louis pierard
Charleroi - La seconde journée du Congrès spirite (Le Petit bleu du matin, 5 juin 1906)(Belgicapress)
CHARLEROI
La seconde journée du Congrès spirite.
(Service spécial du « Petit Bleu ».)
Les congressistes spirites se sont occupés lundi matin de l'organisation des groupements, notamment des fédérations locales de Liége, Charleroi et Bruxelles.
Nombre de discours ont été lus et il faut rendre cette justice aux spirites qu'ils possèdent parmi eux passablement de causeurs et discoureurs de talent.
Mais les contradicteurs n'avaient pas, non plus, leur langue en poche, et on a blagué ferme les pratiques que certains groupes emploient et qui peuvent faire ressembler leurs séances à des scènes bizarres et souvent comiques.
On a aussi „bêché” consciencieusement les médiums guérisseurs, qui font trafic de leurs pouvoirs, et plusieurs délégués liégeois ont critiqué véhémentement le rapport élogieux qu'un instituteur, M. Delcroix, avait fait du médium Antoine, un guérisseur renommé dans toute la province de Liége.
En thème général, on a réprouvé toutes les méthodes, toutes les pratiques qui étaient de nature à assimiler le spiritisme à une religion.
„Ce que nous voulons, a dit très nettement un congressiste, c'est rechercher la vérité, étudier la cause des phénomènes que nous observons et, pour cela, il faut que nous exercions un contrôle sérieux et minutieux sur toutes nos séances afin d'en écarter tous ceux qui, volontairement, par supercherie, ou involontairement, par auto-suggestion, nous induiraient en erreur.”
Cette séance fort intéressante a été levée à midi et demi, pour être reprise à 2 h. 1/2, pour la séance de clôture.
De nouveaux rapports ont été lus sur les moyens de propagande et de diffusion des théories spirites. Un professeur d'école moyenne, M. Demoulin, de Liége, a fait un exposé troublant des phénomènes enregistrés par lui. Le rapporteur est un médium visionnaire et tous les faits qu'il a observés ont été vérifiés et contrôlés avec minutie. Ils ont fait une profonde impression sur l'assistance. Ces faits, dont la réalité dans ces conditions ne saurait être contestée, ont éveillé la curiosité des plus profanes, tant ils sont de nature à provoquer l'étude des phénomènes spirites.
Après une deuxième […] d’un insigne spécial, le Congrès a élu plusieurs commissaires au comité fédéral, MM. Quinet, Honart, Piérard et Fritz ; et l'assemblée a désigné, à l'unanimité, la ville d'Anvers comme siège du Congrès de 1907.
M. le chevalier Le Clément de Saint-Marcq, en clôturant les débats, a déclaré que les spirites pouvaient se réjouir à bon droit des travaux du Congrès de 1906, et il a émis l'espoir que les congressistes trouveraient à Anvers un accueil aussi aimable que celui rencontré à Charleroi.
Le Petit bleu du matin, 5 juin 1906 (source : Belgicapress)
Louis Piérard - En Wallonie (1911)
Auteur : Louis Piérard
Titre : En Wallonie
Éditeurs : Henri Lamertin, Bruxelles, 1911
Louis Piérard est un homme politique belge et un militant wallon né à Frameries (dans le Borinage) le 7 février 1886 et mort à Paris le 3 novembre 1951, mais repose au cimetière de Frameries, au pied d'un des plus anciens charbonnages. Sur le tombeau érigé par la commune, on lit l'inscription Citoyen du monde. Son œuvre vient de passer dans le domaine public.
Issu d'une famille modeste (ses deux grands-pères étaient mineurs), il vint très jeune au socialisme et lutta aux côtés de Jules Destrée et Émile Vandervelde pour le suffrage universel. Il fut maire de Bougnies, sur la frontière française, de 1933 à sa mort.
Journaliste, il collabora au journal Le Soir puis au journal Le Peuple, organe de son parti, mais aussi pour Le Flambeau, le journal de Gustave Gony (il est donc possible qu'il fût spirite). Il accompagne François Crucy pour son article dans l'Humanité. Il écrivit de nombreuses critiques d'art (sur Van Gogh, Manet…) et Visages de la Wallonie (réédité par Labor, Bruxelles, 1980). Ce livre est de la même trempe que ce dernier, mais date de 1911, un des premiers titres de l’auteur.
Il y consacre deux chapitres à ce qui nous intéresse : les Thaumaturges (pp. 47-49) et Antoine le Guérisseur (pp.50-56). Pour autant, l’auteur ne nous apprend rien, et fait un travail de journaliste qui rapporte des faits. Cependant je doute qu’il se soit rendu à Jemeppe. Jugez par vous-mêmes. Pourtant, il semble bien connaître le culte, car deux articles (L'Humanité donc, et Le Monde illustré) l'évoque. Et il a soutenu la reconnaissance du culte auprès du Parlement.
On retrouve une sœur Alice Piérard en relation avec le temple de Verviers, sans savoir s'ils sont de la même famille.
THAUMATURGES
A tout seigneur, tout honneur. Que je vous parle d'abord de l'éphémère bon dieu Baguette qui opéra deux mois durant à Ressaix, près de Binche dont le carnaval est célèbre.
Jemeppe-sur-Meuse avait déjà Antoine le Guérisseur. Nous connaissions aussi un brave paysan d'Erbisœul qui succéda à son beau-père dans les délicates fonctions de Tout-Puissant. Et cette trop neuve région du Centre où Baguette opéra, n'avait-elle eu déjà Louise Latteau, la fameuse stigmatisée de Bois-d'Haine ?
Ce christ de Ressaix, après des semaines de gloire et de recettes abondantes (on vint le consulter Paris, de Lille et d'Arlon !) connut en quelques jours la plus lamentable des déchéances et le ressentiment de la foule. Il eut le tort grand de ne point se montrer assez supra-terrestre ; Il s'enivra, eut une maîtresse, fut appelé au Parquet de Charleroi. Aucun dieu ne peut résister à de telles épreuves.
La révélation lui était venue au fond de la mine : plusieurs fois, devant ses camarades ahuris, puis bouleversés, ce jeune sclauneur jetant son pic s'était écrié « qu'il le voyait encore. » Sur la façade du cabaret paternel, on peignit à la chaux blanche : Au nouviau bon Dieu, Jules Buisseret, dit Baguette. Et malades, curieux, reporters, affluèrent de partout. « Qui eût cru, dit la mère Buisseret, que nos fieu s'rait dèv'nu bon Dieu ? »
Moi aussi je fus le consulter. Le pays est hideux, presque effrayant : chemins noirs et boueux, maisons toutes pareilles, trop neuves et trop sales à la fois. On se prend à regretter avec douceur d'autres régions charbonnières, antiques celles-là, où une industrialisation féroce n'a pas encore souillé un paysage de vieux terrils verdissants et de collines douces.
Aux murs du cabaret sordide, des béquilles, des crucifix ornés d'une cocarde en flanelle rouge, des vierges naïvement peinturlurés, voisinaient avec des chromos recommandant le chocolat des Boers ou l'élixir des colombophiles. Les visiteurs attendaient leur tour, assis devant une chope crasseuse. « Allons, à qui le tour ? » criait de temps en temps le Bon Dieu du fond de la cuisine. C'était un jeune homme maigre, aux joues blêmes, au regard fuyant. Une narquoise chanson populaire décrivait ainsi son accoutrement :
Il a n'ceinture de rouge coton,
Pou fé t'nir ses marronnes (son pantalon),
Il a planté dins des bouchons
Des s'pénes (épines) pou fé n'couronne.
Ajoutez à cela un énorme crucifix en plomb attaché au gilet du bonhomme par une épingle de sûreté, et un sceptre grossier. Son remède consistait en peu de chose : dire des prières tous les jours, matin et soir, et après les repas : faire le signe de la croix de la main gauche et à l'envers. Penser à lui. Et voilà ! Cela valait dix sous, cinq francs, dix francs, selon la mine. Cocasse et poignant !
ANTOINE LE GUÉRISSEUR
Cent soixante mille Belges ont demandé dans une pétition au Parlement de leur pays, la reconnaissance d'une nouvelle religion : l'Antoinisme.
Cent soixante mille signatures ! Ni le suffrage universel, ni l'instruction obligatoire, ni la limitation des heures de travail n'ont jusqu'ici, bénéficié d'un tel engouement. Dans une lettre qui accompagne la pétition, une propriétaire, un professeur de lycée, et un lieutenant d'infanterie exposent ce que demandent avec eux, ces 160.000 Belges : la reconnaissance légale d'un nouveau culte, le culte » antoiniste », du nom de son fondateur, Antoine le Guérisseur, un homme étrange qui, au pays de Liège, exerce depuis quelques années, un étonnant prestige.
Si Antoine le Guérisseur et ses adeptes, dit la pétition, demandent la reconnaissance légale de leur culte, ce n'est pas pour obtenir des subsides. La religion antoiniste est fondée sur le désintéressement le plus complet : Antoine le Guérisseur et ses adeptes ne veulent recevoir ni subside ni rémunération, mais assurer l'existence légale de leurs temples.
Ajoutons que les signataires joignent à leur pétition quelques certificats de guérison dont la lecture disent-ils, fera comprendre pourquoi ils considèrent Antoine le Guérisseur comme l'un des plus grands bienfaiteurs de l'humanité.
Jemeppe-sur-Meuse, c'est, au noir pays du fer et du charbon, près de Liège, un gros village minier au bord de la Meuse. De l'autre côté du fleuve, au bout du pont de fer, c'est l'ancien palais des princes évêques de Liège, l'entrée des usines Cockerill, Seraing, qui impressionnait Victor Hugo si violemment en 1838, et qui est bien, aujourd'hui, l'un des grands temples de la beauté moderne. Un peu plus loin, en amont, sont les cristalleries du Val-Saint-Lambert.
C'est dans ce décor que le thaumaturge Antoine opère depuis quelques années. On le vient voir de très loin, non seulement de toutes les provinces belges, mais encore du nord de la France et du grand-duché de Luxembourg. Louis-Antoine est né en 1816, Mons-Crotteux, un village de ce pays de Liège, où, à l'âge de douze ans, il descend dans la mine, avec son père et son frère. A l'âge de vingt-quatre ans, il quitte la Belgique pour l'Allemagne, où il travaille pendant cinq ans ; puis nous le retrouvons dans les environs de Varsovie, où il fait un nouveau séjour de cinq ans. Marié à une payse, il revient à Jemeppe, à la tête d'un petit pécule, qu'il a vite fait de partager en aumônes continuelles. Dès lors, après une grande crise mystique, Antoine commença sa carrière de guérisseur.
Il fut longtemps un fervent disciple d'Allan Kardec et fonda à Jemeppe même, la société spirite des « Vignerons du Seigneur. » Les esprits, un jour, lui révélèrent sa mission actuelle et lui ordonnèrent de se consacrer tout entier à « l'art de guérir. » Et Antoine commença d'imposer les mains aux malades en leur disant simplement : « Pensez à moi, ayez la foi ».
Plus tard, le nombre des visiteurs étant devenu trop considérable, Antoine adopta le système de la guérison en bloc, par paquets. A présent, il n'opère plus que les quatre premiers jours de la semaine. Vers dix heures, quand quelques centaines de visiteurs sont réunis dans le temple, le bonhomme paraît, monte dans une chaire et invite l'assemblée à se recueillir. Lui-même semble concentrer toute sa pensée sur un point et souffrir. Puis, sortant de sa torpeur, il recueille dans l'atmosphère, les fluides !!! S'ils sont mauvais, il demande aux assistants de prier pour purifier l'ambiance...
Le « temple » de Jemeppe-sur-Meuse est bâti comme beaucoup de maisons en Wallonie, sur l'emplacement d'une exploitation charbonnière abandonnée : le grisou s'échappe, s'allume facilement à un petit trou que l'on a foré dans le plancher. De même autrefois, les pythonisses plaçaient leur trépied au-dessus d'une ouverture crachant des vapeurs infernales...
Antoine est végétarien, travaille de ses mains continuellement, tâche de suffire à tous ses besoins.
– Mais, allez-vous dire, c'est l'histoire de Tolstoï que vous nous racontez là !
A la vérité, la similitude est frappante, surtout si l'on étudie leur enseignement moral à tous deux.
Cependant, c'est à un simple, à un ouvrier peu instruit, ne l'oublions pas, que nous avons affaire ici.
A vrai dire, c'est surtout un panseur de plaies morales ; mais j'ai trouvé dans cet homme une telle force de persuasion que je ne serais point étonné qu'il eût agi favorablement sur bien des malades. A un ami qui m'accompagnait il y a quelques années, quand je l'allai voir, et qui lui demandait une consultation, cet homme étrange répondit avec calme :
– Vous n'avez point la foi : je lis bien dans vos yeux que vous me demandez cela par goguenardise ou poussé par une frivole curiosité. A quoi bon vous répondre ?...
*
* *
Il y a, dans les boniments que répandent les fidèles d'Antoine, des choses bien amusantes. Tenez, je trouve à la fin d'une brochure intitulée : L'auréole de la conscience, révélation et biographie d'Antoine le Guérisseur, l'annonce suivante :
Nous portons à la connaissance des personnes souffrantes que le GUERISSEUR ne reçoit plus en particulier. Il fait en tout quatre opérations générales par semaine : les lundi, mardi, mercredi et jeudi, à 10 heures.
Pour les opérations particulières, une dame qui opère en son nom Le remplace. Les personnes qui ont foi en Lui, soit pour conseils, contrariétés ou maladies, recevront satisfaction aussi bien par l'intermédiaire de cette dame que par Lui-même.
Mais voyons la doctrine de cet homme qui a plus du thaumaturge en lui que du vulgaire rebouteux.
L'enseignement d'ANTOINE LE GUERISSEUR a pour base l'amour, il révèle la loi morale, la conscience de l'humanité : il rappelle à l'homme les devoirs qu'il a remplir envers ses semblables ; fût-il arriéré même jusqu'à ne pouvoir le comprendre, il pourra, au contact de ceux qui le répandent, se pénétrer de l'amour qui en découle : celui-ci lui inspirera de meilleures intentions et fera germer en lui des sentiments plus nobles.
La vraie religion, dit LE GUERISSEUR, est l'expression de l'amour pur puisé au sein de Dieu, qui nous fait aimer tout le monde indistinctement.
Il est plutôt médecin de l'âme que du corps. Non, non, nous ne pouvons pas faire d'ANTOINE LE GUÉRISSEUR un grand seigneur, nous faisons de Lui notre Sauveur. Il est plutôt notre Dieu, parce qu'Il ne veut dire que notre serviteur.
Ce sont ses disciples qui parlent, mais sans doute vaut-il mieux que nous entendions parler ce dieu nouveau lui-même.
Lisez les versets naïvement rimés qu'il met dans la bouche de Dieu :
Ne croyez pas en celui qui vous parle de moi
Dont l'intention serait de nous convertir.
Si vous respecter toute croyance
Et celui qui n'en a pas,
Vous savez, malgré votre ignorance
Plus qu'il ne pourrait vous dire.
Et ceci :
Vous ne pouvez faire de la morale à personne
Ce serait prouver
Que vous ne faites pas bien,
Parce qu'elle ne s'enseigne pas par la parole
Mais par l'exemple
Et ne pour le mal en rien.
Ce dernier vers vous a un petit parfum d'immoralisme nietzschéen. Il serait fort intéressant d'étudier, à propos de ce guérisseur, certaines sectes religieuses aux conceptions fort libres, qui se sont développées en Wallonie depuis quelques années, en marge du protestantisme et de la religion catholique. L'historien, le philosophe, le folkloriste – et le simple amoureux de pittoresque – y trouveraient sans doute leur compte.
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Un peu plus loin, dans le chapitre consacré à Liège, l'auteur ajoute, p.160 :
C'est ce peuple là, à la fois gouailleur et sentimental, frondeur avec Tchanchet et mystique avec Franck, qui vient de constituer un groupe des « adventistes du septième jour », qui rendit célèbre Antoine le guérisseur, le brave thaumaturge de Jemeppe-sur-Meuse, et qui enfanta le mineur Hubert Goffin, précurseur des Nény et des Prouvost de Courrières.
Le Nouveau Messie, Antoine-le-Guérisseur (Le Monde illustré, 7 janvier 1911)
PAGES D’AUJOURD’HUI
LE NOUVEAU MESSIE
Antoine-le-Guérisseur
Par R. CANUDO
Pendant que les quelques centaines de millions de Chrétiens fêtaient le souvenir de la naissance du Rédempteur, trois cent mille âmes ont fêté l'avènement réel du nouveau Messie. Et ceci n'est pas un conte de Noël. Car le Messie existe, il vit au milieu de ses disciples, dans la campagne liégeoise, à Jemeppe.
Il n'est pas, toutefois, le premier Messie des temps modernes.
Il y a quelques années, un des plus remarquables penseurs italiens contemporains, M. Giacomo Barzellotti, de la Faculté de Rome, consacrait un important ouvrage au dernier prophète paru en Italie : David Lazzaretti. Celui-ci est mort dans la campagne siennoise, non loin de cette incomparable Ombrie, où dans la pâleur des couleurs, dans la plus exquise nuance des teintes et des lignes, au milieu des rosiers en fleurs, le divin saint François prêcha au moyen âge l'amour et la pauvreté, au nom du Christ et non plus au nom des Papes.
On connaît l'histoire merveilleuse des disciples de saint François. On sait comment le « Poverello », le saint Très-Pauvre, put exercer autour de lui, et après lui, une si grande influence, que ses suivants devinrent bientôt phalange, et que cette phalange, d'où sortit même un Pape, poussa son évangélisation jusqu'à Paris, en Ecosse, en Orient, en Afrique. David Lazzaretti, revenant de France, prêchait aussi à ses compatriotes l'amour de la simplicité et la noblesse de la pauvreté, au nom du Christ. Des foules nombreuses venaient le voir, le consulter et l'adorer, de tous les pays voisins.
Et ces foules étaient aussi les mêmes qui entouraient jadis le Poverello, qui remuaient, candides et menaçantes, évangéliques et farouches, tout L'Occident. Ce sont les foules des mécontents, des pauvres, des exclus, de tous ceux auxquels la société puissante refuse, sans le savoir, toutes les joies de la vie, pour ne leur laisser que le bonheur de mal vivre, d'aimer et de haïr. Elles furent si nombreuses, autour de David Lazzaretti, que le gouvernement italien y vit une menace sérieuse et immédiate de l'ordre établi.
Hélas, l'histoire de David Lazzaretti est d'hier ! La société humaine a changé. L'esprit religieux a été miné. Et tandis que saint François eut affaire au Souverain Pontife, auquel il put répondre crânement : « Vous avez tort de me chasser, c'est le Christ qui parle par ma bouche et que vous chassez ainsi », le prophète moderne, le malheureux David Lazzaretti, n'eut affaire qu'à des savants, se heurtant à un pouvoir inébranlable d'aliénistes et de geôliers... C'est de l'histoire d'hier, de la pure et simple histoire contemporaine.
L'histoire du Belge Antoine-le-Guérisseur est d'aujourd'hui. Elle n'est pas achevée. Mais la page la plus étonnante sans doute vient d'être écrite ! Car 160.000 Belges viennent de présenter à la Chambre des Représentants et au roi Albert, une pétition dont nous eussions cru incapable notre époque âpre, calculatrice et égoïste. Cent soixante mille « âmes » demandent à leur roi et à ses représentants de reconnaître comme officiel le culte nouveau institué par leur prophète et leur Messie, par leur idole nouvelle : Antoine-le-Guérisseur.
Le jour où cette pétition a été déposée sur le bureau de la Chambre belge, dans ce pluvieux et triste mois de décembre, une date a été marquée tout de même dans les annales religieuses du monde.
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On a comparé la nature et la mission d'Antoine-le-Guérisseur à celle de Tolstoï. L'analogie est frappante, avec, toutefois, des différences essentielles. Tous les deux se sont éloignés des tentations, des bonheurs et des malheurs « du siècle », en jetant aux autres leurs biens, pour se consacrer à l'apostolat moral qui les attirait. Tous les deux, poussés par l'instinct évangélique chrétien, qui animait saintement le Poverello d'Assise, ont voulu opposer à l'énorme complexité de la vie sociale, trop souvent cruelle et implacable, la divine simplicité de l'humilité, en prêchant l'amour des hommes et de Dieu. Mais ce procédé d'extrême, d'intégrale simplification, est malgré tout loin de résoudre les grands problèmes créés par les souffrances du monde. C'est, à tout prendre, un calmant, et le bien qu'il peut faire n'est que très limité et assez éphémère.
Tolstoï, qui était arrivé à « l'état de moujik » en venant des splendeurs de la vie militaire et de la richesse, s'est enfui, en se sentant mourir, hors du cercle de douloureuse hostilité dans lequel, au sein de sa famille, il se sentait enfermé. Et Antoine-le-Guérisseur, qui vient de la mine et des dures difficultés de la vie d'un ouvrier mineur authentique, ne sort pas du cercle de ses fervents disciples, où l'adoration le retient et l'exalte. Le bien qu'il fait est là, autour de lui, tassé autour de sa maigre et haute personne, comme l'ombre réfrigérante est tassée autour du palmier dans le désert.
Le bonheur répandu par ces prophètes ne s'étend pas très loin, hélas ! Il les entoure, et c'est tout. Car leur prédication est surtout morale, immédiate, et ni dans la pensée de Tolstoï, ni dans la volonté de David Lazzaretti, ni dans l'action d'Antoine-le-Guérisseur, les esprits qui traînent leur inquiétude mystique par le monde ne retrouvent la vision vaste et harmonieuse de l'univers, qui serait à la base d'une véritable religion nouvelle.
Au surplus, on peut objecter que toutes les religions sont nées après, longtemps après ceux qui en répandirent les germes. Et c'est vrai. Le Messie apporte son enseignement, simplement et humainement, et ce sont les disciples et les descendants des disciples qui élèvent sur ces enseignements les grands échafaudages d'où sortent les temples et les cathédrales.
Ne parle-t-on pas, en effet, déjà, d'une religion nietzschéenne ? Ne prétend-on pas que Nietzsche simula la folie pour voir l'effet de ses idées dans le monde avant sa mort, et que c'est lui le Messie des temps nouveaux ? C'est ainsi que des admirateurs et des détracteurs, aussi fervents les uns que les autres, en arrivent à méconnaître et à rendre cahotique la superbe pensée du grand philosophe-poète mort il y a dix ans...
Antoine-le-Guérisseur vit à Jemeppe-sur-Meuse.
Sa popularité dans tous les environs est déjà si grande, que si l'on songeait à ennuyer de quelque manière que ce fut le Guérisseur, la guerre civile éclaterait dans ce département bienheureux de la laborieuse Belgique.
Après être descendu, enfant, dans la mine, après avoir vécu une dizaine d'années entre l'Allemagne et la Pologne, cet ouvrier prédestiné a changé totalement l'ordre de sa vie, touché par sa vocation.
Des savants l'étudieront, le discuteront. Il n'en est pas moins certain qu'Antoine opère de véritables miracles, et l'on sait que c'est par le miracle – où s'exaltent à la fois l'instinct humain du merveilleux et le sentiment non moins humain de l'utilité pratique – que les prophètes attirent à eux les foules. Antoine dispose de très grandes forces subtiles – occultes – qu'il serait vain de nier. On doit les constater. Elles ont jusqu'ici une puissance qui emprunte ses caractères au spiritisme et au magnétisme. Et Antoine est arrivé au miracle en développant admirablement ses forces psychiques réelles, pendant les séances de spiritisme où il fut le médium de plus en plus merveilleux.
C'est en effet par l'imposition des mains sur le patient – et par la concentration et la soumission absolue de la volonté d'autrui, qu'il obtient par ces mots imposés au fidèle : « Pensez à Antoine ! » – qu'Antoine réalise ses guérisons.
Le procédé est magnétique – ce qui ne dit rien ; et il témoigne d'une puissance intérieure, d'une maîtrise de soi-même et d'une énergie de volonté extraordinaires, ce qui dit beaucoup. L'ensemble des forces d'Antoine-le-Guérisseur est donc la manifestation d'un esprit si puissamment doué, qu'il peut rayonner de la force, et en faire bénéficier tous ceux qui l'entourent. C'est la force subtile, indéfinissable et immense, en un mot : divine, de tous les grands prophètes.
Et ses disciples sont fort nombreux. Dans la pétition présentée à la Chambre belge, ils ne demandent rien, hors la reconnaissance légale de leur culte, du culte « antoiniste ». Ils s'expriment ainsi :
« Si Antoine-le-Guérisseur et ses adeptes demandent la reconnaissance légale de leur culte, ce n'est pas pour obtenir des subsides, ou la rémunération des ministres de leur culte. La religion antoiniste est fondée sur le désintéressement le plus complet, et Antoine-le-Guérisseur et les membres de son culte ne peuvent recevoir ni subside ni rémunération, mais ils veulent assurer l'existence de leurs temples.
« Le temple de Jemeppe-sur-Meuse a coûté 100.000 francs ; d'autres temples vont être érigés aux frais des adeptes.
« La reconnaissance du culte aurait pour effet de transférer la propriété des temples aux fabriques ou consistoires, qui en auraient la gestion matérielle. Leur existence légale serait ainsi assurée. »
Dans le village minier de Jemeppe-sur-Meuse, où vivent dix mille habitants au milieu d'un des plus actifs départements industriels, Louis Antoine, âgé maintenant de soixante-quatre ans, opère ses guérisons qu'aident sa force et la foi des adeptes. Mais à part cette action directe, physique et morale, ses enseignements ne présentent pas vraiment l'intérêt que les « assoifés de religion » en pouvaient attendre. Son langage est naïf et plein de confiance en Dieu, qui crée d'ailleurs la confiance en l'aide extérieure, prédispose les âmes et assouplit les corps.
« L'enseignement d'Antoine-le-Guérisseur – écrivent dans une brochure ses disciples – a pour base l'amour, il révèle la loi morale, la conscience de l'humanité ; il rappelle à l'homme les devoirs qu'il a à remplir envers ses semblables ; fût-il arriéré même jusqu'à ne pouvoir le comprendre, il pourra, au contact de ceux qui le répandent, se pénétrer de l'amour qui en découle ; celui-ci lui inspirera de meilleures intentions et fera germer en lui des sentiments plus nobles.
« La vraie religion, dit le Guérisseur, est l'expression de l'amour pur puisé au sein de Dieu, qui nous fait aimer tout le monde indistinctement.
« Il est plutôt médecin de l'âme que du corps. Non, non, nous ne voulons pas faire d'Antoine-le-Guérisseur un grand seigneur, nous faisons de Lui notre Sauveur. Il est plutôt notre Dieu, parce qu'Il ne veut être que notre serviteur. »
Le lyrisme d'Antoine est inspiré à ces principes. Voici de ses vers, publiés par un écrivain belge qui a vu le prophète, M. Louis Piérard.
C'est Dieu qui parle :
Ne croyez pas en celui qui vous parle de moi,
Dont l'intention serait de nous convertir.
Si vous respectez toute croyance
Et celui qui n'en a pas,
Vous savez, malgré votre ignorance,
Plus qu'il ne pourrait vous dire.
Et ceci :
Vous ne pouvez faire de la morale à personne,
Ce serait prouver
Que vous ne faites pas bien
Parce qu'elle ne s'enseigne pas par la parole
Mais par l'exemple,
Et à ne voir le mal en rien.
La force de ce nouveau Messie, que certains de ses fidèles ne craignent donc pas de considérer comme Dieu lui-même, est dans la profonde pureté de son apostolat.
Et sans doute Antoine-le-Guérisseur fait du bien, donne à des êtres chancelants, désorientés et malheureux, cette consistance de la volonté qui est la santé de l'esprit.
Mais sa puissance n'est qu'avec lui et en lui. Le culte « antoiniste », comme tous les autres similaires, n'a pas malheureusement une doctrine, à répandre comme un grand baume spirituel sur les souffrances du monde.
R. CANUDO.
Le Monde illustré, 7 janvier 1911
Protestantisme, terreau de l'antoiniste
Dès 1911, Louis Piérard, indique que le peuple liégois créa un groupe d'« adventistes du septième jour », qui rendit célèbre Antoine le guérisseur, le brave thaumaturge de Jemeppe-sur-Meuse.
L'Abbé R.-G. VAN DEN HOUT disait dans la Revue Catholique du 23 juillet 1926 que "C'est évidemment dans les pays protestants où l'idée chrétienne est en pleine décomposition, que le théosophisme fleurit. Le libre examen, l'absence de toute autorité qui définit, décide et condamne, devaient, de toute nécessité, conduire le protestantisme à toutes les déformations et même à toutes les aberrations."
Dans un article d'André Arnyvelde du 6 novembre 1922 dans le Petit Parisien, l'auteur utilise le vocabulaire protestant pour critiquer l'antoinisme : "La Belgique, patrie terrestre de l'ouvrier mineur Antoine, miraculeux guérisseur, d'abord, puis évangéliste, puis dieu, ou quasi, la Belgique compte seize églises siennes." ; "lecture hebdomadaire publique de l'Evangile du Père" ; "salle de lecture évangélique"...
On sait par le C.Ch. Chéry o.p. (L'Offensive des sectes, 1954, p.262-63) qu'à Vimoutiers, "les Antoinistes qui existaient avant l'arrivée des Pentecôtistes se sont ralliés à ces derniers".
Dans La Croix du 7 mai 1930, Jean Revel écrit également "Par la voie du protestantisme, nous sommes amenés au satanisme. Et c'est ce qu'on nous appelle... le nouveau spiritualisme ?"
"Au cours de l'« Erreur spirite », M. Guénon parle maintes fois du protestantisme. Un chapitre spécial du « Théosophisme » nous l'avait montré très peu sympathique à l'esprit protestant, symbole de toutes les dégénérescences occidentales. Dans l'« Erreur spirite », M. Guénon maintient sa thèse : l'esprit protestant se montre apparenté au spiritisme." nous dit, dans une recension du livre de Guenon, Paul Arbousse-Bastide dans Foi et vie du 2er février 1924.
"Les Mystères de l'inconnu, L'invocation des esprits" (Collectif, 1989 aux éditions Time Life, p.23) déclare qu'"en un sens, le spiritisme prolongeait la réforme."
Par contre, dans De Tijd du 6 juillet 1923, on lisait : "Bien sûr, pour le catholicisme, le danger ne vient pas du protestantisme, mais du matérialisme ou de la superstition."
Pour l'Église catholique, cela ne fait donc, pour beaucoup de critiques de l'Antoinisme, aucun doute que la Réforme protestante n'a été en sorte qu'un terreau pour la secte belge. On a en effet pu remarquer que les protestants n'étaient souvent pas éloignés des antoinistes, autant dans la pensée que dans les lieux occupés par les temples : Seraing, Herstal, Verviers, Spa, La Louvière, Sprimont et même dans la grande ville de Liège, où les temples des deux obédiences sont souvent proches l'un de l'autre.
L'architecture intérieure comme extérieure des temples protestants se rapproche de celle des temples antoinistes. Louis Antoine, petit, a peut-être eu l'occasion de rentrer dans le temple protestant de Flémalle, c'est pourquoi on peut penser que les citations de la Bible sur le mur du fond des temples protestants ont pu l'inspirer pour faire écrire son Auréole de la Conscience sur le mur du fond du Temple de Jemeppe, et que l'on retrouve maintenant dans tous les temples antoinistes sans exception. Peut-être le contact avec ses patrons et collègues d'obédience protestante lui donnèrent l'occasion de constater à quel point la lecture de la Bible pouvait apporter un contact autre avec Dieu que par l'intermédiaire d'un prêtre.
Sur ce site, dans chaque page d'un temple antoiniste, on retrouva un petit historique de la présence protestante dans les environs géographiques.
Le Flambeau avec Gust. Gony en 1895
"Le Flambeau". Organe de la "Fédération spirite de la Région de Liége" et du "Comité de Propagande de Paris". Rédacteurs : Monsieur Félix Paulsen à Angleur-lez-Liège et Monsieur Gust.[ave] Gony à Jemeppe s. M., N° 1, Quai de la Saulx. Collaborateurs : J. C. Chaigneau, A. Laurent de Faget, Léon Denis, Victor Marchand, A. Dufilholl, Stanislas Dismièr, J. Fievet, Louis Piérard. Abonnement à l'année pour la Belgique 3 Frcs. Par union postale 6 Frcs. Numéro individuel 5 ct. Tirage 3 500 exemplaires.
Source : Die Übersinnliche Welt, v3-4, 1895-1896 (iapsop.com)