• Les guérisseurs (La Métropole, 12 août 1905)(Belgicapress)

    Les guérisseurs (La Métropole, 12 août 1905)(Belgicapress)Choses et autres

                                                          Guérisseurs

        Il vient de mourir à Lyon un personnage qui était célèbre dans la ville et dans tout le pays, sous le nom de Philippe. C'était un ancien garçon boucher, disent les journaux, qui s'était senti appelé, à ce qu'il disait, par des voix secrètes, à pratiquer des guérisons. Il opérait dans un petit salon d'une rue très fréquentée et la foule s'empressait à venir le consulter, et à lui raconter ses misères. Il y eut comme cela toujours, il y aura probablement toujours des personnages qui se diront investis de dons tout spéciaux et se feront fort de guérir l'humanité, et toujours l'humanité en grand nombre accourra demander merci. Et ce sont le plus souvent de vulgaires farceurs. Philippe le Lyonnais eut des prédécesseurs illustres. Le plus connu fut peut-être le zouave Jacob, ce musicien de la garde impériale, qui, à force de souffler dans un piston, se découvrit un souffle d'inspiré. Il finit par avoir comme clients les plus illustres personnages, entr'autres le maréchal Canrobert, et rédigera des mémoires tout pleins de pensées pompeuses.
        Il y a dans les environs de Liége, un particulier du nom d'Antoine, qui reçoit à peu près tous les jours deux cents personnes, sur qui il récite une vague prière, sur qui il souffle vaguement, à qui il ordonne des petites choses inoffensives et même hygiéniques, et qui s'en vont convaincus qu'elles sont guéries. Et souvent, il faut le dire, elles le sont.
        En général, quand ce sont des étrangers qui viennent pratiquer en Belgique ces exercices, on les expulse tout simplement, l'autorité ayant fort peu confiance dans leurs dons. Il vous souvient peut-être de cet Américain thaumaturge qu'on expulsa, il y a une dizaine d'années, et dont certains journaux prirent le parti avec une belle animation. Personnellement, j'ai connu une dame qui opérait à Saint-Gilles-lez-Bruxelles. Vêtue de blanc, et se faisant fort de guérir des hernies, des épilépsies et quantité d'autres maladies, elle imposait les mains. Un ancien chef de gare presque aveugle avait été guérie par elle et il était pris d'une telle foi, qu'il s'était fait l'apôtre de cette thaumaturge. Ce fut lui qui vint me relancer ; il me somma de venir voir et de raconter au monde entier ce que j'aurais vu. Comme je n'avais pas de foi, je ne vis rien d'extraordinaire, et comme je n'avais pas de maladie à faire guérir, je ne pus apprécier le talent de la dame. A quelque temps de là, la police intervint dans ce petit trafic et la race des guérisseurs comptait une martyre de plus.
        Le prestige de tous ces gens-là, bien plus étonnant que celui des médecins qui ont fait des études et qui ne jugent que d'après les faits, est éclatant, indiscutable. On recourra toujours volontiers à eux par esprit de contradiction, pour narguer la science officielle, et par cette croyance au merveilleux qui existe si ancrée dans le cœur humain. On veut absolument découvrir du merveilleux à tous les tournants de la vie. Et songez, songez aussi à tous les spirites qui pullulent dans les centres industriels, à Seraing, dans les environs de Charleroi et qui demandent à des pratiques absurdes la guérison de presque toutes les maladies. On condamne les guérisseurs, et après cela, l'observateur désintéressé se demande : "Mais ces farceurs-là, tout farceurs qu'ils étaient, ont peut-être parfois réellement calmé une grande douleur ?" Il y a un droit légal de guérir et il est singulier que l'on parle d'un exercice illégal de l'art de guérir, comme si, dès qu'on guérit on ne se trouve pas un bienfaiteur humain au-dessus des lois.
        Pasteur, qui n'était pas médecin, n'avait pas le droit légal de guérir. Il a tout de même guéri quelques hommes.
        Et toutes ces historiettes ou tous ces faits ne sont qu'un prétexte à conversation que je vous soumets pour les soirs où la pluie ou le mauvais temps vous cloîtreront dans quelque hôtel des bords de la mer.

                                                                   ETHEREL

    La Métropole, 12 août 1905 (source : Belgicapress)

     

        Etherel est le pseudonyme de Léon Souguenet qui a également écrit des articles sur les spirites et sur Antoine-le-Guérisseur.

        Cette chronique a donné lieu a un droit de réponse publié par le journal. Cf. Les guérisseurs (La Métropole, 18 août 1905).


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