont de lui et prouve sa sincérité. M. Dor prêche le désintéressement. Est-il désintéressé ? Oui et il est parvenu à avoir des preuves écrites de son désintéressement.
    Vous connaissez son passé, il a commencé par être ouvrier et comme tel possède des certificats d'honnêteté et de moralité. Il gagnait bien sa vie. Qu'est-ce qui l'a incité à quitter l'usine ? C'est un accident.
    A l'âge de 33 ans il s'est installé épicier et un peu plus tard restaurateur à Jemeppe-sur-Meuse, où il gagnait largement sa vie. Il abandonna ce commerce lucratif, vendit ses maisons pour une somme de 18,000 francs.
    Dans son compte de banque arrêté au 30 juin 1906, on remarque qu'il versait régulièrement, fin de chaque mois des sommes relativement importantes provenant de bénéfices réalisés dans son commerce. C'est alors qu'il a été l'objet d'une cause morale et il s'est aperçu à ce moment la cause de ses maux.
    Il alla chez le Père Antoine avec qui il tomba en désaccord. Il rencontra un industriel liégeois qui le décida de l'accompagner en Russie. Il y fit des guérisons et c'est ainsi que la police et les docteurs eux-mêmes firent des propositions à M. Dor de travailler sous leur responsabilité, ce à quoi il refusa.
    Comme conséquence de son refus, il dut quitter la Russie et c'est ainsi qu'en 1909 il vint à Roux, où il fonda le culte Doriste.
    Un Liégeois en reconnaissance des services lui rendus par le Père Dor, offrit à celui-ci des fonds en vue de la création de l'Ecole Morale.
    Le Père Dor remboursa cette somme deux ans après, alors que le Liégeois de le demandait pas.
    Ceci est décisif, dit Me Lebeau, le désintéressement complet de M. Pierre Dor.
    Le solde, soit 3.00 fr., fut remboursé par une cession de créance. L'acte fut passé devant notaire.
    Si cet industriel n'a pas été cité comme témoin, c'est parce qu'il est actuellement en Russie où il a ses intérêts.
    J'ai démontré qu'il posait un acte qui ne peut s'expliquer que par un désintéressement complet.
    Un autre fait : M. Dor se mit en rapport avec la célèbre fabrique de margarine Vanderbergh's Limited.
    M. Romain se mit à vendre la margarine « Bra » avec d'importants bénéfices.
    Comme M. Dor juger cette margarine excellente, il conseilla à la firme de la dénommer « margarine du Père Dor ».
    On crut alors que c'était une affaire d'or et que Pierre Dor en retirait gros bénéfices.
    Le dépositaire se brouilla avec le Père Dor et fut remplacé par M. Servaes.
    Il y eut procès dans lequel intervint personnellement M. Dor qui favorisa de sa déposition l'adversaire de son protégé.
    Le Père Dor n'a touché aucun bénéfice de la société ; mais l'opinion publique colportait le bruit que le Père Dor touchait des bénéfices du dépositaire.
    Or, dans une correspondance échangée entre Monsieur Romain et M. Dor, le premier proposa de laisser tout le bénéfice au profit de l'Ecole morale, qu'il se contenterait, lui, de son bénéfice de restaurateur.
    Dor refusa catégoriquement : nouvelle preuve de son désintéressement.
    Il est 6 h. 30 ; Me Lebeau interrompt sa plaidoirie qu'il continuera à l'audience de mercredi prochain.
    Armons-nous de patience, car l'honorable défenseur annonce qu'il en a encore pour 3 heures.
    Me Morichar prendra ensuite la parole ; puis viendront les répliques. Il y a dès lors lieu de supposer que cette affaire ne sera terminée que mercredi soir pour autant que le tribunal siège l'après-midi.
    La semaine... Doriste est terminée. Pierre Dor s'est acheminé vers la Ville-Basse.
    Une foule énorme lui a fait escorte en lançant à son adresse quantité de quolibets wallons, tous au plus plaisants.
    Pour l'instant, on ne parle plus de la guerre ni des chômeurs, c'est l'affaire du Père Dor qui fait l'objet de toutes les conversations. On discute les chances d'acquittement ou les dangers d'une condamnation. On joue même au jurisconsulte et certains veulent ouvrir des paris ! L'argent est rare, aussi parie-t-on deux demis contre un.
    Dans le but d'orienter certains parieurs... de demis, nous donnerons dans notre numéro de demain, différentes opinions sur cette cause qui passionne tant l'opinion publique.                                                RASAM.

La Région de Charleroi, 19 novembre 1916 (source : Belgicapress)

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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le Bruxellois, 12 avril 1917)(Belgicapress)

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Palais de Justice - Le Procès Dor (Le Bruxellois, 12 avril 1917)(Belgicapress)

PALAIS DE JUSTICE
COUR D'APPEL DE BRUELLES
Le Procès Dor
(Suite.)
Audience du 10 avril.

    Suite de la plaidoirie de Mtre Lebeau :
    Dor a institué un culte, il a en conséquence le droit d'en organiser des manifestations extérieures sans pouvoir être interdit. Je vais plus loin : il a le droit de vivre de son métier. Dès qu'on professe une foi, il faut un temple, un lieu de réunion, du charbon et par conséquent il y a un problème financier à résoudre. Voilà pourquoi Dor a placé un tronc. C'était son droit absolu, quelle que soit la mentalité enfantine de sa doctrine.
    M. l'avocat-général. – Il ne pouvait tromper ses adeptes.
    Mtre Lebeau. – Eh ! qui vous dit qu'il les a trompés ? Cet homme n'est-il pas de bonne foi ? Tout prophète est de bonne foi. M. l'avocat-général nous a magnifié ce matin Jean Huss et sa mort. Mais transportons donc Dor à cette époque. C'est lui que nous trouverions sur le bucher, et c'est le démocrate organe de la loi d'aujourd'hui que nous verrions attiser les flammes allumées par les conservateurs d'alors. En réalité, ceci est un épisode nouveau des persécutions religieuses. On aura beau ergoter, il n'y a rien autre chose. Dor a le droit de demander à vivre de son autel et ceux-là qui ont seuls le droit de demander des comptes à Dor, ce sont les gens qui lui ont donné de l'argent. La Cour ne peut s'occuper de sa petite église, parce qu'elle échappe à sa compétence. Elle ne pourrait s'en occuper que s'il y avait des manœuvres basses et grossières pour gruger des imbéciles.
    M. l'avocat-général. – Il se dit le Christ. N'est-ce pas bas et grossier cela ? L'est-il, le Christ ?
    Mtre Lebeau. – Non, il ne l'est pas. (Rires au banc de la partie civile.) Mais ce n'est pas mon opinion à cet égard qui doit prévaloir ici. En tous cas il n'est pas grossier de le prétendre dans le sens qu'admet Dor. Celui-ci a une morale supérieure, des idées qui élèvent l'homme, lui servent à le rendre meilleur. Les Doristes ont un idéal, leur culte que nous considérons nous autres comme primitif et enfantin ; leur doctrine que l'on peut traiter de rudimentaire suffit à ces mentalités frustes et simples. Dor comme d'autres prophètes affirme que sa doctrine vient du ciel. Prouverez-vous que cela n'est pas ? Mahomet a révolutionné le monde en affirmant que c'était l'ange Gabriel qui lui avait inspiré sa mission. Contesterez-vous que Mahomet ait été le chef d'une Eglise, le fondateur d'un culte ? Quelle base scientifique possédez-vous pour démentir des assertions du même genre de la part de Dor ? Nous sourions, nous, de certaines de ses thèses, de la puérilité de certaines de ses pratiques. Mais d'autres y ont foi, son langage dépourvu de délicatesse et de goût fait impression sur ses fidèles. C'est en matière religieuse surtout qu'il importe d'être tolérant et de ne pas juger sur un mot, sur une impression. Il n'y a aucune intention frauduleuse à s'appeler le Christ, le Messie du XXe siècle et il ne faut pas être grand clerc pour trouver un sens très logique à semblables paroles dans la bouche de Dor. Il ne faut pas rire non plus, comme on l'a trop fait, de son fluide. Cette expression empruntée à la science spirite indique qu'il exerce certaines influences morales et même physiques. Or, est-ce vrai cela ? Contestez-vous qu'il ait soulagé, amélioré ses adeptes ? Contestez-vous que beaucoup ont en Dor une confiance Illimitée ? Un magistrat catholique me disait : Le procès Dor doit être pour nos prêtres un enseignement important. Il révèle dans la foule des sources insoupçonnées de besoins religieux. Le peuple a besoin de croire, d'être guidé, éclairé. On ne s'en rend pas assez compte. Dor a compris ce besoin, cette soif de l'âme ; il se penche sur toutes les misères morales et arrive souvent à les soulager et par-dessus le marché les misères physiques d'une manière providentielle. M. l'avocat-général, dans un raisonnement simpliste, nous dit : « Nous sommes en face d'un vrai culte, ou d'une escroquerie. » Pardon ! il faut envisager une troisième hypothèse : Dor n'a pas un culte reconnu ; il peut néanmoins être un prophète de bonne foi, réalisant des phénomènes qui ne se réaliseraient pas sans son intervention.
    M. l'avocat-général. – Je vous entends venir. Vous allez demander l'examen mental de votre client.
    Mtre Lebeau. – Oui ! Je demande l'expertise et ce n'est pas la première fois que je la demande. Quand le parquet de Liége s'occupa d'Antoine le guérisseur, il délégua des médecins qui interrogèrent le Père Antoine et ses adeptes guéris.
    Ces docteurs admirèrent la sincérité du Père Antoine et reconnurent des guérisons jugées impossibles dans certains cabinets de docteurs. Le Père Antoine n'était donc pas un imposteur, ni un escroc.
    Mtre Gérard. – Lisez le jugement. Il dit tout autre chose.
    Mtre Lebeau. – Du tout.
    M. le président. – Est-ce qu'Antoine a été prévenu d'escroquerie ?
    Mtre Lebeau. – Absolument.
    Mtre Gérard. – Il a été acquitté faute de preuves suffisantes.
    Mtre Lebeau. – Je me demande à quoi rime cette intervention, Mtre Gérard.
    Mtre Bonnehil. – Dois-je intervenir alors ? (Rires.) Hé bien ! Je demande moi la nomination d'un expert comptable. Montrez votre comptabilité.
    Mtre Lebeau. – La grosse malice ! Dor n'a pas de comptabilité. S'il en avait on dirait : « Quel bon commerçant ! »
    Il n'en a pas ; on dit : « Quel escroc ! »
    Mtre Bonnehil. – On vous fera cependant rendre gorge.
    Mtre Morichar. – Nous vous avons maintes fois proposé des comptes.
    Mtre Bonnehil. – Des comptes d'apothicaire.
    Mtre Morichar. – Du tout ; seulement vous êtes trop gourmands.
    M. le président. – Remettons la suite de ce débat à demain et tachons de terminer le matin.
    L'audience est levée à 5 heures.

Audience de mercredi matin.

    Dernière journée, très probable, du « Calvaire du Christ. » On s'attend à une déclaration sensationnelle de Mtre Lebeau, mais on suppose qu'il n'y aura pas de répliques.
    La Cour a vivement insisté pour que les débats soient terminés aujourd'hui.
    Mtre Lebeau reprend la parole à 10 heures. Il affirme que Dor est de bonne foi.
    Ce serait au ministère public à faire la démonstration de la mauvaise loi de Dor. Il ne l'a pas lait, moi je vous le démontrerai.
    Dor a toujours aimé le travail, i n'a pas de besoin, il a toujours repoussé avec dédain les moyens faciles et nombreux de faire fortune. Dor a suivi l'école de son oncle, Antoine le Guérisseur, de Jemeppe, qui, d'après l'enquête du parquet de Liége, était un illuminé sincère, Dor n'a jamais été condamné ; il a passé par de nombreuses usines du pays de Liége et partout il a obtenu les certificats les plus élogieux.
    A Jemeppe-sur-Meuse, à la suite d'un accident dont il fut victime, il est devenu commerçant et s'est établi à proximité de son oncle Antoine, commerce d'épiceries, merceries et hôtellerie. Ce commerce était destiné à une prospérité certaine. En 1906 il versait à la banque des sommes très importantes. En cinq mois ses bénéfices montent à 4,124 francs, somme avec laquelle il a acheté un groupe de maisons. En quelques années il réalise un actif de plus de 25,000 fr.
    Il faisait de si bonnes affaires que son départ de Jemeppe stupéfie son entourage. Il vient s'installer à Roux, où il vit en ascète. Il ne sort jamais et se borne à se promener dans son jardin. Il faut une fameuse dose de volonté pour cela... »
    M. le substitut Simons. – C'est comme la femme à barbe à la foire. (Rires.)
    Mtre Lebeau. – « La femme à barbe » sort, je l'ai déjà rencontrée. (Rires.) Dor suit un régime de végétarien, il ne mange que de la margarine. Il en porte la marque sur toute sa personne, ses allures compassées, sa voix blanche, son visage émacié ; tout cela provient du régime qu'il s'impose. Il témoigne de sa sincérité en conformant ses actes à ses théories. Il prêche d'exemple, c'est pourquoi ses disciples le respectent.
    Est-ce un paresseux ? Il se livre à un travail écrasant, il reçoit entre 1,400 à 1,500 personnes par jour, il compose des livres.
    Quelle est dès lors l'explication de sa vie étrange ? C'est que c'est un illuminé, un homme de bonne foi.
    Ses ouvrages encore démontrent sa bonne foi. Il n'est pas lettré et malgré cela il compose des livres, bien conçus, bien enchainés, d'inspiration claire. Son inspiration souvent éloquente est une preuve certaine de conviction. On a insinué que ses livres ne sont pas de lui. C'est le contraire qui est vrai. Il a trouvé des correcteurs pour ses fautes de français, mais il n'aurait pas permis que l'on retouche à sa pensée.
    S'il y avait eu un autre auteur, vous le connaitriez certainement par Mme Delisée. Ne vous a-t-elle pas signalé des livres d'où il a tiré de minuscules paginnettes ? Nous possédons d'ailleurs ses brouillons ; la Cour les a vus. Le fait de composer des livres aussi profondément mystiques démontre que Dor n'est pas un escroc mais un illuminé sincère. Dans la vente des livres, la délicatesse, les scrupules de Dor apparaissent encore d'une manière indiscutable. Il n'impose son livre à personne, il n'offre pas ses ouvrages. Les adeptes achetaient le livre non pour payer Dor, mais dans l'intention de s'instruire. Les Doristes ont parfois essayé de pousser à la vente en organisant le colportage. Cela a été considéré par Dor comme un excès de zèle et il a arrêté net cette propagande. Est-ce là le fait d'un escroc ?
    Les témoins sont des convaincus, ce sont des obligés de Dor et qui n'hésiteraient pas à le payer s'il demandait une rémunération quelconque. Or, Dor n'exige rien.
    Il a été condamné dans le chapitre des escroqueries générales pour avoir reçu de 10 cent. à 10 fr. et cela pour avoir donné des entretiens, des consultations parfois très nombreuses au même client. Sa bonne foi nous est encore démontrée par son influence extraordinaire sur ses adeptes. Par sa seule volonté il parvient à leur imposer une vie conforme à la moralité.
    Croyez-vous qu'un vulgaire escroc parviendrait à influencer son entourage de manière à lui donner des sentiments d'idéal et d’abnégation ? Essayez un peu, M. l'avocat général, vous qui êtes si éloquent, de convertir vos auditeurs à une vie nouvelle.
    M. Simons. – Je ne suis pas jaloux de Dor, ni désireux de tromper comme lui mes semblables.
    Mtre Lebeau. – Il ne s'agit pas de tromper, mais bien de donner à autrui une conviction que l'on n'a pas.
    M. l'avocat général. – Toutes les cartomanciennes savent fasciner leurs clients.
    Mtre Lebeau. – Aucune d'elles ne fait changer la vie de leurs clients. Le mot de Boileau reste vrai.
    « Pour me tirer des larmes il faut que vous pleuriez ! »
    On ne convertit pas les gens sans être convaincu soi-même.
    Les clients du Père sont des gens convaincus, cela vous ne pouvez le nier. Ils puisent cette conviction dans leur confiance vis-à-vis de Dor, confiance souveraine, irrésistible.
    Dor est désintéressé. L'affaire de la margarine le montre d'une manière éclatante. Il autorise la firme Era, margarine végétale, à mettre sur ses paquets « Margarine du Père Dor » et cela à la seule condition que le produit soit pur. Pendant la guerre, comme il se trouve plus le produit à son goût, il permet à la firme Axa que l'étiquette soit transportée à la marque concurrente. On se disait que Dor agissait par esprit de lucre, qu'une grasse commission lui était payée, soit par le fabricant, soit par les dépositaires. Or, dans le procès fait au « Rappel », il a été prouvé qu'il ne touchait absolument rien ni d'un côté, ni de l'autre.
    Voici une autre preuve de son désintéressement. M. Van V..., de Liége, lui donne un jour 5,500 fr. Dor n'attendit pas longtemps pour remettre intégralement cette somme à celui qui la lui avait donnée sans esprit de retour.
    La conclusion de tout ceci, c'est que Dor est un illuminé et non pas un escroc. Pour lui l'argent n'a qu'une importance accessoire.
    Mtre Bonnehil. – Rendez gorge alors !
    Mtre Lebeau. – J'ai à vous faire une déclaration, Mtre Bonnehil ! Je vous propose, pour vous rembourser – ceci par pure honnêteté d'ordre moral – de vous concéder une hypothèque sur les immeubles de Roux, à concurrence de leur plus-value acquise à la suite des améliorations apportées par Mme Delisée.
    M. Simons. – Oui, après l'examen mental. S'il n'est pas escroc, c'est un fou. C'est aux médecins à en juger.
    Mtre Lebeau. – Mon client est un illuminé de bonne foi.
    M. Simons. – Cela ne me suffit pas.
    Mtre Bonnehil. – Ni à moi non plus. Une aumône ne me satisfait pas.
    Mtre Lebeau. – Sa bonne foi peut très bien être admise.
    M. Simons. – Oui, si vous prouvez sa folie.
    Mtre Lebeau. – Erreur manifeste.
    M. Simons. – Il n'est pas fou de se dire le Christ.
    Mtre Morichar. – Pourquoi ? Un illuminé sincère peut aller jusque-là.
    M. Simons. - Enfermons-le et n'en parlons plus.
    Mtre Lebeau. – Vous auriez aussi enfermé Mahomet parce qu'il disait converser avec l'ange Gabriel...
    Il importe de détruire la légende de la fortune de Dor.
    Fortune immobilière de 65,000 fr. affirme Mtre Bonnehil ; fortune mobilière incalculable, ajoute-t-il.
    Dor possédait en 1909 outre ses maisons, qui furent vendues 15,500 fr. un dépôt en banque de 5,000 fr. Il vendit son commerce 7,500 fr. Avec diverses autres sommes qu'il possédait encore, on arrive à un total de près de 30,000 francs.
    S'il était resté à Jemeppe, il se fut enrichi sans se donner trop de mal. Au lieu de faire fortune de thésauriser, Dor est obligé de vendre ses propriétés, il est obligé d'éditer ses sermons, de vendre des brochures.
    Mtre Lebeau estime que l'« Ere nouvelle » rapporta un millier de francs à son client ; « Christ parle à nouveau », 9,000 fr.
    Dor eut certes pu s'enrichir, mais logique avec ses principes, il immobilise tous ses capitaux et déclare que si son capital en banque dépasse 12,000 francs, il en versera le surplus à l'Ecole des estropiés de Charleroi.
    Ce projet de donation est incontestable, il résulte d'une lettre de M. Pastur.
    Il résulte des démarches que fit à Roux l'honorable député permanent, démarches qui n'échouèrent qu'à cause de la guerre.
    Pour fonder sa succursale à Uccle, cet argent ne suffit pas. Et c'est pourquoi il emprunte à ses adeptes. J'en viens à la question du fluide. Ce fluide émane de l'influence d'un personnage et imbibe toutes ses paroles, tous ses gestes.
    Dor a-t-il un pouvoir de rayonnement agissant sur ses malades ? C'est bien possible. Des médecins admettent que les malades peuvent être impressionnés par des influences morales magnétiques ! De nombreuses maladies, disent-ils, peuvent être guéries par la suggestion. Si cela est, la bonne foi de Dor est indiscutable et il ne peut être question d'escroquerie.
    Dor affirme que c'est son amour pour son prochain qui lui donne le pouvoir de guérir ses semblables.
    Les médecins guérisseurs sont ceux qui sont de grands philanthropes : ceci de l'aveu des médecins. Une moquerie n'explique rien. Vous voyez qu'un examen du Père et des malades s'impose.
    D'ailleurs, Dor dit et affirme à maintes et maintes reprises que ce n'est pas lui qui guérit, mais bien qu'on se guérit soi-même en s'améliorant moralement. Si Dor était un escroc, mais il ferait de la réclame, de la propagande. Mais non ; c'est tout le contraire. Il n'appelle personne et refuse qu'on insiste pour lui amener des malades.
    Il a le souci d'éviter le fanatisme chez ses clients. Les formules intolérantes sont aimées des esprits simples. Lui n'en a pas. On reproche au Père Dor son charlatanisme, école morale et le reste. Il a commis de nombreuses fautes de goût, mais il ne faut pas oublier que c'est un illettré, un primaire. A cause de cela, il n'est pas susceptible d'une délicatesse extraordinaire. Il a cru trouver quelque chose de neuf. Il est fier, il est heureux de sa trouvaille. Il a le goût de la propagande et cela provient de sa confiance illimitée en lui-même. Pour faire de la propagande démocratique chrétienne il faut aussi avoir du mauvais goût. (Rires.)
    M. Simons. – Merci.
    Mtre Lebeau. – Ne cherchez pas du bon goût dans ses descriptions emphatiques ni dans les illustrations de ses brochures. C'est nécessairement un caractère commercial. On critique surtout ses gestes hiératiques, gestes très simples, si simples que la plupart des fidèles ne le remarquent pas. Il lève parfois la main, mais pour faire taire les bavards et en imposer à ceux qui pourraient lui faire perdre son temps.
    S'il a l'âme mystique, il a l'allure hiératique, cela se tient. Son costume, sa longue chevelure, sa barbe, tout cela est de l'ermite et est adéquat à sa mentalité. Son temple est fort simple, c'est comme une église protestante.
    La grosse question maintenant. Il a dit qu'il était le Christ. Il a blasphémé, il s'est livré à des manœuvres frauduleuses. S'agit-il du Christ des chrétiens ? Du tout ; celui-là est au ciel et il en voudrait à Mtre Bonnehil de ne pas avoir bien conservé ses intérêts. (Rires.)
    Lui pardonne. Les hommes sont méchants et mettent un nom sur des étendards, mais lui est juste, bon, mystérieux.
    Ne parlons pas de blasphème. Le Christ pardonne à Dor. (Rires.)
    Père Dor, le Christ, serait un homme comme un autre dont la morale était excellente, mais avait pourtant quelques imperfections. Quoi de singulier dès lors que Dor s'imagine faire mieux. Il a une conviction comme d'autres illuminés en ont eu. La sincérité est indiscutable. Il y a une autre hypothèse que l'escroquerie, que la folie ; il y a la chose étrange commandée par le cœur et l'esprit qui font de lui un illuminé.
    La Cour doutera certainement et dans le doute l'acquittement s'impose.
    L'audience est levée à 2 heures. (B.)

Le Bruxellois, 12 avril 1917 (source : Belgicapress)

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