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Salle de la rue des Grands-Augustins (Paris Soir, 18 septembre 1931)

Publié le par antoiniste

Paris Soir 18 septembre 1931

LES SENTIERS DU PARADIS

grand reportage par Fernand POUEY

V - Les amis d’Antoine

    La rue des Grands-Augustins, à quelques mètres des quais, est joyeuse et animée. Boutique de fruitiers et crèmeries projettent sur les trottoirs étroits leurs étalages diversement parfumés. Raisins, poires, pommes, prunes, melons, beurre et fromage se succèdent comme les matins d’une gamme perpétuellement jouée par les ménagères. Peu d’entre elles, cependant, s’arrêtent à une devanture où, de prime abord, apparaît à peu près pareille aux autres. Derrière, on soupçonnerait facilement sans trop d’imagination, un marchand plus méticuleux et plus méfiant que ses collègues, protégeant avec plus d’âpreté sa marchandise contre les mille tentations de la rue. Ayant caché, dirait-on, ses primeurs et ses œufs, attendant la clientèle. Après un seconde d’hésitation, j’ai doucement poussé la porte de cette curieuse boutique… A l’intérieur, c’était tout noir.
    J’étais dans une chapelle antoiniste.
    Royaume de la nuit. Encore ces mots ont-ils plus de résonance qu’il n’en faut pour désigner cette pièce et cette pénombre… Par une fenêtre, au fond, le jour pénètre difficilement dans une petite salle. Il est si fatigué, d’ailleurs, qu’il n’a pas la force d’en éclairer les coins, ainsi abandonnés à la plus franche obscurité. Pour le reste, on distingue, sur le parquet propre et net, quelques bancs bien alignés, bien cirés, bien frottés. Sous la fenêtre, un pupitre, surélevé comme une chaire de professeur, s’enorgueillit d’un peu de lumière. On songe irrésistiblement à une salle d’école pour un cours du soir, dans une municipalité pauvre.
    Or, – l’après-midi que j’y fus – il y avait là trois femmes.
    Derrière le pupitre, une femme noire.
    Sur un banc, une autre femme, noire aussi.
    A un autre banc, une autre femme, noire encore.
    La première lisait : on ne voyait pas son visage, placé à contre-jour. On ne pouvait non plus distinguer la figure des autres, placées à des endroits que la lumière n’atteignait point. Toutes trois, vêtues d’ombre, baissaient la tête... autant du moins qu’il me le parut.
    Elles s’étaient réunies là pour le service du soir. Une sorte de pudeur me conseillait de repartir. Avais-je vraiment le droit moral d’assister à un culte aussi confidentiel. Non, sans doute. Mais la femme qui lisait continuait sa lecture – celles qui écoutaient ne levaient pas les yeux... Alors, je suis resté.
    Bras croisés, j’ai penché le visage dans l’attitude classique de la méditation, Et J’ai essayé sincèrement de suivre le fil de la lecture, Hélas ! mon désir de s’instruire sombra dans ce seul effort. Il me semble que, rajeuni, je me trouvais au catéchisme de persévérance et je fis à nouveau, naïvement, les gestes de mon enfance. Tout fut perdu. Je m’amusai à jouer avec le bois lisse du banc, à rechercher du bout des doigts les rares éraflures susceptibles de déchirer les pantalons des jeunes garçons impatients. De la main gauche, j’attaquai à plusieurs reprises les premières mesures de la « Marseillaise », puis de « l’Internationale ».
    Je comptais aussi, mentalement, les secondes... Quand j’arrivais à soixante : « Voilà une minute, murmurais-je avec satisfaction, qui me rapproche de la fin ».
    Du temps passa...
    Lorsque, enfin, je repris conscience de la situation, j’entendis que la femme continuait à lire d’une voix monotone et basse, son évangile qui me demeurait étranger. Ses compagnes, immobiles, n’avaient pas bougé.
    Aux murs étaient inscrits des mots que je ne pus lire. Sur une tablette, une sorte de réveille-matin marquait l’heure. Je considérai avec un soupir la marche lente de l’aiguille.
    Cela dura environ une demi-heure encore. Après quoi, soudain, l’ombre, qui lisait ferma son livre. Les ombres qui écoutaient se glissèrent vers la porte. Et je me retrouvai moi-même dans la rue. Il pleuvait. Au sortir de cette grisaille, je tendis avec plaisir mon front à la caresse d’une vraie pluie. Le nez en l’air, je savourai avec délices l’air frais et réconfortant. Un jeune livreur, qui déballait des œufs, manqua d’en faire une omelette, car je le heurtai, perdu dans mes nuages.
    D’un mot, d’un seul, il évoqua l’ombre de Cambronne. Sans doute ambitionnait-il de froisser à jamais ma dignité. Mais :
   – Comme il est vivant, celui-là ! pensais-je.
    Et je souris de contentement, tel un explorateur saluant après un long voyage, des habitudes plus chères à son cœur que les plus dangereuses découvertes. Un ami mystique, à qui je contai le fait, le commenta dans un sens différent :
    – Il vous a suffi, me dit-il, d’un moment de méditation à la chapelle antoiniste pour devenir meilleur et pratiquer l’oubli des injures.
    Désireux de ne rien négliger pour mon salut, je décidai, dans ces conditions, de poursuivre l’épreuve.
    Au fond du XIIIe arrondissement, derrière la Glacière, les Antoinistes, qui ont des chapelles à travers Paris, ont aussi leur cathédrale où est révélée la vérité due à l’ouvrier Antoine. Un jardin sans gaité et sans fleurs précède l’église, qui ne porte pas de croix. Il y a là, derrière, un bâtiment bas avec une porte basse : le presbytère. Le tout est austère, honnête, sans élégance.
    J’ai attendu l’heure de l’office. L’église antoiniste ne diffère guère de ses chapelles. Mêmes bancs ; même chaire de professeur. Cette fois, un homme l’occupait ; un homme vêtu de noir qui lisait, lui aussi, d’une voix assez désagréable, des phrases dont je parvins à saisir celles-ci :
    – Si nous disons que Dieu est notre père, ajoutons que le Démon est notre mère qui nous nourrit de son sein et nous est utile. L’enfant n’appartient-il pas pour les trois quarts à sa mère ? Nous sommes donc plutôt enfants du Démon ! S’il faut l’épreuve pour guérir le mal, ne devrions-nous pas adorer le démon dont l’amour nous fournit le moyen d’abréger nos souffrances ?
    Ils étaient une vingtaine qui l’écoutaient, muets eu recueillis ; ouvriers aux vêtements bien brossés, femme en cheveux. Comme le décor, comme le jardin, comme l’église, ils semblaient, eux aussi, honnêtes sans gaité.
    Le jour permettait ici de lire les inscriptions murales. On pouvait en effet déchiffrer : « Culte antoiniste. L’auréole de la conscience. Un seul remède pour guérir l’humanité : la Foi. C’est de la Foi que nait l’amour. L’enseignement du père Antoine, c’est l’enseignement du Christ révélé à cette époque par la Foi. »
    On entendit :
    – Mes frères, au nom du Père, merci.
    La cérémonie était terminée. Les fidèles s’écoulèrent dans le petit jardin et l’homme qui avait lu se coiffa de son chapeau haut de forme. Car les Antoinistes ont conservé le culte du gibus, ce qui leur vaut régulièrement un succès considérable auprès des gamins de la rue. Les victimes ne se soucient pas outre mesure de ces enfantines manifestations. Les projectiles qui, parfois, font sauter les gibus hors de leurs crânes leur apparaissent probablement comme l’amicale chiquenaude du Démon.

                          ~~~~

    A la sortie, j’ai interviewé l’homme au gibus. Le timbre de sa voix prenait, dans la conversation, des accents doux qu’il ignorait dans la lecture.
    Pourrais-je, lui dis-je, m’entretenir quelques instants avec vous des choses qui vous intéressent ?
    Il eut un pâle sourire.
    – Je vous écoute, répondit-il. Ici, nous sommes tranquilles.
    Au même moment, je rassemblais tout ce que je pouvais avoir de dignité pour faire front aux rires puérils qui nous encerclaient. Un gosse – haut comme une botte – chantait à tue-tête, sur un air que je croyais oublié, une chanson rengaine qui s’arrêtait pour lui à ce premier et seul « vers » :
    Il s’appelle Antoi-a-a-a-ne
    Ses copains choisissaient sur la place de menues pierres, pas trop lourde à leurs jeunes bras, mais suffisamment pointues pour causer « au chapeau » des préjudices appréciables.
    Le digne pasteur, grand, sec, blond, ouvrait sur eux des yeux d’un impeccable bleu lavé, qui semblaient voir en dedans. Il me dit :
    Nous sommes plus de deux cent mille.
    Ainsi, je n’avais pas le droit de le tenir pour un phénomène. Mon respect s’en accrut.
    – Nous sommes pauvres, continua-t-il. Sauf rares exceptions, nos fidèles ne sont pas riches d’argent. Riches, ils le sont cependant de biens à venir, placés dans l’éternité. Et notre loi est une loi d’amour !
    Le mot fut ponctué d’un coup sur le gibus. Un gamin plus adroit que les autres, ou mieux servi par le hasard, avait enfin atteint l’objectif d’une pierre coupante. Des clameurs enthousiastes accompagnèrent l’exploit.
    Mon interlocuteur leva le bras, ainsi que pour saluer. Ayant doucement soulevé son chapeau, il le ramena à hauteur des yeux, considéra les dégâts (en vérité assez minces) et brossa la peluche avec son coude, à petits gestes précautionneux.
    Il sourit encore !
    – Aimons-nous les uns les autres, fit-il.
    Puis, il ajouta :
    – Ah ! jeunesse ! avec un soupir.
    Un gosse, qu’il regardait amicalement, s’approcha, plein de gentillesse apparente. Mais sa main, derrière le dos, dissimulait un caillou.
    – Ange et démon, murmura le bon Antoiniste, je t’aime doublement, mon enfant.

                                        Fernand POUEY.

                                        FIN

Paris Soir, 18 septembre 1931 (illustration : Le temple Antoiniste de la rue Daviel)

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Vient de paraître (Le Journal, 3 février 1928)

Publié le par antoiniste

Vient de paraître - André Thérive (Le Journal 3 février 1928)

Sans âme, L'amour et la passion de Lydia, petite fille de Paris.

Le Journal, 3 février 1928

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Le père Antoine et son biographe

Publié le par antoiniste

Le père Antoine et son biographe, M. Robert Vivier (Pourquoi pas _, Bruxelles, n°1133, 17 avril 1936)

Le père Antoine et son biographe :
                   M. Robert Vivier

    Les lecteurs de ce journal qui ont dépassé la quarantaine
se souviennent du père Antoine. Le père Antoine fonda
aux environs de 1906, une religion nouvelle qui étendit un
instant son emprise dans toutes nos provinces, et surtout
dnas les régions industrielles de Wallonie, Louis Antoine
était ouvrier métallurgiste; son destin n'eut rien de remar-
quable jusqu'à ce qu'il eut atteint l'âge mûr, exception
faite d'un accident de jeunesse, homicide, tout à fait invo-
lontaire, d'un camarade de régiment, qu'Antoine tua net,
en manoeuvre, ayant laissé par inadvertance une cartouche
à balle dans son fusil.
    Antoine, fint son service, travailla en Allemagne, en Rus-
sie, et se maria, puis il revint s'installer à Jemeppe, y jouit
de quelque aisance et sans doute fut-il mort obscur si sa
vie n'avait été désolée par la perte d'un fils unique déjà
adulte.
    Comme il était prostré par ce deuil, il eut l'occasion de
pénétrer dans un milieu spirite. Ce fut son chemin de
Damas. Il se sépara du catholicisme orthodoxe, étudia
Allan Kardec, se mit à opérer des cures dont certaines fu-
rent stupéfiantes et, traduit en justice, parvint à établir,
comme le dit excellemment son biographe M. Robert
Vivier, « qu'il n'exerçait pas l'art de guérir, ce qui est
interdit par la loi, mais qu'il guérissait effectivement, ce
qui est autorisé. » 

Pourquoi pas ?, Bruxelles, n°1133, 17 avril 1936

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Jules Bois - Le Guérisseur Louis Antoine (1901)

Publié le par antoiniste

L'AU-DELA
ET LES FORCES INCONNUES
III. LE GUÉRISSEUR LOUIS ANTOINE 

    Dans tout le Condroz, on me disait : « Allez voir Louis Antoine, c'est le plus grand guérisseur de la Belgique. Il fait des miracles comme les thaumaturges les plus fameux. Il n'a aucune science, sauf celle qui vient de son instinct ou, comme, disent les spirites, de son guide. » J'ai, pour ma part, une certaine faiblesse pour les guérisseurs. Ils sont généralement persécutés par les médecins, leurs rivaux, font souvent autant de bien qu'eux et, n'ayant pas de diplôme, sont moins pédants et plus pittoresques. J'ai beaucoup connu le zouave Jacob, qui eut des moments de gloire étourdissante. J'ai récemment assisté, à Lyon, aux exercices magnétiques de M. Bouvier, à qui il arrive de soigner des centaines de malades par jour, et, il y a deux ans, à Paris, je me faisais initier à l'art d'un bizarre Américain portant le pseudonyme de Saint-Paul et dont la main, réduite à trois doigts, laissait couler des torrents fluidiques. 
   Je me rappelle un discours de William Crooks, le grand chimiste, à l'Académie royale de Londres : « Quels que soient les mérites, disait-il, de la médecine actuelle, tout ce qu'elle peut faire, c'est de réveiller dans le malade, ce que j'appellerais le vis medicatrix, c'est-à-dire la force de se guérir, ou mieux, la volonté de vivre. Personne donc ne guérit personne, mais le malade se guérit lui-même et le médecin n'a été qu'un aide, celui qui a réveillé le vis medicatrix assoupi. » 
   Cette théorie, due à un savant remarquable, me paraît la bonne ; elle réhabilite en plus ces prétendus charlatans qui, renonçant à la pharmacie et à la chimie, s'adressent directement à la force vitale, l'appellent, l'exaltent et, en influençant l'élément psychique, commandent à la matière et à ses infirmités.
    Quand je descendis à la petite station de Jemeppes-sur-Meuse, je demandai au chef de gare : « Connaissez-vous Louis Antoine ? -  Si je le connais ! dit-il, on parle de lui dans toute la Belgique : il habite à deux cents mètres d'ici et cet après-midi vous le trouverez au milieu de ses consultants. » 
    Derrière la barrière j'aperçus Léon Foccroule, le président des spirites de Poulseur. Je n'avais donc plus à chercher un cicerone. Foccroule est un ami de Louis Antoine. Ses yeux ronds, sous ses paupières plissées, brillaient de finesse et de bienveillance. Louis Antoine est pour lui une sorte de saint, un curé d'Ars laïque qui travaille avec un désintéressement absolu pour le bonheur de l'humanité. Je compris aussitôt que Foccroule espérait que je serais non seulement étonné mais converti à leur évangile. C'est que les spirites sont, là-bas, des apôtres et que conquérir une âme leur donne certainement .autant de joie que de gagner le gros lot. J'étais ce jour-là le gros lot. Nous marchâmes dans la fumée des fabriques, au milieu des rails de trams à vapeur, sur une terre noire, le long de rues populeuses parfois passaient des femmes lentes avec, sur leurs épaules, une gaule d'où pendent contre leurs hanches de grands seaux. Le soleil s'était voilé, les cheminées d'usine augmentaient la tristesse et le brouillard. La spirituelle parole du socialiste belge, M. Demblon, me revint à l'esprit : « Le mysticisme, m'avait-il dit, naît la plupart du temps dans les villes où il y a trop de fumée. » Voilà pourquoi cette Belgique si pratique, passablement sensuelle, voit son borinage infecté de fantômes. 

Jules Bois - Le Guérisseur Louis Antoine (1901)

    Au coin d'une traverse, une maison d'aspect presque officiel rappelant une clinique ou une petite mairie. La porte est ouverte. Foccroule cause en wallon avec quelques hommes attablés à un estaminet adjacent. La gueuze-lambic permet aux nombreux pèlerins d'attendre paisiblement l'heure où chacun, à son tour, ils seront reçus. Dans la salle d'attente, une multitude de femmes. Les clientes accusent les types les plus différents, depuis la femme du contre-maître, déjà bourgeoise et en chapeau, avec, sous la robe, un corset qui s'accuse comme une armure, jusqu'aux plus humbles ouvrières avec leurs châles à gros pois, leurs sabots, leurs cheveux filasse dont le manque d'éclat atteste les longues privations. Elles serrent contre leur poitrine flétrie par l'allaitement des chiffons secoués par les palpitations de la vie. Elles viennent là, moins pour elles-mêmes que pour leurs petits. Sans doute le médecin a désespéré où il demande trop cher, ou il n'a pas inspiré confiance ; alors elles sont allées vers celui que ses adversaires nomment le Charlatan, que la foule appelle le Guérisseur. Elles sont venues, portées par leur foi, exaltées par l'amour maternel, suppliant le Dieu des mères, de toute leur âme. Le silence n'est même pas troublé par le cri des enfants ; quelques vieilles se sont endormies sur leur parapluie, réveillées en sursaut quand la porte du fond s'ouvre pour laisser sortir quelque miraculé et entrer un autre douloureux. 
    J'ai passé par les coulisses de l'officine magnétique. C'est un corridor étroit où il y a, pour tout ornement, un tonneau à épluchures. 
   Ce corridor conduit à la hutte où habite Louis Antoine, une chambre seulement, bien pauvre et bien nue, où sa femme prépare le repas du soir. 
   Le thaumaturge a l'appréhension de la gloire, il n'aime point que s'établisse autour de lui une autre rumeur que celle, des guérisons accomplies. Foccroule lui a dit sans doute une phrase bien sentie dans leur patois car il m'accueille avec sympathie. Et puis, que quelqu'un soit venu de ce grand Paris pour le voir, cela le flatte secrètement. 
   J'ai deviné que Foccroule m'avait présenté comme un quasi-adepte. Voilà donc Louis Antoine. C'est un microcéphale, les cheveux coupés très ras, une barbe de la veille, et je ne sais quelle teinte grisâtre sur toute sa personne, provenant sans doute de l'âge, qui a décoloré ses cheveux et ses regards, de cette fumée aussi qui remplit tout Jemeppes, habille les êtres et les choses. Il parle avec une certaine difficulté, soit que le français ne soit pas sa langue habituelle, soit que sa nervosité, toujours en éveil, fasse trembler ses paroles. 
   - Faites excuse, me dit-il, je ne pourrais vous répondre qu'après L'avoir consulté. Je ne fais rien sans Lui. 
   Louis Antoine parlait ainsi mystérieusement de ce guide dont il ne sait pas très bien le nom, qui est tantôt pour lui l'âme du curé d'Ars ou cette du docteur Demeure, dont les portraits au crayon sont pendus aux murs de la salle d'attente, à côté de placards contre l'alcoolisme. Cet « esprit » ne me fut sans doute pas hostile, car presqu'aussitôt le guérisseur, sachant-que j'avais à prendre le train suivant, me reçut dans la chambre des miracles. 
   - Il m'apparaît, me dit-il, comme un nuage lumineux lorsque je dois réussir ma cure ; mais quand ceux qui viennent à moi n'ont pas la foi, mon guide s'en va, je deviens seul ; je puis si peu de chose par moi-même. 
   - Vous n'êtes donc pas magnétiseur ? 
   - Si ; mais je ne suis devenu vraiment Louis Antoine que lorsque je « m'ai acquis » la foi. C'est la foi qui guérit. Si nous croyons que nous allons cesser d'être malade, la maladie s'en va. Nous sommes guéris selon notre foi. | Plus j'ai réussi, plus j'ai eu confiance, plus j'ai réussi encore. Louis Antoine m'explique qu'il était ouvrier lamineur. Le feu où dansent les païennes salamandres, la fumée qui forme la corporalité des fantômes influencèrent lentement cette âme ignorante mais en correspondance avec l'universelle nature qui aime de chuchoter des simples des secrets. Il me conta la chose de sa voix grise aussi, voilée, avec des arrêts brusques et des intermittences. 
   - Quand on rentrait chez soi en revenant de la forge, on avait quelquefois le souvenir de toutes ces étincelles dans les yeux. Pendant la nuit, en dormant, elles ressemblaient à des étoiles. Ces étoiles me disaient : « Ecoute bien, Louis Antoine et comprends. Le feu de la forge rend le fer malléable et alors l'homme en fait tout ce qu'il veut. Ton âme est un feu aussi. Nous lui donnerons le pouvoir de repétrir la matière, la chair des autres, et les sourds entendront et les boiteux marcheront. » 
   Une mère et son enfant entrèrent. Le petit avait les jambes torses, le corps couvert de taches rouges. Un chétif résultat d'une existence sans hygiène et d'ancêtres dégénérés. 
   Louis Antoine pose sur ces membres déformés sa main rédemptrice : le petit tressaute de temps en temps comme sous une brûlure. Puis le thaumaturge lui ordonne de marcher, de courir même. Il marche, il court en effet avec ses misérables jambes convulsées. Réellement il va mieux, il rit, il saute dans les bras d'Antoine par cette sorte de reconnaissance instinctive qu'ont les enfants pour ce qui leur fait du bien. Il n'est pas guéri, certes, mais électrisé. Sa mère pleure de joie. L'atmosphère est propice au miracle entre ce thaumaturge qui affirme : « il guarira, savez-vous, il courra comme un lapin », cette femme en larmes et cet enfant galvanisé par la volonté de l'opérateur et la foi vague des tout petits qui ne comprennent pas l'existence de leur mal. 
   Vient une consultation sur la nourriture â donner au boiteux. Antoine défend le porc, ne permet qu'une pomme de terre avec du beurre, sans graisse. Ces détails culinaires sont écoutés avec religion, comme s'ils tombaient de la bouche d'un dieu. 
   Maintenant c'est le tour d'une vieille. Louis Antoine lui touche le front. Je vais assister à une des prérogatives du thaumaturge. Il lirait les maladies dans les corps, par intuition. Celle-là a la foi totale. Sous la coiffe noire, le visage s'accentue, à la fois têtu et docile, crédule. Au bout d'une minute, Louis Antoine profère son diagnostic. Ce qu'il a bien découvert, ce sont les souffrances de la brave femme et leur emplacement. Celle-ci en est tout émue ; chaque fois que le guérisseur lui découvre quelque infirmité, son enthousiasme grandit et elle s'écrie avec son accent rude de paysanne : « C'est ben comme ça, c'est ben comme ça ! » Mais Louis Antoine insiste : « Il faut dire la vérité, si c'est bien là ce que vous sentez. Nous ne devons pas propager le mensonge… la vérité nous soutient. » 
   Le train de banlieue qui doit me ramener de Jemeppes-sur-Meuse à Liège siffle déjà au loin ; il faut finir. Je demande à Louis Antoine ce qu'il pense des médecins, ses grands confrères et ennemis. Il ne m'en dit aucun mal. Ce magnétiseur a l'âme chrétienne : « Dans les maladies, ils soignent les effets ; moi, je m'attache aux causes », dit-il avec une certaine fierté. Louis Antoine est un philosophe. « Ils ont signé à cent cinquante une pétition contre moi : ma mission les gêne. Je n'ai été condamné pourtant qu'à quelques francs et conditionnellement encore. On sait que je ne demande pas d'argent, et comme je ne donne pas de remède, que peut-on me reprocher ? » 
   La vieille a jeté quelques sous dans la tirelire sur la cheminée. C'est tout ce qu'accepte ce philanthrope mystique. 
   - Avant de partir, prenez mon journal. 
   Louis Antoine est allé dans la chambre basse et obscure où sa femme prépare le repas du soir. De nouveau, je suis dans le corridor étroit, encombré par le tonneau d'épluchures. Le thaumaturge revient avec un imprimé qui a comme titre : Connais-toi. Je jette un regard sur ce papier rempli de ces phrases ampoulées dont les doctrinaires spiritualistes ont le secret. Ce ne doit pas être là une élucubration de Louis Antoine. Je le soupçonne d'écrire comme il parle, c'est-à-dire difficilement. Ses gestes, son milieu, son attitude, ses paroles, voilà ce qui m'a plu en lui. Une grande simplicité, de la naïveté même et de l'illuminisme, mais un brave homme, un brave homme vraiment, qui a la double chance d'être à la fois un ignorant et un croyant. 
   C'est peut-être pour cela qu'il fait des espèces de miracles. 
   Me revoici dans les rues fumeuses de Jemeppes, sur les chaussées noires. Léon Foccroule me jette un regard désolé. Il avait rêvé un long après-midi apostolique, où il m'aurait professé la philosophie d'Allan Kardec. 
   Le train siffle de nouveau, je lui serre la main en hâte, ses bons yeux sont émus. Il m'a fallu aller dans d'obscurs villages de Belgique pour trouver cette foi. Et je me dis que Louis Antoine dispose d'une force incalculable. Charcot, à la fin de sa vie, comprit les limites de cet hypnotisme qu'il avait, en quelque sorte, fait sien, et il écrivit, dans une revue anglaise, une étude devenue fameuse, intitulée The faith healing - la foi qui guérit. Ce génial observateur, quoique matérialiste, envoyait à Lourdes des malades désespérés, en qui il découvrait cette faculté de « croire » qui est vraiment un don surnaturel, car il n'y a pas de méthode pour l'acquérir. La désirer, la vouloir même, ne suffit pas : elle est un cadeau du Mystère. La foi ne soulève pas que les montagnes, elle peut rendre la santé étant elle-même une source secrète de la vie. 

Jules BOIS. Le Matin, 3 août 1901 (Reparu dans Le Miracle moderne en 1907 et dans Le Figaro, Supplément littéraire du dimanche 17 décembre 1910, mais non dans le livre L'Au-delà et les forces inconnues, 1902)

Jules Bois - Le Guérisseur Louis Antoine (1901)Jules Bois - Le Guérisseur Louis Antoine (1901)

 

 

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Léon Souguenet - Les montres belges (1904)

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Léon Souguenet - Les montres belges (1904)

 

Léon Souguenet - Les montres belges (1904)-1ère page

Auteur : Léon Souguenet
Titre : Les monstres belges
Éditeur: Oscar Lamberty, Bruxelles
1904 - 312 p. ; 21 cm

    Léon Souguenet (1871-1938), d’origine française, il vécut en Belgique. "Journaliste et écrivain doté d'une plume alerte et d'une verve extraordinaire", Extraits d’une brochure éditée à l’occasion du centenaire de la Fête des Arbres [http://www.esneux.be/site/loisirs_et_dec/histoire/index.php?ref_annu=1217&ref_annu_page=945].

 

Recension :
                                          Les Livres

    Les Monstres belges, par Léon Souguenet (Oscar Lamberty, éd., Bruxelles, 3 fr. 50). — M. Léon Souguenet a cru devoir réunir en volume les articles de reportage qu'il signa jadis au Messager de Bruxelles du pseudonyme d'Ethérel. Et il a bien fait, car cet ensemble forme une vivante et très intéressante mosaïque où se découvrent les hommes et les choses de cette bonne Belgique. Certains de ces articles, tel La vieille femme qui traînait un petit lapin, sont des morceaux de la plus haute et de la plus fine émotion, qui nous font nous souvenir du prestigieux poète du Chemin du Soleil.
L'Idée libre (Littéraire, artistique, sociale), Bruxelles, Paris, janvier 1904 (T7)

 

    L'auteur évoque le spiritisme à Gohyssart et Antoine le Guérisseur en 1902. Il écrit dans sa chronique du Métropole (12 août 1905) sur les guérisseurs.

    Dans La Vie du Littérateur en Belgique, il répond en tant que Léon Souguenet à son double Ethèrel à la question de ce dernier "Faut-il se déraciner ?". Sa réponse est oui : "Je vois, pour Le Parisien, une nécessité urgente à ce qu'il se déracine. Qu'il vienne, par exemple, à Bruxelles; il y connaîtra l'isolement, le silence propices aux grandes choses ; il retrouvera les traces de Hugo, de Verlaine, de Rimbaud, de Baudelaire. Ignoré de tous, il négligera de parader, il ne risquera pas de devenir un cabotin. Sûr de ne pas « se vendre », il ne se pliera pas aux goûts de l'acheteur. S'il veut faire du journalisme, il aura des confrères honnêtes, capables d'user envers lui d'une divine fraternité aux jours de douleur, car dans la petite ville on ne se bouscule pas pour se manger ; on a le temps de s'aimer. Dois-je dire que de Bruxelles mon déraciné verra Paris natal embelli et tout arc-en-ciellé à travers le prisme du regret ?"

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Léon Souguenet - Chez les spirites de Gohyssart

Publié le par antoiniste

 Jumet - Panorama du Bassin de Charleroi et Église de Gohyssart

Chez les Spirites de Gohyssart.

 

    Je ne sais si la tragique impression du pays minier s’atténue sous le ciel d’été. Pour moi, j’en ressens l’horreur plus profondément peut-être par les belles journées, quand le firmament dépourvu de nuages n’est pourtant pas bleu, mais gris, mais souillé par la poussière qui s’élève incessamment de la terre, quand un impassible soleil fouille les toits noirs des maisons, creuse les interstices des pierres, illumine de sa radieuse ironie les visages flétris des travailleurs.
    Pays où se peut exercer l’imagination d’un Dante moderne, pays de désespoir où la nature se refuse à cohabiter avec l’homme, où les arbres ne sont plus que des sarments, où l’herbe est brûlée par le feu intérieur qui ronge la terre; c’est une ville immense, une ville noire, avec des carrefours qui sont d’immenses plaines, des horizons où toujours se découvrent des agglomérations de maisons noires, groupées (comme des moutons près de durs bergers) autour des cheminées, et partout, dominant les toits et les monuments, ces tas de scories qui paraissent des tumuli monstrueux entassés sur la fosse de morts lamentables et innombrables.
    - Les ouvriers, ici pourtant, me dit-on, sont souvent des résignés.
    - Bel exemple de passivité...
    - Ce que vous allez voir vous dénoncera les sources où ils puisent leur tranquillité.

*
*        *

    Nous sommes à Gohyssart, près de Jumet, à quelques kilomètres de Charleroi. Il y a fête : des drapeaux flottent aux maisons, des guirlandes de papiers coloriés traversent les rues ; dans un orgue lointain, un saltimbanque moud de la musique dolente. Nous sommes venus ici pour assister à une séance de spiritisme. Gohyssart possède un groupe spirite assez important.
    - Le spiritisme ! à quelle foi se raccrochent donc ces malheureux ? Comment s’est répandue cette croyance ? A-t-elle beaucoup d’adeptes ?
    Et des gens du pays, des gens sérieux, étendent la main vers l’horizon, où la poussière noire insulte le ciel.
    - Dans l’agglomération de Charleroi, il y a au moins vingt mille adhérents fervents spirites et pratiquants. Ils sont répartis en cinq cents groupes, ayant leurs séances, leurs prières, leurs évocations.

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    Une petite maison très propre, dont la porte s’ouvre sans transition sur la plus grande chambre, voici le temple du culte. Au mur, des images morales ; sur la cheminée, un Christ, des vierges : rien d’extraordinaire.
    Voici le maître du logis ; il est aussi le chef du groupe. C’est un vieillard, au front élevé, aux yeux clairs ; d’un langage incorrect, mais d’idées logiquement enchaînées. Il nous raconte que deux étrangers, gens de loi ou curieux, sont venus tout récemment lui demander si ses pratiques pouvaient prolonger ou diminuer la vie humaine. A quoi il a répondu par une négation indignée et une profession de foi.
    Mais les fidèles entrent.
    Leur aspect est varié. Ils appartiennent à toutes les classes de la société. Il y a parmi nous des commerçants de Charleroi, un peintre déjà célèbre, un avocat, des journalistes, des ouvriers. Tout ce monde est croyant, sauf votre serviteur, qui s’avoue un mécréant, mais à qui on a dit : « Vous verrez et vous croirez ! » et qui, se faisant l’âme aussi simple qu’il peut, empli de bonne volonté, attend.
    Les extraordinaires figures ! Nous sommes cinquante dans une salle étroite et basse. Le long d’un mur, il y a de vieilles femmes, trois surtout, aux traits plissés, aux fronts ridés, à la bouche ravinée ; elles ont le teint jaune, une lueur de vieux rose s’efface à leurs pommettes ; vêtues de caracos roses, bleus, gris clair, elles semblent trois vieilles Grâces fanées.

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*        *

    Au centre de la salle se trouve une table ronde. Le président en occupe la place la plus proche de la cheminée. Les « médiums », au nombre de six, sont en face de lui, assis. Ce sont quatre femmes et deux hommes (rien extérieurement ne dénote leurs rares qualités) : des ouvriers, une ménagère, je crois, et une commerçante de Charleroi, celle-ci étant douée, paraît-il, d’une double vue qui devient en quelque sorte une prescience.
    - La séance est ouverte, dit le président.
    Elle commence par un cantique chanté avec ensemble, avec ferveur ; autant que j’en saisis les paroles, ce cantique ne serait pas désavoué par de stricts catholiques. Mais comme il finit, une femme médium, une vieille femme, assise, tordant ses mains, râlant, les épaules secouées, se débat, repousse quelque chose d’invisible, se démène jusqu’à risquer de tomber à la renverse. Tout le monde la regarde pieusement et froidement ; elle se calme enfin. On m’explique bas :
    - C’est sa petite fille morte qui veut se réincarner en elle et à qui elle se dérobe pour des raisons.
    Le président lit une longue prière. Il invoque le Dieu tout-puissant, maître des êtres ; il appelle les bons esprits, repousse les mauvais esprits. La prière est longue ; toutes les lèvres la récitent à mi-voix.

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*        *

    Un silence, puis un médium se raidit, crispe ses mains et, les yeux fermés, parle :
    - Chers frères et sœurs !...
    Toute l’assistance en chœur répond :
    - Bonjour, cher esprit !
    - Je suis votre guide...
    Le guide est l’ange gardien spécialement préposé à la séance. Il nous donne d’excellents conseils de morale et de vertu par le truchement de celui dont il a pris le corps. Puis il nous dit :
    - Au revoir !
    On répond :
    - Au revoir, cher esprit !
    Soudain, une autre femme médium, râlant, suffocant, les narines sifflantes, la bouche éperdument ouverte, se renverse. C’est exactement le spectacle d’une terrifiante agonie. Les mains de la femme font le geste de hâler son corps à un câble invisible. A cette mimique extraordinairement expressive, tout le monde a compris.
    - Vous vous êtes pendu ? demanda-t-on.
    Le médium fait signe : Oui.
    Nous avons parmi nous l’âme d’un suicidé ! On récite pour lui une prière spéciale. On l’interroge. Il croit sentir toujours à son cou la corde fatale ; depuis des années, il se sent étranglé, suspendu. On m’explique : certains morts se sentent pendant des temps interminables, des siècles parfois, dans la même situation. L’expiation du suicide est douloureuse. Combien faudra-t-il d’incarnations successives pour effacer la faute ?...
    Un à un, tous les médiums parlent. Les uns demandent des prières ; un noyé sent l’eau qui lui remplit la bouche ; un pasteur d’âmes qui a fait le bien toute sa vie se demande pourquoi il est plongé dans la nuit ; un enfant de dix-huit mois se demande ce qu’il a fait dans ses avant-dernières incarnations ; puis passent des ouvriers des villages voisins. On leur demande leurs noms, la date de leur mort, leurs professions. Ils répondent. On me dit :
    - Voulez-vous contrôler ces renseignements ? Je l’ai fait cent fois avec succès ; inutile que je recommence...
    Pour tous ceux qui passent on récite une prière ; on les réconforte. Il y a des gens angoissés qui demandent si un bien-aimé disparu ne va pas se manifester. Et on comprend le prestige étrange de ce culte. La terreur de la mort ne pèse plus sur les épaules humaines, et les vivants continuent avec les en-allés la conversation interrompue.
    Un des médiums-femmes prend un crayon ; sa main est secouée d’un tremblement fébrile, puis elle écrit, écrit sans se lasser : c’est un médium-écrivain.
    Un médium parle : « Je ne sais plus rien, je ne vois rien, je suis dans le brouillard insondable ; mais une voix s’élève qui me dit : La Vérité planait sur le monde avant que la Science vînt lui offrir de fallacieux secours... L’homme s’en va vers la Vérité, d’hypothèses en hypothèses, qui toutes, les unes après les autres, s’écroulent... »
    On demande :
   - Qui donc êtes-vous ? cher esprit.
    - Je suis Paul Bert.
    Le médium en qui vient de s’incarner Paul Bert est un simple ouvrier lamineur.
    Puis, par le même médium, c’est Allan Kardec qui parle, lentement, d’une voix entrecoupée ; le langage est parfois très incorrect, quelquefois parfait ; la pensée est parfois haute, parfois banale. Le discours est long : il dure une demi-heure. Les vieilles femmes somnolent. Elles se réveillent quand on récite la prière, et toutes ces vieilles bouches sans dents, ces mentons de bois semblables à celui de Polichinelle, se meuvent pour exprimer les mêmes désirs de lumière, de rafraîchissement et de paix.
    Il est 6 heures. La température dans cette salle étroite est étouffante. Tous ces gens ont préféré venir se pencher sur le gouffre de l’au-delà plutôt que de boire par cette lumineuse après-midi la lumière et le soleil des vivants.
    - Peut-on lever la séance ?
    Un médium se sent frôlé par un esprit qui souffle : Oui.
    Une dernière prière, et les fidèles se dispersent, graves, émus comme il sied à des gens qui sentirent flotter toute une après-midi sur leurs fronts les linceuls des morts invisibles.

*
*        *

    - Vous êtes convaincu ?
    - Hum ! vous n’estimeriez pas ma foi si elle était si prompte.
    Mais, pour des raisons d’ailleurs plus sentimentales que scientifiques, je crois à l’entière bonne foi des acteurs de la scène. Le désir de converser avec les morts, vieux comme le monde, a entraîné les hommes souvent dans des pratiques étranges. Ici, il contribue à élever les âmes et les cours, et l’ironie serait sacrilège envers tous ces douloureux qui tâtonnent dans le brouillard en y cherchant l’étreinte fugitive d’un disparu.

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*        *

    Le train, aux yeux rouges, fonce comme un taureau dans les ténèbres. Aux vitres défile la fantasmagorie du pays noir. Brèves apparitions de carcasses d’usines, de rails, de lampadaires électriques et de baies ouvertes où flambent des fournaises ; devant le feu, des démons humains passent et repassent.
    Ah ! si la voix des morts berce les dolents humains qui rêvent et, comme une chanson, les charme sur le chemin poudreux, si des fantômes nous invitent à les suivre par la voie lactée ou poudroient les soleils, on imagine aussi la terreur, le désespoir infini des damnés, démons de la fournaise ou de la mine, penseurs, rêveurs, poètes, dont le front se bute à tant d’obstacles marmoréens et qui désormais se savent condamnés, sans recours, à l’immortalité.

Léon Souguenet, Les Monstres belges, 1904

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Nantes (Le Finistère du 2 novembre 1929)

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Nantes (Le Finistère du 2 nov 1929)

 

Il y a du nouveau à Nantes !
    D'un train venu de Liège sont descendus, en gare de l'Etat, cinq cents pèlerins antoinistes, venus de tous les coins de la Belgique et du Nord de la France pour assister à l'inauguration d'un temple destiné au culte antoiniste.
    Les hommes étaient drapés dans de courtes robes ; ils avaient le chef couvert d'un chapeau demi haut de forme, à bords plats, et allant en s'évasent vers le fond. Les femmes étaient vêtues de longs manteaux noirs et coiffées de minuscules chapeaux ornés d'un voile de deuil.
    A Nantes, cette religion a groupé un noyau d'adeptes dans le quartier de Chantenay, et c'est pour eux qu'a été édifié le temple à l'inauguration duquel sont venus participer les antoinistes belges. La mère Antoine, c'est ainsi que l'appellent les fidèles, a tenu, malgré ses 80 ans, à présider cette cérémonie.

Le Finistère du 2 novembre 1929

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Nantes - Encore une religion nouvelle (L'Echo d'Alger, 10 novembre 1929)

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Nantes - Encore une religion nouvelle (L'Echo d'Alger 10-11-1929)

 

ENCORE UNE RELIGION
       NOUVELLE !

    Nantes, 9 novembre. – Un curieux cortège de pèlerins belges a débarqué à Nantes, ce matin, amenant de Liège, cinq cents antoinistes qui sont venus assister à la consécration d'un temple édifié à Chantenay où un petit noyau d'adeptes constitue la religion antoiniste.
    Cette religion, en lutte avec les autres se propose de fondre tous les hommes de toutes religions. Dieu aurait révélé, en 1903, cette religion à Antoine, ouvrier mineur-métallurgiste à Jemmepe-sur-Meuse, comme autrefois il avait révélé sa loi à Moïse.
    Cette nouvelle religion est sans ministre, sans culte. Le seul enseignement transmis à Antoine en dirige les croyants.
    Avec leurs longues robes noires et leurs chapeaux demi hauts de forme à bords plats, les frères ont provoqué une vive curiosité.
    Les femmes sont simplement vêtues et drapées dans de grands manteaux. Elles sont coiffées d'un chapeau recouvert d'un voile de deuil.
    La mère Antoine, femme du fondateur de l'antoinisme, est venue malgré ses 80 ans, présider la cérémonie.

L'Echo d'Alger, 10 novembre 1929

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Gabriel Corin et Louis Lenger

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L.Lenger et G.Corin (Journal de Liège et de la province 31-03-1914)


 Professeur Gabriel Corin                        

 

Gabriel Corin et Louis Lenger

 
courte biographie de Gabriel Corin (décédé le 26 mars 1919)
et Louis Lenger (décédé le 11 mai 1933)
(La Meuse, 10 août 1911)

 

 

    En tant que médecins légistes à Liège, Louis Lenger et Gabriel Corin procèderont à l'enquête sur Louis Antoine en 1900 pour préparer son premier procès contre l'exercice illégal de la médecine.
    Ils seront également mandé pour autopsier le corps de Ferdinande Humblet dont la sœur et le mari auront consulté Louis Antoine à propos de sa disparition.

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Jules Bois - Un village spirite (1903)

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Poulseur - Maison du peuple    L'AU-DELA
ET LES FORCES INCONNUES
UN VILLAGE SPIRITE 

    Toutes les négations, toutes les railleries des matérialistes se briseront à des faits. L'orgueil scientifique, qui ne permet plus que de croire en ses dogmes, souvent précaires et changeants, trouvera de vives résistances dans la naïveté populaire ; elle construira d'autres temples avec les ruines des précédents. Là où le, catholicisme faiblit, le spiritisme se lève. 
   C'est une « leçon de choses » qui vient de m'être donnée et que je veux rapporter ici, en tête de cette enquête. Il existe en Belgique, ou mieux en Wallonie, tout près de Liège, un village d'ouvriers carriers qui est en grande partie spirite. Ces travailleurs, qui ont échappé à la tutelle de l'Eglise, n'ont pu se contenter de la libre-pensée et de l'athéisme pur et simple, et ils ont reconstitué, au début de notre vingtième siècle, ce culte des morts qui fut, d'après Fustel de Coulanges, l'auteur de la Cité antique, la première religion de l'humanité. 
   Dimanche, étant à Liège, je fus rendre visite au citoyen Foccroule, directeur du Messager, journal spirite. C'est un brave homme, sans prétentions, qui a été et est encore, malgré son âge, un excellent mécanicien. Il gagne sa vie avec ses mains et il ne rougit pas d'être du peuple. En ceci il se rencontre avec Tolstoï qui, quoique grand seigneur, préfère a la vie oisive le métier de cordonnier. Je crois bien qu'il est aussi socialiste, et il a l'amitié de M. Demblon, un des leaders de ce parti. Je serrai sa main ronde avec plaisir : j'appréciai sa mine d'honnête homme encadrée d'une barbe blanchissante. 
   - Puisque vous êtes curieux de nos phénomènes, venez donc avec moi à Poulseur. Aujourd'hui je me repose, et je crois que vous ne perdrez pas votre temps en voyant un village spirite et en assistant à ses cérémonies. Seulement pressons-nous, car il faut prendre notre train à Guillemins tout de suite afin d'arriver avant neuf heures. C'est alors que les esprits se manifestent et que tous les nôtres vont au temple. 
   En route, le citoyen Foccroule m'édifia sur les progrès de la religion des morts dont il est, en Wallonie, un des pontifes. 
    - « Le quart à peu près de la population de Liège est spirite. Ah ne croyez pas que nos fidèles soient capables, comme nos premiers chrétiens, de mourir pour leur foi ni même de l'avouer. Les Liégeois sont avant tout prudents. Par exemple, j'ignore le nom d'un bon nombre de mes abonnés ils se font adresser poste restante, sous des initiales, notre journal. Etant des avocats, des juges, des personnages officiels ou encore des colonels ou des généraux, ils n'osent se compromettre devant la majorité bien-pensante, conservatrice, catholique qui nous gouverne. N'empêche que, lorsque Léon Denis ou Gabriel Delanne viennent chez nous donner des conférences, nous réunissons plus d'un millier d'assistants. Récemment même, Léon Denis, le grand apôtre spiritualiste, a parlé dans l'élégante salle de l'Emulation, et il a eu assez de succès pour que le président lui fît l'honneur de le raccompagner presque chez lui. Ah ! monsieur, c'est que nous travaillons pour les idées, sans intérêt personnel. Ma femme écrit elle-même les bandes des invitations et ma fille empaquette les livres de propagande. Tout ça pour la cause. Il en est de même chez les gens simples que vous allez voir. Ils ont souffert pour leur croyance aux esprits ; mais la persécution ne fait qu'augmenter le zèle des personnes sincères. 
    Je regardai par la portière le délicieux paysage, pittoresque sans âpreté, les rives de l'Ourthe, les vallons frais, les collines auprès desquelles les villages se groupent. Maisons blanches et propres sous leur toit d'ardoise, petites rues placides où des groupes endimanchés causent sans fracas. 
   - Je suis né ici, me dit le citoyen spirite avec une naïve fierté. C'est là que près de la terre, au bruit des sources, j'ai écouté les petites voix de la nature qui m'ont appris que rien ne meurt. 
   Enfin les carrières de Montfort dressent leurs cimes horizontales et nues le grès apparaît sur leur versant, les entrailles de la terre se révèlent. Ces pierres rempliront les wagons de la gare pour devenir les pavés, des grandes villes. Malgré moi, je songe aux vieilles légendes du paganisme. Avant que Jésus n'eût tué le dieu Pan, les peuples croyaient que des esprits' habitaient dans les cavernes naturelles et dans celles que creuse la main des hommes. C'étaient de petits dieux qui se vengeaient d'être dérangés de leurs silencieux domaines par des espiègleries de gnomes et de follets Maintenant ils sont devenus les esprits. 
   Nous voilà attablés à la petite auberge du village, devant une pinte de bière de saison. Le liquide inoffensif mousse dans nos verres. C'est la cousine du citoyen, une spirite naturellement, qui tient l'estaminet. A elle, vint se joindre une femme en tablier, aux yeux intelligents et aux joues émaciées que, Foccroule me présenta comme la plus ardente spirite du pays. C'est la veuve de Joseph Leruth qui, avec le cousin de Foccroule, importa le culte des esprits chez les carriers de Poulseur. Tout de suite je sentis que j'avais affaire à une apôtre elle en avait la familiarité, la parole abondante, le geste expressif. 
   - Vous tombez bien, monsieur : nous allons commencer la cérémonie tout à l'heure, pendant que « les autres » seront à la messe. Nous avons choisi la même heure pour leur tenir tête. Venez chez moi, vous allez voir le drapeau. 
  Nous entrons dans une maisonnette bien modeste, mais tenue avec cette propreté stricte qui est le luxe des pauvres. Le portrait d'Allan Kardec s'étale au-dessus de la cheminée, bien en évidence. Contre le mur, un travail de femme, gauche, et touchant sur un carton, des fils de couleur entrelacés représentent une masure, comme il y en a tant en ce village, et l'habitant est une tête d'enfant avec des ailes. Au-dessous il est écrit : « Moi et ma maison nous servirons l'Eternel. » 
   L'horloge de l'église sonne neuf heures. Sur la porte, des familles de carriers attendent que le drapeau soit sorti de sa boîte pour former le cortège. La fille des Mme Leruth, une vraie « demoiselle de la ville » en corsage clair, aide sa mère à sortir l'enseigne. L'étoffe noire se déploie avec ses devises dorées. J'y lis : « La mort n'est que la fin d'une de nos étapes vers le mieux. » Et encore : « Craindre la mort, c'est la méconnaître. » La mère adapte à la hampe l'écusson, où est peinte une main qui tient un flambeau. « Vers Dieu -par la science et la charité » y est-il écrit. Elle-même lève la bannière, et me voilà mêlé au cortège, sous la garde du mécanicien Foccroule. Je suis entouré de femmes d'enfants et d'ouvriers en bourgeron bleu repassé pour la circonstance manœuvres qui travaillent loin du soleil, dans tes abîmes du grès ; épinceurs, qui ont laissé à la maison leur marteau ; appareilleurs, en tenue presque de bourgeois, comme des contre-maîtres. Nous sommes bien une centaine.
    - J'ai été une fameuse catholique avant de devenir spirite, m'avoua la bonne Mme Leruth ; mais maintenant, comme on dit chez nous, c'est « malé », c'est fini ! La rupture a eu lieu avec le curé, le jour de la Sainte-Barbe. Nous étions tous les spirites ensemble dans l'église ; alors, le curé mit la main sur l'épaulé de mon mari, qui était le premier, comme toujours, et lui dit : « Leruth et votre compagnie, je ne peux pas vous confesser. »  – « Ne me touchez pas ! » qu'il dit. Et nous sommes sortis tous et nous ne sommes jamais revenus depuis. 
   Nous passions en ce moment devant l'église. D'autres habitants de Poulseur s'y rendaient, Les deux troupes se jetaient des regards de côté, mais il n'y eut aucune provocation, car l'habitude arrondit les angles du fanatisme. 
    Le temple spirite est tout près de là, un peu plus haut, sur le versant d'une colline verdoyante de sapins, que domine un vieux château écroulé, palais, d'après la légende, de Charlemagne et des quatre fils Aymond. Il est situé entre le cimetière et la Maison du Peuple, C'est un édifice plus élevé que les autres, avec un toit d'ardoise très aigu qui simule un clocher. Dans l'angle du sommet, un œil rayonne ; deux devises y convergent, partant de la base du toit et suivant l'ardoise. L'une dit : « Il n'y a de foi inébranlable que celle qui peut regarder la raison face à face dans tous les âges de l'humanité. » L'autre dit la phrase fameuse qui résume l'évangile d'Allan Kardec, et que j'ai lue aussi sur sa tombe au Père-Lachaise : « Naître, mourir, renaître, progresser sans cesse, telle est la loi. » Au centre, deux mains en plâtre se joignent et, au-dessus, une frise de vigne en fleur atteste la renaissance de ce paganisme antique et du culte de Dymisos dans les mystères… Le spiritisme est bien la renaissance du dieu Pan.
    Le président prend place dans l'unique fauteuil : c'est Léon Foccroule, le cousin de mon mécanicien et le propriétaire du terrain où est bâti le temple. « Prions », dit-il. La demoiselle au corsage clair ouvre un petit livre noirci comme un grimoire et lit une invocation au « Dieu clément et miséricordieux qui permet le commerce avec le monde spirituel pour notre avancement ». Et elle le supplie de sa voix chantante pour qu'il « éloigne les esprits légers et moqueurs ». 
   Maintenant, on parle à voix basse, comme dans une véritable église j'examine la salle. Elle est ornée de devises encore ! Décidément ces braves carriers les aiment. Elles affichent une libre pensée, sœur du protestantisme. Il est dit, par exemple, que « la conscience ne doit ses comptes qu'à Dieu et que « son domaine est interdit à tous les tyrans ». Une carte astronomique, un poêle, une table de bois, une clochette, des pliants forment tout le mobilier. Le mécanicien me chuchote à l'oreille :
    - Nous avions autrefois un crucifix au-dessus du buste d'Allan Kardec, mais depuis nous l'avons remplacé par un Jésus magnétiseur. 
   En effet, je distingue dans la demi-obscurité une chromo, représentant le Christ qui guérit le paralytique. 
   Un « chut» énergique rétablit le silence. Mme Leruth pâlit encore elle a fermé les yeux et il me semble que ses joues émaciées ont un rayonnement. 
   - C'est un cantique que les esprits eux-mêmes nous ont donné… et tout entier, musique et paroles. 
   La médium prélude en effet : ce chant est d'une lenteur énervante et les vers pourraient être signés par un maître d'école devenu décadent. L'impression n'en est pas moins profonde. Ces fronts, recueillis, creusés par de longues rides, ces mains noircies de prolétaires, ces visages émerveilles et anémiques d'enfants, ces beaux yeux pâles d'ouvrières, dans cette pénombre de catacombe, reportent à des époques mystiques, alors que les premiers chrétiens, aussi simples que ces pauvres, célébraient leur rite secret. La foi y est ardente, presque visible, réellement comme un fluide épars.
Heureux celui qui croit,
Heureux qui marche droit 
   Dans tes chemins. 

Aussi toujours, Seigneur,
Règne dans notre cœur,
Car notre vrai bonheur
Est dans tes mains ! 

Pour toi rien n'est couvert :
Lis dans le livre ouvert 
   De notre cœur. 

Donn' nous l'amour, la foi,
Et l'espérance en toi
Avec la charité
Envers l'humanité. 

Mais un grand jour viendra
Que tous on s'aimera (sic)
En véritables frères…
L'épreuve du malheur,
Rend tous les hommes frères. 

    Je ne souris même pas à ces couplets crédules et puérils. La voix faiblit, comme mourante, Je sens tout le rêva que peuvent fournir ces cerveaux, à planer dans l'air. Plusieurs fillettes tombent en transes : l'une change de personnalité, prend une frêle voix plaintive pour raconter l'aventure d'une pauvre enfant perdue dans les bois, en attendant sa mère qui était allée mendier pour elle et qui est morte de faim. 
   - Elle vient souvent dans nos séances, m'explique le mécanicien ; cette désincarnée recommence sans cesse chez nous, dans le corps du médium, la douloureuse aventure qui précéda son abandon et son dernier soupir. 
   Et les plaintes reprenaient… « J'ai faim, j'ai faim ! disait la voix. Petite fille, n'avez-vous pas vu ma mère ? Elle est habillée en noir' avec un fichu rose dans son cou. Je cherche après depuis hier soir. Petite fille, dites-lui qu'elle m'apporte à manger… » 
  Dans le corps d'une autre enfant tombée en extase, un autre esprit raconte l'histoire d'une noble dame emmurée dans son château : une séquestrée romantique !
    D'autres fillettes, médiums-écrivains, sont agitées d'un délire graphomane. Leurs mains crispées au crayon bondissent sur un papier grossier pris à l'épicier, et c'est la détresse racontée des pauvres femmes qui furent, pendant leur vie, battues par des maris ivrognes, ou des conseils, des principes de morale d'esprits anonymes. Alors, c'est comme une trouée dans l'au-delà. 
   - On serait trop malheureux, s'il n'y avait que cette vie, me disait Mme Leruth. 
   Et je m'explique l'attention pieuse de ces ignorants qui pensent écouter à travers les crises de leurs propres « éfants » ils ne sauraient les tromper, pourtant –  la voix des morts qui, comme eux, autrefois, souffrirent quand ils vécurent, et goûtent enfin le repos tant attendu, le long dimanche éternel…
    L'heure passe, en ce trouble qui tient à la fois de la religion et du magnétisme. Une nouvelle prière pour les « esprits souffrants » clôture la séance. La porte s'ouvre, une bouffée d'air nouveau arrive l'oppression qui me tenait s'allège. Mme Leruth reprend son drapeau ; elle est redevenue parleuse et les fantômes se sont dissipés :
    - Joseph est venu me parlait aujourd'hui encore ; les morts ne sont pas des absents, mais des invisibles. Il m'a expliqué ce qui se passait quand on s'en va. « Il semble, m'a-t-il dit, qu'on s'endort dans une chambre et qu'on se réveille dans une autre. C'est pas plus malin que ça !» Vous ne voulez pas voir le drap mortuaire et le brancard où nous mettons nos défunts ? Ces jours-là sont de grandes cérémonies spirites. Ah ! les esprits, nous leur devons tout. Quelquefois les patrons nous font la guerre à cause d'eux, mais ils finissent toujours par arranger nos affaires. Ainsi tenez, ma grande fille, elle est venue au monde un jour de séance. A peine née, on l'a portée dans le temple, et les esprits l'ont bénie ; aussi c'est le seul enfant que je n'ai pas perdu. Et c'est d'elle – ils me l'avaient bien dit – que me vient tout mon bonheur. 
   Cependant le cortège s'est reformé derrière le drapeau dont la mère Leruth est si fière, et les poitrines réconfortées par le souffle de l'Invisible entonnent avec une ardeur nouvelle le long des rues du village de Poulseur où quelques Vierges restent encore dans leur niche au-dessus des portes – le chant des résurrections :
    Nous mourrons mais pour renaître : 
   La vie n'est qu'un doux sommeil. 

Jules Bois. Le Matin, 26 juillet 1901.

Jules Bois - Un village spirite (1903) Jules Bois - Un village spirite (1903)

 

Reparu dans Le monde invisible en 1902. On constate peu de changement. Les deux derniers vers deviennent cependant :

    Nous mourrons mais pour renaître : 
    La mort n'est qu'un doux réveil. 

Suit une note que voici : M. Lanne, pasteur au consistoire de la Mothe-Saint-Hervey [correction manuelle : la Mothe-Saint-Héray, près de Niort, Deux-Sèvres], frappé de certaines ressenblances entre sa religion et certaines formules spirites, m’écrivit lorsque ce chapitre eût paru dans le Matin pour me demander si le spiritisme de Poulseur et même le spiritisme en tant que doctrine n’étaient pas les fils prodigues de la religion réformée. Je lui répondis que dans le cas présent il se pouvait que quelques cantiques protestants aient été adoptés par les spirites, sans doute sous l’influence du temple, qui, à Sprimont, village très voisin de Poulseur, réunit un groupe assez considérable de fidèles, et encore, plus je pense, par une  opposition commune contre le catholicisme. Mais comme les protestants n’ont pas de prières pour les morts et pensent qu’après le jugement qui suit le dernier soupir, il ne reste plus rien à faire pour l’âme, j’imagine qu’il y a un abîme entre le christianisme réformé et le nouveau spiritualisme.

Note 5 (paru en complément dans Le monde invisible, 1902)

L'église spirite.
    Après avoir visité Poulseur et Jemmeppe-sur-Meuse, je m'assurai qu'ils n'étaient point en Belgique des cas isolés et que deux autres agglomérations importantes pratiquaient aussi l'évangile d'Allan Kardec : Chapelle-les-Herlaimont, près de Morlanwez, et Gohissard. Mais il suffisait d'esquisser le type de village spirite. A Poulseur, les spirites, d'accord avec les socialistes, gouvernent la commune et sont échevins. C'est là un cas spécial, mais je puis dire, sans exagération, que dans chaque ville de Belgique, de France, d'Italie, de Hollande, d'Angleterre (je parle des pays qu'en Europe j'ai plus particulièrement visités), il existe des groupes spirites. En dehors et à côté se forme une petite élite qui est occultiste ou théosophe. 
   En tout cas occultistes, théosophes, spirites sont certainement en France, à eux tous, bien plus nombreux que les israélites et les protestants réunis.
    Ces groupes croient tous à l'existence de Dieu et de la survie et pensent en avoir des preuves expérimentales.

NÉCROLOGIE 

M. LÉON FOCCROULLE 

Un de nos frères en croyance les plus dévoués, M. LÉON FOCÇROULLE, Vice-Président de la Fédération spirite Liégeoise, s'est désincarné à Poulseur (Belgique), le 4 avril dernier (1903), à l'âge de 63 ans. 

Le 6 avril, au seuil du modeste temple spirite élevé à Poulseur par nos amis, M. Oscar Henrion a dit « la prière à Dieu pour ceux qui viennent de quitter la terre ». Puis, il a prononcé le discours que nous reproduisons ci-après : 

       Discours de M. Oscar Henrion. 

 

Mesdames, Messieurs, f. et s. en croyance, 

    La mort vient encore de ravir à notre affection un de nos plus anciens et des plus dévoués frères en croyance, l'enlevant en même temps, à la reconnaissance de ses nombreux amis et à la cause du spiritisme. En effet, notre ami Léon Foccroulle, depuis plus de 30 ans, appartenait à cette phalange de la première heure, dont les rangs s'éclaircissent chaque jour, des propagateurs de la consolante Doctrine à laquelle il avait consacré tous les instants de sa vie depuis le jour où, avec son regretté ami Joseph Leruth, il lui avait été donné d'en comprendre les bienfaits. Sans cesse sur la brèche pour la répandre, il ne recula jamais devant aucune peine, ne s'effraya jamais devant aucun sacrifice pour faire partager aux autres les convictions qui étaient sa force et sa consolation. C'est de lui surtout, Frères et Sœurs, Mesdames et Messieurs, qu'il est permis de dire qu'il a passé en faisant le bien, et je ne crains pas d'affirmer que sa mémoire vivra longtemps encore dans le cœur de ceux qu'il a réconfortés par sa parole, relevés par sa charité. Quoique ne jouissant que d'une modeste fortune, il ne refusa jamais son obole lorsqu'il s'agit d'une œuvre de propagande ou d'une action charitable. Sa bourse était comme son cœur, toujours ouverte à ceux que le sort avait frappé, et son désir le plus ardent était de voir tous ceux qui l'entouraient partager sa confiance en Dieu et sa certitude d'une autre vie. N'est-ce pas dans ce but qu'il bâtit dans cette commune la première et la seule salle de réunion spirite, propriété aujourd'hui de son groupe à qui il l'a léguée par testament ? N'est-ce pas par ses soins que tant de conférences ont été données dans ce milieu, que son groupe a pu faire face aux dépenses nécessitées par les funérailles de ses membres ? Modeste à l'excès, jamais Léon Foccroulle ne voulut accepter dans le mouvement spirite que des fonctions secondaires, et c'est malgré lui qu'il fut nommé Président de l'ancienne Fédération et Vice-Président de la Fédération actuelle. Son jugement sain, sa raison éclairée n'étaient jamais consultés en vain par ses frères en croyance des différents comités dont il fit partie, de même que jamais il ne fut vainement fait appel à son dévoûment pour tout ce qui concernait la diffusion du Spiritisme. La perte de son ami Leruth fut pour lui une grande affliction, mais il sut la supporter en véritable croyant, et de nombreuses communications qu'il en obtint depuis sa désincarnation n'ont fait que fortifier sa foi et grandir son espérance. 

    Que de regrets il va laisser dans les cœurs qu'il consolait par sa parole et dans les milieux où sa charité s'exerçait sous les formes les plus bienveillantes et les plus discrètes ! Si son esprit, dégagé de ses liens matériels, plane en ce moment au-dessus de sa dépouille, qu'il doit être heureux de voir l'affliction causée par sa disparition, et que de vœux ne doit-il pas former pour que ses successeurs continuent l'œuvre à laquelle il avait voué sa vie ! 

    Vous qui l'avez connu, vous qui l'avez aimé, ne le pleurez donc pas, car nous avons la certitude que la vie dans laquelle il vient d'entrer sera pour lui la récompense de ses travaux, de ses sentiments si conformes à sa foi. 

    Hors la Charité, pas de Salut, telle fut sa devise, et à aucun moment de sa vie ses actes n'ont été en opposition avec elle. Aussi, Frères et Sœurs, avons-nous la ferme confiance, la certitude absolue dirai-je, que dès ce moment il se trouve dans la compagnie de nos bons guides et prend en pitié les misères de la vie terrestre. Sachant qu'il nous entend, je ne veux pas blesser davantage sa modestie en m'étendant sur son caractère et ses œuvres, je me contenterai donc de terminer cet éloge funèbre par l'expression de toute la sympathie qu'il nous avait inspirée et en lui disant l'espoir que nous avons qu'il nous continuera, du monde spirituel où il est, son concours fraternel. 

    Ami Léon, au nom des Spirites Liégeois en général et particulièrement au nom du Cercle Liégeois d'Etudes Spirites, reçois l'assurance que ton nom et tes œuvres vivront dans nos cœurs, lit maintenant, ami, que tu n'es plus emprisonné dans le lourd vêtement de la chair, nous te disons non pas adieu, mais au revoir. 

    « Après ce discours, dit le Messager de Liège, le cortège se forme, drapeau spirite et de sociétés diverses en tête, précédant le cercueil recouvert du beau drap du cercle de Poulseur. La fanfare joue ses airs funèbres, et là-haut, vers le sommet de la côte pittoresque souvent décrite par les touristes de la vallée de l'Ourthe, au milieu d'un cadre magnifique de hauts rochers qui reverdissent çà et là, notre ami Léon Foccroulle voit s'acheminer ce qui fut son enveloppe terrestre. Sa tombe est là, et, autour d'elle, chacun a pu entendre les bonnes paroles élogieuses tour à tour prononcées par MM. Nuss, Horion. Cl. Leruth et Casterman. 

    « Le meilleur souvenir restera dans le cœur de tous ceux qui ont pu assister à cette touchante cérémonie. » 

Le Progrès spirite : organe de la Fédération spirite universelle, 20 mai 1903, p.78-79

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