Une visite au Temple Antoine
Jemeppe-sur-Meuse est un petit pays où pullulent les usines, situé aux environs immédiats de Liège, en Belgique ; un tramway partant de cette ville vous y conduit en moins d’une heure. C’est là qu’Antoine, le grand Antoine, le guérisseur, le généreux, le Père Antoine, ainsi que l’appelaient ses adeptes, avait établi son quartier général ; ç’est là aussi que s’élève le temple consacré à son culte.
*
* *
Lorsque l’on va au temple de Jemeppe, on est frappé, non pas par la magnificence architecturale du temple, celui-ci est des plus simples, plus simple même que vous pourriez l’imaginer, mais bien plutôt par l’expansion, chez les habitants, de cette confiance illimitée et inébranlable que ce brave homme qu’était le Père Antoine a su inspirer à ceux qui le connurent et vécurent dans son ambiance.
*
* *
Antoine, on le sait, fut un grand guérisseur dont les cures ne se comptaient plus. Ce sont des milliers et des milliers de souffrances qu’il a apaisées et fait disparaitre tout simplement par l’exaltation, en ses adeptes et en ceux qui avaient recours à lui, des sentiments d’humanité, de fraternité ; par l’exaltation de la foi en la puissance divine dont lui, Antoine, croyait posséder une parcelle.
*
* *
Le Père Antoine mourut l’an dernier, le 25 juin, et on lui fit des funérailles solennelles dont toute la presse a parlé. Dans quelques jours donc, du 25 au 29, on célébrera, à Jemeppe, l’anniversaire de la « désincarnation du Père ». C’est à ce titre aussi que nous croyons de toute actualité de retracer, dans ses grandes lignes, l’œuvre de cet homme de bien considéré là-bas comme un autre Dieu fait homme. — Des « Antoinistes » sincères et d’intelligence première nous ont affirmé avec grand sérieux que, pour eux, le Père Antoine était la « réincarnation du Christ ».
*
* *
Antoine-le-Généreux, disent ses biographes, était un Ouvrier, né à Mons-Crotteux (province de Liège) en 1846, de parents pauvres. Il était le cadet d’une famille de onze enfants. Il débuta à 12 ans dans la mine, accompagnant son père et un frère qui étaient également mineurs. Ne voulant plus descendre dans la fosse, il devint ouvrier métallurgiste. A 24 ans, il quitta la Belgique pour aller travailler en Allemagne où il séjourna 5 ans. Plus tard, il alla à Prague, près Varsovie, où il resta encore 5 années et revint s’installer définitivement en Belgique, à Jemeppe-sur-Meuse.
Dans l’intervalle de son séjour en Allemagne, il revient au pays, épouser une femme dont II avait fait la connaissance avant son départ. De leur union naquit un enfant, un garçon que la mort leur ravit à l’âge de 20 ans. Mais grâce à leur grande foi, aucun des deux époux n’en fut découragé ; au contraire, ils se dévouèrent davantage. Leur séjour à l’étranger leur avait permis d’amasser une petite fortune, ils la sacrifièrent pour venir en aide aux malheureux, éprouvant plus de bonheur à la dispenser à tous, qu’ils n’en avaient trouvé en l’acquérant par leur labeur. Car ils avaient compris le but de la vie.
*
* *
Antoine le Généreux vivait très simplement et très sobrement ; il était végétarien dans toute l’acception du terme ; il ne consommait ni viande, ni œufs, ni beurre, ni lait, en un mot, rien qui provint de l’animal.
Antoine le Généreux professa la religion catholique jusqu’à l’âge de 42 ans, puis il s’appliqua à la pratique du spiritisme, sans S’attarder toutefois dans le domaine expérimental pour lequel il n’avait aucune aptitude et qui ne le tentait nullement. Sachant à peine lire et écrire, il se trouvait incompétent pour résoudre ce problème scientifique ; il lui préféra la morale et s’y adonna de tout cœur. Il continua jusqu’en 1906, date à laquelle il a créé le Nouveau Spiritualisme ; c’est là que commence sa mission du Révélateur.
*
* *
A la mort du « Père », on pensait, nous dit la très aimable secrétaire qui nous reçut, que l’Antoinisme allait disparaître, mais point. « Mère » remplace maintenant « Père » qui, quoique désincarné, revient dans son temple et agit par l’entremise de « Mère ».

(1) La reproduction de cette gravure est absolument interdite à toute autre publication.
« L’Opération », — ainsi se nomme l’unique office du culte — se fait une fois le jour, à 10 heures du matin. Tous les adeptes et ceux qui désirent obtenir des guérisons pour eux-mêmes ou pour les leurs, viennent au temple. « Mère », ainsi que le faisait « Père », monte à la tribune, se recueille et tous les assistants font de même. Puis, « Mère » élève la main en manière de bénédiction et, partant du nord, s’arrête successivement sur les quatre points cardinaux. Certains adeptes voient alors comme une nuée fluidique descendre sur l’assistance. « L’Opération » prend fin sans qu'aucune parole ait été prononcée, et les uns s’en vont soulagés, d’autres réconfortés, d’autres guéris, selon le degré et la puissance de leur foi en le pouvoir de « Mère » ou de « Père ».
*
* *
L’Antoinisme ne borne pas son action à la Belgique ainsi qu’on le pourrait croire ; ce culte bien spécial gagne sur le terrain de l’universalisme ; partout se forment des groupements où l'on se réunit aux mêmes heures pour procéder à « l’opération ». Paris même n’a pas été réfractaire à ce mouvement et il s’y érige, à cette heure, dans le XIIIe arrondissement, un nouveau temple qui sera uniquement consacré au culte antoiniste et dont l’inauguration doit avoir lieu à l’automne prochain. Tous les adeptes de Belgique se font une fête de venir assister à cette manifestation en faveur du nouveau culte.
*
* *
Les Antoinistes militants se rencontrent un peu partout, en Belgique, où ils sont immédiatement distingués grâce à leur costume spécial, fait d’un drap noir et taillé sur une coupe originale, mais non ridicule, qu’avaient adopté « Père » et « Mère ».
*
* *
A toute entreprise humaine, si dégagée soit-elle des contingences terrestres, il faut des fonds pour vivre. Un culte antoiniste, lui, s'entretient à l’aide de dons qui, pour être acceptés, doivent être rigoureusement anonymes j si un donateur s’avise de décliner ses nom et qualité, il se voit immédiatement rembourser son argent.
*
* *
Pour sa diffusion, le culte antoiniste possède, en outre de la propagande faite par ses adeptes, un roulement de circulaires et brochures, contenant la « révélation » d’Antoine le Généreux ou sa biographie, et une publication mensuelle l’Unitif, dans laquelle il est répondu à toutes les questions d’intérêt général posées par les adeptes.
*
* *
A l’imprimerie, aucune main-d’œuvre n’est rétribuée, tout se fait « au petit bonheur ». Quelques dévoués, un peu adroits de leurs mains, viennent là à leurs moments perdus et composent, corrigent, mettent en page, font la mise en train, tirent circulaires, brochures, publications, et tout se fait sans accroc, sans retard sous l’œil du maître Deregnaucourt, l’adepte qui seconde « Mère » dans sa tâche et qui possède les principaux éléments de l’art d’éditer.
*
* *
Nous devons à l’amabilité de M. Dardennes, photographe, à Jemeppe, l’autorisation de reproduire la scène de « l’opération » qui illustre cet article. A la tribune supérieure est le « Père » faisant son geste de bénédiction ; à la petite tribune du dessous se trouve la « Mère » dans l’attitude du recueillement. Derrière et au-dessus de ce modeste « maître-autel » on peut lire l’inscription suivante, écrite en gros caractères :
Un seul remède peut guérir l'humanité : LA FOI ; c'est de la foi que naît l'amour : l'amour qui nous montre dans nos ennemis Dieu lui-même ; ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer Dieu ; car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend dignes de Le servir ; c'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et de vérité.
On le voit, l’Antoinisme est uniquement basé sur la foi, le désintéressement et le grand amour du prochain. A ce titre, s'il ne nous rend pas nous-mêmes meilleurs, il mérite au moins notre considération.
Fernand Girod.
La Vie Mystérieuse, n°108 (25 juin 1913)